Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.278/2006
Zurück zum Index I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2006
Retour à l'indice I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 2006


1P.278/2006 /col

Arrêt du 22 mai 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Fonjallaz.
Greffière: Mme Angéloz.

A. ________,
B.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Pierre Bayenet, avocat,

contre

Grand Conseil du canton de Genève,
rue de l'Hôtel-de-Ville 2, case postale 3970,
1211 Genève 3.

refus de grâce,

recours de droit public contre la décision du Grand Conseil du canton de
Genève du 7 avril 2006.

Faits:

A.
Par jugement du 23 mars 2005, le Tribunal de police du canton de Genève a
condamné A.________, ressortissant du Nigeria né en 1973, pour infractions à
la LStup et à la LSEE, à 15 mois de réclusion et prononcé son expulsion pour
une durée de 5 ans. Sur appel du condamné, la Chambre pénale de la Cour de
justice genevoise, par arrêt du 20 juin 2005, a confirmé ce jugement.

B.
Le 24 janvier 2006, A.________ a déposé une demande en grâce auprès du Grand
Conseil du canton de Genève, concluant à l'octroi de cette mesure pour la
peine d'expulsion.
Il alléguait que, peu après avoir déposé une requête d'asile en Suisse en
mars 2002, il avait fait la connaissance d'une ressortissante de ce pays
domiciliée à Bienne, mère de quatre enfants, dont deux, encore mineurs,
avaient été confiés à la garde de leur père mais passaient les week-ends
auprès de leur mère. Il avait cohabité avec elle entre avril 2002 et juillet
2003, avant d'être renvoyé au Nigeria, suite au rejet de sa demande d'asile.
Le 8 novembre 2003, ils avaient contracté mariage au Nigeria. Ne pouvant
imaginer de vivre loin de ses enfants, son épouse, B.________, était revenue
en Suisse. En août 2004, il était venu vivre auprès d'elle de façon
irrégulière, sans autorisation. Il avait obtenu la levée de l'interdiction
d'entrer en Suisse le 28 septembre 2004. Peu après, il avait été arrêté, le
13 octobre 2004, à Genève, puis condamné à 15 mois de réclusion et 5 ans
d'expulsion. Pendant qu'il purgeait sa peine, son épouse l'avait visité
régulièrement. A sa sortie de prison, il avait été placé en détention
administrative en vue de son expulsion. Il avait été libéré, le 9 novembre
2005, après que les autorités avaient constaté l'impossibilité de le renvoyer
au Nigeria. Dès sa libération, il était revenu habiter auprès de son épouse
et avait entrepris des démarches en vue d'un regroupement familial. Les
autorités de police des étrangers l'avaient toutefois informé qu'un permis de
séjour ne saurait lui être délivré tant qu'une expulsion judiciaire était
pendante. Il sollicitait dès lors la grâce pour la peine d'expulsion, en vue
de la sauvegarde de son droit au respect de sa vie privée et familiale
découlant de l'art. 8 CEDH.
Par décision du 7 avril 2006, le Grand Conseil du canton de Genève a rejeté
la demande en grâce.

C.
A.________ et B.________ forment un recours de droit public au Tribunal
fédéral. Invoquant une violation des art. 13 et 14 Cst. ainsi que des art. 8
et 12 CEDH et se prévalant par ailleurs de l'art. 13 CEDH, ils concluent à
l'annulation de la décision attaquée, en sollicitant l'assistance judiciaire.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Une décision par laquelle l'autorité refuse l'octroi de la grâce ne peut être
soumise au Tribunal fédéral ni par la voie du pourvoi en nullité, faute
d'entrer dans les catégories de décisions définies à l'art. 268 PPF, ni par
la voie du recours de droit administratif, dès lors qu'elle ne revêt pas le
caractère d'une décision au sens de l'art. 5 PA. Seul le recours de droit
public entre donc en considération (ATF 118 Ia 104 consid. 1a p. 106; 117 Ia
84 consid. 1a p. 85/86; cf. également arrêts non publiés 1P.644/2004 consid.
1.1, 1P.710/2001 consid. 2 et 1P.462/1999 consid. 1).

2.
Conformément à l'art. 88 OJ, la qualité pour former un recours de droit
public suppose d'abord que le recourant ait un intérêt personnel et direct à
l'annulation de la décision attaquée (ATF 131 I 455 consid. 1.2 p. 458; 130 I
82 consid. 1.3 p. 85 et les arrêts cités). S'agissant du recourant, cette
condition est manifestement réalisée. Elle ne l'est en revanche pas en ce qui
concerne la recourante, qui n'est pas personnellement visée par l'expulsion
et n'a qu'un intérêt indirect à l'annulation de la décision attaquée. En tant
qu'il émane d'elle, le recours est par conséquent irrecevable pour ce motif
déjà.

3.
La qualité pour former un recours de droit public implique en outre que le
recourant ait un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision
attaquée, à l'exclusion d'un simple intérêt de fait (ATF 131 I 455 consid.
1.2 p. 458; 129 I 113 consid. 1.2 p. 117, 217 I consid. 2 p. 219 et les
arrêts cités).

3.1 Selon la jurisprudence, à défaut d'un droit à la grâce, celui auquel
cette mesure a été refusée ne dispose pas d'un intérêt juridique pour former
un recours de droit public contre ce refus, sauf pour se plaindre d'une
violation des droits de partie qui lui sont reconnus, de manière restreinte,
en matière de grâce (ATF 118 Ia 104 consid. 1b p. 106; 117 Ia 84 consid. 1b
p. 86; cf. également arrêts non publiés 1P.644/2004 consid. 1.3.1 et 1.3.2,
1P.710/2001 consid. 2 et 1P.462/1999 consid. 1).

3.2 En l'espèce, le recours ne contient pas de griefs recevables au regard de
cette jurisprudence, mais soulève exclusivement un grief, pris de la
violation du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les
dispositions de rang constitutionnel invoquées, par rapport auquel celui tiré
d'une violation de l'art. 13 CEDH n'a pas de portée autonome.
L'objection, fondée sur l'opinion d'un auteur de doctrine, que le recours
oppose à la jurisprudence précitée est en l'occurrence vaine. Comme l'a déjà
relevé le Tribunal fédéral dans l'arrêt 1P.710/2001 invoqué dans le recours,
cet auteur envisage uniquement l'hypothèse de faits nouveaux relevant du
champ d'application de l'art. 8 CEDH, où la grâce constitue l'unique moyen de
suspendre les effets d'une expulsion judiciaire et d'éviter ainsi une
violation du droit au respect de la vie familiale (cf. arrêt 1P.710/2001
consid. 2; Philip Grant, La protection de la vie familiale et de la vie
privée en droit des étrangers, thèse Genève 2000, p. 509/510). Or, tel n'est
manifestement pas le cas en l'espèce. L'expulsion judiciaire n'a, en l'état,
pas été exécutée et, le cas échéant, le recourant pourra en faire réexaminer
la conformité aux dispositions de rang constitutionnel qu'il invoque dans le
cadre d'un recours de droit administratif, pour violation du principe de
non-refoulement, dirigé contre la décision ordonnant l'exécution de cette
mesure (ATF 121 IV 345 consid. 1a p. 348).
Au demeurant, lorsque son expulsion ferme a été confirmée par l'arrêt de la
Chambre pénale de la Cour de justice du 20 juin 2005, le recourant - qui
avait pu légalement rejoindre son épouse en Suisse dès le 28 septembre 2004
et qui souligne lui-même le maintien de leur relation, y compris durant sa
détention - n'ignorait pas que, dans la mesure où son épouse n'entendait pas
le suivre à l'étranger, il serait séparé d'elle. Or, il n'a pas attaqué cette
décision par un recours au Tribunal fédéral; en particulier, il a renoncé à
former à son encontre un recours de droit public, dans le cadre duquel il eût
pu faire examiner la compatibilité de son expulsion ferme avec la garantie
dont il se prévaut. Dans ces conditions, on ne voit pas que, en soi, l'acte
de puissance publique attaqué soit de nature à priver le recourant et son
épouse de leur relation familiale.
Au vu de ce qui précède, il ne se justifie pas de remettre en cause dans le
cas particulier la jurisprudence du Tribunal fédéral refusant de reconnaître
au requérant en grâce débouté la qualité pour agir au fond. Ces mêmes
considérations conduisent également à écarter le grief tiré d'une violation
de l'art. 13 CEDH (ATF 121 IV 345 consid. 1g p. 352). Subséquemment, il n'y a
pas lieu d'entrer en matière sur le recours.

4.
Le recours de droit public doit ainsi être déclaré irrecevable. Comme il
était d'emblée voué à l'échec, l'assistance judiciaire ne saurait être
accordée (art. 152 al. 1 OJ). En conséquence, les recourants, qui succombent,
supporteront les frais (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est déclaré irrecevable.

2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge des recourants.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants et au
Grand Conseil du canton de Genève.

Lausanne, le 22 mai 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: