Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.44/2006
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{T 0/2}
1P.44/2006 /col

Arrêt du 18 janvier 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Fonjallaz.
Greffier: M. Jomini.

X. ________, auquel ont succédé ses héritières:
A.________,
B.________,
recourantes,
toutes deux représentées par Me Thierry Thonney, avocat,

contre

les époux C.________,
D.________,
E.________,
intimés,
tous représentés par Me Jean-Daniel Théraulaz, avocat,
Municipalité de Vich, 1267 Vich, représentée par
Me Raymond Didisheim, avocat,
Tribunal administratif du canton de Vaud,
avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne.

permis de construire,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de
Vaud du 7 décembre 2005.

Faits:

A.
Feu X.________, décédé le 16 février 2006, était propriétaire de la parcelle
n° 248 du registre foncier, sur le territoire de la commune de Vich. Ce
terrain est inclus dans le périmètre du plan de quartier "de l'Eglise",
adopté le 27 février 1991 par le Conseil général de la commune et approuvé le
24 avril de la même année par le Conseil d'Etat du canton de Vaud. Ce plan de
quartier définit deux aires de construction, l'une correspondant pour
l'essentiel à l'église existante et à ses annexes (aire A), et la seconde
destinée à d'autres constructions (aire B - dans laquelle est classée une
partie de la parcelle n° 248). Le règlement du plan de quartier (RPQ) définit
ainsi, à son art. 3.1, l'affectation de l'aire de construction B:
"Cette surface est destinée à l'implantation de bâtiments affectés à
l'habitation et à des activités ou usages traditionnellement admis dans une
localité.

Le rez-de-chaussée des bâtiments qui sont en relation directe soit avec la
place de l'église, soit avec la Grand-Rue, doit être affecté dans leur plus
grande partie à une affectation autre que l'habitation, par exemple: locaux
commerciaux, locaux professionnels, locaux de services, équipements publics
ou collectifs."

B.
En automne 2004, X.________ avait déposé une demande de permis de construire
pour une maison d'habitation (villa individuelle) sur sa parcelle n° 248, à
l'intérieur de l'aire de construction B. Mis à l'enquête publique du 29
octobre au 17 novembre 2004, ce projet avait suscité des oppositions de la
part de voisins, notamment les époux C.________, D.________ et E.________
(ci-après: les époux C.________ et consorts). Par une décision prise le 1er
février 2005, la Municipalité de Vich a levé les oppositions; elle n'a
cependant pas délivré le permis de construire car certaines ouvertures en
toiture ne respectaient pas les prescriptions du règlement du plan de
quartier.
Le 18 février 2005, les époux C.________ et consorts ont recouru contre la
décision municipale auprès du Tribunal administratif du canton de Vaud.
Après le dépôt de ce recours, X.________ a soumis à la municipalité un projet
modifié, corrigeant les éléments en toiture considérés comme non
réglementaires. Une nouvelle enquête publique a eu lieu du 15 avril au 5 mai
2005.
Le Tribunal administratif a statué sur le recours par un arrêt rendu le
7 décembre 2005. Il est entré en matière en retenant que le refus du permis
de construire était fondé sur des motifs d'ordre secondaire, et que les
recourants avaient un intérêt digne de protection à demander immédiatement -
sans attendre l'octroi du permis après la seconde enquête publique -
l'annulation de la décision municipale écartant leurs oppositions. Sur le
fond, le Tribunal administratif a considéré que le bâtiment litigieux se
trouvait en relation directe avec la place de l'église et que, partant,
l'art. 3.1 al. 2 RPQ était applicable; or, contrairement à cette
prescription, les locaux du rez-de-chaussée étaient entièrement voués à
l'habitation. La municipalité affirmait certes n'avoir jamais imposé le
respect de l'art. 3.1 al. 2 RPQ et ne pas vouloir le faire à l'avenir, mais
cela ne justifiait pas, pour des motifs d'égalité, un rejet des oppositions
des voisins. Le Tribunal administratif a donc admis le recours et annulé la
décision municipale du 1er février 2005.

C.
Agissant le 19 janvier 2006 par la voie du recours de droit public, feu
X.________ a demandé au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal
administratif, pour violation du droit à l'égalité de traitement (art. 8
Cst.).
Après le décès du recourant, ses deux héritières A.________ et B.________ ont
déclaré maintenir le recours de droit public.
Les époux C.________ et consorts concluent au rejet du recours.
La municipalité propose l'admission du recours.
Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue avant le 1er janvier 2007, la loi
fédérale d'organisation judiciaire (OJ) demeure applicable à la procédure de
recours au Tribunal fédéral (art. 132 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu de se
prononcer sur la recevabilité du recours de droit public (art. 84 ss OJ), vu
le sort des griefs sur le fond. Il suffit de relever que l'arrêt attaqué a
pour conséquence le refus définitif du permis de construire pour le projet
litigieux - une "villa individuelle", soit un bâtiment affecté entièrement à
l'habitation - et que, comme cela est allégué dans le recours, la réalisation
d'une autre construction sur cette parcelle nécessiterait l'élaboration d'un
projet modifié, partant l'ouverture d'une nouvelle procédure administrative.
La décision attaquée est donc, dans ces conditions, une décision finale et
non pas incidente (cf. art. 86 et 87 OJ).

2.
Il n'est pas contesté, dans le recours de droit public, que l'obligation
d'affecter le rez-de-chaussée des nouveaux bâtiments à un usage autre que
l'habitation, selon l'art. 3.1 al. 2 RPQ, est en principe applicable à la
construction litigieuse, ni que le projet ne respecte pas cette prescription.
Il est fait grief au Tribunal administratif d'avoir violé l'art. 8 Cst. en
tant qu'il garantit "l'égalité dans l'illégalité"; l'autorité communale
aurait en effet une pratique constante consistant à ne pas appliquer la
disposition précitée du règlement du plan de quartier.

2.1 D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral relative au principe
d'égalité (art. 8 al. 1 Cst., art. 4 al. 1 aCst.), lorsqu'une autorité, non
pas dans un cas isolé, ni même dans plusieurs cas, mais selon une pratique
constante, ne respecte pas la loi et qu'elle fait savoir qu'à l'avenir
également, elle ne respectera pas la loi, le citoyen est en droit d'exiger
d'être mis au bénéfice de l'illégalité, pour autant que cela ne lèse pas
d'autres intérêts légitimes (ATF 115 Ia 81; cf. également ATF 127 I 1 consid.
3a p. 2; 123 II 248 consid. 3c p. 254).

2.2 Dans le cas particulier, le champ d'application de la norme en question
est limité à un petit nombre de terrains: ceux classés dans l'aire de
construction B du plan de quartier (dont le périmètre général ne comprend du
reste qu'une partie du centre du village) et qui, au surplus, sont en
"relation directe" avec la place de l'église ou la Grand-Rue. Certains de ces
terrains étaient vraisemblablement déjà bâtis en 1991 et, à moins de
transformations importantes, ils ne sont pas visés par la règle concernant
l'affectation du rez-de-chaussée. Dans ces conditions, le nombre de décisions
prises en application de l'art. 3.1 al. 2 RPQ depuis l'entrée en vigueur du
plan de quartier est nécessairement faible. L'arrêt attaqué mentionne le fait
que les époux C.________, propriétaires de deux bâtiments contigus donnant
sur la Grand-Rue, dans l'aire de construction B, avaient été autorisés à
effectuer des transformations sans affecter les rez-de-chaussée à des locaux
commerciaux (faits, let. J), et il évoque l'autorisation donnée par la
municipalité à "plusieurs projets de transformation dérogeant à l'art. 3.1
al. 2 RPQ", cette autorité entendant "poursuivre cette pratique à l'avenir"
(consid. 2b). Dans sa réponse au recours de droit public, la municipalité se
réfère à ces constatations, sans donner d'autres précisions.
On peut se demander si, compte tenu du faible nombre d'autorisations
délivrées en application de la norme litigieuse - en tout cas une,
éventuellement plusieurs, mais de toute manière pas plus de quelques unités
-, il est possible de constater une véritable pratique constante de
l'autorité compétente, au sens de la jurisprudence, ou si au contraire chaque
permis de construire sur les quelques terrains "en relation directe" avec la
place de l'église ou la Grand-Rue, dans le périmètre du plan de quartier, ne
devrait pas être considéré comme un cas isolé (à propos du critère du nombre
de cas, cf. Beatrice Weber-Dürler, Zum Anspruch auf Gleichbehandlung in der
Rechtsanwendung, ZBl 105/2004 p. 1 ss, 11).
Quoi qu'il en soit, la jurisprudence précitée prévoit une pesée des intérêts.
De manière générale, dans certains domaines du droit, il faut accorder une
importance plus grande au principe de la légalité, au détriment de celui de
l'égalité; il en va ainsi notamment en matière d'aménagement du territoire,
en particulier lorsque des intérêts dignes de protection des voisins sont en
cause (cf. Weber-Dürler, op. cit., p. 23). Dans ce cadre, il y a lieu de
prendre en considération la situation spécifique dans laquelle se trouve
l'autorité communale lorsqu'elle applique les normes d'un plan de quartier,
ou d'un plan d'affectation détaillé réglant de manière précise l'affectation
et les conditions de construction dans un périmètre limité. C'est en fonction
de cela que le Tribunal administratif a refusé en l'espèce de mettre le
constructeur au bénéfice de l'"égalité dans l'illégalité". En effet, si
l'autorité estime, une quinzaine d'années après l'entrée en vigueur d'un plan
d'affectation spécial, que certaines dispositions d'urbanisme ou de police
des constructions ne sont plus appropriées à cause de l'évolution des
circonstances, elle peut - ou doit, le cas échéant - engager une procédure de
révision de ce plan d'affectation, conformément à la règle de l'art. 21 al. 2
LAT (cf. ATF 132 II 408 consid. 4.2 p. 413 et les arrêts cités). L'arrêt
attaqué mentionne également à ce propos la norme du droit cantonal équivalant
à l'art. 21 al. 2 LAT, à savoir l'art. 63 de la loi sur l'aménagement du
territoire et les constructions (LATC). Cette norme renvoie aux règles de
procédure pour l'établissement des plans d'affectation (art. 56 à 62 LATC)
"en cas de modifications susceptibles de porter atteinte à des intérêts
dignes de protection"; c'est donc la municipalité qui est compétente pour
établir un projet, le mettre à l'enquête publique et le présenter au conseil
général ou communal (art. 56 al. 1, 57 al. 1 et 58 al. 2 LATC; cf. également,
pour les plans de quartier, l'art. 67 LATC). Ainsi, la municipalité qui
constate, sur la base de demandes de permis de construire, qu'une règle
d'urbanisme d'un plan de quartier déjà relativement ancien n'est plus adaptée
aux besoins actuels, peut aisément engager une procédure de révision
partielle de ce plan de quartier. Si cette procédure aboutit, les
propriétaires intéressés pourront ensuite présenter des plans de construction
conformes au nouveau droit, et cela ne devrait généralement pas aboutir à
différer de manière excessive la réalisation d'un projet immobilier. En
résumé, en pareil cas, la municipalité ne doit pas a priori décider d'adopter
une pratique contraire aux règles du plan de quartier car il lui incombe
d'abord de prendre l'initiative d'une révision du plan; ce n'est qu'en cas
d'échec de cette procédure de révision (refus de l'organe délibérant de la
commune, non-approbation par l'autorité cantonale) que la possibilité d'une
pratique contraire au plan, pour des motifs d'égalité, devrait être
envisagée.
Dans la présente affaire, où la municipalité a d'emblée renoncé à appliquer
l'art. 3.1 al. 2 RPQ, le Tribunal administratif était fondé à tenir compte de
la situation juridique particulière que l'on vient d'exposer, à propos des
règles d'urbanisme des plans d'affectation. Il n'a donc pas violé l'art. 8
Cst. en accordant un caractère prépondérant au respect de la légalité, par
rapport à une "égalité dans l'illégalité". Il s'ensuit que le recours de
droit public doit être rejeté.

3.
Les frais de justice doivent être mis à la charge des héritières de l'auteur
du recours (art. 153, 153a et 156 al. 1 OJ). Elles auront en outre à payer
des dépens aux voisins intimés, représentés par un avocat (art. 159 al. 1 et
2 OJ). La municipalité, qui a conclu à l'admission du recours, n'a pas droit
à des dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge de A.________ et
B.________, solidairement entre elles.

3.
Une indemnité de 1'500 fr., à payer à titre de dépens aux intimés
C.________, D.________ et E.________, pris solidairement, est mise à la
charge de A.________ et B.________, solidairement entre elles.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et de la
Municipalité de Vich ainsi qu'au Tribunal administratif du canton de Vaud.

Lausanne, le 18 janvier 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: