Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.448/2006
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{T 0/2}
1P.448/2006 /viz

Arrêt du 5 février 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffière: Mme Truttmann.

A. ________,
recourant, représenté par Me Alain Brogli, avocat,

contre

Procureur général du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal cantonal du canton de Vaud,
Cour de cassation pénale, route du Signal 8,
1014 Lausanne.

procédure pénale,

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du
Tribunal cantonal du canton de Vaud du 26 avril 2006.

Faits :

A.
Par jugement du 9 février 2006, le Tribunal correctionnel du Tribunal
d'arrondissement de la Côte du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal
correctionnel) a notamment condamné A.________ pour mise en danger de la vie
d'autrui, brigandage qualifié, enlèvement, prise d'otage et entrave aux
services d'intérêt général, à la peine de huit ans de réclusion sous
déduction de la détention préventive subie.

Les faits retenus sont en substance les suivants. Le 6 janvier 2004,
A.________, cagoulé et muni d'un fusil d'assaut, s'est présenté à l'office
postal de X.________. Il a déclaré "les caisses, pas d'alarme". Pointant son
arme, qui était assurée, en direction du sol, il a effectué un mouvement de
charge et a menacé une cliente de lui tirer dans les jambes. Il a tendu un
sac à l'employée, la sommant d'y placer le contenu de la caisse. Après s'être
emparé de 6'950 fr. en billets de banque, A.________ est sorti avec une
cliente en pointant son arme sur elle. Il a pris place à l'arrière du
véhicule de cette dernière, et, toujours sous la menace de son fusil, l'a
obligée à le conduire au chemin des Plantées à Tolochenaz. A cet endroit, il
a quitté le véhicule et poursuivi à pied après avoir ordonné à sa victime de
continuer sa route jusqu'à la patinoire de Morges.

Le 11 avril 2004, A.________, portant une écharpe sur le bas du visage et
muni de son fusil d'assaut, dont le magasin était garni de vingt cartouches,
a pénétré dans la station service Y.________ et a pointé son arme en
direction du vendeur, le doigt sur la détente, en lui demandant notamment la
caisse. Il lui a tendu un sac pour le butin. En parlementant, le vendeur a
réussi à actionner l'alarme silencieuse. A.________, qui entendait récupérer
le sac, a fait un mouvement de charge, engageant une cartouche dans le canon,
l'arme demeurant cependant assurée. Il a ensuite ouverte le tiroir-caisse et
a pris une liasse de billets de dix francs. Le vendeur a alors sauté sur
A.________, s'agrippant à l'arme. Les deux hommes se sont battus. Pendant la
bagarre, l'arme a été désassurée, le magasin du fusil est tombé, puis un
client est entré dans le magasin. A.________, qui avait en permanence le
doigt sur la détente, lui a ordonné de s'en aller, précisant que l'arme était
chargée. Au même moment, un coup de feu a éclaté, n'occasionnant que des
dommages matériels. A.________ a alors décidé de quitter les lieux. Il s'est
rendu après avoir constaté la présence de la police.

B.
Par arrêt du 26 avril 2006, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
du canton de Vaud (ci-après: la Cour de cassation pénale) a rejeté le recours
formé par A.________ et a confirmé le jugement du 9 février 2006.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler le jugement rendu par la Cour de cassation pénale
le 26 avril 2006. Il se plaint d'une violation du principe de la présomption
d'innocence ainsi que d'une appréciation arbitraire des preuves. Il requiert
en outre l'assistance judiciaire.

La Cour de cassation pénale s'est référée aux considérants de son arrêt. Le
Ministère public a renoncé à déposer une réponse et s'est rapporté aux
considérants de l'arrêt attaqué ainsi qu'à son préavis du 4 avril 2006.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 La décision attaquée ayant été rendue avant le 1er janvier 2007, la loi
fédérale d'organisation judiciaire (OJ) demeure applicable à la présente
procédure de recours (art. 132 al. 1 LTF).

1.2 Contre un jugement en matière pénale rendu en dernière instance
cantonale, la voie du recours de droit public est en principe ouverte, à
l'exclusion du pourvoi en nullité, à celui qui se plaint de la violation de
garanties constitutionnelles, en contestant notamment les constatations de
fait ou l'appréciation des preuves par l'autorité cantonale (art. 84 al. 1
let. a OJ, art. 86 al. 1 OJ, art. 269 al. 2 PPF).

En l'espèce, le recourant se plaint d'une violation de la présomption
d'innocence et d'arbitraire dans l'appréciation des preuves, de sorte que le
recours de droit public est recevable.

2.
Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte
pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou
même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la
solution retenue en dernière instance cantonale que si elle est manifestement
insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et
indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice
ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit
insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF
131 I 217 consid. 2.1. p. 219, 57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p.
178; 128 I 273 consid. 2.1. p. 275).

2.1 L'appréciation des preuves est en particulier arbitraire lorsque le juge
de répression n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen
de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen
important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base
des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 129 I 8
consid. 2.1 p. 9). Il en va de même lorsqu'il retient unilatéralement
certaines preuves ou lorsqu'il rejette des conclusions pour défaut de
preuves, alors même que l'existence du fait à prouver résulte des allégations
et du comportement des parties (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30). Il ne suffit
pas qu'une interprétation différente des preuves et des faits qui en
découlent paraisse également concevable pour que le Tribunal fédéral
substitue sa propre appréciation des preuves à celle effectuée par l'autorité
de condamnation, qui dispose en cette matière d'une grande latitude. En
serait-il autrement, que le principe de la libre appréciation des preuves par
le juge du fond serait violé (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.).
2.2 Lorsque, comme en l'espèce, l'autorité cantonale de recours avait, sur
les questions posées dans le recours de droit public, une cognition semblable
à celle du Tribunal fédéral, ce dernier porte concrètement son examen sur
l'arbitraire du jugement de l'autorité inférieure, à la lumière des griefs
soulevés dans l'acte de recours. Cependant, pour se conformer aux exigences
de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recourant ne peut pas simplement reprendre
les critiques qu'il a formulées en instance cantonale devant l'autorité de
cassation, mais il doit exposer pourquoi cette dernière aurait refusé à tort
de qualifier d'arbitraire l'appréciation des preuves par l'autorité de
première instance. Le Tribunal fédéral se prononce librement sur cette
question (ATF 125 I 492 consid. 1a/cc et 1b p. 495 et les arrêts cités).

3.
La présomption d'innocence est garantie par l'art. 6 par. 2 CEDH et par
l'art. 32 al. 1 Cst., qui ont la même portée. Elle a pour corollaire le
principe in dubio pro reo, qui concerne tant le fardeau de la preuve que
l'appréciation des preuves. En tant que règle de l'appréciation des preuves,
ce principe, dont la violation n'est invoquée que sous cet angle par le
recourant, signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de
fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble
des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable
quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124
IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Le Tribunal fédéral ne
revoit les constatations de fait et l'appréciation des preuves que sous
l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208
consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.). Il examine en revanche
librement la question de savoir si, sur la base du résultat d'une
appréciation non arbitraire des preuves, le juge aurait dû éprouver un doute
sérieux et insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé; dans cet examen,
il s'impose toutefois une certaine retenue, le juge du fait, en vertu du
principe de l'immédiateté, étant mieux à même de résoudre la question (cf.
arrêts non publiés 1P.460/2006 du 18 octobre 2006 consid. 2.2, 1P.477/2006 du
14 septembre 2006 consid. 2.2, 1P.283/2006 du 4 août 2006 consid. 2.2,
1P.454/2005 du 9 novembre 2005 consid. 2.1, 1P.428/2003 du 8 avril 2004
consid. 4.2, 1P.587/2003 du 29 janvier 2004 consid. 7.2).

4.
Les griefs du recourant concernent exclusivement sa participation au
brigandage commis à X.________ le 6 janvier 2004, quant à laquelle il estime
qu'il subsiste un doute sérieux. Il soutient que les autorités cantonales
auraient arbitrairement pris en considération les témoignages de B.________
et de C.________.

4.1 Le recourant soutient que la décision du juge d'instruction de ne joindre
les causes qu'après la modification de la déposition de B.________, mettrait
en évidence la fragilité du faisceau d'indices invoqué par l'accusation. En
outre, les déclarations de celui-ci seraient discutables en raison de leur
variation au cours de l'enquête et des circonstances peu crédibles dans
lesquelles les prétendus aveux du recourant auraient été recueillis.
Le recourant remet de plus en question le témoignage de C.________. Il fait
valoir que les enquêteurs ont négligé de la confronter à une planche
comprenant également des photographies d'autres hommes, afin de s'assurer
qu'elle était véritablement en mesure de le reconnaître.

4.2 Les autorités cantonales ont retenu qu'il n'existait pas de raison de
mettre en doute le témoignage de B.________, ce dernier s'étant référé pour
l'essentiel à son audition du 10 novembre 2004, lors de laquelle il avait été
rendu attentif aux conséquences d'une obstruction de la justice.

En l'espèce, on ne discerne effectivement pas de motif permettant de douter
de ce témoignage et le recourant n'en avance lui-même aucun. Dans ces
conditions, c'est sans arbitraire que la Cour de cassation pénale a pris en
compte les déclarations de B.________.
Les autorités cantonales ont également relevé que C.________ avait scruté le
visage de l'auteur lors du braquage et qu'elle avait constaté que ses yeux
étaient noirs et que sa peau était basanée. Elle avait fourni cette
information à la police le jour-même de l'agression, avec d'autres
indications concernant la taille de l'auteur et son parler. Ce n'est
qu'ensuite que les clichés lui ont été montrés.

Il est vrai qu'il eût probablement été préférable de ne pas soumettre à
C.________ uniquement des photographies du recourant. Toutefois, comme l'a
relevé la Cour de cassation pénale, la description du recourant a été fournie
par C.________ avant l'examen des clichés. Elle correspond en outre à celle
donnée par les autres témoins. On ne saurait dès lors reprocher aux autorités
d'avoir arbitrairement retenu cette identification.

5.
Quoi qu'il en soit, le recourant perd de vue que la conviction des autorités
cantonales ne s'est pas basée sur ces deux seuls témoignages.

En effet, il a également été retenu que le recourant connaissait bien les
lieux; que lors des deux agressions, un fusil d'assaut, dont la crosse avait
été rabattue, avait été utilisé, un mouvement de charge effectué et une balle
introduite dans le canon; que dans les deux cas, l'un des soucis principaux
de l'auteur avait été l'arme silencieuse; que des différents témoignages
recueillis, il ressortait que l'auteur des deux agressions était petit
(environ 1 m. 65) et basané et qu'il parlait un français sans accent. Enfin,
l'inspecteur D.________ avait exposé que les hold-up au fusil d'assaut de
l'armée suisse étaient extrêmement rares et que les deux seuls répertoriés
l'avaient été en 2004 et concernaient la présente affaire.
Le recourant ne conteste cependant pas ces autres éléments. Or,
l'appréciation objective de l'ensemble de ces indices pouvait conduire les
juges cantonaux à retenir que le recourant était l'auteur du braquage à la
poste de X.________. Par conséquent, la Cour de cassation pénale a
correctement appliqué les principes consacrés par la jurisprudence relative
aux art. 9 et 32 al. 1 Cst. Les griefs d'une appréciation arbitraire des
preuves ainsi que d'une violation du principe de la présomption d'innocence
doivent donc être rejetés.

6.
Il s'ensuit que le recours de droit public doit être rejeté. Les conditions
de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il convient de faire droit à la demande
d'assistance judiciaire et de statuer sans frais. Me Alain Brogli est désigné
comme avocat d'office du recourant pour la présente procédure et une
indemnité lui sera versée à titre d'honoraires par la Caisse du Tribunal
fédéral.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Alain Brogli est désigné
comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1'500 fr. lui est
versée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du
canton de Vaud.

Lausanne, le 5 février 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: