Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.259/2006
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{T 0/2}
1P.259/2006 /col

Arrêt du 7 août 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.

A. ________,
recourant, représenté par Me Denis Mathey, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

opposition à un jugement rendu par défaut,

recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de
Genève du 23 juillet 2004.

Faits:

A.
Le 29 novembre 2000, A.________ a été inculpé d'escroquerie, d'abus de
confiance et de gestion déloyale par le Juge d'instruction du canton de
Genève; arrêté le même jour, il a été remis en liberté le 20 décembre 2000.
Le 7 mai 2003, la Chambre d'accusation du canton de Genève a expédié une
convocation au dernier domicile élu de A.________, pour l'audience de renvoi
devant l'autorité de jugement. Cette convocation n'a pas été retirée.
L'inculpé n'a pas assisté à cette audience, mais il a été représenté par son
avocat. Par ordonnance du 20 mai 2003, il a été renvoyé devant la Cour
correctionnelle du canton de Genève.

A. ________ a été convoqué par lettre signature du 8 septembre 2003, envoyée
au même domicile élu, pour l'audience fixée au 5 novembre 2003 devant la Cour
correctionnelle. L'accusé de réception a été retourné à la Cour de justice du
canton de Genève avec la mention "non réclamé". Le défenseur de A.________ a
bien reçu cette convocation et a sollicité le renvoi de l'audience, par
courrier du 31 octobre 2003, au motif que son client était en voyage à
l'étranger et qu'il ne lui était pas possible d'être présent, pour des
raisons professionnelles. Il précisait en outre que A.________ ne souhaitait
pas être représenté par son avocat lors de cette audience.
La requête de renvoi ayant été rejetée, l'audience du 5 novembre 2003 s'est
tenue en l'absence de l'accusé et de son avocat. Statuant par défaut, la Cour
correctionnelle a condamné A.________ à une peine de trois ans et demi de
réclusion pour escroquerie, abus de confiance, violation de l'obligation de
tenir une comptabilité, importation, acquisition et prise en dépôt de fausse
monnaie et infractions à la LAVS. Son arrestation immédiate a été ordonnée.
Cet arrêt a été notifié à un nouveau domicile élu de A.________.

B.
Le 26 novembre 2003, A.________ a formé opposition contre cet arrêt,
conformément à l'art. 331 du code de procédure pénale genevois (CPP/GE). Il
exposait que son absence, non fautive, était due à des raisons
professionnelles. A l'appui de ses explications, il déposait une lettre à
l'en-tête de "X.________" à Dubai, attestant du fait que A.________ devait
visiter des "clients et partenaires de haut rang du middle east" selon un
planning établi longtemps à l'avance, qu'il ne pouvait pas être remplacé et
qu'il suivait des cours de perfectionnement internes auxquels il ne pouvait
pas être soustrait. La Chambre pénale de la Cour de justice du canton de
Genève a rejeté l'opposition, par arrêt du 22 mars 2004.
Invoquant une violation des art. 6 CEDH et 331 CPP/GE, A.________ a déposé un
pourvoi devant la Cour de cassation du canton de Genève (ci-après: la Cour de
cassation), qui l'a rejeté par arrêt du 23 juillet 2004. En substance, la
Cour de cassation a considéré que A.________ s'était placé fautivement dans
l'incapacité de participer activement à l'audience de jugement, en omettant
de s'organiser pour être présent. A.________ n'ayant pas élu domicile en
l'étude de son défenseur, l'arrêt lui aurait été notifié par le biais du
Consulat général de Suisse à Dubai. Par courrier du 29 mars 2006, la Cour de
cassation a communiqué une copie de l'arrêt au défenseur de A.________, "à
titre purement informatif".

C.
Le 1er mai 2006, agissant par la voie du recours de droit public, A.________
demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Il invoque une violation de
l'art. 6 par. 1 CEDH et se plaint d'arbitraire dans l'appréciation des
preuves et dans l'application du droit cantonal de procédure (art. 9 Cst.).
Il fait en outre grief à l'autorité attaquée d'avoir fait preuve de
formalisme excessif  et se plaint d'une violation de son droit à un procès
équitable (art. 29 al. 1 Cst.) et de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2
Cst.). La Cour de cassation a renoncé à formuler des observations. Le
Procureur général du canton de Genève s'est déterminé; il conclut à
l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. A.________ a
présenté des observations complémentaires. Sans y être invité, le Procureur
général s'est déterminé sur celles-ci.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 131 II 571 consid. 1 p. 573; 130 I 312 consid. 1 p.
317 et les arrêts cités).

1.1 Aux termes de l'art. 89 OJ, le recours doit être déposé dans les trente
jours dès la communication, selon le droit cantonal, de la décision attaquée.
Dans la mesure où la Cour de cassation soutient que cette décision, datée du
23 juillet 2004, a été notifiée peu après au recourant à Dubai, ce que ce
dernier conteste, la question du respect de ce délai se pose. Or, s'il est
établi que le Consulat général de Suisse à Dubai a été requis de procéder à
la notification en août 2004, il ne ressort pas clairement du dossier que
celle-ci a bien eu lieu. Cette question peut toutefois demeurer indécise, vu
le sort du recours.

1.2 Pour être recevable, un recours de droit public doit contenir un exposé
succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et
préciser en quoi consiste la violation (art. 90 al. 1 let. b OJ). Lorsqu'il
est saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'a donc pas à
vérifier de lui-même si l'arrêt entrepris est en tous points conforme à la
Constitution. Il n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et
suffisamment motivés dans l'acte de recours. Le recourant ne saurait se
contenter de soulever de vagues griefs ou de renvoyer aux actes cantonaux
(ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261, 26 consid. 2.1 p. 31; 125 I 71 consid. 1c
p. 76).
Eu égard à ce qui précède, le grief tiré d'une appréciation arbitraire des
preuves est irrecevable, dans la mesure où le recourant n'allègue pas que des
éléments de preuve propres à modifier la décision n'auraient pas été pris en
compte sans raison sérieuse ou que l'autorité attaquée aurait tiré des
constatations insoutenables des éléments recueillis (cf. ATF 127 I 38 consid.
2a p. 41). Il en va de même du moyen relatif au formalisme excessif, dès lors
que le recourant ne précise pas quelle règle aurait été appliquée de façon
trop rigoureuse et qu'il s'égare dans des considérations sur la "renonciation
au droit d'être jugé en sa présence" qui sont étrangères à l'arrêt attaqué.

1.3 Sauf exceptions, dont aucune n'est réalisée en l'espèce, des faits ou
moyens de preuve nouveaux ne peuvent être produits à l'appui d'un recours de
droit public (ATF 118 Ia 369 consid. 4d p. 371 s., 20  consid. 5a p. 26; 118
III 37 consid. 2a p. 39; 107 Ia 265 consid. 2a et les arrêts cités; Walter
Kälin, Das Verfahren des staatsrechtlichen Beschwerde, 2e éd., Berne 1994, p.
369 ss). Il n'y a donc pas lieu de prendre en considération la nouvelle
allégation du recourant selon laquelle son passeport aurait été "bloqué" par
son employeur .

2.
Le recourant soutient que l'arrêt attaqué violerait les art. 6 CEDH
(ci-après: la Convention) et 29 Cst. et qu'il reposerait sur une application
arbitraire de l'art. 331 al. 1 CPP/GE, aux termes duquel le condamné par
défaut peut faire opposition au jugement s'il justifie que, sans sa faute, il
n'a pu connaître la citation ou se présenter aux débats.

2.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne
résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en
considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne
s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle
est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe
juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le
sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de
la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans
son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219,
57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).

2.2 L'accusé a le droit d'être jugé en sa présence. Cette faculté découle de
l'objet et du but de l'art. 6 CEDH, considéré dans son ensemble (ATF 127 I
213 consid. 3a p. 215; arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme
Colozza c. Italie, du 12 février 1985, Série A, vol. 89, par. 27) ainsi que
de l'art. 29 al. 2 Cst. qui consacre le droit d'être entendu (ATF 129 II 56
consid. 6.2 p. 59; 117 Ib 337 consid. 5a p. 343). Ce droit n'est toutefois
pas absolu; la Constitution et la Convention ne s'opposent pas à ce que les
débats aient lieu en l'absence de l'accusé, lorsque celui-ci refuse d'y
participer ou lorsqu'il se place fautivement dans l'incapacité de le faire
(ATF 129 II 56 consid. 6.2 p. 59 s. et les arrêts cités; arrêts de la Cour
européenne des droits de l'homme Medenica c. Suisse du 14 juin 2001, par. 58;
Poitrimol c. France du 23 novembre 1993, Série A, vol. 277A, par. 35). Si le
fardeau de la preuve à ce propos ne peut lui être imposé, on peut en revanche
attendre du condamné par défaut qu'il allègue, dans les formes et délais
prescrits, les faits qui l'ont empêché de se présenter (ATF 126 I 36 consid.
1b p. 39 s. et les références). Déterminer si l'absence du défaillant lui est
imputable à faute, compte tenu des circonstances dûment constatées, est une
question de droit inhérente à l'application de la Convention, que le Tribunal
fédéral examine librement. A cet égard, il faut considérer l'absence comme
valablement excusée non seulement en cas de force majeure (impossibilité
objective de comparaître), mais également en cas d'impossibilité subjective,
due à des circonstances personnelles ou à une erreur non imputable au
défaillant (ATF 127 I 213 consid. 3a p. 216; 126 I 36 consid. 1b p. 39; 96 II
262 consid. 1a p. 265; 85 II 145).
L'art. 331 al. 1 CPP/GE est conforme à ces principes en tant qu'il subordonne
la tenue d'un nouveau procès à l'absence non fautive de l'accusé aux débats;
en revanche, pour être compatible avec l'art. 6 CEDH, cette disposition doit
être interprétée en ce sens que le fardeau de la preuve de l'absence
injustifiée incombe à l'autorité et non à l'opposant (cf. arrêt 1P.531/1999
du 7 décembre 1989 consid. 2b cité par Harari/Roth/Sträuli, Chronique de
procédure pénale genevoise, in SJ 1990 p. 468; Dominique Poncet/Bernhard
Sträuli, Suspension des débats, renvoi des débats et défaut, in: Festschrift
für Niklaus Schmid zum 65. Geburtstag, Zurich 2001, p. 684 s.).

3.
En l'espèce, la Cour de cassation fait grief au recourant de n'avoir pas pris
les mesures nécessaires pour assurer sa présence devant ses juges, alors qu'à
compter de l'ordonnance de renvoi du 20 mai 2003 il savait qu'il allait être
convoqué. En omettant de prendre ses dispositions et en interdisant à son
avocat de le représenter, il s'est placé fautivement dans l'incapacité de
participer à l'audience de jugement. L'argument selon lequel il ne pouvait
pas savoir que son employeur ne l'autoriserait pas à s'absenter pour se
présenter à l'audience n'y changerait rien, dès lors qu'il lui appartenait de
renseigner son employeur à ce sujet avant de partir pour l'étranger.
L'autorité attaquée estime enfin qu'en agissant ainsi le recourant a opéré un
choix qui lui assurait la liberté à l'étranger et que son comportement, qui
s'inscrit dans le cadre d'une "stratégie d'évitement", n'est pas digne de
protection.
Si l'on peut émettre certaines réserves quant à l'appréciation de la Cour de
cassation imputant au recourant une volonté de se soustraire à la justice en
mettant en oeuvre une véritable stratégie, il n'en demeure pas moins que ce
dernier a fait preuve d'une négligence coupable en omettant de s'organiser
pour assurer sa présence à l'audience. Il lui appartenait en effet de prendre
toutes les dispositions utiles pour se libérer de ses obligations
professionnelles, afin d'être en mesure de comparaître en personne.
Nonobstant la lettre du 18 avril 2004 à l'en-tête de "X.________", le
recourant n'est guère crédible lorsqu'il affirme que son employeur lui avait
"garanti [...] la possibilité d'un retour rapide en Suisse en cas de besoin"
avant de le lui interdire. Il n'avait d'ailleurs pas fait état de cet élément
lors de ses précédentes explications et, dans son pourvoi du 26 avril 2004,
déclarait seulement qu'il "était en droit de s'attendre à ce qu'il soit
libéré de ses obligations contractuelles le temps du procès". Par ailleurs,
des visites à des clients et à des partenaires - fussent-ils "de haut rang"-
et des cours de formation interne ne constituent pas un cas de force majeure
au sens de la jurisprudence précitée et ne sauraient primer l'obligation
faite à l'accusé de s'organiser pour être en mesure d'assister à l'audience.
En quittant la Suisse pour exercer les activités susmentionnées à Dubai sans
prendre les dispositions utiles pour se libérer le jour de l'audience de
jugement, le recourant a donc, à tout le moins, pris délibérément le risque
de ne pas pouvoir être présent. Dans ces circonstances, c'est à juste titre
que l'autorité attaquée a considéré que l'absence du recourant était fautive
et elle n'a pas appliqué l'art. 331 CPP/GE de manière arbitraire. Par
conséquent, il y a lieu de rejeter les moyens soulevés par le recourant
contre l'arrêt querellé.

4.
Il s'ensuit que le recours de droit public doit être rejeté, dans la mesure
où il est recevable. Le recourant, qui succombe, doit supporter les frais de
la présente procédure (art. 153, 153a et 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.

Lausanne, le 7 août 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: