Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.40/2006
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1P.40/2006 / 1P.796/2005 / col

Arrêt du 6 février 2005
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Jomini.

A. ________,
recourant,

contre

le Juge Claude-Nicole Nardin, Tribunal de première instance, place du
Bourg-de-Four 1, case postale 3736, 1211 Genève 3,
Tribunal de première instance de la République et canton de Genève, place du
Bourg-de-Four 1,
case postale 3736, 1211 Genève 3.

procédure civile, récusation,

recours de droit public contre la décision du Tribunal de première instance
de la République et canton de Genève du 28 octobre 2005 (cause 1P.796/2005)
et recours de droit public contre la décision du même Tribunal du
25 novembre 2005 (cause 1P.40/2006).

Faits:

A.
A. ________ et B.________ sont parties à une procédure civile ouverte en 1996
devant le Tribunal de première instance à Genève (action en séparation de
corps puis en divorce, cause C/28477/1996-12). Le Juge Claude-Nicole Nardin,
présidente de la 12ème Chambre du Tribunal de première instance, est en
charge de cette procédure depuis 2001.
Les parties ont une fille, C.________, née le 15 novembre 1986. La garde et
l'exercice du droit de visite ont été réglés par une ordonnance de mesures
préprovisoires puis par des jugements sur mesures provisoires.
Par jugement du 25 mars 2004, la 12ème Chambre du Tribunal de première
instance, présidée par le Juge Nardin, a prononcé le divorce des époux
A.________ et B.________ (ch. 1 du dispositif sur le fond), attribué à sa
mère l'autorité parentale sur C.________ (ch. 2 du dispositif), réglé le
droit de visite du père (ch. 3 du dispositif), supprimé la curatelle
instituée pour l'enfant (ch. 4 du dispositif), pris acte d'un engagement du
père au sujet d'une contribution à l'entretien de l'enfant (ch. 5 du
dispositif), attribué à B._______, "au titre de liquidation du régime
matrimonial, la pleine propriété des immeubles sis à Sablet (France) et
Pitigliano (Italie)" (ch. 6 du dispositif), et dit que le régime matrimonial
serait liquidé dès le transfert de la propriété desdits immeubles (ch. 7 du
dispositif). Préalablement, dans le même jugement, le Tribunal avait débouté
A.________ de ses conclusions sur nouvelles mesures provisoires ainsi que de
ses conclusions tendant à la suspension de la cause.

B.
A.________ a interjeté appel du jugement du 25 mars 2004. La Cour de justice
de la République et canton de Genève a rendu son arrêt sur cet appel le 18
février 2005. Elle a constaté que les ch. 1 et 5 du dispositif du jugement
étaient entrés en force, et que les ch. 2, 3 et 4 étaient devenus sans objet,
vu la majorité de l'enfant acquise en cours de procédure. Puis la Cour de
justice a annulé les ch. 6, 7 et 8 du dispositif en renvoyant la cause au
premier juge pour instruction complémentaire et nouvelle décision à propos du
calcul du bénéfice du régime matrimonial et de l'éventuel partage.

A. ________ a formé un recours en réforme contre cet arrêt, que le Tribunal
fédéral a déclaré irrecevable le 7 juin 2005 (arrêt 5C.104/2005).

C.
Le Juge Nardin, en tant que présidente de la 12ème Chambre du Tribunal de
première instance, a notifié aux parties à la procédure en divorce une
ordonnance du 9 août 2005 de reprise de cause, après l'arrêt de la Cour de
justice; une audience a été fixée, le 6 octobre 2005, pour plaider sur la
liquidation du régime matrimonial.

D.
Le 19 septembre 2005, A.________ a écrit au Juge Nardin, en évoquant
l'éventualité d'une action en responsabilité contre l'Etat de Genève à cause,
selon lui, de dysfonctionnements de la justice dans son affaire, et en lui
demandant de se déterminer sur quelques questions. Le Juge Nardin n'a pas
répondu à cette lettre.

E.
Le 30 septembre 2005, A.________ a déposé une requête tendant à la récusation
du Juge Nardin. Il a présenté différents griefs, censés établir un manque
d'impartialité, reprochant d'abord à ce magistrat de n'avoir pas répondu à sa
lettre du 19 septembre 2005, puis critiquant sur divers points le jugement de
divorce du 25 mars 2004.
Le 5 octobre 2005, le Juge Nardin a déposé des observations écrites sur cette
requête, en faisant valoir en substance que les éléments invoqués n'étaient
pas propres à fonder une apparence de prévention de sa part à l'encontre de
l'intéressé.

F.
Le 24 octobre 2005, A.________ a écrit au Juge Nardin d'un part pour
confirmer sa requête du 30 septembre précédent, et d'autre part pour
présenter une nouvelle requête en récusation. Il voyait dans un passage des
observations du 5 octobre 2005 - au sujet de la portée du jugement du 25 mars
2004 quant au sort d'un immeuble dans le cadre de la liquidation du régime
matrimonial - une nouvelle démonstration d'un manque d'objectivité ou d'une
prévention du magistrat.

G.
Le Tribunal de première instance, réuni le 28 octobre 2005 en séance plénière
- dans une composition comprenant tous les juges de la juridiction, à
l'exception du Juge Nardin et d'autres magistrats excusés -, a rejeté, dans
la mesure où elle était recevable, la requête de récusation déposée le 30
septembre 2005. Il a considéré que la seconde requête, du 24 octobre 2005,
devait être traitée dans une procédure distincte (cf. infra, let. I).
Dans les motifs de sa décision, le Tribunal de première instance a rappelé
les règles du droit cantonal selon lesquelles un juge est récusable s'il a
témoigné haine ou faveur pour l'une des parties (art. 91 let. i de la loi
cantonale genevoise sur l'organisation judiciaire [LOJ]), ou si une autre
cause assez grave est établie (art. 92 LOJ); il a également mentionné la
jurisprudence en matière d'impartialité des tribunaux. Il a considéré que
rien, dans l'attitude du Juge Nardin, ne permettait de soupçonner une
apparence de prévention ni a fortiori une prévention effective.

H.
Agissant par la voie du recours de droit public (cause 1P.796/2005),
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 28 octobre
2005 puis d'ordonner la récusation du Juge Nardin, subsidiairement de
renvoyer la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision
dans le sens des considérants. Invoquant les art. 9 et 29 al. 1 Cst. ainsi
que la jurisprudence selon laquelle un juge doit se récuser en cas
d'apparence de prévention, il reproche au Tribunal de première instance de le
contraindre à continuer à devoir procéder devant un magistrat ayant, selon
lui, accumulé les erreurs.
Le Tribunal de première instance a produit le dossier de la cause et il a
renoncé à déposer des observations sur le recours, précisant que le Juge
Nardin ne souhaitait pas non plus se déterminer.

I.
Le Tribunal de première instance, en séance plénière, a rendu le 25 novembre
2005 une décision sur la seconde requête en récusation du Juge Nardin,
déposée le 24 octobre 2005 par A.________. Il l'a également rejetée.

J.
Agissant par la voie du recours de droit public (cause 1P.40/2006),
A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 25 novembre
2005 puis d'ordonner la récusation du Juge Nardin, subsidiairement de
renvoyer la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision
dans le sens des considérants. Il invoque les mêmes garanties
constitutionnelles que dans son précédent recours de droit public.
Il n'a pas été demandé de réponses au recours.

K.
L'effet suspensif n'a pas été accordé aux recours de droit public. Par
ordonnance du 10 octobre 2005, le Tribunal de première instance avait
suspendu l'instruction de la cause civile jusqu'à droit jugé sur la demande
de récusation.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Il se justifie de joindre les causes 1P.796/2005 et 1P.40/2006 pour statuer
en un seul arrêt.

2.
Dans les deux cas, le recours de droit public est dirigé contre une décision
incidente sur une demande de récusation, prise en dernière instance
cantonale. Il est recevable au regard des art. 86 al. 1 et 87 al. 1 OJ. La
partie ayant demandé en vain la récusation du juge appelé à statuer dans sa
cause a manifestement qualité pour recourir au sens de l'art. 88 OJ. Sous
réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit public
est de nature cassatoire et ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision
attaquée (ATF 131 I 137 consid. 1.2 p. 139, 166 consid. 1.3 p. 169 et les
arrêts cités). Les chefs de conclusions tendant, dans l'un et l'autre
recours, à un prononcé de récusation ou à un renvoi de l'affaire avec
instructions au Tribunal de première instance, sont donc irrecevables.

3.
Dans la première décision attaquée, du 28 octobre 2005, le Tribunal de
première instance interprète les normes du droit cantonal définissant les cas
de récusation (art. 91 et 92 LOJ) en relation avec les garanties déduites par
la jurisprudence des art. 29 et 30 Cst. ainsi que de l'art. 6 CEDH. Dans la
seconde décision attaquée, du 25 novembre 2005, le Tribunal de première
instance se borne à appliquer l'art. 91 let. i LOJ.
Il ressort en substance de la jurisprudence du Tribunal fédéral que tout
plaideur peut exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le
comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Il
suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent
redouter une activité partiale du magistrat, mais seules des circonstances
constatées objectivement doivent être prises en considération; les
impressions purement individuelles du plaideur ne sont pas décisives (cf. ATF
131 I 24 consid. 1.1 p. 25 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral a
souligné que même lorsqu'elles sont établies, des erreurs de procédure ou
d'appréciation commises par un juge ne suffisent pas à fonder objectivement
un soupçon de partialité; seules des erreurs particulièrement lourdes ou
répétées, qui doivent être considérées comme des violations graves des
devoirs du magistrat, peuvent avoir cette conséquence. Les erreurs
éventuellement commises doivent être constatées et redressées dans le cadre
des procédures de recours prévues par la loi; il n'appartient pas au juge de
la récusation d'examiner la conduite du procès à la façon d'un organe de
surveillance (ATF 116 Ia 135 consid. 3a p. 138; 114 Ia 153 consid. 3b/bb p.
158).
Dans l'un et l'autre mémoires adressés au Tribunal fédéral, le recourant se
plaint d'une violation des garanties constitutionnelles en matière de
récusation, sans se prévaloir spécialement des normes du droit cantonal ni
prétendre que ces normes contiendraient des exigences plus strictes. Le
Tribunal fédéral examinera donc librement si ces garanties constitutionnelles
ont été respectées (ATF 131 I 113 consid. 3.2 p. 115).

4.
Le recourant reproche au magistrat visé d'avoir commis différentes erreurs.
Ses demandes de récusation ne sont donc pas fondées sur l'argument, d'ordre
formel, selon lequel ce juge, à qui l'affaire a été renvoyée, ne devrait pas
poursuivre l'instruction de la cause civile après l'annulation partielle du
jugement de divorce par la Cour de justice. La jurisprudence n'exclut du
reste pas qu'en cas de cassation et de renvoi de l'affaire à la juridiction
inférieure, les juges ayant rendu le prononcé annulé participent au nouvel
examen de la cause (ATF 131 I 113 consid. 3.6 p. 120; 116 Ia 28 consid. 2a p.
30; 113 Ia 407 consid. 2b p. 410). Au demeurant, le recourant ne soutient pas
que, s'agissant de la liquidation du régime matrimonial, encore litigieuse,
le magistrat concerné aurait, à cause de son premier jugement, une opinion
préconçue incompatible avec les considérants de l'arrêt de la Cour de
justice, au sujet des faits déterminants ou de l'application des règles du
droit civil.
Les erreurs que le recourant a dénoncées, et qu'il rappelle dans ses deux
recours de droit public, concernent premièrement le contenu du jugement de
divorce du 25 mars 2004, deuxièmement le refus du Juge Nardin de répondre à
son courrier du 19 septembre 2005, et troisièmement certains éléments de la
prise de position du 5 octobre 2005 du magistrat précité sur sa première
demande de récusation. Même si le Tribunal de première instance a rendu deux
décisions successives, il convient d'examiner globalement l'existence d'une
éventuelle apparence de prévention. Les griefs contre le jugement de divorce
sont abondamment développés dans les écritures du recourant. Or une voie
ordinaire de recours était disponible contre ce jugement et elle a été
utilisée par le recourant. Comme cela a été rappelé plus haut (consid. 3), la
requête en récusation n'est pas une voie de droit idoine pour dénoncer les
erreurs de procédure ou d'appréciation commises dans un jugement. C'est
également ce qu'a voulu exprimer le Tribunal de première instance, dans les
deux décisions attaquées, en qualifiant d'appellatoires ou de tardives les
critiques du recourant (car, pour être recevables, celles-ci devaient en
principe être formulées dans le cadre d'un recours ordinaire). Cela étant, en
développant ses griefs contre le premier jugement dans la procédure de
récusation - il s'en prend à l'administration des preuves en vue de la
liquidation du régime matrimonial, au sort réservé à certains immeubles (à
Genève, 506 route du Mandement, ou en Italie), au partage des avoirs LPP, au
refus de rendre de nouvelles mesures provisoires et de compléter les
enquêtes, et enfin au refus de constater la prétendue irrégularité d'une
audience fixée par un autre magistrat que le Juge Nardin en vue d'une
ordonnance de mesures préprovisoires -, le recourant ne parvient à l'évidence
pas à établir que la conduite de la procédure de divorce par le magistrat
concerné serait entachée d'erreurs particulièrement lourdes ou répétées.
Rien, dans l'arrêt de la Cour de justice du 18 février 2005, ne permet du
reste d'étayer la thèse du recourant. Quant aux deux autres reproches
formulés à l'encontre du Juge Nardin - le refus de répondre au courrier du 19
septembre 2005 et le contenu des observations du 5 octobre 2005 -, ils sont
manifestement sans pertinence et impropres à établir la persistance ou
l'accumulation d'erreurs graves. Ainsi, dans la première décision attaquée,
le Tribunal de première instance a indiqué qu'aucune règle de procédure
n'imposait au juge de répondre aux courriers des parties; le recourant ne
conteste pas cet argument juridique et on ne saurait donc voir, dans ces
conditions, un indice de partialité dans le silence du magistrat concerné.
S'agissant du dernier grief, où il est reproché au Juge Nardin de ne pas
reconnaître dans ses observations une prétendue erreur du jugement de divorce
au sujet de l'attribution d'un immeuble sis à Genève lors de la liquidation
du régime matrimonial, il est inconsistant et le Tribunal de première
instance pouvait l'écarter sans examen approfondi, par une motivation
sommaire non constitutive en l'espèce de déni de justice formel. Il en
résulte que cette autorité cantonale, en rejetant les deux requêtes de
récusation, n'a pas violé les garanties du droit constitutionnel en matière
d'impartialité des tribunaux. Les griefs des deux recours de droit public
sont donc mal fondés.

5.
Les recours de droit public doivent en conséquence être rejetés, dans la
mesure où ils sont recevables. Le recourant, qui succombe, doit supporter les
frais de justice (art. 156 al. 1 OJ). Un émolument judiciaire global sera mis
à sa charge.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les causes 1P.796/2005 et 1P.40/2006 sont jointes.

2.
Les recours de droit public sont rejetés, dans la mesure où ils sont
recevables.

3.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant et au Tribunal de
première instance de la République et canton de Genève (en deux exemplaires,
dont l'un à l'intention du Juge Nardin).

Lausanne, le 6 février 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: