Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.363/2006
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{T 0/2}
1P.363/2006 /viz

Arrêt du 12 septembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

A. ________,
recourant, représenté par Me Jean-Marie Favre, avocat,

contre

Juge d'instruction, Office des Juges d'instruction,
La Grenette, 1702 Fribourg,
intimé,
Ministère public de l'Etat de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg,
Vice-président de l'Office des juges d'instruction, place Notre-Dame 4, case
postale 156, 1702 Fribourg.

récusation d'un juge d'instruction,

recours de droit public contre la décision du
Vice-président de l'Office des juges d'instruction
du 12 mai 2006.

Faits:

A.
Dans le cadre d'une instruction pénale ouverte à Fribourg contre A.________
pour crime manqué de meurtre, l'inculpé a requis, le 22 mars 2006, la
récusation du juge d'instruction, auquel il reprochait d'instruire
exclusivement à charge. A la demande de l'inculpé, le juge d'instruction
avait ordonné un complément d'expertise sur l'état mental au moment des
faits. Il avait toutefois omis de remettre à l'expert la demande de
complément de l'inculpé, ainsi qu'une lettre de son médecin traitant. Le juge
d'instruction avait alors transmis ces pièces, tout en attirant l'attention
de l'expert sur la contradiction entre les affirmations du médecin (selon
lequel A.________ présentait les symptômes d'une commotion cérébrale), et les
conclusions d'un rapport médical figurant au dossier. A.________ en déduisait
que le juge d'instruction écartait tout élément en sa faveur. Le juge avait
également refusé de citer ou de reconvoquer des témoins à décharge, et avait
en revanche cité d'office un témoin à charge.

B.
Par décision du 12 mai 2006, le Vice-président de l'Office des juges
d'instruction a rejeté la demande de récusation. Les motifs de récusation
relatifs aux actes accomplis en début d'enquête étaient tardifs. S'agissant
de la mise en oeuvre de l'expertise, le juge d'instruction avait transmis à
l'expert l'intégralité des procès-verbaux d'auditions de témoins, ainsi que
tous les rapports médicaux disponibles; il avait posé des questions précises
à l'expert et relevé une contradiction entre les affirmations de deux
médecins. Il n'y avait pas de partialité non plus dans le refus d'entendre
les témoins proposés par l'inculpé: les faits invoqués étaient sans
pertinence, et le refus de reconvoquer un témoin défaillant était justifié
par l'urgence de la cause.

C.
A.________ forme un recours de droit public contre cette décision; il en
demande l'annulation, ainsi que le renvoi de la cause à la Chambre pénale
afin qu'elle désigne un juge d'instruction spécial chargé de statuer sur la
demande de récusation.

Le Vice-président, le juge d'instruction et le Ministère public concluent au
rejet du recours dans la mesure où il est recevable.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé en temps utile contre une décision
rendue, selon la pratique fribourgeoise, en dernière instance cantonale et
relative à une demande de récusation au sens de l'art. 87 al. 1 OJ. Il est
recevable (ATF 126 I 203).

2.
Le droit fribourgeois ne prévoit pas l'intervention de la Chambre
d'accusation pour statuer sur une demande de récusation d'un juge
d'instruction; la demande doit être soumise au Président de l'Office des
juges d'instruction, et il n'existe pas de recours cantonal. Le recourant
tient cette réglementation pour contraire au principe d'indépendance et
d'impartialité. Il relève que les juges d'instruction se trouvent
hiérarchiquement au même niveau, se côtoient tous les jours et sont
fréquemment appelés à évoquer ensemble les affaires qu'ils traitent. Il y
aurait donc lieu de renvoyer la demande de récusation au Tribunal cantonal, à
charge pour ce dernier de trouver une solution conforme aux exigences
d'indépendance.

2.1 Selon la jurisprudence, le justiciable qui conteste l'indépendance ou
l'impartialité d'un magistrat doit en demander formellement la récusation
avant que celui-ci ne rende sa décision. On peut par conséquent se demander
si les simples réserves émises au sujet de la procédure fribourgeoise, qui ne
tendaient pas au dessaisissement du Vice-président, étaient à cet égard
suffisantes. La question peut demeurer indécise, car le grief doit être
écarté.

2.2 Dans un arrêt du 13 octobre 2003 (1P.490/2003), le Tribunal fédéral a en
effet considéré que la pratique fribourgeoise, qui exclut le recours contre
les prononcés du Président ou du Vice-président en matière de récusation des
juges d'instruction, était conforme à la constitution, même si la pratique
antérieure pouvait être jugée préférable du point de vue de la protection
judiciaire. Les garanties découlant de l'art. 6 CEDH ne s'appliquaient pas à
la procédure de récusation et le droit à un recours effectif était assuré par
l'intervention successive du magistrat chargé de statuer, puis du Tribunal
fédéral par la voie du recours de droit public.

2.3 Bien que l'arrêt précité ne le précise pas expressément, la garantie
d'indépendance, qui découle également de l'art. 29 al. 1 Cst., n'est pas
violée non plus en raison du fait qu'un magistrat est saisi d'une demande de
récusation visant un membre du collège ou d'un tribunal auquel il appartient.
Le fait que le magistrat appelé à statuer occupe le même lieu de travail et
entretienne des contacts fréquents ne suffit pas à mettre en doute son
indépendance (arrêts 1P.453/1991 du 2 octobre 1991 et 1P.377/1997 du 29 août
1997 concernant la récusation des membres du Ministère public genevois). Le
grief doit par conséquent être rejeté.

3.
Sur le fond, le recourant conteste que certains de ses motifs de récusation
soient tardifs, puisque la demande de récusation était fondée sur
l'accumulation de comportements qui auraient fait naître le soupçon de
partialité. Le juge d'instruction n'aurait fait aucune investigation à
l'égard de sa partie adverse, ignorant volontairement les faits qui
pourraient être favorables au recourant. Lors de la mise en oeuvre de
l'expertise, le juge d'instruction aurait d'abord omis de joindre les pièces
indispensables (courrier du mandataire du recourant et rapport de son médecin
traitant), puis aurait apporté les corrections souhaitées, tout en
dévalorisant les considérations du médecin favorables au recourant.

3.1 S'agissant de la récusation d'un juge d'instruction, l'art. 29 al. 1 Cst.
présente des garanties similaires à celles qui sont posées à l'égard des
autorités judiciaires proprement dites (art. 6 CEDH et 30 Cst.; ATF 127 I 196
consid. 2b p. 198); le magistrat doit instruire à charge et à décharge et est
tenu à une certaine impartialité. Toutefois, au contraire du juge appelé à
s'exprimer en fait et en droit sur le fond de la cause, lequel doit en
principe s'en tenir à une attitude parfaitement neutre, le juge d'instruction
peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus
orientée à l'égard de l'inculpé. Il peut faire état de ses doutes quant à la
version des faits présentée, mettre le prévenu en face de certaines
contradictions et tenter de l'amener aux aveux, pour autant qu'il ne soit pas
fait usage de moyens déloyaux. Le juge d'instruction ne fait donc pas preuve
de partialité lorsqu'il fait état de ses convictions à un moment donné de
l'enquête; cela peut au contraire s'avérer nécessaire à l'élucidation des
faits. Le magistrat instructeur doit ainsi se voir reconnaître, dans le cadre
de ses investigations, une certaine liberté, limitée par l'interdiction des
procédés déloyaux, la nécessité d'instruire tant à charge qu'à décharge et de
ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 127 I 196 consid.
2d p. 199; arrêt 1P.334/2002 du 3 septembre 2002, SJ 2003 I 174).

3.2 Saisi d'une demande de complément d'expertise du 12 décembre 2005,
portant sur l'état mental de l'inculpé au moment précis des faits, le juge
d'instruction y a donné suite le 21 décembre 2005; il relevait à l'attention
de l'expert que l'inculpé avait chuté, sa tête ayant heurté le sol; les
témoignages recueillis à ce sujet étaient produits intégralement en annexe;
les lésions consécutives à cette chute avaient fait l'objet de trois rapports
médicaux, également produits. Des questions concernant la responsabilité
pénale étaient posées à l'expert; le juge d'instruction mentionnait encore la
possibilité d'un entretien avec l'inculpé, les auteurs des rapports médicaux
ainsi que le médecin du recourant; l'ensemble du dossier était à sa
disposition si nécessaire. Le 9 janvier 2006, l'avocat du recourant s'est
plaint de ce que sa lettre du 12 décembre 2005 n'ait pas été transmise à
l'expert. Le juge d'instruction y a remédié le lendemain, en relevant que la
thèse de la commotion cérébrale était contredite par l'auteur d'un des
rapports médicaux.

Il ressort de ce qui précède que le juge d'instruction a donné immédiatement
suite à la demande de complément d'expertise; les raisons de ce complément
ayant été exposées et les témoignages complets ayant été remis à l'expert, le
juge d'instruction pouvait légitimement penser que les extraits cités par le
recourant dans sa lettre du 12 décembre 2005 n'étaient pas utiles. La lettre
du médecin traitant n'était pas non plus jointe à l'envoi, mais le juge
d'instruction mentionnait la possibilité d'un entretien avec ce médecin; en
outre, il a immédiatement donné suite à la demande formulée le 9 janvier
2006. Enfin, le juge d'instruction s'est borné à relever la contradiction
existant entre la thèse du médecin traitant et les conclusions d'un rapport,
sur le point central à élucider par l'expert. Rien ne permet d'affirmer que
le magistrat ait exprimé sa préférence pour l'une ou l'autre thèse. Il a
ainsi agi avec diligence, et aucune de ses démarches ne paraissait tendre à
influencer d'une quelconque manière le résultat de l'expertise.

3.3 Le juge d'instruction a également répondu de manière circonstanciée aux
demandes d'audition de témoins. Le 21 décembre 2005, il a admis quatre
nouveaux témoignages et en a refusé un, considérant que les faits à prouver
n'étaient pas pertinents. Le recourant a renouvelé sa requête, qui a été
rejetée le 15 mars 2006; il était établi que le recourant et sa partie
adverse "étaient de longue date en conflit pour diverses vétilles". Le juge
d'instruction a par ailleurs estimé qu'un autre témoin, défaillant, ne serait
pas cité une seconde fois: d'une part, contrairement à ce que prétendait le
recourant, le témoin n'avait pas déposé plainte contre la partie adverse du
recourant; d'autre part, il y avait urgence à renvoyer le recourant en
jugement, compte tenu des relations orageuses entre les protagonistes, qui
avaient fréquemment l'occasion de se rencontrer. Ces refus paraissent dûment
et sérieusement motivés; le recourant estime que les témoignages requis
pouvaient lui être favorables, sans pour autant prétendre qu'ils seraient
déterminants. Le juge d'instruction a d'ailleurs réservé la possibilité de
renouveler la requête devant l'autorité de jugement. Quant à la décision de
procéder d'office à l'audition du frère d'un témoin (à charge, selon le
recourant), le juge d'instruction s'en est clairement expliqué par la
nécessité d'obtenir un témoignage direct. Rien ne permet de supposer une
quelconque prévention du magistrat à l'encontre du recourant.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est
mis à la charge du recourant, qui succombe. Il n'est pas alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Ministère public de
l'Etat de Fribourg et au Vice-Président de l'Office des juges d'instruction.

Lausanne, le 12 septembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: