Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.443/2006
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{T 0/2}
1P.443/2006 /col

Arrêt du 19 janvier 2007
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffière: Mme Angéloz.

A. ________ et B.________,
recourants, représentés par Me Jean Lob, avocat,

contre

C.________,
intimé,
Procureur général du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal
8, 1014 Lausanne.

procédure pénale; droit d'être entendu,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Vaud
du 23 mai 2006.

Faits:

A.
Dès le 15 février 2004, les deux chats de A.________ et B.________ ont
réduit, puis cessé, leur alimentation. Leurs propriétaires ont alors consulté
plusieurs fois le vétérinaire C.________. Le 22 février 2004, ce dernier les
a informés avoir pratiqué une radiographie sur l'un des chats, Tequila. Selon
lui, elle aurait révélé que l'animal était atteint d'une tumeur aux poumons,
au stade terminal. Tequila est mort le lendemain, 23 février 2004.
Le 21 juillet 2004, A.________ et B.________ ont déposé plainte pénale contre
C.________. Alléguant que leur chat était mort étouffé de l'air retrouvé dans
ses poumons et son appareil digestif, ils l'accusaient de l'avoir maltraité.
Ils se plaignaient en outre de s'être vu imparti un délai de 5 minutes, le
samedi 21 février 2004 vers 11 h 55, pour lui amener leur chat avant le
week-end. Ils dénonçaient une violation de la loi fédérale sur la protection
des animaux (LPA; RS 455), notamment de l'art. 27 de cette loi réprimant le
mauvais traitement envers les animaux, et se plaignaient en outre de
contrainte (art. 180 CP).

B.
Le 18 avril 2006, au terme d'une enquête instruite pour infraction à la LPA,
dommages à la propriété et contrainte, le Juge d'instruction de la Broye et
du Nord vaudois a prononcé un non-lieu en faveur de C.________. Il a
considéré que l'instruction n'avait pas établi que le dénoncé aurait
maltraité ou gravement négligé le chat des plaignants. Par ailleurs, à
supposer que, le 21 février 2004, il aurait sommé les plaignants d'amener
leur chat dans les 5 minutes, il ne les aurait pas pour autant entravés dans
leur liberté d'action.

C.
Contre cette décision, A.________ et B.________ ont recouru au Tribunal
d'accusation du Tribunal cantonal vaudois, en concluant à son annulation et
au retour de la cause au magistrat instructeur pour inculpation et renvoi en
jugement de C.________, comme accusé d'infraction à la LPA, de dommages à la
propriété et de contrainte. Avisé de la possibilité de se déterminer,
C.________ a déposé, le 11 mai 2006, un mémoire de réponse, concluant au
rejet du recours.
Par arrêt du 23 mai 2006, le Tribunal d'accusation a rejeté le recours. Se
fondant sur le mémoire de réponse de C.________, il a repris l'argumentation
par laquelle il contestait la valeur probante de rapports produits par les
recourants pour démontrer une maltraitance de leur chat. Considérant que
celle-ci n'était pas établie et que la cause de la mort de l'animal n'aurait
pu être élucidée que par une expertise, irréalisable toutefois, dès lors que
le chat avait été enterré, il a estimé que C.________ devait être libéré de
toute infraction à la LPA. De même, il devait être libéré de l'infraction de
dommages à la propriété, qui supposait un comportement intentionnel, non
établi en l'espèce. Enfin, une éventuelle sommation de C.________, le 21
février 2004, d'amener le chat dans les 5 minutes n'aurait pu entraver les
recourants dans leur liberté d'action, ceux-ci demeurant libres de consulter
un autre vétérinaire.

D.
A.________ et B.________ forment un recours de droit public au Tribunal
fédéral, pour violation des art. 9 et 29 al. 2 Cst. à raison d'une atteinte à
leur droit de réplique, en demandant l'annulation de l'arrêt attaqué.
L'autorité cantonale a renoncé à formuler des observations. L'intimé,
implicitement, et le Ministère public concluent au rejet du recours. Les
recourants ont répliqué, persistant dans leurs conclusions. L'intimé et le
Ministère public n'ont pas dupliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Les recourants ne sont pas des victimes au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI et ne
peuvent donc fonder leur qualité pour recourir sur l'art. 8 al. 1 let. c
LAVI. En tant que lésés, ils sont toutefois habilités à former un recours de
droit public sur la base de l'art. 88 OJ, mais uniquement pour se plaindre
d'une violation, équivalant à un déni de justice formel, des droits
procéduraux qui leur sont reconnus en tant que partie par le droit cantonal
de procédure ou qui découlent directement de la Constitution ou de la CEDH
(ATF 131 I 455 consid. 1.2.1 p. 458/459; 129 II 297 consid. 2.3 p. 301; 128 I
218 consid. 1.1 p. 219/220; 126 I 97 consid. 1a p. 99; 125 I 253 consid. 1b
p. 255). Ils peuvent donc invoquer une violation de leur droit de réplique
découlant du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., par
rapport auquel leur grief de violation de l'art. 9 Cst. n'a pas en l'espèce
de portée propre. Le recours est ainsi recevable sous l'angle de l'art. 88
OJ.

2.
Les recourants se plaignent d'avoir été privés de leur droit de répliquer
devant l'autorité cantonale, faute par cette dernière de leur avoir donné
connaissance de la réponse de l'intimé à leur recours. Ils font valoir que
cette réponse a eu une influence décisive sur la décision attaquée, dès lors
que cette dernière écarte leur recours en se fondant sur celle-ci, dont ils
n'ont toutefois pu contester les arguments.

2.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. est de nature
formelle, de sorte que sa violation entraîne l'annulation de la décision
attaquée indépendamment de l'incidence de cette violation sur le fond (ATF
126 V 130 consid. 2b p. 132). Sous réserve d'exceptions non réalisées en
l'espèce, il implique le droit pour les parties à la procédure de prendre
connaissance des pièces du dossier propres à influer sur le sort de la
décision à rendre et de se déterminer à leur propos (ATF 129 I 85 consid. 4.1
p. 88/89 et les références citées; arrêts 1A.10/2006 consid. 2 et 1A.56/2006
consid. 4, destinés à la publication; cf. également ATF 132 I 42 consid. 3 et
la jurisprudence européenne citée).

2.2 En l'espèce, il ne ressort pas de l'arrêt attaqué ni du dossier que
l'autorité cantonale aurait communiqué aux recourants la réponse de l'intimé,
ni qu'elle les ait avisés du dépôt de cette réponse. L'intimé et le Ministère
public ne contestent au demeurant pas cette omission, que n'a d'ailleurs pas
niée l'autorité cantonale, qui a renoncé à formuler des observations. Tant le
Ministère public que l'intimé soulèvent toutefois diverses objections.

2.3 Le Ministère public relève d'abord que le droit cantonal de procédure ne
prévoit pas, en cas de recours au Tribunal d'accusation, la possibilité pour
le recourant de se déterminer sur la réponse de sa partie adverse. Les
recourants ont toutefois un droit, découlant directement de la Constitution,
à obtenir que cette possibilité leur soit à tout le moins offerte. L'autorité
cantonale devait donc en tout cas les informer du dépôt de la réponse de
l'intimé, de manière à ce qu'ils puissent faire usage de leur droit de
répliquer s'ils le souhaitaient (cf. arrêts 1A.10/2006 consid. 2 et
1A.56/2006 consid. 4 précités; cf. aussi ATF 132 I 42 consid. 3.3 3 p.
46/47).

2.4 Le Ministère public fait en outre valoir que, saisi d'un recours, le
Tribunal d'accusation statue en l'état du dossier et n'a pas à instruire la
cause. Qu'elle puisse ou non ordonner des mesures d'instruction, une autorité
de recours est toutefois tenue de respecter le droit d'être entendu des
parties, qui implique que chacune d'elles puisse s'exprimer sur la prise de
position de sa partie adverse, si elle estime que celle-ci contient des
arguments nouveaux nécessitant une détermination. A cet égard, le Ministère
public allègue vainement que les éléments avancés par l'intimé dans son
mémoire n'étaient pas nouveaux. Il revenait au premier chef aux recourants
d'en décider, de sorte qu'ils devaient être mis en situation de pouvoir le
faire (cf. arrêts 1A.10/2006 consid. 2 et 1A.56/2006 consid. 4 précités; cf.
également ATF 132 I 42 consid. 3.3.2 p. 46). Au demeurant, comme on le verra
(cf. infra, consid. 2.7), cet argument n'est pas déterminant.

2.5 De son côté, l'intimé observe que le Juge d'instruction avait déjà dénié
la valeur probante des rapports invoqués par les recourants et considéré que
seule une autopsie, désormais impossible à réaliser, aurait permis d'élucider
les causes exactes de la mort de l'animal. Peu importe cependant. Saisi d'un
recours contre la décision de ce magistrat, le Tribunal d'accusation devait
se prononcer sur le bien-fondé de celle-ci, ce qui impliquait qu'il entende
préalablement les parties et, partant, qu'ils donnent non seulement la
possibilité à l'intimé de répondre aux arguments des recourants mais à ces
derniers de se déterminer sur ceux-ci.

2.6 L'intimé entreprend vainement de démontrer que les rapports dont se
réclamaient les recourants sont contestables. Le recours de droit public ne
vise pas à contester l'appréciation de la valeur probante de ces rapports,
mais uniquement à faire admettre une violation du droit de réplique des
recourants.

2.7 L'intimé fait encore valoir que son mémoire de réponse n'a pas eu
d'influence décisive sur la décision attaquée. Ce n'est pas l'argumentation
de son mémoire qui aurait conduit l'autorité cantonale à écarter le recours,
mais l'incapacité des recourants à prouver valablement leurs allégations.
Cette argumentation n'est pas déterminante. Il est incontestable que
l'autorité cantonale a repris dans sa décision plusieurs arguments de la
réponse de l'intimé et en a tenu compte, comme cela ressort de la page 3 de
sa décision. Pour le surplus, peu importe de savoir si ces arguments ont
effectivement influencé la décision attaquée. Le droit de réplique étant une
composante du droit d'être entendu, qui est de nature formelle, sa violation
entraîne l'annulation de la décision attaquée indépendamment de l'incidence
de cette violation sur le fond (cf. supra, consid. 2.1).
2.8 Au vu de ce qui précède, force est de constater que les recourants, faute
d'avoir été informés de la réponse de l'intimé, ont été privés de la
possibilité de se déterminer sur celle-ci, en violation de leur droit de
répliquer découlant du droit d'être entendu. Le recours doit par conséquent
être admis et l'arrêt attaqué annulé. Subséquemment, la cause sera renvoyé à
l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau, après avoir donné aux
recourants la possibilité de se déterminer sur la réponse de l'intimé.

3.
L'intimé, qui succombe, versera un émolument judiciaire (art. 156 al. 1 OJ),
l'Etat de Vaud étant dispensé des frais (art. 156 al. 2 OJ). Une indemnité de
dépens sera allouée aux recourants pour la procédure devant le Tribunal
fédéral; elle sera mise, par moitié, à la charge de l'Etat de Vaud et de
l'intimé (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué annulé.

2.
Un émolument judiciaire de 500 fr. est mis à la charge de l'intimé.

3.
Une indemnité de dépens de 1500 fr. est allouée aux recourants, à charge, par
moitié, de l'Etat de Vaud et de l'intimé.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Procureur général et
au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 19 janvier 2007

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: