Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.260/2006
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{T 0/2}
1P.260/2006 /viz

Arrêt du 5 septembre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Fonjallaz.
Greffière: Mme Angéloz.

A. ________,
recourant, représenté par Me Jorge Campá, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale; relief du jugement par défaut;

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de
Genève du 7 avril 2006.

Faits:

A.
Par arrêt du 2 octobre 2001, la Cour correctionnelle avec jury du canton de
Genève a condamné, par défaut, A.________, ressortissant du Kosovo né en
1964, à 3 ans et 9 mois de réclusion et 10 ans d'expulsion, pour actes
d'ordre sexuel sur une enfant.

Au cours de l'instruction, A.________ avait été libéré provisoirement par
décision de la Chambre d'accusation du 7 mai 1999, au motif que le juge
d'instruction n'avait pas accompli les actes d'instruction qui lui avaient
été demandés. Il avait alors élu domicile auprès de B.________ et s'était
présenté aux audiences d'instruction des 10 mai, 1er juin et 3 juin 1999. En
septembre 1999, une décision d'expulsion pour 10 ans, rendue à son encontre
en 1993, avait toutefois été exécutée, de sorte qu'il avait dû quitter la
Suisse.

A. ________ est revenu du Kosovo au printemps 2002 et s'est alors installé en
France. Arrêté à la douane franco-suisse en juillet 2005, il a été placé en
détention. Le 30 juillet 2005 il a écrit au Service d'application des peines
et mesures, en déclarant recourir contre le jugement rendu en son absence. Le
2 août 2005, le Service précité, en confirmation d'un entretien du 29 juillet
2005, lui a indiqué qu'il disposait d'un délai de 14 jours pour faire
opposition au jugement par défaut rendu à son encontre; le lendemain il a
transmis au greffe de la Cour de justice le courrier de A.________ du 30
juillet 2005.

B.
Le 16 août 2005, par l'entremise de son avocat, A.________ a fait opposition
à défaut. Il faisait valoir que c'était sans faute de sa part qu'il ne
s'était pas présenté devant la Cour correctionnelle; se trouvant à l'époque
au Kosovo, dans un pays en guerre, il n'avait pas été informé de l'audience
de jugement; lorsqu'il avait quitté son pays au printemps 2002, il pensait
que la procédure ouverte contre lui en Suisse n'avait pas eu de suite; c'est
lors de son interpellation à la frontière qu'il avait appris avoir été jugé.

Par arrêt du 19 décembre 2005, la Chambre pénale de la Cour de justice a
déclaré l'opposition irrecevable. Elle a estimé que c'était par sa faute que
l'opposant n'avait pas eu connaissance de la citation à comparaître devant la
Cour correctionnelle le 2 octobre 2001. Au demeurant, même en admettant qu'il
n'avait pu avoir connaissance de cette citation, en raison des troubles
politiques au Kosovo à l'époque où il s'y trouvait, cet empêchement
n'existait plus depuis qu'il s'était installé en France en 2002. Il n'avait
toutefois pas réagi, laissant, de son seul fait, s'écouler le délai de 14
jours pour faire opposition, qui, conformément à l'art. 331 al. 4 du code de
procédure pénale genevois (CPP/GE), était dès lors irrecevable.

Saisie d'un pourvoi de A.________, la Cour de cassation genevoise l'a rejeté
par arrêt du 7 avril 2006. Elle a considéré, elle aussi, que l'empêchement de
l'opposant à comparaître à son jugement avait été fautif; à tout le moins,
cet empêchement avait-il cessé depuis que l'opposant s'était installé en
France, lequel avait toutefois laissé s'écouler, sans réagir, le délai de 14
jours pour faire opposition.

C.
Par acte du 2 mai 2006 adressé au Tribunal fédéral, A.________ a déclaré
recourir contre l'arrêt cantonal du 7 avril 2006; parallèlement, il demandait
qu'un défenseur d'office lui soit désigné pour la procédure devant le
Tribunal fédéral, faisant par ailleurs valoir qu'il n'avait pas les moyens de
rémunérer un avocat.

Par décision du 5 mai 2006, la Ire Cour de droit public a admis la requête
d'assistance judiciaire et désigné un défenseur d'office au recourant, avec
la mission de compléter au besoin l'acte de recours.

En temps utile et par l'entremise de son défenseur d'office, le recourant a
déposé un mémoire complétif. Invoquant une violation de son droit d'être jugé
en sa présence et une violation du principe de la proportionnalité, il
conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.

Le Procureur général conclut au rejet du recours. L'autorité cantonale se
réfère à son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les
griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte
de recours (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 258 consid. 1.3 p.
261/262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120, 185 consid. 1.6 p. 189).

2.
Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être jugé en sa
présence, garanti par les art. 6 ch. 1 CEDH et 14 ch. 3 let. d du Pacte ONU
II, soutenant que c'est en violation de ce droit que l'autorité cantonale a
considéré que son absence à l'audience de jugement lui était imputable à
faute.

2.1 L'argumentation du recourant vise exclusivement à démontrer qu'on ne peut
lui reprocher de s'être soustrait fautivement à la procédure ouverte contre
lui en Suisse, dès lors que, suite à son expulsion, il se trouvait au Kosovo,
qui était alors en guerre. Le refus du relief a cependant aussi, et même
surtout, été justifié par le fait que l'empêchement invoqué avait en tout cas
cessé depuis que le recourant s'était installé en France en 2002, de sorte
que, dès ce moment, celui-ci pouvait s'enquérir de ce qu'il était advenu de
la procédure dirigée contre lui et devait dès lors se voir opposer d'avoir
laissé s'écouler le délai de 14 jours depuis la cessation de l'empêchement
pour faire opposition. Or, le recourant n'établit pas que, fondée sur cette
motivation, qui a été déterminante, son opposition aurait été écartée en
violation du droit constitutionnel qu'il invoque.

2.2 Au demeurant, le droit de l'accusé d'être jugé en sa présence, découlant
des dispositions de rang constitutionnel invoquées et qui peut aussi être
déduit du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., n'est pas
absolu. La Constitution et la Convention ne s'opposent pas à un jugement par
défaut, lorsque l'accusé refuse de participer aux débats ou se met
fautivement dans l'incapacité de le faire; elles n'interdisent pas non plus
de soumettre la demande de relief à l'observation de conditions de forme,
notamment au respect d'un délai (ATF 126 I 36 consid. 1b p. 39/40; 119 Ia 221
consid. 5a p. 227/228; arrêt 1P.71/2004, publié in SJ 2004 I p. 433, consid.
1.1). Or, avec raison, le recourant ne nie pas que, depuis qu'il s'est
installé en France, en 2002, l'empêchement invoqué pour justifier qu'il
n'avait pu connaître ni la citation ni le jugement ou former opposition en
temps utile (cf. art. 331 al. 3 CPP/GE), donc pour demander le relief, à
savoir la situation politique troublée au Kosovo, avait cessé. Dès ce moment,
il pouvait donc s'enquérir de ce qu'il était advenu de la procédure pénale
ouverte contre lui en Suisse, ne serait-ce qu'en contactant l'avocat qui
l'assistait à l'époque. A cela, il ne pourrait objecter que sa mise en
liberté provisoire au cours de l'instruction l'autorisait à penser que cette
procédure était restée sans suite. Comme il l'admet, il lui était reproché
des faits graves et il avait été amené à s'en expliquer à plusieurs reprises
devant le juge d'instruction; au demeurant, ce dernier l'avait dûment averti
des conséquences d'une non-comparution, en particulier de ce qu'il
s'exposait, en pareil cas, à un jugement par défaut. Dans ces conditions, le
fait que le recourant s'est abstenu de s'informer de l'issue de la procédure
pénale et n'a demandé le relief qu'à l'occasion de son arrestation fortuite à
la douane franco-suisse, à fin juillet 2005, pouvait conduire, sans violation
de la garantie invoquée, à écarter son opposition comme irrecevable en
application de l'art. 331 al. 4 CPP/GE.
Le grief doit dès lors être rejeté dans la mesure où il est recevable.

3.
Le recourant invoque une violation du principe de la proportionnalité
découlant de l'art. 5 al. 2 Cst., faisant valoir que son intérêt à être jugé
en sa présence prévaut sur tout intérêt public. Ce grief est toutefois privé
de fondement, dès lors que l'opposition n'a nullement été écartée au motif
qu'un intérêt public l'emporterait sur le droit du recourant à être jugé en
sa présence. Ce dernier n'indique d'ailleurs pas quel intérêt public lui
aurait été opposé comme prépondérant et, plus généralement, ne s'en prend à
aucun passage précis de l'arrêt attaqué à l'appui du présent grief.

4.
Le recours de droit public doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est
recevable. Il sera toutefois statué sans frais et une indemnité sera allouée
au défenseur d'office du recourant à titre d'honoraires (art. 152 al. 1 et 2
OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Il est statué sans frais.

3.
Une indemnité de 2'500 francs est allouée au défenseur d'office du recourant
à titre d'honoraires.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant ainsi
qu'au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 5 septembre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: