Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.29/2006
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1P.29/2006 /col

Arrêt du 23 mars 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Kurz.

A.________,
recourant,

contre

Chancellerie d'Etat du canton de Genève,
rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève,
Tribunal administratif de la République et canton
de Genève, case postale 1956, 1211 Genève 1,

B.________, représentée par Me Olivier Carrard, avocat.

accès à des données et documents concernant le vote électronique;

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de
Genève du 29 novembre 2005.

Faits:

A.
Le 24 août 2004, A.________ et C.________ se sont adressés à la Chancellerie
d'Etat du canton de Genève. Dans la perspective des votations fédérales et
cantonales du 26 septembre 2004 et de l'organisation du vote par internet
autorisé à titre expérimental dans quatre communes genevoises, ils désiraient
avoir accès au code source et à sa documentation, à tous les rapports
d'experts et aux documents de certification, ainsi qu'aux contrats entre
l'Etat et le fournisseur du système. Le même jour, ils ont interpellé le Chef
de projet de la Chancellerie fédérale.
Le 2 septembre 2004, le Directeur de l'Organisation des systèmes
d'information et du dépouillement centralisé répondit que la loi cantonale
sur les droits politiques prévoyait un contrôle des systèmes de vote à
distance par des représentants des partis politiques. Les sources de
l'application pouvaient être consultées sur place. Il n'existait pas de
certification, mais le projet faisait l'objet d'un audit permanent de la
Confédération. Divers rapports d'experts et documents étaient accessibles sur
le site officiel de l'Etat, de même que l'appel d'offre et le cahier des
charges. Les documents contractuels n'étaient pas disponibles pour des
raisons de concurrence.
Le 7 septembre 2004, le chef de projet de la Chancellerie fédérale fournit
des précisions concernant la sécurité du système, l'anonymat du vote et des
informations relatives au projet-pilote.
Le 15 septembre 2004, A.________ et C.________ se sont rendus à la
Chancellerie afin d'y consulter le code source. Ils refusèrent de signer une
clause de confidentialité comportant un engagement de ne pas divulguer les
informations, sous la menace d'une peine conventionnelle, de sorte que la
consultation leur fut refusée.
Le 29 novembre 2004, après l'échec d'une médiation, la Chancellerie a estimé
que la loi cantonale sur l'information du public et l'accès aux documents
(LIPAD, RS/GE A 2 08) était inapplicable, s'agissant d'un projet ayant pour
cadre la loi fédérale sur les droits politiques. La consultation du code
source était impossible sans engagement de non-divulgation. Les différentes
réponses fournies aux intéressés rendaient au surplus la requête sans objet.

B.
Par arrêt du 29 novembre 2005, après avoir ordonné l'appel en cause de
B.________, chargée de la réalisation et de la mise en place du système), le
Tribunal administratif genevois a admis le recours formé par C.________ et,
partiellement, celui formé par A.________. La LIPAD posait le principe de
transparence, et le droit fédéral ne s'y opposait pas. Compte tenu de
l'intérêt du citoyen de s'assurer lui-même de la fiabilité du système de
vote, les restrictions de divulgation posées à l'accès au code source
apparaissaient contraires au principe de la proportionnalité, à l'exception
de l'interdiction de diffusion et de copie, qui résultait de l'art. 19 al. 4
LDA. En revanche, les documents contractuels entre l'Etat et B.________
étaient dans une large mesure protégés par le secret d'affaires, et un accès
partiel était pratiquement impossible à réaliser. Les rapports de la société
anti-piratage contenaient des renseignements extrêmement sensibles dont la
révélation était susceptible de compromettre la sécurité du système
informatique; une communication partielle n'avait pas de sens.

C.
A.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt. Il
conclut à son annulation en tant qu'il refuse l'accès au contrat entre l'Etat
et le fournisseur du système de vote, ainsi qu'au rapport d'audit de la
société "anti-piratage", et au renvoi de la cause au Tribunal administratif
pour nouvel arrêt dans le sens des considérants.
Le Tribunal administratif persiste dans les termes de son arrêt. La
Chancellerie d'Etat et B.________ concluent au rejet du recours, dans la
mesure où il est recevable.
Le recourant a demandé à pouvoir déposer des observations complémentaires
après avoir obtenu une copie papier du code source; il souhaite également
répliquer, et requiert des débats.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recourant a demandé à pouvoir fournir des explications complémentaires
après avoir obtenu une copie sur papier du code source de l'application de
vote par internet, ainsi qu'à pouvoir répliquer aux arguments des intimées.
Cela ne se justifie pas. En effet, la question de l'accès au code source
n'est plus litigieuse. En outre, un droit de réplique n'est accordé
qu'exceptionnellement (art. 93 al. 3 OJ), notamment lorsque les intimés
fournissent dans leur réponse des éléments de fait ou de droit pertinents qui
ne sont pas retenus dans l'arrêt attaqué, et qui sont susceptibles d'influer
sur l'issue de la cause. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Le recourant
demande également des débats. Ceux-ci ne sont ordonnés qu'à titre
exceptionnel, pour des motifs importants (art. 91 al. 2 OJ). Le recourant
évoque les "implications importantes" de l'évaluation de la transparence dans
le processus de vote électronique, sans toutefois préciser les points qu'il
n'aurait pu développer complètement dans ses écritures. Comme cela est relevé
ci-dessous, l'issue de la cause ne dépend pas de motifs de fond mais de
forme, en particulier de la motivation défectueuse du recours, et ni le droit
de réplique, ni les débats n'ont pour objet de permettre au recourant de
remédier à ces défauts de procédure.

2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité et la
qualification juridique des recours qui lui sont soumis (ATF 131 I 57 consid.
1 p. 59).

2.1 Le recourant invoque diverses normes internationales relatives au respect
de la volonté des citoyens lors d'élections populaires. Il se prévaut de sa
qualité d'électeur dans la commune de Bernex, laquelle aurait demandé de
participer également au projet de vote électronique. Cela ne suffit toutefois
pas pour ouvrir la voie du recours pour violation des droits politiques, au
sens de l'art. 85 let. a OJ. Ce recours n'est en effet recevable qu'à
l'occasion d'un scrutin déterminé. Le citoyen peut, dans ce cas, s'en prendre
aux actes préparatoires ainsi qu'au résultat du vote, et dénoncer par ce
moyen toute circonstance propre à fausser la manifestation de la volonté des
électeurs. Le recours n'est en revanche pas ouvert lorsque le citoyen s'en
prend, en dehors d'un scrutin déterminé, à la manière générale dont sont
organisées les votations. Cela vaut a fortiori dans le cadre d'un essai
pilote mené conformément aux art. 27a ss LDP, soumis aux conditions définies
aux art. 27d ss de la loi.

2.2 Dans le cadre du présent litige, le recourant se prévaut essentiellement
de son droit de recevoir des informations de la part de l'Etat. Cette matière
est régie par une loi cantonale spécifique à l'application de laquelle est
exclusivement consacré l'arrêt attaqué. Le recours de droit public ne peut
donc être formé que pour violation des droits constitutionnels, au sens de
l'art. 84 let. a OJ. Le recourant a qualité pour agir (art. 88 OJ), dans la
mesure où il peut se prévaloir du droit d'accès prévu aux art. 24 ss LIPAD.

2.3 Le recours de droit public est notamment soumis aux exigences de l'art.
90 al. 1 let. b OJ s'agissant de la motivation de l'acte de recours. Selon
cette disposition, l'acte de recours doit, à peine d'irrecevabilité, contenir
un exposé succinct des droits ou principes constitutionnels prétendument
violés, précisant en quoi consiste la violation. Le recourant ne peut
simplement invoquer une garantie constitutionnelle: il doit démontrer dans le
détail en quoi cette garantie est violée. Le Tribunal fédéral n'examine ainsi
que les griefs soulevés de manière claire et suffisamment détaillée. Le
recourant ne peut pas non plus se contenter de reprendre les critiques
soumises à la dernière instance cantonale (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31 et
les arrêts cités).
S'agissant du grief d'arbitraire, le recourant doit démontrer que la décision
attaquée viole gravement une règle ou un principe juridique clair et
indiscuté ou qu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la
justice ou de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution
retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle est
insoutenable ou en contradiction évidente avec la situation de fait, si elle
a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain. Par
ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient
insoutenables, encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat
(ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61 et la jurisprudence citée), ce qu'il appartient
également au recourant de démontrer (ATF 131 I 217 consid. 2.1 p. 219 et la
jurisprudence citée).

2.4 En l'occurrence, le Tribunal administratif s'est livré à une pesée
minutieuse des intérêts en présence. Après avoir pris connaissance des
documents litigieux, il a considéré que l'offre de B.________ contenait des
détails sur les concepts et composants proposés, les conditions de
réalisation et le coût du projet, dont la divulgation serait propre à
favoriser indûment les concurrents. La cour cantonale s'est également
interrogée sur la possibilité d'un accès partiel, qu'elle a exclu en
considérant qu'il était particulièrement difficile de déterminer de manière
exhaustive toutes les données protégées par le secret commercial, et que le
caviardage de celles-ci rendrait le document incompréhensible et dépourvu de
sens. A propos du rapport de la société "anti-piratage", le Tribunal
administratif a estimé que ce document contenait des données extrêmement
sensibles, dans la mesure notamment où le consultant devait mettre en
évidence les failles du système. Une communication partielle n'entrait pas
non plus en ligne de compte.

2.5 Le recourant considère que les documents à sa disposition ne lui
permettraient pas de comprendre et de vérifier le système de vote
électronique. Dans la mesure où les droits d'auteurs ont été transférés à
l'Etat, il n'y aurait plus de raison de protéger le fournisseur, à l'instar
de ce qui a été admis pour le code source. Cette argumentation vise la
documentation contractuelle entre le fournisseur du système et l'Etat. Le
recours ne contient en revanche pas la moindre argumentation en ce qui
concerne l'accès au rapport d'audit, de sorte qu'il est irrecevable sur ce
point. Au demeurant, la nature même du système commande, comme l'a expliqué
la cour cantonale, que certains renseignements demeurent inconnus du public.

2.6 A propos des documents contractuels, le recourant paraît soutenir qu'il
disposerait, en tant que citoyen, d'un droit absolu à être informé sur le
système de vote par internet. Tel n'est pas le cas, puisque la loi elle-même
prévoit des exceptions au droit d'accès, fondées sur des motifs ayant trait
notamment à la sécurité de l'Etat (art. 26 al. 2 let. a LIPAD), au respect
des secrets d'affaires (let. i) ou à la nécessité de ne pas avantager des
concurrents (let. j). L'application de ces exceptions au cas d'espèce ne
saurait être qualifiée d'arbitraire. En effet, le Tribunal administratif a
relevé, après les avoir consultés, que les documents contractuels ne révèlent
pas seulement la conception du projet, mais aussi ses modalités de
réalisation et ses coûts, renseignements qui vont plus loin que la révélation
du code source, et dont la divulgation est assurément de nature à nuire au
fournisseur. Il y a également lieu, dans le cadre de la pesée d'intérêts, de
tenir compte de l'existence d'un contrôle du système par les représentants
des partis politiques, censés eux aussi assurer la transparence à laquelle
tend la loi cantonale. L'arrêt attaqué n'est par conséquent arbitraire ni
dans ses motifs, ni dans son résultat.

3.
Dans la mesure où il est recevable, le recours de droit public doit être
rejeté. Conformément à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument judiciaire est mis à
la charge du recourant, de même qu'une indemnité de dépens allouée à
l'intimée B.________, qui obtient gain de cause.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 3000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Une indemnité de dépens de 2000 fr. est allouée à l'intimée B.________, à la
charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, au mandataire de
l'intimée B.________, à la Chancellerie d'Etat et au Tribunal administratif
de la République et canton de Genève.

Lausanne, le 23 mars 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: