Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.442/2006
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{T 0/2}
1P.442/2006 /col

Arrêt du 14 novembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Reeb.
Greffière: Mme Truttmann.

A. ________,
la société B.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Marc Bonnant, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3.

déni de justice formel,

recours de droit public contre le Procureur général de la République et
canton de Genève

Faits:

A.
Le 18 octobre 2001, A.________ a été inculpé de complicité de blanchiment
d'argent au sens de l'art. 305bis al. 1 CP et d'usage de faux au sens de
l'art. 251 CP.
Cette inculpation est intervenue dans le cadre d'une procédure pénale
opposant le Ministère public de la République et canton de Genève et la
société française C.________ à D.________, E.________, F.________ et autres.
Cette procédure pénale avait pour objet le blanchiment des sommes détournées
par G.________, l'ancien dirigeant de C.________.

B.
Par ordonnance du 14 septembre 2001, le juge d'instruction genevois a ordonné
la saisie conservatoire pénale des avoirs déposés sur le compte xxx auprès de
la banque X.________ dont A.________ est le titulaire. Il en a fait de même,
par ordonnance du 28 septembre 2001, s'agissant des avoirs déposés auprès de
la banque X.________ sur le compte yyy, dont la société B.________ est
titulaire et dont A.________ est l'ayant droit économique.

C.
Par arrêt du 8 octobre 2004, la Cour correctionnelle de la République et
canton de Genève (ci-après: la Cour correctionnelle), siégeant avec le
concours du jury, a reconnu A.________ coupable de faux dans les titres de
peu de gravité. A cette occasion, elle a également reconnu D.________ et
E.________ coupables de blanchiment d'argent et de faux dans les titres.
Statuant sur les conclusions de C.________, partie civile, la Cour
correctionnelle a réservé les droits de cette partie.

D.
Par arrêt du 21 septembre 2005, la Cour de cassation de la République et
canton de Genève (ci-après: la Cour de cassation) a prononcé l'acquittement
de A.________ pour l'accusation de faux dans les titres de peu de gravité.
Elle a également annulé le verdict de la Cour correctionnelle en tant qu'il
reconnaissait D.________ et E.________ coupables de blanchiment d'argent
simple, constatant que ces derniers s'étaient rendus coupables de blanchiment
d'argent aggravé et a renvoyé la cause à la Cour correctionnelle afin qu'elle
statue à nouveau dans le sens des considérants.
Par arrêt du 23 janvier 2006, le Tribunal fédéral a rejeté, dans la mesure où
ils étaient recevables, le recours de droit public et le pourvoi en nullité
déposés par D.________ et E.________ contre l'arrêt de la Cour de cassation.
Une nouvelle audience de la Cour correctionnelle s'est donc tenue du 15 au 22
mai 2006.

E.
Par courrier du 26 octobre 2005, A.________ a requis du Procureur général de
la République et canton de Genève (ci-après: le Procureur général), la levée
des saisies prononcées sur les comptes ouverts auprès de la banque
X.________.
Par courrier du 15 novembre 2005, A.________ a réitéré sa requête auprès du
Procureur général.
Lors d'un entretien téléphonique entre le Procureur général et le mandataire
de A.________, celui-là a déclaré être disposé à lever les saisies, sous
réserve de l'accord de la partie civile. Par courrier du 10 janvier 2006,
A.________ a informé le Procureur général que, par gain de paix, il avait
sollicité - sans succès - l'accord de la partie civile, et a requis à nouveau
la levée des saisies.
Par courrier du 1er mars 2006, faisant référence à un entretien téléphonique
du 8 février lors duquel le Procureur général a manifesté son intention de
rendre une décision, A.________ a prié ce dernier de statuer sans plus
attendre.
Par courrier du 12 avril 2006, A.________ a encore interpellé le Procureur
général. A réception de ce courrier, le Procureur général a contacté par
téléphone le mandataire de A.________ et lui a signifié son intention de
maintenir la saisie et de solliciter la confiscation des avoirs.

F.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ et la société
B.________ demandent au Tribunal fédéral d'ordonner la levée des saisies
portant a) sur le compte personnel de A.________ n. xxx ainsi que b) sur le
compte de la société B.________ Ltd n. yyy, tous deux ouverts auprès de la
banque X.________. Ils se plaignent d'un déni de justice formel (art. 29
Cst.), d'une violation de la garantie de la propriété (art. 26 Cst.) et d'une
application arbitraire du droit cantonal (art. 9 Cst.).
Le Ministère public a conclu au rejet du recours de droit public. Il a
expliqué qu'il avait interpellé la partie civile le 14 juillet 2006 pour
qu'elle s'exprime sur la levée des saisies; que cette dernière s'était
déterminée négativement par courrier du 19 juillet 2006; que les droits que
revendiquaient les recourants sur les valeurs patrimoniales bloquées étaient
contestés; qu'il avait pris l'option de laisser le temps aux parties
concernées de trouver un arrangement à l'amiable, maintenant tacitement les
mesures saisies existantes; qu'il s'apprêtait à saisir la Chambre pénale de
la Cour de justice d'une requête en confiscation, notamment des fonds faisant
l'objet du présent recours, de telle sorte qu'il conviendrait de laisser à
cette dernière le soin de statuer.
Invitée à se déterminer exclusivement sur cette question, la Chambre
d'accusation a relevé qu'aucune voie de recours cantonale n'était ouverte
dans le cas particulier.
Invités à répliquer, A.________ et la société B.________ ont maintenu leurs
conclusions.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 131 I 57 consid. 1 p. 59).

2.
Un refus ou un retard injustifié à statuer de l'autorité cantonale de
dernière instance compétente pour le faire est assimilé à une décision, que
les parties à la procédure peuvent contester en tout temps par un recours de
droit public pour violation des droits constitutionnels.

2.1  En l'espèce, la Chambre d'accusation a précisé que le Code de procédure
pénale genevois (CPP/GE) ne prévoyait pas de voie de recours en cas de déni
de justice de la part du Ministère public. Selon la jurisprudence genevoise,
un recours à la Chambre d'accusation contre le refus du Procureur général de
statuer a en effet été jugé irrecevable, aucune analogie n'ayant été voulue
par le législateur avec l'art. 190 ch. 1 in fine CPP/GE, qui s'applique au
seul juge d'instruction (SJ 1999 II 161, 189; Grégoire Rey, Procédure pénale
genevoise et règles fédérales applicables. Annotations et commentaires, Bâle
2005, ad art. 190A, n. 1.1.1).
L'existence d'une voie de droit cantonale étant dès lors pour le moins
douteuse en l'espèce, il convient d'admettre la recevabilité du recours sous
l'angle de l'art. 86 OJ (ATF 125 I 412 c. 1c p. 416).

2.2  Directement touchés par les saisies sur lesquelles l'autorité cantonale
tarderait à statuer de manière injustifiée, les recourants ont par ailleurs
manifestement qualité pour recourir au sens de l'art. 88 OJ.

2.3  Recevable contre une décision ou un arrêté cantonal pour violation des
droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ), le recours de
droit public au Tribunal fédéral ne peut tendre, en règle générale, qu'à
l'annulation de la décision attaquée (ATF 127 II 1 consid. 2c p. 5; 126 III
534 consid. 1c p. 536; 126 II 377 consid. 8c p. 395 et la jurisprudence
citée). Toutefois, le Tribunal fédéral admet qu'il peut formellement obliger
une autorité cantonale à rendre une décision en cas de déni de justice,
c'est-à-dire lorsqu'une telle autorité refuse de statuer ou reporte outre
mesure sa décision (ATF 117 Ia 336 consid. 1b p. 338). La conclusion des
recourants tendant à ce que le Tribunal fédéral prononce la levée des saisies
est en revanche irrecevable.
Toutes les conditions de recevabilité du recours de droit public (art. 84 ss
OJ) étant remplies, il convient d'entrer en matière.

3.
Invoquant l'art. 29 al. 1 Cst., les recourants se plaignent d'un déni de
justice, à raison d'un retard injustifié du Procureur général à se prononcer
sur la levée des saisies de leurs avoirs.

3.1  L'art. 29 al. 1 Cst. garantit notamment à toute personne, dans une
procédure judiciaire ou administrative, le droit à ce que sa cause soit
traitée dans un délai raisonnable. Cette disposition consacre le principe de
la célérité, ou, en d'autres termes, prohibe le retard injustifié à statuer.
Viole la garantie ainsi accordée, l'autorité qui ne rend pas une décision
qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le
délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme
raisonnable (ATF 130 I 312 consid. 5.1 p. 331/332 et les références citées).
Pour déterminer la durée du délai raisonnable, il y a lieu de se fonder sur
des éléments objectifs. Doivent notamment être pris en compte le degré de
complexité de l'affaire, l'enjeu que revêt le litige pour l'intéressé ainsi
que le comportement de ce dernier et des autorités compétentes. L'attitude de
l'intéressé s'apprécie avec moins de rigueur en procédure pénale et
administrative qu'en procédure civile; celui-ci doit néanmoins entreprendre
ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence. S'agissant de
l'autorité, on ne saurait lui reprocher quelques temps morts, qui sont
inévitables dans une procédure; celle-ci ne saurait en revanche exciper d'une
organisation judiciaire déficiente ou d'une surcharge structurelle, l'Etat
ayant à organiser ses juridictions de manière à garantir aux citoyens une
administration de la justice conforme au droit constitutionnel (ATF 130 I 312
consid. 5.2 p. 332 et les arrêts cités).

3.2  En l'espèce, le Procureur général n'a apparemment pas nié sa compétence
pour se prononcer sur la requête formulée par les recourants. Il a, dans un
premier temps, indiqué ne pouvoir lever la saisie que sous réserve de
l'accord de la partie civile. Dans sa réponse au présent recours, il a en
effet expliqué qu'il souhaitait donner la possibilité aux parties de parvenir
à un accord.
Le Procureur général a, dans un second temps, communiqué au mandataire des
recourants, son intention de maintenir les saisies et de requérir la
confiscation des avoirs. A nouveau, il n'a cependant rendu aucune décision
formelle sur la requête de restitution des recourants.
Qui plus est, si le Procureur général a certes déclaré être sur le point de
saisir la Chambre pénale d'une requête de confiscation, rien n'indique que
cette démarche ait été entreprise à ce jour.
En procédant de la sorte, c'est-à-dire en ne matérialisant à aucun moment ses
intentions dans une décision formelle, le Procureur général a placé les
recourants dans l'impossibilité de contester l'absence de levée de saisie.
Qui plus est, la requête en restitution a été adressée au Procureur général
le 26 octobre 2005, soit il y a plus d'une année. Malgré les nombreux rappels
des recourants, aucune décision formelle n'a été rendue. Le Procureur général
n'avance aucune justification quant à ce retard. Ce dernier est ainsi
inadmissible au regard de l'art. 29 al. 1 Cst.
Le grief doit par conséquent être admis. Il appartient dès lors au Procureur
général, après avoir examiné sa compétence, de statuer à bref délai, au moyen
d'une décision formelle, sur la requête des recourants.

4.
Les recourants se plaignent également d'une violation de la garantie de la
propriété (art. 26 Cst.) et d'une application arbitraire du droit cantonal
(art. 9 Cst.). Ils contestent en substance le maintien par le Procureur
général des saisies, dans le but de pousser les parties à la procédure à
trouver un arrangement. Ils font également valoir que le Procureur général
n'est pas compétent pour solliciter la confiscation auprès de la Chambre
pénale, la Cour correctionnelle ayant elle-même explicitement renoncé à
l'ordonner.
Compte tenu du sort de la cause, ces griefs deviennent sans objet à ce stade
de la procédure.

5.
Le recours de droit public doit ainsi être admis et le Procureur général
invité à statuer dans les plus brefs délais sur la requête de levée de saisie
formulée par les recourants.
Conformément à l'art. 156 al. 2 OJ, la République et canton de Genève sera
dispensée des frais. Elle versera en revanche une indemnité de dépens aux
recourants pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 159 al. 2 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est admis et le Procureur général de la République
et canton de Genève est invité à statuer dans les plus brefs délais sur la
demande de restitution formulée par les recourants.

2.
Il est statué sans frais.

3.
La République et canton de Genève versera aux recourants une indemnité de
dépens de 2'000 francs.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants et au
Procureur général ainsi qu'à la Chambre d'accusation de la Cour de justice de
la République et canton de Genève.

Lausanne, le 14 novembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: