Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.280/2006
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{T 0/2}
1P.280/2006 /viz

Arrêt du 15 septembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.

A. ________,
recourant, représenté par Me Freddy Rumo, avocat,

contre

B.________, Procureur général du canton de Neuchâtel,
intimé,
Ministère public du canton de Neuchâtel,
rue du Pommier 3, case postale 2672, 2001 Neuchâtel 1,
Juge d'instruction de La Chaux-de-Fonds,
passage de la Bonne-Fontaine 36, case postale 4060, 2304 La Chaux-de-Fonds,
Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel,
Chambre d'accusation, rue du Pommier 1,
case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.

récusation,

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Neuchâtel du 10 avril 2006.

Faits:

A.
En 2003, une enquête pénale a été ouverte dans le canton de Neuchâtel contre
A.________ et de nombreux autres prévenus. Par une ordonnance pénale rendue
le 8 décembre 2005 dans le cadre de cette affaire, le Procureur général du
canton de Neuchâtel B.________(ci-après: le Procureur général) a condamné
C.________ à vingt jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans pour
faux dans les titres. Cette ordonnance retenait les faits suivants:
"A la Chaux-de-Fonds ou en tout autre lieu, en 1994, C.________ a, de concert
avec A.________, acquitté deux factures inexactes le mentionnant faussement
comme créancier de A.________ SA, la première du 8 août 1994 indiquant
faussement qu'il avait reçu Fr. 138'000.- et une commission de Fr. 2'000.-
pour un lot de fournitures anciennes et la seconde, du 15 décembre 1994,
indiquant faussement qu'il avait reçu Fr. 50'000.- pour vingt montres réveil
à réviser [...]."
C.________ n'ayant pas formé opposition contre cette ordonnance, elle est
devenue exécutoire le 25 janvier 2006.

B.
Par courrier du 10 mars 2006, A.________ a demandé au Procureur général
d'annuler cette ordonnance pénale ou de se récuser dans "l'affaire
A.________". Il faisait notamment valoir que la force de chose jugée de cette
ordonnance avait pour conséquence "l'anéantissement de la présomption
d'innocence" en ce qui le concerne et se plaignait du fait que le Procureur
général était "juge et partie". Par courrier du 14 mars 2006, celui-ci a
répondu qu'il ne pouvait annuler l'ordonnance pénale rendue contre C.________
et qu'il n'estimait pas devoir se récuser. Il a transmis une copie de sa
lettre à la Chambre d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel
(ci-après: le Tribunal cantonal) pour qu'elle statue. Le 17 mars 2006,
A.________ a complété sa demande.

Par arrêt du 10 avril 2006, le Tribunal cantonal a déclaré la demande de
A.________ irrecevable en ce qui concerne l'annulation de l'ordonnance pénale
et mal fondée en ce qui concerne la récusation du Procureur général. En
substance, ce tribunal a considéré qu'aucune disposition du Code de procédure
pénale neuchâtelois du 19 avril 1945 (CPP/NE; RS 322.0) ne prévoyait un
recours contre une ordonnance pénale et que A.________ n'avait pas qualité
pour former opposition au sens de l'art. 12 CPP/NE, ni pour recourir contre
une décision d'irrecevabilité de l'opposition au sens de l'art. 14 CPP/NE.
Relevant que l'on ne pouvait pas exiger d'un procureur la même impartialité
que d'un juge, le Tribunal cantonal a également considéré que le Procureur
général n'était pas récusable en raison du fait qu'il avait fonctionné à un
autre titre dans la même affaire. Enfin, les juges cantonaux ont considéré
que l'entrée en force de l'ordonnance rendue contre C.________ ne portait pas
préjudice à la présomption d'innocence de A.________, dès lors que le
tribunal appelé à le juger ne serait pas lié par cette ordonnance en ce qui
concerne les faits et le droit.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Il invoque les art. 9 et 32 Cst. ainsi
que l'art. 6 CEDH pour se plaindre d'arbitraire dans la constatation des
faits, d'abus du pouvoir d'appréciation, de fausse application de la loi et
de violations du droit à un procès équitable et des principes de l'égalité
des armes et de la présomption d'innocence. Le Procureur général, le
Ministère public et le Tribunal cantonal ont renoncé à présenter des
observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292; 131 II 571 consid. 1
p. 573; 130 I 312 consid. 1 p. 317 et les arrêts cités).

1.1 La qualité pour agir par la voie du recours de droit public est définie à
l'art. 88 OJ. Ce recours est ouvert uniquement à celui qui est atteint par
l'acte attaqué dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés. Le
recours formé pour sauvegarder l'intérêt général ou ne visant qu'à préserver
des intérêts de fait est en revanche irrecevable (ATF 129 I 113 consid. 1.2
p. 117; 129 II 297 consid. 2.1 p. 300; 126 I 43 consid. 1a p. 44 et les
références).

En l'espèce, l'ordonnance pénale contestée du 8 décembre 2005 a été prononcée
exclusivement à l'encontre de C.________. Le recourant allègue cependant que
le contenu de cette ordonnance entrée en force est susceptible de lui causer
un préjudice dans le cadre de son procès à venir. Dès lors que l'autorité de
la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif du jugement - le juge appelé à
statuer dans un litige ultérieur n'est lié ni par les faits, ni par les
considérants en droit (ATF 121 III 474 consid. 4a p. 478) - et qu'elle n'a
d'effet qu'à l'égard des parties en cause (cf. ATF 127 III 453 consid. 5c p.
456; 93 II 329 consid. 3b p. 333 s.), le recourant n'a pas d'intérêt
juridiquement protégé au sens de l'art. 88 OJ à contester l'ordonnance
litigieuse. Quant à l'allégation selon laquelle les magistrats appelés à le
juger pourraient se laisser influencer par le contenu de l'ordonnance, elle a
trait à un simple préjudice de fait, pour la protection duquel la voie du
recours du droit public n'est pas ouverte. Au demeurant, le recourant - qui
affirme lui-même n'avoir pas recouru devant le Tribunal cantonal contre
l'ordonnance litigieuse (recours p. 10) - ne démontre pas en quoi l'autorité
attaquée aurait fait preuve d'arbitraire en constatant l'irrecevabilité de sa
demande sur ce point et il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'examiner
cette question d'office (art. 90 al. 1 let. b OJ; cf. infra consid. 1.2.1).
Il s'ensuit que le recours de droit public est irrecevable en tant qu'il
remet en cause l'ordonnance pénale du 8 décembre 2005.

1.2 En revanche, le recourant est personnellement touché par la décision
attaquée en tant qu'elle rejette des griefs ayant trait à ses droits de
partie dans le cadre de la procédure pénale qui le concerne directement et en
tant qu'elle refuse la récusation d'un magistrat qu'il considère comme
prévenu à son égard. Il a, sur ces questions, qualité pour recourir au sens
de l'art. 88 OJ.

1.2.1 Pour être recevable, un recours de droit public doit cependant contenir
un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques
violés et préciser en quoi consiste la violation (art. 90 al. 1 let. b OJ).
Lorsqu'il est saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'a
donc pas à vérifier de lui-même si l'arrêt entrepris est en tous points
conforme à la Constitution. Il n'examine que les griefs d'ordre
constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours. Le
recourant ne saurait se contenter de soulever de vagues griefs ou de renvoyer
aux actes cantonaux (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261, 26 consid. 2.1 p. 31;
125 I 71 consid. 1c p. 76). En outre, dans la mesure où le recourant se
plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.), il doit préciser en quoi le prononcé
entrepris serait arbitraire, ne reposerait sur aucun motif sérieux et
objectif, apparaîtrait insoutenable ou heurterait gravement le sens de la
justice (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 262; 125 I 492 consid. 1b p. 495;
110 Ia 1 consid. 2a p. 3 s.).
1.2.2 En l'occurrence, les griefs relatifs aux principes de l'égalité des
armes et de la présomption d'innocence, tels qu'ils sont exposés en pages 12
et 13 de l'écriture de recours, ne satisfont pas à ces exigences minimales de
motivation. En effet, le recourant se borne à affirmer que ces principes ont
été violés - comme il l'avait déjà fait dans sa demande de 10 mars 2006 et
dans son complément du 17 mars 2006 - mais il n'expose pas de manière
suffisante les faits qui permettraient de fonder ces griefs et il ne présente
aucune démonstration des violations alléguées. Il en va de même du moyen tiré
de l'interdiction de l'arbitraire, dans la mesure où le recourant se borne à
de vagues considérations sur la motivation de l'arrêt querellé et sur la
procédure cantonale, sans exposer en quoi l'autorité attaquée aurait rendu
une décision insoutenable. Ces griefs sont donc irrecevables.

2.
Le recourant reproche implicitement à l'autorité attaquée d'avoir refusé à
tort d'ordonner la récusation du Procureur général B.________. Il se plaint
du fait que ce magistrat n'aurait pas observé les principes du procès
équitable et de la présomption d'innocence et qu'il aurait "profité de sa
fonction juridictionnelle pour s'avantager lui-même en tant que partie au
procès", ce qui permettrait de douter de son indépendance et de son
impartialité.

2.1 Il ressort en substance de la jurisprudence du Tribunal fédéral, au sujet
des garanties des art. 29 et 30 Cst., que tout plaideur peut exiger la
récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à
faire naître un doute sur son impartialité. Il suffit que les circonstances
donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité
partiale du magistrat, mais seules des circonstances constatées objectivement
doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles
du plaideur ne sont pas décisives (ATF 131 I 24 consid. 1.1 p. 25 et les
arrêts cités). D'éventuelles erreurs de procédure ou d'appréciation commises
par un juge ne suffisent pas à fonder objectivement un soupçon de prévention.
Seules des fautes particulièrement graves et répétées pourraient avoir cette
conséquence; même si elles paraissent contestables, des mesures inhérentes à
l'exercice normal de la charge du juge ne permettent pas de suspecter
celui-ci de partialité (ATF 113 Ia 407 consid. 2 p. 408 ss; 111 Ia 259
consid. 3b/aa p. 264). Saisi du grief de la violation du droit à un juge
indépendant et impartial, le Tribunal fédéral n'examine l'application du
droit cantonal que sous l'angle de l'arbitraire (art. 9 Cst.; pour la
définition de l'arbitraire, cf. ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217
consid. 2.1 p. 219, 57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).
Il apprécie en revanche librement la compatibilité de la procédure suivie en
l'espèce avec les garanties constitutionnelles offertes en cette matière (ATF
126 I 68 consid. 3b p. 73 et la jurisprudence cités).
S'agissant d'un représentant du Ministère public, les exigences
d'impartialité ne sont pas les mêmes que pour les autorités judiciaires
proprement dites. En effet, ni les art. 29 et 30 Cst., ni l'art. 6 par. 1
CEDH ne confèrent à l'accusé une protection particulière à l'égard d'un
magistrat qui - à l'instar du Procureur général dans le canton de Neuchâtel
(cf. art. 46 et 48 CPP/NE) - a pour rôle essentiel de soutenir l'accusation
au cours de l'instruction et devant les juridictions pénales, comme partie à
la procédure (ATF 124 I 76 consid. 2 p. 77 ss; 118 Ia 95 consid. 3b p. 98;
112 Ia 142 consid. 2a p. 143 s. et les arrêts cités). Il n'en va différemment
que lorsque le procureur sort de son rôle d'accusateur public pour assumer
des fonctions d'ordre juridictionnel, par exemple lorsqu'il rend une
ordonnance pénale qui devient exécutoire faute d'opposition (ATF 124 I 76
consid. 2; 112 Ia 142 consid. 2b p. 144 ss).

2.2 Dans le canton de Neuchâtel, les règles sur la récusation des juges, des
jurés et des greffiers (art. 35 et 36 CPP/NE) sont applicables à l'égard des
officiers du ministère public (art. 47 al. 4 CPP/NE). La question de la
récusation en raison de l'apparence de partialité ne se résout toutefois pas
de la même manière; dès lors que le ministère public est amené à prendre
position au cours de la procédure, on ne peut pas exiger du procureur la même
impartialité que d'un juge (Alain Bauer/Pierre Cornu, Code de procédure
pénale neuchâtelois annoté, Neuchâtel 2003, n. 25 ad. art. 35).

2.3 En l'occurrence, le Procureur général n'a pas rendu d'ordonnance de
condamnation exécutoire à l'encontre du recourant. Il est donc resté, à
l'égard de celui-ci, confiné dans son rôle d'accusateur public, agissant
comme partie à la procédure. Dans ces conditions, le recourant ne saurait
prétendre à une protection particulière contre ses actes. Au demeurant, il
n'allègue pas de motifs qui permettraient de douter de l'impartialité du
Procureur général, qui n'a fait que rendre une ordonnance pénale à l'encontre
d'un co-prévenu du recourant. Celui-ci ne semble d'ailleurs pas tant dérangé
par la condamnation de C.________ que par les faits reconnus par ce dernier,
qui le gênent dans sa ligne de défense. Or, on ne saurait considérer que
cette situation est imputable au procureur ayant rendu l'ordonnance
litigieuse. En définitive, aucun des éléments avancés par le recourant ne
permet de conclure à une quelconque prévention de la part du Procureur
général et on ne discerne dans le cas d'espèce aucune circonstance objective
permettant de douter de sa partialité. Enfin, le recourant ne démontre pas en
quoi l'autorité attaquée aurait appliqué de manière arbitraire les
dispositions cantonales régissant la récusation, de sorte qu'il y a lieu de
rejeter ce grief.

3.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est
recevable. Le recourant, qui succombe, doit supporter un émolument judiciaire
(art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties, au Juge d'instruction
de La Chaux-de-Fonds, ainsi qu'au Ministère public et à la Chambre
d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 15 septembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: