Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.438/2006
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{T 0/2}
1P.438/2006 /col

Arrêt du 18 octobre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Parmelin.

A. ________,
recourante,

contre

Sylviane Liniger Odiet, juge à la Cour pénale du Tribunal cantonal de la
République et canton du Jura,
Le Château, case postale 24, 2900 Porrentruy 2,
intimée,
Procureur général de la République et canton du Jura, Le Château, case
postale 196, 2900 Porrentruy 2,
Cour pénale du Tribunal cantonal de la République
et canton du canton du Jura, Le Château,
case postale 24, 2900 Porrentruy 2.

récusation; procédure pénale,

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour pénale du Tribunal cantonal
de la République et canton du Jura du 5 juillet 2006 qui rejette une demande
de récusation d'un juge de cette cour et contre la décision prise oralement
le même jour par la même autorité qui refuse de donner suite à une demande de
déport des membres de la cour.

Faits:

A.
Par jugement du 26 novembre 2004, le Tribunal correctionnel du Tribunal de
première instance de la République et canton du Jura (ci-après: le Tribunal
correctionnel) a déclaré A.________ coupable d'instigation à obtention
frauduleuse d'une constatation fausse, d'obtention frauduleuse d'une
constatation fausse, d'escroqueries et d'abus de confiance qualifiés et l'a
condamnée à une peine de seize mois d'emprisonnement.
Le 3 décembre 2004, A.________ a fait appel de ce jugement auprès de la Cour
pénale du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura (ci-après: la
Cour pénale). Le 5 avril 2006, elle a été citée à comparaître à l'audience de
débats et de jugement fixée au 5 juillet 2006. La citation indiquait que la
cour se composerait des juges Jean Moritz, président ad hoc, Sylviane Liniger
Odiet et Yves Richon. A.________ a retiré le pli qui la contenait en date du
18 avril 2006. Le 4 juillet 2006, elle a sollicité le déport des juges de la
Cour pénale parce qu'ils avaient statué le 9 septembre 2005 sur les pourvois
en nullité qu'elle avait interjetés contre deux jugements du Tribunal
correctionnel rejetant ses demandes de relevé du défaut; elle a également
requis la récusation de la juge Sylviane Liniger Odiet au motif que cette
magistrate avait déjà agi dans le contexte de cette affaire en qualité de
préposée de l'Office des poursuites et des faillites de Porrentruy,
relativement aux poursuites engagées contre sa fille B.________. Le 5 juillet
2006, le Président du Tribunal cantonal a désigné Hubert Theurillat, avocat à
Porrentruy, en qualité de juge extraordinaire dans la procédure de récusation
dirigée contre Sylviane Liniger Odiet en remplacement de cette dernière.
Par arrêt rendu le matin du 5 juillet 2006, la Cour pénale a rejeté la
requête de récusation de la juge Sylviane Liniger Odiet. Au terme d'un arrêt
rendu le même jour dans l'après-midi et notifié en extrait aux parties le 10
juillet 2006, elle a rejeté les conclusions de A.________ tendant à
l'annulation de la procédure de première instance devant le Tribunal
correctionnel et dit que la procédure d'appel se poursuit en ce qui la
concerne.

B.
Agissant le 14 juillet 2006 par la voie du recours de droit public,
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler ces arrêts de même que le
jugement rendu oralement le 5 juillet 2006 par la Cour pénale refusant de
donner suite à sa demande de déport des membres de la cour. Elle requiert
l'assistance judiciaire.
Le recours de droit public a été déclaré irrecevable en tant qu'il porte sur
l'arrêt de la Cour pénale du 5 juillet 2006 rejetant les conclusions de la
recourante tendant à l'annulation de la procédure de première instance devant
le Tribunal correctionnel (cause 1P.440/2006).
Appelés à se déterminer sur les questions non liquidées du recours, la Cour
pénale et Sylviane Liniger Odiet concluent à son rejet, dans la mesure où il
est recevable. Le Procureur général de la République et canton du Jura
propose également de le rejeter.
Invitée à répliquer, A.________ n'a formulé aucune observation.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Seule la voie du recours de droit public pour violation des droits
constitutionnels des citoyens au sens de l'art. 84 al. 1 let. a OJ est
ouverte pour contester une décision sur récusation (ATF 129 III 88 consi 2.2
p. 89/90). Le recours est recevable, indépendamment de l'existence d'un
préjudice irréparable (art. 87 al. 1 OJ; ATF 126 I 203).

2.
La recourante reproche en premier lieu à la Cour pénale d'avoir statué sur sa
demande de récusation de la juge Sylviane Liniger Odiet dans une composition
irrégulière du fait de la présence d'Hubert Theurillat au sein de la cour.
Elle considère celui-ci comme inapte à siéger parce qu'il aurait requis, le 3
septembre 1996, la commination de faillite d'une entreprise dont elle était
la présidente, parce qu'il agirait contre elle en qualité de confrère et de
concurrent, parce qu'il est le frère du Président de la Chambre d'accusation
de la République et canton du Jura, lequel a statué à plusieurs reprises dans
la cause pénale dirigée contre elle, et enfin parce qu'il occupait les
fonctions de maire de Porrentruy à l'époque où le curateur des plaignants est
intervenu pour la discréditer.
La question de savoir si la Cour pénale aurait pu, comme elle le prétend dans
ses observations, statuer sur la demande de récusation dans la composition
prévue initialement vu son caractère dilatoire et manifestement abusif peut
rester indécise, car le recours est de toute manière mal fondé. Dans sa
réponse au recours (p. 2), la Cour pénale a en effet clairement indiqué les
raisons qui devaient, selon elle, conduire à écarter comme infondés les
motifs invoqués pour justifier la récusation du juge Hubert Theurillat. Ces
raisons sont convaincantes et le Tribunal fédéral peut s'y rallier
intégralement (art. 36a al. 3 OJ), sans violer le droit d'être entendu de la
recourante dans la mesure où elle a été invitée à se déterminer sur cette
écriture (art. 93 al. 2 OJ; ATF 107 Ia 1).

3.
A.________ s'en prend également à l'argumentation retenue dans l'arrêt
attaqué pour écarter au fond sa demande de récusation de la juge Sylviane
Liniger Odiet, qu'elle tient pour arbitraire.
La Cour pénale a estimé que la requête était manifestement tardive, car elle
avait été déposée la veille de l'audience des débats alors que la recourante
connaissait la composition de la cour en avril 2006 déjà, à réception de la
citation à comparaître qui mentionnait le nom des juges appelés à siéger.
Elle l'a rejetée sur le fond parce que les poursuites engagées contre
B.________ l'avaient été non pas par l'Office des poursuites et des faillites
du district de Porrentruy, mais par celui du Jura bernois, agence de Moutier,
au sein duquel la juge Sylviane Liniger Odiet n'avait jamais fonctionné. La
recourante devait attaquer les deux motivations par une argumentation
répondant aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, à peine
d'irrecevabilité (cf. ATF 129 I 185 consid. 1.6 p. 189). Si elle s'en prend à
la motivation subsidiaire au fond, en faisant valoir qu'elle reposerait sur
des faits erronés et constatés de manière arbitraire, on cherche en vain une
critique, conforme à cette disposition, de la motivation principale tirée de
la tardiveté de la demande de récusation, A.________ se bornant à soutenir
qu'il n'y aurait pas lieu de se montrer trop formaliste lorsque la garantie
d'un tribunal indépendant et impartial est en jeu. Il est donc douteux que le
recours soit recevable. Cette question peut rester indécise car le recours
est de toute manière mal fondé.
Selon une jurisprudence clairement établie et connue de la recourante (cf.
arrêt 1P.253/2000 du 8 août 2000), le grief tiré de la prévention du juge
doit être soulevé aussitôt que possible; celui qui omet de dénoncer
immédiatement un tel vice et laisse le procès se dérouler sans intervenir,
agit contrairement à la bonne foi et voit se périmer son droit de se plaindre
ultérieurement de la violation qu'il allègue (ATF 128 V 82 consid. 2b p. 85;
126 III 249 consid. 3c p. 253). L'autorité qui n'entre pas en matière sur une
demande de récusation pour ce motif ne viole dès lors pas la garantie d'un
juge indépendant et impartial. De plus, l'application de cette jurisprudence
ne saurait être tenue pour formaliste à l'excès lorsque celui qui sollicite
la récusation d'un juge ne peut se prévaloir d'aucune excuse valable pour
expliquer le caractère tardif de sa démarche. La recourante expose ne pas
avoir réalisé la composition de la cour avant d'en discuter avec son
mandataire la veille de l'audience, la nomination de Sylviane Liniger Odiet
n'ayant pas été formellement portée à la connaissance des parties. Elle perd
toutefois de vue que le nom des juges appelés à statuer ne doit pas
nécessairement être communiqué de manière expresse au justiciable, lorsqu'il
ressort d'une publication générale facilement accessible, la partie assistée
d'un avocat étant par ailleurs présumée connaître la composition régulière du
tribunal (ATF 117 Ia 322 consid. 1c p. 323). Tel est le cas en l'espèce de
Sylviane Liniger Odiet, élue en qualité de juge suppléante du Tribunal
cantonal par le parlement, dont le nom figure dans l'annuaire officiel de la
République et canton du Jura 2005-2006 et dans la liste des membres de la
Cour pénale. Au demeurant, la citation à comparaître à l'audience de
jugement, notifiée tant à la recourante qu'à son conseil de choix, indiquait
la composition de la cour appelée à siéger; une lecture attentive de ce
document lui aurait permis de se rendre compte que la juge en question
participerait au jugement de la cause. La demande de récusation, présentée la
veille de l'audience, relevait ainsi d'une négligence fautive et la Cour
pénale pouvait l'écarter pour cause de tardiveté sans violer les art. 30 al.
1 Cst. et 6 § 1 CEDH. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner la
pertinence de l'argumentation au fond retenue pour la rejeter.
La recourante voit également un motif de récusation de Sylviane Liniger Odiet
dans le fait que cette magistrate serait intervenue comme préposée de
l'Office des poursuites et faillites de Porrentruy dans la vente de ses
immeubles publiée le 12 mars 1997 et annulée sur plainte par l'autorité de
surveillance. Elle n'a toutefois pas allégué ce fait à l'appui de sa demande
de récusation. Comme elle ne prétend pas avoir été empêchée de le faire
valoir, cet argument est nouveau et, par conséquent, irrecevable au regard de
la règle de l'épuisement des instances cantonales fixées à l'art. 86 al. 1 OJ
(cf. ATF 129 I 74 consid. 4.6 p. 80; 123 I 87 consid. 2b p. 89).
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable, en tant qu'il porte sur la demande de récusation de la juge
Sylviane Liniger Odiet.

4.
La recourante s'en prend enfin à la décision de la Cour pénale prise
oralement à l'audience du 5 juillet 2006, refusant de donner suite à sa
demande de déport de ses membres parce qu'ils avaient déjà statué sur les
pourvois en nullité interjetés contre deux jugements du Tribunal
correctionnel qui rejetaient ses demandes de relevé du défaut.
La Cour pénale a exposé les motifs de sa décision dans sa réponse au recours
(p. 4). Elle a ainsi estimé que la demande ou proposition de déport des
membres de la cour était manifestement tardive, parce que la recourante avait
eu connaissance de sa composition en avril 2006, à réception de la citation à
comparaître à l'audience de jugement. Elle a en outre considéré que la
requête était dilatoire car elle avait été déposée la veille de l'audience
des débats par télécopie et le jour même par pli ordinaire. Sur le fond, elle
a tenu le motif d'incapacité invoqué pour infondé dans la mesure où elle ne
s'est pas prononcée sur les griefs relatifs à la régularité de la procédure
dans son arrêt du 9 septembre 2005. Invitée à répliquer, la recourante n'a
pas réagi pour contester l'exactitude et la pertinence des motifs allégués,
qui apparaissent en tous points convaincants et auxquels il peut être sans
autre renvoyés en vertu de l'art. 36a al. 3 OJ.

5.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable, selon la procédure simplifiée prévue à l'art. 36a OJ. Au vu des
circonstances, l'arrêt peut être rendu sans frais (art. 154 OJ), ce qui rend
sans objet la demande d'assistance judiciaire gratuite formée par la
recourante.

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, ainsi qu'au Procureur
général Jura et à la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et
canton du Jura.

Lausanne, le 18 octobre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: