Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.165/2006
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1P.165/2006 /col

Arrêt du 19 avril 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.

A. ________,
recourant, représenté par Me Olivier Klunge, avocat-stagiaire,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Chambre d'accusation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.

prolongation de la détention préventive,

recours de droit public contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du
canton de Genève du 7 mars 2006.

Faits:

A.
A. ________, ressortissant français né le 13 juillet 1980, a été arrêté le 4
décembre 2005 à la suite d'une altercation survenue à Genève, au cours de
laquelle B.________ aurait été blessé au cou par un objet tranchant. La Juge
d'instruction en charge de la procédure a inculpé A.________ de tentative
d'assassinat, subsidiairement de tentative de meurtre, et l'a placé en
détention préventive.
Le 9 décembre 2005, la Chambre d'accusation du canton de Genève (ci-après: la
Chambre d'accusation) a prolongé la détention préventive pour une durée de
trois mois, en raison notamment du risque de collusion avec les témoins et du
risque de fuite.

B.
Le 6 mars 2006, la Juge d'instruction a requis une nouvelle prolongation de
la détention préventive, afin d'entendre de nouveaux témoins et dans
l'attente d'informations sur la gravité des blessures subies par B.________;
elle invoquait en outre la persistance du danger de collusion et du risque de
fuite, eu égard à la nationalité et au domicile français du prévenu. Au cours
de l'audience du 7 mars 2006 devant la Chambre d'accusation, le conseil de
A.________ a sollicité oralement sa mise en liberté provisoire sous caution.
Par ordonnance du 7 mars 2006, la Chambre d'accusation a autorisé la
prolongation de la détention préventive de A.________ pour une durée d'un
mois en raison des motifs invoqués par la Juge d'instruction, en insistant
sur le risque de fuite. Elle précisait également, en substance, qu'elle ne
pouvait entrer en matière au sujet de la libération sous caution, dans la
mesure où A.________ n'avait pas déposé de demande formelle de mise en
liberté.

C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cette décision. Il invoque une violation des art.
10 al. 2, 29 al. 2 et 31 Cst. et de l'art. 5 par. 3 CEDH. Il requiert en
outre l'assistance judiciaire gratuite. La Chambre d'accusation et le
Procureur général du canton de Genève se sont déterminés; ils concluent au
rejet du recours. A.________ a présenté des observations complémentaires.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recours de droit public est formé contre un arrêt final rendu en dernière
instance cantonale, pour violation de droits constitutionnels (art. 84 al. 1
let. a et 86 al. 1 OJ). Le recourant, personnellement touché par l'arrêt
attaqué qui autorise la prolongation pour un mois de sa détention préventive,
a qualité pour contester ce prononcé (art. 88 OJ). Les autres conditions de
recevabilité étant réunies, il convient d'entrer en matière.

2.
Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté
personnelle, garantie par les art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH, que si elle
repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce
l'art. 34 du code de procédure pénale genevois (CPP/GE; cf. également l'art.
27 Cst./GE). Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter
le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; ATF 123 I 268
consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit
être justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un
danger de collusion ou de réitération (cf. art. 34 let. a à c CPP/GE). La
gravité de l'infraction - et l'importance de la peine encourue - n'est, à
elle seule, pas suffisante (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62; 117 Ia 70 consid.
4a). Préalablement à ces conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé
des charges suffisantes (art. 5 par. 1 let. c CEDH; ATF 116 Ia 144 consid. 3;
art. 34 in initio CPP/GE). S'agissant d'une restriction grave à la liberté
personnelle, le Tribunal fédéral examine librement ces questions, sous
réserve toutefois de l'appréciation des preuves, revue sous l'angle restreint
de l'arbitraire (ATF 123 I 268 consid. 2d p. 271). L'autorité cantonale
dispose ainsi d'une grande liberté dans l'appréciation des faits (ATF 114 Ia
283 consid. 3, 112 Ia 162 consid. 3b).

3.
Le recourant ne conteste pas l'existence de charges suffisantes et ne remet
pas en cause le danger de collusion et le risque de fuite. Sous l'angle de la
proportionnalité, il ne se plaint pas non plus de la durée  de la détention,
mais, invoquant une violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2
Cst.), il reproche à l'autorité attaquée de n'avoir pas examiné, au cours de
l'audience de prolongation de détention, les possibilités de le mettre en
liberté moyennant le versement de sûretés. Il y a toutefois lieu de relever
que la Chambre d'accusation ne s'est pas prononcée sur ce point en raison de
l'absence de demande formelle de mise en liberté, de sorte que ce grief se
confond avec celui tiré de l'interdiction du formalisme excessif, également
soulevé par le recourant.

3.1 Selon la jurisprudence, il y a formalisme excessif, constitutif d'un déni
de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst., lorsque la stricte
application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de
protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable la
réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux
tribunaux. L'excès de formalisme peut résider soit dans la règle de
comportement imposée au justiciable par le droit cantonal, soit dans la
sanction qui lui est attachée (ATF 128 II 139 consid. 2a p. 142; 127 I 31
consid. 2a/bb p. 34; 125 I 166 consid. 3a p. 168 et les références citées).
En tant qu'elle sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans
ses relations avec le justiciable, l'interdiction du formalisme excessif
poursuit le même but que le principe de la bonne foi déduit des art. 5 al. 3
et 9 Cst. (Jean-François Egli, La protection de la bonne foi dans le procès,
in: Juridiction constitutionnelle et Juridiction administrative, Recueil de
travaux publiés sous l'égide de la Ire Cour de droit public du Tribunal
fédéral suisse, Zurich 1992, p. 226).

3.2 Dans le canton de Genève, la protection du prévenu détenu est double.
D'une part, à l'expiration du mandat d'arrêt d'une durée de huit jours (art.
35 al. 1 CPP/GE), la détention ne peut être prolongée que sur décision de la
Chambre d'accusation, lorsque les circonstances font apparaître cette mesure
comme indispensable (art. 35 al. 2 CPP/GE). Cette prolongation ne peut être
ordonnée que pour une durée de trois mois au maximum; elle peut être
renouvelée aux mêmes conditions (art. 35 al. 3 CPP/GE). D'autre part,
l'inculpé peut, en tout état de cause, demander sa mise en liberté en
adressant une requête écrite soit au juge d'instruction, soit directement à
la Chambre d'accusation (art. 151 al. 2 CPP/GE). Celle-ci statue sur la
requête "dans sa plus prochaine audience utile" (art. 153 al. 3 CPP/GE).

3.2.1 La mise en liberté provisoire peut être accordée moyennant sûretés ou
obligations (art. 155 CPP/GE), dont le but est de garantir la présence de
l'inculpé aux actes de la procédure et sa soumission au jugement (art. 156
al. 1 CPP/GE). Ces dispositions correspondent à l'art. 5 par. 3, dernière
phrase, CEDH, à teneur duquel la mise en liberté peut être subordonnée à une
garantie assurant la comparution de l'inculpé à l'audience. Comme succédané
de la détention préventive, la mise en liberté sous caution ou moyennant le
versement de sûretés est une application du principe de la proportionnalité
(ATF 107 Ia 206 consid. 2a p. 208). Lorsque cela est possible, elle doit donc
remplacer la détention, qui ne peut être maintenue qu'en tant qu'ultima ratio
(cf. ATF 123  I 268 consid. 2c p. 271).
La libération moyennant sûretés implique un examen approfondi, qui demande
une certaine collaboration de la part du prévenu, dès lors que le caractère
approprié de la garantie doit être apprécié notamment "par rapport à
l'intéressé, à ses ressources, à ses liens avec les personnes appelées à
servir de cautions et pour tout dire à la confiance qu'on peut avoir que la
perspective de perte du cautionnement ou de l'exécution des cautions en cas
de non-comparution à l'audience agira sur lui comme un frein suffisant pour
éviter toute velléité de fuite" (ATF 105 Ia 186 consid. 4a p. 187, citant
l'arrêt rendu le 27 juin 1968 par la Cour européenne des droits de l'homme
dans l'affaire Neumeister c. Autriche, Série A, vol. 7, par. 14; cf. arrêt
1P.657/2000 du 9 novembre 2000, consid. 4c). Il convient également de faire
preuve de prudence quant à l'origine des fonds proposés comme sûretés (cf.
arrêt 1P.570/2003 du 20 octobre 2003 consid. 2.2.1 et les références, arrêt
de la Cour européenne des droits de l'homme Punzelt c. République tchèque, du
25 avril 2000, par. 85 ss).

3.2.2 La Chambre d'accusation est tenue d'examiner le respect du principe de
la proportionnalité lorsqu'elle statue sur la prolongation de la détention
préventive, qui ne peut être autorisée que si les circonstances font
apparaître cette mesure comme indispensable (art. 35 al. 2 CPP/GE;
Dinichert/Bertossa/Gaillard, Procédure pénale genevoise, in SJ 1986 p. 484).
Sur le plan organisationnel, il y lieu de relever que cette autorité statue
deux fois par semaine - tous les mardis et vendredis - sur les demandes de
prolongation de la détention et sur les requêtes de mise en liberté. Ces
dernières, qui peuvent être déposées en tout temps (art. 151 al. 2 CPP/GE),
sont examinées lors de la prochaine audience (art. 153 al. 3 CPP/GE) à
condition d'être déposées au plus tard la veille à midi (cf. observations du
29 mars 2006 de la Chambre d'accusation). Le Tribunal fédéral a déjà pu
constater le bon fonctionnement et la célérité de cette pratique cantonale
bien établie (cf. par exemple les arrêts 1P.570/2003 du 20 octobre 2003;
1P.429/2002 du 23 septembre 2002).

3.3 S'il est vrai que la Chambre d'accusation doit examiner la question de la
proportionnalité lorsqu'elle prolonge la détention préventive, on ne saurait
lui imposer de se prononcer sur la mise en liberté moyennant sûretés sans une
certaine participation du prévenu. Celui-ci est en effet tenu de collaborer
pour établir les éléments permettant d'apprécier si la garantie offerte est
appropriée (cf. supra consid. 3.2.1). Dans ces circonstances, l'exigence
d'une requête de mise en liberté écrite déposée préalablement à l'une des
deux audiences hebdomadaires de la Chambre d'accusation ne constitue pas une
mesure de nature chicanière, qui serait une fin en soi. La forme écrite donne
au contraire au requérant l'occasion de formuler et de motiver soigneusement
sa requête, en déposant les pièces utiles, tout en permettant à l'autorité
d'en prendre connaissance à l'avance et de statuer lors de la prochaine
audience sur la base d'un dossier clair et complet. Le grief du recourant
apparaît d'autant moins pertinent que celui-ci ne prétend pas avoir proposé,
lors de l'audience du 7 mars 2006, de montant déterminé à titre de sûretés,
ni donné le nom de personnes pouvant lui servir de caution, ni déposé de
pièces à cet égard. Le fait que l'intéressé ait été mis au bénéfice de
l'assistance judiciaire en raison de l'insuffisance de ses revenus et de sa
fortune  pour couvrir les frais de la procédure (cf. art. 143A de la loi
cantonale sur l'organisation judiciaire) rendait pourtant ces informations
encore plus importantes, dans la mesure où il pouvait apparaître d'emblée
douteux qu'il fût en mesure de fournir des sûretés.
Au demeurant, les particularités de la procédure pénale genevoise,  notamment
la tenue systématique de deux audiences par semaine, ne permettent pas de
retenir que l'exigence du dépôt préalable d'une requête en la forme écrite
complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou qu'elle
entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux. En l'occurrence, il
aurait en effet suffit au recourant de déposer une requête écrite le lundi 6
mars 2006 avant midi pour que la question soit examinée à l'audience du
lendemain, ou de le faire à l'issue de cette audience pour que la question
soit examinée quelques jours plus tard, soit le vendredi 10 mars 2006. On
peut au surplus relever que de telles démarches lui auraient en tout cas
permis d'obtenir une décision de l'autorité cantonale plus rapidement que par
une éventuelle admission du présent recours de droit public.
Ainsi, en refusant d'entrer en matière sur la mise en liberté moyennant
sûretés faute de requête déposée en la forme écrite, l'autorité attaquée n'a
pas fait preuve de formalisme excessif, de sorte qu'il y a lieu de rejeter
les griefs soulevés contre l'ordonnance querellée.

4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. Les conditions posées à l'art.
152 al. 1 OJ étant réunies, il convient de faire droit à la demande
d'assistance judiciaire présentée par le recourant et de statuer sans frais.
Me Olivier Klunge, en sa qualité d'avocat-stagiaire, ne saurait prétendre à
des honoraires pour la défense d'office (cf. arrêt 1P.495/2005 du 14
septembre 2005 consid. 3; Thomas Geiser/Peter Münch (éd.), Handbücher für die
Anwaltpraxis, vol. 1, Prozessieren vor Bundesgericht, 2e éd., Bâle 1998, n.
1.40 p. 19; Jean-François Poudret, Commentaire de la loi fédérale
d'organisation judiciaire, Berne 1992, vol. V, n. 7 ad art. 152, p. 126). Les
autorités concernées n'ont pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demande d'assistance judiciaire est admise.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 19 avril 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: