Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.215/2006
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1P.215/2006 /col

Arr t du 5 mai 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges F raud, Pr sident,
Aemisegger et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.

A. ________,
recourant, repr sent  par Me Vincent Spira, avocat,

contre

Minist re public du canton de Gen ve, Palais de Justice, place du
Bourg-de-Four 1, 1204 Gen ve,
Chambre d'accusation du canton de Gen ve,
case postale 3108, 1211 Gen ve 3.

refus de mise en libert  provisoire,

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du
canton de Gen ve du 4 avril 2006.

Faits:

A.
A. ________ a  t  arr t  le 14 juin 2004 dans le cadre d'une instruction
p nale ouverte   la suite du d c s de B.________, tu  par balle le 13 juin
2004   Gen ve, ainsi que d'une bagarre survenue le m me jour   Renens et au
cours de laquelle C.________ a  t  gri vement bless . Le Juge d'instruction
genevois en charge de la proc dure a inculp  A.________ de l sions
corporelles graves, d'agression et de complicit  d'assassinat. Par ordonnance
du 7 octobre 2005, la Chambre d'accusation du canton de Gen ve (ci-apr s: la
Chambre d'accusation) a renvoy  A.________ devant la Cour d'assises du canton
de Gen ve pour l sions corporelles graves, meurtre ou assassinat,
subsidiairement tentative de meurtre ou d'assassinat et conduite d'un
v hicule automobile sans permis.
Par arr t du 28 janvier 2006, la Cour d'assises a condamn  A.________   une
peine d'emprisonnement de vingt-quatre mois pour omission de pr ter secours
et conduite d'un v hicule automobile sans permis. Elle a  galement r voqu  le
sursis accord  le 3 f vrier 2003 par le Tribunal de police de Gen ve pour une
peine de dix-huit mois d'emprisonnement sous d duction de huit mois et
vingt-quatre jours de d tention pr ventive. Tant A.________ que le Procureur
g n ral du canton de Gen ve se sont pourvus en cassation contre cet arr t,
conform ment aux art. 338 ss du code de proc dure p nale genevois (CPP/GE).
Par ordonnance du 17 mars 2006, la Chambre d'accusation a rejet  une requ te
de mise en libert  d pos e par A.________, retenant notamment l'existence
d'un risque de r it ration. A.________ a retir  son pourvoi en cassation le
20 mars 2006.

B.
Le 28 mars 2006, A.________ a d pos  une nouvelle requ te de mise en libert 
provisoire. La Chambre d'accusation l'a rejet e par ordonnance du 4 avril
2006, consid rant en substance que les mesures d'encadrement et de traitement
propos es n' taient pas suffisantes pour pallier le risque de r it ration. De
plus, le principe de la proportionnalit   tait respect  eu  gard   la peine
prononc e par la Cour d'assises, celle-ci  tant susceptible d' tre prolong e
en raison du pourvoi en cassation d pos  par le Procureur g n ral.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal f d ral d'annuler cet arr t et d'ordonner sa mise en libert 
provisoire. Il invoque une violation de l'art. 10 Cst. et se plaint
implicitement d'une appr ciation arbitraire des faits et d'une application
arbitraire des r gles cantonales de proc dure (art. 9 Cst.). Il requiert en
outre l'assistance judiciaire gratuite. La Chambre d'accusation a renonc   
formuler des observations. Le Procureur g n ral du canton de Gen ve s'est
d termin ; il conclut au rejet du recours. A.________ a renonc    pr senter
des observations compl mentaires.

Le Tribunal f d ral consid re en droit:

1.
Form  en temps utile contre une d cision finale prise en derni re instance
cantonale et qui touche le recourant dans ses int r ts juridiquement
prot g s, le recours est recevable au regard des art. 84 ss OJ. Par exception
  la nature cassatoire du recours de droit public, la conclusion du recourant
tendant   ce que le Tribunal f d ral mette fin   sa d tention pr ventive est
recevable (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 333).

2.
Une mesure de d tention pr ventive n'est compatible avec la libert 
personnelle, garantie par les art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH, que si elle
repose sur une base l gale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'esp ce
l'art. 34 CPP/GE (cf.  galement l'art. 27 Cst./GE). Elle doit en outre
correspondre   un int r t public et respecter le principe de la
proportionnalit  (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270).
Pour que tel soit le cas, la privation de libert  doit  tre justifi e par les
besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de
r it ration (cf. art. 34 let. a   c CPP/GE). La gravit  de l'infraction - et
l'importance de la peine encourue - n'est,   elle seule, pas suffisante (ATF
125 I 60 consid. 3a p. 62; 117 Ia 70 consid. 4a). Pr alablement   ces
conditions, il doit exister   l' gard de l'int ress  des charges suffisantes
(art. 5 par. 1 let. c CEDH; ATF 116 Ia 144 consid. 3; art. 34 in initio
CPP/GE). S'agissant d'une restriction grave   la libert  personnelle, le
Tribunal f d ral examine librement ces questions, sous r serve toutefois de
l'appr ciation des preuves, revue sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF
123 I 268 consid. 2d p. 271; pour la d finition de l'arbitraire, cf. art. 9
Cst. et ATF 131 I 217 consid. 2.1 p. 219, 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 128 I 273
consid. 2.1 p. 275). L'autorit  cantonale dispose ainsi d'une grande libert 
dans l'appr ciation des faits (ATF 114 Ia 283 consid. 3, 112 Ia 162 consid.
3b).
En l'esp ce, le recourant ne remet pas en cause la base l gale sur laquelle
repose la d tention pr ventive et ne conteste pas l'existence de charges
suffisantes   son encontre. Il nie cependant l'existence d'un risque de
r it ration. Sous l'angle de la proportionnalit , il critique  galement la
dur e de sa d tention.

3.
Dans un premier moyen, le recourant conteste l'existence d'un risque de
r cidive propre   justifier son maintien en d tention pr ventive. Il expose
en substance qu'il n'a plus de contacts avec les personnes qui exer aient une
mauvaise influence sur lui, qu'il a entrepris en d tention un "travail
th rapeutique individuel" et qu'il souhaite suivre un traitement   sa sortie
de prison. Enfin, son oncle et sa tante seraient en mesure de lui fournir un
encadrement ad quat.

3.1 L'autorit  appel e   statuer sur la mise en libert  provisoire d'un
d tenu peut, en principe, maintenir celui-ci en d tention s'il y a lieu de
pr sumer, avec une certaine vraisemblance, qu'il existe un danger de
r cidive. Elle doit cependant faire preuve de retenue dans l'appr ciation
d'un tel risque (ATF 105 Ia 26 consid. 3c p. 31). Selon la jurisprudence, le
maintien en d tention ne peut se justifier pour ce motif que si le pronostic
est tr s d favorable et que les d lits dont l'autorit  redoute la r it ration
sont graves (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 361 consid. 5 p. 367; 124 I 208
consid. 5 p. 213; 123 I 268 consid. 2c p. 270 et les arr ts cit s). La
jurisprudence se montre toutefois moins stricte dans l'exigence de
vraisemblance lorsqu'il s'agit de d lits de violence graves ou de d lits
sexuels, car le risque   faire courir aux victimes potentielles est alors
consid r  comme trop important (ATF 123 I 268 consid. 2e p. 271). Le principe
de la proportionnalit  impose en outre   l'autorit  qui estime se trouver en
pr sence d'une probabilit  s rieuse de r it ration d'examiner si l'ordre
public pourrait  tre sauvegard  par d'autres moyens que le maintien en
d tention, tels que la mise en place d'une surveillance m dicale,
l'obligation de se pr senter r guli rement   une autorit  ou l'instauration
d'autres mesures d'encadrement (ATF 123 I 268 consid. 2c in fine p. 271 et
les arr ts cit s).

3.2 En l'esp ce, la Chambre d'accusation consid re que les  l ments avanc s
par le recourant ne sont pas suffisants pour pr venir un risque de r cidive;
elle n'expose cependant pas de mani re satisfaisante sur quels faits elle se
fonde pour retenir l'existence d'un tel risque. A cet  gard, elle se contente
de rejeter les arguments du recourant, sans expliquer pour quelles raisons le
pronostic concernant son comportement futur serait d favorable. De plus,
c'est de mani re erron e qu'elle affirme qu'un risque de r it ration concret
d coule "de ses pr c dentes condamnations pour des faits de m me nature"; en
effet, ces condamnations avaient essentiellement pour objet des l sions
corporelles, alors qu'en l'esp ce - bien que l'acte d'accusation  mentionne
des infractions de l sions corporelles graves, de meurtre ou d'assassinat -
le recourant a  t  condamn  pour omission de pr ter secours et conduite d'un
v hicule automobile sans permis. Dans ces circonstances, la d cision attaqu e
ne permet pas de discerner quels sont les actes d lictueux dont les autorit s
craignent la r it ration, ni sur quels  l ments concrets repose le risque de
r cidive. Ces informations sont pourtant n cessaires pour  viter des
incertitudes pr judiciables   la d fense des int r ts du recourant et pour
assurer une saine administration de la justice. Il y a donc lieu de constater
que la Chambre d'accusation n'a pas satisfait   son devoir de motivation, de
sorte qu'il se justifie d'annuler la d cision attaqu e et de lui renvoyer la
cause   charge pour elle de statuer   nouveau par un prononc  suffisamment
motiv    cet  gard.

4.
Dans un second grief, le recourant expose que sa d tention pr ventive est
disproportionn e en raison de sa dur e.

4.1 En vertu des art. 31 al. 3 Cst. et 5   3 CEDH, le pr venu doit  tre
lib r  lorsque la dur e de la d tention pr ventive se rapproche de la peine
privative de libert  qui sera  ventuellement prononc e (ATF 128 I 149 consid.
2.2 p. 151; 126 I 172 consid. 5a p. 176 s.; 107 Ia 256 consid. 2 et 3 p. 257
ss et les r f rences). Cette dur e probable de la peine doit  tre  valu e
avec la plus grande prudence, car il faut  viter que le juge du fond ne soit
incit    prononcer une peine excessive pour la faire co ncider avec la
d tention pr ventive   imputer (ATF 124 I 208 consid. 6 p. 215; 116 Ia 143
consid. 5a p. 147). La dur e de la d tention pr ventive s'appr cie au regard
de l'ensemble des circonstances concr tes du cas d'esp ce (ATF 124 I 208
consid. 6 p. 215; 123 I 268 consid. 3a p. 273; arr ts de la Cour europ enne
des droits de l'homme Contrada c. Italie, du 24 ao t 1998, par. 54; W. c.
Suisse, du 26 janvier 1993, S rie A, vol. 254, par. 30).
En principe, il n'y a pas lieu de tenir compte de la possibilit  d'une
lib ration conditionnelle selon l'art. 38 CP. Une exception   cette r gle est
n anmoins justifi e si une appr ciation des circonstances concr tes permet
d'embl e d'aboutir   la conclusion que, selon toute vraisemblance, les
conditions de l'art. 38 ch. 1 al. 1 CP sont r alis es (cf. arr ts non publi s
1P.18/2005 du 31 janvier 2005 consid. 1; 1P.75/2004 du 1er mars 2004, consid.
2.5; 1P.752/1993 du 24 d cembre 1993, consid. 3c). Par ailleurs, dans la
situation particuli re o  la d tention est prolong e durant la proc dure de
recours cantonale contre un jugement de condamnation, alors qu'elle d passe
d j  les deux tiers de la peine privative de libert  prononc e, un pronostic
sur l'application de l'art. 38 CP est indispensable (cf. arr ts non publi s
1P.18/2005 du 31 janvier 2005, consid. 2; 1P.246/2000 du 11 mai 2000, consid.
2; 1P.611/1998 du 17 d cembre 1998, consid. 4).

4.2 En l'esp ce, le recourant a  t  condamn    vingt-quatre mois
d'emprisonnement par la Cour d'assises, qui a  galement r voqu  un sursis qui
lui avait  t  octroy  pour une peine de dix-huit mois d'emprisonnement. La
peine de vingt-quatre mois est susceptible d' tre aggrav e, d s lors que le
Procureur g n ral a d pos  un pourvoi, qui est actuellement pendant devant la
Cour de cassation (art. 356 al. 2 CPP/GE a contrario). A ce jour, le
recourant a effectu  un an, dix mois et une vingtaine de jours de d tention
pr ventive dans le cadre de la proc dure en cours. Ainsi, nonobstant une
 ventuelle aggravation de la peine, la dur e de la d tention pr ventive subie
par le recourant est tr s proche du maximum admissible au regard du principe
de la proportionnalit . Au demeurant, en fonction de l'arr t de la Cour
d'assises, la dur e de la d tention pr ventive atteint les deux tiers de la
peine; conform ment   la jurisprudence pr cit e, un pronostic sur
l'application de l'art. 38 CP est donc indispensable. Dans ces conditions, la
Chambre d'accusation est tenue d'examiner au moins bri vement cette question.
Si elle estime que des risques de r it ration ne permettent pas la mise en
libert  provisoire, elle doit transmettre le cas   la Commission de
lib ration conditionnelle ou veiller d'une autre mani re   une application
coordonn e de l'art. 38 CP et des dispositions des art. 151 ss CPP/GE (cf.
arr ts pr cit s 1P.18/2005, consid. 2 et 1P.611/1998, consid. 4b). Ainsi, sur
la base de la d cision de la Chambre d'accusation, trop sommairement motiv e,
la prolongation de la d tention du recourant appara t non conforme aux
garanties constitutionnelles en cette mati re. Cette ordonnance doit donc
 tre annul e pour ce motif  galement.

5.
Il ne r sulte pas n cessairement de l'annulation de l'ordonnance querell e
que le recourant doive  tre imm diatement remis en libert . En effet, un
risque de r it ration ne peut pas d'embl e  tre exclu,  tant pr cis  que la
gravit  des actes de violence dans lesquels le recourant a  t  impliqu 
justifie une certaine prudence dans l'appr ciation de ce risque (cf. supra
consid. 3; ATF 123 I 268 consid. 2e p. 271). Il incombera n anmoins   la
Chambre d'accusation de statuer   nouveau sur la demande de mise en libert 
provisoire,   tr s br ve  ch ance et par une ordonnance suffisamment motiv e.

6.
Il s'ensuit que le recours de droit public doit  tre partiellement admis.  Il
n'y a pas lieu de percevoir un  molument judiciaire (art. 156 al. 2 OJ). Le
recourant, assist  d'un avocat, a droit   des d pens,   la charge de l'Etat
de Gen ve (art. 159 al. 1 et 2 OJ). Dans ces conditions, sa demande
d'assistance judiciaire est sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal f d ral prononce:

1.
Le recours est admis partiellement.

2.
La demande de mise en libert  provisoire est rejet e.

3.
Il n'est pas per u d' molument judiciaire.

4.
L'Etat de Gen ve versera au recourant une indemnit  de 1500 fr.   titre de
d pens.

5.
Le pr sent arr t est communiqu  en copie au mandataire du recourant, au
Procureur g n ral et   la Chambre d'accusation du canton de Gen ve.

Lausanne, le 5 mai 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal f d ral suisse

Le pr sident:  Le greffier: