Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.241/2006
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{T 0/2}
1P.241/2006 /fzc

Arrêt du 15 juin 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Fonjallaz.
Greffière: Mme Truttmann.

X. ________,
recourant, représenté par Me Alain Marti, avocat,

contre

Vice-président du Tribunal de première instance
de la République et canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale
3736, 1211 Genève 3,
Présidente de la Cour de justice de la République et canton de Genève, case
postale 3108, 1211 Genève 3.

procédure pénale, assistance juridique; frais de photocopies,

recours de droit public contre la décision de la Présidente de la Cour de
justice de la République et canton de Genève du 27 mars 2006.

Faits:

A.
X. ________ fait l'objet de multiples inculpations de nature financière dans
la procédure pénale ouverte suite à la faillite de la société Z.________ SA.
Il a été placé en détention préventive avant d'être mis en liberté
provisoire, moyennant le versement d'une caution de 300'000 francs.

Les 28 novembre et 8 décembre 2005, X.________ a requis l'octroi de
l'assistance juridique, limitée à la couverture des frais de photocopie des
pièces de la procédure pénale. Il a déclaré vivre chez sa grand-mère en
France et n'avoir ni revenu ni charges. Il a allégué des arriérés de loyer de
l'ordre de 20'000 euros pour la villa près d'Annecy, ainsi que diverses
dettes, dont 800'000 euros d'impôts impayés auprès du fisc français. Seules
deux factures et un relevé de compte ont été produits.

Le 14 décembre 2005, le Juge d'instruction a rendu un préavis négatif. Il a
en particulier retenu que X.________ disposait de soutiens financiers
conséquents, qui lui avaient permis de payer sa caution. Alors qu'il
indiquait ne pas disposer de fortune, des avoirs lui appartenant avaient été
découverts dans une banque à Vaduz. Enfin, il ne fournissait aucune
indication quant à une perspective de travail après guérison ni sur le
travail et les revenus de son épouse.

B.
Le 12 janvier 2006, le Vice-président du Tribunal de première instance a
refusé l'assistance juridique. Il a considéré que X.________ n'avait pas
prouvé son indigence. Il n'avait en particulier donné aucune indication quant
à la situation financière de sa femme. Une somme de 100'000 francs avait pu
être bloquée dans une banque à Vaduz. Il disposait manifestement, lui-même ou
son entourage, de soutiens financiers conséquents, puisqu'il avait été en
mesure de réunir une caution de 300'000 francs.

C.
X.________ a recouru contre cette décision auprès de la Présidente de la Cour
de justice. Il a notamment expliqué que s'il avait sa pleine capacité de
travail, il pourrait travailler dans une entreprise de construction pour un
salaire de 2'400 euros par mois. Il a également estimé ne pas avoir à fournir
d'informations sur la situation de son épouse ou de son entourage. Il a enfin
sollicité l'apport de la procédure pénale. Le mandataire du recourant a
précisé qu'il n'était pas payé par ce dernier.

La Cour a appointé une audience au 21 mars 2006 en vue d'entendre X.________
et son épouse. Ces derniers ne se sont pas présentés. Le conseil de
X.________ a cependant été entendu. Il a expliqué que les époux vivaient
séparés, et que l'épouse de X.________ aurait ouvert ou serait sur le point
d'ouvrir une crêperie.

D.
Par décision du 27 mars 2006, la Présidente de la Cour de justice a rejeté le
recours. X.________ n'avait pas établi son indigence; le fait qu'il habitât
chez sa grand-mère ne le dispensait pas de son devoir de renseigner
l'autorité. Même s'il n'y avait pas lieu de prendre en considération ses
prélèvements et transferts d'argent ainsi que ses avoirs bancaires
séquestrés, X.________ ne pouvait pas se contenter d'alléguer n'avoir ni
revenus, ni charges. Il n'avait au surplus pas démontré que son épouse ne
serait pas en mesure de prendre en charge les frais de photocopies. La valeur
de la participation de X.________ dans la société Y.________ n'était pas
connue. Il avait réussi à réunir une caution de 300'000 francs en peu de
temps.

E.
Agissant par la voie du recours de droit public, X.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Cour de justice. Il demande
préalablement l'apport de la procédure pénale. Il soutient que la décision
attaquée serait nulle et se plaint d'une violation de la présomption
d'innocence ainsi que du droit à l'assistance juridique. Il invoque également
son droit d'être entendu. Il demande l'assistance judiciaire.

La Présidente de la Cour de justice s'est référée aux considérants de sa
décision. Le Vice-président du Tribunal de première instance ne s'est pas
déterminé.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
1.1 Le refus de l'assistance judiciaire est une décision incidente de nature
à causer un dommage irréparable en tant qu'elle astreint le recourant à
assumer les frais de sa défense pénale. Dès lors, le recours de droit public
est immédiatement ouvert contre une telle décision (art. 87 al. 2 OJ; ATF 125
I 161 consid. 1 p. 162 et les arrêts cités), confirmée en dernière instance
cantonale (art. 86 al. 1 OJ).

1.2 Les pièces nouvelles déposées en annexe du recours, qui ne sont de toute
façon pas pertinentes pour la détermination de l'indigence du recourant, ne
sont pas recevables et doivent être écartées du dossier.

2.
Dans un argument d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, le
recourant fait valoir que la décision attaquée serait nulle, car elle
n'aurait pas été rendue par la personne qui aurait convoqué les parties et
entendu leur conseil.

2.1 Le Tribunal fédéral n'entre en matière que si le recours satisfait aux
exigences de l'art. 90 al. 1 OJ, disposition aux termes de laquelle l'acte de
recours doit contenir un exposé des faits essentiels et un exposé succinct
des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en
quoi consiste la violation (let. b). Selon la jurisprudence, il faut que le
recourant indique de manière claire et explicite en quoi la décision attaquée
pourrait être contraire à ses droits constitutionnels (cf. ATF 129 I 185
consid. 1.6 p. 189; 127 III 279 consid. 1c p. 282; 126 III 534 consid. 1b p.
536; 125 I 71 consid. 1c p. 76).

2.2 Le recourant soutient d'une part que la décision attaquée n'aurait pas
été rendue par la Présidente de la Cour de justice et, d'autre part, que son
auteur ne serait pas la même personne que celle qui aurait convoqué les
parties et entendu leur conseil. La première hypothèse ne repose toutefois
sur aucun indice concret. Quant à la seconde, supposée avérée, le recourant
n'explique pas en quoi cela constituerait un cas de nullité absolue. Le
recourant n'invoque aucune disposition cantonale ou garantie
constitutionnelle qui empêcherait la Présidente de la Cour de justice de
rendre une décision alors que le mandataire du recourant, lequel ne s'était
lui-même pas présenté, aurait été entendu par le Vice-président de la Cour de
justice. Faute de toute démonstration, le grief ne satisfait pas aux
exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ et doit être déclaré irrecevable.

3.
Le recourant reproche à la Présidente de la Cour de justice d'avoir violé son
droit d'être entendu en refusant d'ordonner l'apport de la procédure pénale.
Il réitère sa requête dans son recours de droit public.

3.1 La garantie du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) comprend le
droit pour le justiciable d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de
preuves (cf. ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56; 127 III 576 consid. 2c p. 578).
Le juge peut cependant renoncer à l'administration de certaines preuves,
notamment lorsque les faits dont les parties veulent rapporter l'authenticité
ne sont pas importants pour la solution du litige. Ce refus d'instruire ne
viole leur droit d'être entendues que si l'appréciation anticipée de la
pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a ainsi procédé, est
entachée d'arbitraire (cf. ATF 131 I 153, consid. 3 p. 157; ATF 130 I 425
consid. 2.1 p. 428; 125 I 127 consid. 6c/cc in fine p. 135, 417 consid. 7b p.
430; 124 I 208 consid. 4a p. 211 et les arrêts cités).

3.2 En l'espèce, le recourant se contente d'alléguer que l'autorité de
dernière instance cantonale se serait limitée à reproduire des
"interprétations arbitraires" du juge d'instruction déjà reprises par le
Vice-président du Tribunal de première instance. Le recourant n'indique pas
quelles sont ces "interprétations arbitraires" ni surtout en quoi celles-ci
pouvaient influer sur le sort de la demande d'assistance judiciaire. Le
recourant n'indique pas non plus de quelles pièces du dossier il entend se
prévaloir.

Dès lors qu'il appartient au recourant de démontrer son indigence (cf.
consid. 5.2), la production de l'intégralité du dossier pénal ne se
justifiait de toute façon pas. Dans ces conditions, l'autorité intimée
pouvait donc valablement refuser de faire droit à la requête. Il doit en
aller de même dans la présente procédure.

4.
Le recourant se plaint ensuite d'une violation du principe de la présomption
d'innocence. La décision attaquée reprendrait certaines insinuations
formulées à son encontre dans la procédure pénale.

4.1 Selon la jurisprudence, l'art. 6 par. 2 CEDH, consacrant la présomption
d'innocence, n'interdit pas seulement à l'autorité de prononcer un verdict de
condamnation lorsque la culpabilité de l'accusé ne repose pas sur une
appréciation objective des preuves recueillies (ATF 124 IV 86 consid. 2a p.
88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Cette disposition est aussi violée lorsque
l'autorité de jugement - ou toute autre autorité ayant à connaître de
l'affaire à un titre quelconque - désigne une personne comme coupable d'un
délit, sans réserve et nuance, incitant ainsi l'opinion publique à tenir la
culpabilité pour acquise et préjugeant de l'appréciation des faits par
l'autorité appelée à statuer au fond (arrêt de la Cour européenne des droits
de l'homme du 10 février 1995 dans la cause Allenet de Ribemont c. France,
Série A, vol. 308, par. 35-41). Plus spécifiquement, la présomption
d'innocence est méconnue si, sans établissement légal préalable de la
culpabilité du prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l'occasion
d'exercer ses droits de défense, une décision judiciaire le concernant
"reflète le sentiment qu'il est coupable", et cela "même en l'absence de
constat formel" (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 25 mars
1983 dans la cause Minelli c. Suisse, Série A, vol. 62, par. 37).

4.2 En l'espèce, contrairement à ce qu'affirme le recourant, la Présidente de
la Cour de justice n'a fait aucune référence à l'affectation des fonds
prélevés sur les comptes de la société, pas plus qu'elle ne s'est référée au
fait que la caution aurait été versée en espèces. Bien au contraire, elle a
renoncé à prendre en considération les prélèvements et les transferts
d'argent dans la détermination de l'indigence du recourant. Elle s'est
ensuite contentée de relever que la caution avait été réunie dans un laps de
temps relativement bref. Il n'est dès lors pas nécessaire d'examiner si les
éléments mis en évidence seraient de nature à suggérer la culpabilité du
recourant, puisqu'ils ne sont de toute façon pas à la base de la décision
attaquée. Dans ces circonstances, le grief doit être rejeté.

5.
Sur le fond, le recourant se plaint d'une violation du droit à l'assistance
judiciaire. Il soutient qu'il ne peut être défendu que de manière limitée
sans avoir connaissance des pièces servant de preuves; le juge d'instruction
ne pouvait prendre en considération les différents comptes bancaires; il
invoque son incapacité de travail; les personnes ayant fourni la caution ne
seraient pas tenues à son entretien.

5.1 Le principe, l'étendue et les limites du droit à l'assistance judiciaire
gratuite sont déterminés en premier lieu par le droit cantonal, dont
l'application ne peut être contrôlée par le Tribunal fédéral que sous l'angle
de l'arbitraire. L'art. 29 al. 3 Cst. offre une garantie minimale, dont le
Tribunal fédéral examine librement le respect (ATF 127 I 202 consid. 3a p.
204 s.). Il ne revoit cependant que sous l'angle de l'arbitraire les
constatations de fait sur lesquelles repose la décision attaquée (ATF 127 I
202 consid. 3a p. 204 s.; 125 II 265 consid. 4b p. 275; 124 I 304 consid. 2c
p. 306 s.). Le droit genevois n'offre pas de protection plus étendue que
l'art. 29 al. 3 Cst. (Bernard Corboz, Le droit constitutionnel à l'assistance
judiciaire, SJ 2003 II 67, p. 70), de sorte que les griefs du recourant
doivent être exclusivement examinés à la lumière de l'art. 29 al. 3 Cst. (ATF
127 I 202 consid. 3a et b p. 204/205; 124 I 1 consid. 2 p. 2; 122 I 8 consid.
2a p. 9, 267 consid. 1b p. 270 et les arrêts cités).

5.2 Selon l'art. 29 al. 3 Cst., tout inculpé qui ne dispose pas de ressources
suffisantes a droit à l'assistance judiciaire. Une personne est dans le
besoin lorsqu'elle ne bénéficie pas de moyens lui permettant d'assumer les
frais de procédure prévisibles, sans porter atteinte à son minimum vital ou à
celui de sa famille (ATF 128 I 225 consid. 2.3 p. 227; 127 I 202 consid. 3b
p. 205 et les arrêts cités).

Si le requérant ne fournit pas des renseignements suffisants, pièces à
l'appui, pour permettre d'avoir une vision complète de sa situation
financière, la requête peut être rejetée (ATF 125 IV 161 consid. 4 p. 164).
Plus la situation est complexe, plus les informations doivent être claires et
détaillées (ATF 120 Ia 179 consid. 3a p. 182). Il convient également de tenir
compte des personnes qui ont à l'égard du requérant une obligation
d'entretien, notamment en vertu d'un devoir d'assistance de la famille (ATF
127 I 202 consid. 3c p. 206; 119 Ia 11 consid. 3a p. 12; 108 Ia consid. 3 p.
10). En revanche, il ne faut pas prendre en considération une fortune dont le
requérant ne peut pas disposer en temps utile, notamment en raison de mesures
officielles de blocage (ATF 118 Ia 369 consid. 4b p. 371).

5.3 En l'espèce, la Cour de justice a principalement motivé sa décision par
le refus de collaborer du recourant à l'établissement de sa situation
financière. Il ressort en effet du dossier qu'à l'appui de sa requête
initiale, le recourant n'a produit que deux factures impayées et un relevé de
compte. Pendant la procédure de recours, il a aussi produit les certificats
médicaux attestant de son incapacité de travail. Il a ensuite justifié ses
arriérés de loyers ainsi que le redressement fiscal en France et donné des
indications quant au salaire qu'il pourrait obtenir en cas de guérison. Il a
indiqué le nom des personnes qui avaient contribué au paiement de la caution,
sans davantage de précisions. Toutes les autres dettes alléguées ne sont en
revanche pas établies par pièce. Il n'existe aucun document des
administrations fiscales suisses. Le recourant n'a pas non plus fourni
d'indications quant à la quote-part de sa participation dans la société
Y.________. Enfin, quand bien même l'attention du recourant a été attirée dès
le début de la procédure sur ce point, il n'a jamais fourni d'informations
sur la situation financière de son épouse. Or, en vertu de la jurisprudence
qui vient d'être rappelée, l'épouse du recourant a une obligation
d'entretien, ce qui impose l'examen de sa situation financière. Le recourant
a cependant fait clairement savoir qu'il n'entendait donner aucune
information à ce sujet, estimant que son épouse était totalement étrangère à
la présente cause. Il s'est contenté de préciser que cette dernière n'aurait
que peu de moyens et qu'elle aurait ouvert une crêperie ou serait sur le
point de le faire.
Dans ces circonstances, l'autorité cantonale pouvait valablement considérer
que le recourant n'avait pas suffisamment collaboré à l'établissement de sa
situation économique et de celle de son épouse, ce que le recourant ne
conteste au demeurant pas dans son acte de recours. Elle pouvait aussi
prendre en considération le fait que le montant de la caution avait été réuni
dans un laps de temps très bref, car le recourant, en n'indiquant que le nom
des personnes qui avaient contribué au paiement de la caution, n'avait pas
prouvé la réalité de ces versements, ce qu'il aurait cependant pu faire sans
grande difficulté.

Le refus de fournir gratuitement une copie intégrale du dossier de la
procédure pénale ne constitue d'ailleurs pas une atteinte excessive aux
droits de la défense, car le mandataire du recourant est déjà en possession
de tous les procès-verbaux d'audience qui lui ont été remis gratuitement et
il a de toute manière la possibilité de consulter le dossier. La décision
attaquée ne viole pas, par conséquent, le droit découlant de l'art. 29 al. 3
Cst.

6.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans la mesure
où il est recevable. La demande d'assistance judiciaire doit également être
rejetée, car, outre que le recourant n'a pas démontré son indigence, ses
conclusions paraissaient d'emblée vouées à l'échec (art. 152 al. 1 OJ).

Le recourant, qui succombe, doit supporter l'émolument judiciaire (art. 153,
153a et 156 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit public est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.

3.
Un émolument de 1'000 fr. est mis à la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Vice-président du Tribunal de première instance et à la Présidente de la Cour
de justice de la République et canton de Genève.

Lausanne, le 15 juin 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: