Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.15/2006
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1P.15/2006/col

Arrêt du 16 février 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aemisegger, Juge présidant,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Parmelin.

A. ________,
recourant, représenté par Me Vincent Spira, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale 3108, 1211
Genève 3.

procédure pénale; ordonnance d'une expertise psychiatrique,

recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre pénale de la Cour de
justice du canton de Genève
du 9 décembre 2005.

Faits:

A.
Par arrêt du 7 février 2003, la Cour d'assises du canton de Genève a condamné
A.________ pour meurtre à huit ans de réclusion et à son expulsion du
territoire suisse pour une durée de dix ans, sous déduction de la détention
préventive subie de trois ans, huit mois et vingt jours; elle a en outre
suspendu l'exécution de la peine et ordonné un traitement en milieu
hospitalier.

A. ________ a été hospitalisé le 25 mars 2003 à la Clinique Belle-Idée, à
Chêne-Bourg, d'où il a fugué le 9 août 2003. Il a été interpellé le 2
septembre 2003 à Genève et incarcéré à la prison de Champ-Dollon, en raison
des menaces de mort qu'il aurait proférées en juin 2003 à l'encontre de son
ex-épouse et de son ex-belle-fille.
Le 12 septembre 2003, le Procureur général du canton de Genève a, à raison de
ces faits nouveaux, saisi la Chambre pénale de la Cour de justice du canton
de Genève d'une requête en vue de modifier la mesure d'hospitalisation en un
internement. Le 16 décembre 2003, il a modifié ses conclusions et requis
l'exécution du solde de la peine suspendue, assortie d'un traitement
ambulatoire.
Par arrêt du 6 février 2004, la Chambre pénale a ordonné l'internement de
A.________ en application de l'art. 43 ch. 1 al. 2 CP. La Cour de cassation
genevoise a confirmé ce jugement au terme d'un arrêt rendu le 29 octobre 2004
que le Tribunal fédéral a annulé en date du 22 mars 2005 au motif que la
motivation retenue ne suffisait pas pour justifier une mesure aussi grave; la
cause a été renvoyée à l'autorité cantonale pour nouveau jugement.
Statuant le 25 avril 2005, la Cour de cassation a annulé l'arrêt de la
Chambre pénale du 6 février 2004 et lui a renvoyé la cause pour nouvelle
décision. La Chambre pénale a entendu les parties à l'audience de plaidoiries
du 20 juin 2005. Par arrêt préparatoire du 9 décembre 2005, elle a ordonné
une nouvelle expertise psychiatrique de A.________ qu'elle a confiée à deux
professeurs et un médecin du Département de psychiatrie du Centre Hospitalier
Universitaire Vaudois, à Lausanne, à charge pour ces derniers de déposer leur
rapport commun d'ici au 30 avril 2006.

B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au
Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de renvoyer la cause à la Chambre
pénale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il se plaint
d'arbitraire et de la violation du droit à ce que sa cause soit traitée dans
un délai raisonnable. Il requiert l'assistance judiciaire.
Le Procureur général conclut au rejet du recours. La Chambre pénale se réfère
aux considérants de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
de droit public qui lui sont soumis (ATF 131 I 153 consid. 1 p. 156 et les
arrêts cités).
En vertu de l'art. 86 al. 1 OJ, un tel recours n'est en principe recevable
qu'à l'encontre des décisions finales prises en dernière instance cantonale.
Selon l'art. 87 OJ, il l'est contre les décisions préjudicielles et
incidentes sur la compétence et sur les demandes de récusation, prises
séparément. Ces décisions ne peuvent être attaquées ultérieurement (al. 1).
Le recours de droit public est recevable contre d'autres décisions
préjudicielles et incidentes prises séparément s'il peut en résulter un
préjudice irréparable (al. 2); lorsque le recours de droit public n'est pas
recevable selon l'alinéa 2 ou qu'il n'a pas été utilisé, les décisions
préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées avec la décision finale
(al. 3).
La décision attaquée ne met pas fin à la procédure pénale dirigée contre le
recourant; il s'agit d'une décision incidente, qui ne peut être attaquée
immédiatement devant le Tribunal fédéral que si elle est susceptible de
causer au recourant un préjudice irréparable, par quoi l'on entend un dommage
juridique qu'une décision finale favorable ne ferait pas disparaître
complètement. En revanche, un dommage de pur fait, tel que la prolongation de
la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est pas considéré
comme un dommage irréparable (ATF 131 I 57 consid. 1 p. 59 et les arrêts
cités). Il appartient au recourant non seulement d'alléguer, mais aussi
d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un dommage
irréparable, à moins que celui-ci ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 116 II
80 consid. 2c in fine p. 84).
Selon la jurisprudence, les décisions relatives à l'administration des
preuves ne sont en principe pas de nature à entraîner un préjudice
irréparable (ATF 99 Ia 437 consid. 1 p. 438 et les arrêts cités), qu'il
s'agisse de décisions refusant ou, comme en l'espèce, ordonnant la mise en
oeuvre d'un moyen de preuve déterminé (cf. ATF 96 I 292 consid. 1 p. 295,
concernant l'ordonnance d'une expertise visant à déterminer la valeur vénale
d'un immeuble). Elles sont en revanche susceptibles de causer un préjudice
irréparable à leur destinataire lorsqu'elles mettent en jeu la sauvegarde
d'un secret ou lorsqu'elles sont assorties de la menace des sanctions prévues
par l'art. 292 CP (arrêt 2P.244/2003 du 10 octobre 2003 consid. 1.3)
respectivement de l'utilisation de la force publique (arrêt 5P.444/2004 du 2
mai 2005 consid. 1.1).
Le recourant prétend que la décision ordonnant une nouvelle expertise
psychiatrique lui causerait un préjudice irréparable dans la mesure où il
aurait pu bénéficier d'une libération conditionnelle s'il avait été condamné
à exécuter le solde de sa peine, comme le préconisait le Procureur général.
Ce faisant, il perd de vue qu'il n'a pas un droit inconditionnel à une telle
mesure. L'octroi de la libération conditionnelle dépend d'une appréciation du
comportement du requérant pendant l'exécution de la peine et d'un pronostic
favorable quant à sa conduite future en liberté (ATF 125 IV 113 consid. 2a p.
115). Compte tenu de la nature de l'infraction pour laquelle le recourant a
été condamné et de la condamnation subséquente pour menaces dont il a fait
l'objet, on ne saurait admettre qu'il bénéficierait, selon toute
vraisemblance, d'une libération conditionnelle à tout le moins sans une
nouvelle expertise (arrêt 6A.15/2001 du 21 mars 2001 consid. 4). Le préjudice
irréparable n'est par conséquent pas établi.
Le recourant voit également un tel préjudice dans le fait qu'il ne verra un
médecin qu'une fois par semaine jusqu'à ce qu'une décision définitive
intervienne, alors qu'il pourrait bénéficier d'une consultation quotidienne
avec des thérapeutes s'il était hospitalisé. L'arrêt attaqué retarderait
ainsi inutilement la mise en place du traitement hospitalier préconisé par
l'ensemble des experts consultés. Comme le relève le recourant dans son
mémoire, si le traitement médical en milieu carcéral est peu productif, il
permet cependant de stabiliser son état mental. L'arrêt attaqué ne l'expose
donc pas à une aggravation de son état de santé psychique qui, si elle
survenait, pourrait au demeurant être immédiatement constatée et faire
l'objet d'une adaptation du traitement médical. Le retard dans l'éventuelle
mise en place d'un traitement hospitalier constitue dès lors un inconvénient
de fait qui n'est pas de nature à imposer une dérogation à la règle de l'art.
87 OJ. Au demeurant, il n'est pas exclu que le rythme des consultations du
médecin puisse être augmenté jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été
prise.
Le recourant n'invoque aucune autre circonstance propre à établir l'existence
d'un préjudice irréparable découlant de l'arrêt attaqué; en particulier, il
ne prétend pas que l'expertise psychiatrique consacrerait une atteinte
inadmissible à sa liberté personnelle ou à sa sphère privée, ce que le
Tribunal fédéral ne saurait retenir d'office (ATF 116 II 380 consid. 2c
précité).
Les conditions posées par la jurisprudence pour que le Tribunal fédéral entre
exceptionnellement en matière sur le recours, malgré le caractère incident de
l'arrêt attaqué ne sont donc pas réunies. Le recourant n'est dès lors pas
habilité à se plaindre du caractère arbitraire de la mesure prononcée à son
égard.

2.
Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé son droit à ce que sa
cause soit traitée dans un délai raisonnable, tel qu'il est garanti aux art.
29 al. 1 Cst. et 5 § 3 CEDH, en ordonnant une expertise sept mois après avoir
été saisie de la procédure, alors qu'elle disposait de tous les éléments pour
statuer avant.
Selon la jurisprudence, l'art. 87 OJ ne s'applique pas au recours pour déni
de justice formel, car l'intéressé doit pouvoir faire remédier immédiatement
à un retard à statuer ou à un refus de le faire (ATF 120 III 143 consid. 1b
p. 144; 117 Ia 336 consid. 1a p. 337/338). Pour que le Tribunal fédéral
puisse exceptionnellement entrer en matière pour ce motif, l'autorité doit ne
pas avoir statué. Or, la Chambre pénale avait déjà rendu sa décision lorsque
A.________ a recouru; il n'y a dès lors pas lieu de déroger à la règle posée
à l'art. 87 al. 3 OJ. Le recourant ne peut se prévaloir d'aucun intérêt
actuel et pratique à faire constater que la Chambre pénale aurait violé son
droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable (ATF 127 III
41 consid. 2b p. 42; 120 Ia 165 consid. 1a p. 166; 118 Ia 46 consid. 3c p.
53, 488 consid. 1a p. 490 et les arrêts cités). Par ailleurs, cette question
ne présente pas un intérêt de principe suffisant qui justifierait de faire
une exception à l'exigence d'un intérêt actuel et pratique (ATF 127 I 164
consid. 1a p. 166 et les arrêts cités).
Le recourant paraît avant tout se plaindre du fait qu'un délai au 30 avril
2006 a été imparti aux experts pour rendre leur rapport, ce qui signifie
qu'un jugement au fond ne pourra intervenir avant l'automne 2006, prolongeant
ainsi d'autant les inconvénients qu'il prétend subir du fait de son maintien
en détention à la prison de Champ-Dollon. Dans la mesure où elle fixe un
délai déterminé aux experts pour se prononcer, la décision attaquée
n'équivaut pas à une suspension indéterminée de la procédure susceptible
d'être déférée immédiatement auprès du Tribunal fédéral nonobstant son
caractère incident (arrêt 1P.269/2000 du 18 mai 2000 consid. 1b/bb). Il est
dès lors douteux que le grief soit recevable au regard de l'art. 87 OJ. Quoi
qu'il en soit, un délai de cinq mois pour procéder à une expertise
psychiatrique n'est pas exagéré dans les circonstances du cas d'espèce. Il
appartiendra ensuite à la Chambre pénale de statuer dans les meilleurs délais
pour respecter les exigences de célérité qui s'appliquent également dans ce
domaine (ATF 130 I 269 consid. 2).

3.
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la mesure où il est
recevable. Les conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il y a lieu
de faire droit à la demande d'assistance judiciaire du recourant et de
statuer sans frais. Me Vincent Spira est désigné comme avocat d'office de
A.________ pour la présente procédure et une indemnité lui sera versée par la
Caisse du Tribunal fédéral, à titre d'honoraires (art. 152 al. 2 OJ).

Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Le recourant est mis au bénéfice de l'assistance judiciaire. Me Vincent Spira
est désigné comme avocat d'office et une indemnité de 1'500 fr. lui est
allouée à titre d'honoraires, à payer par la Caisse du Tribunal fédéral.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au
Procureur général et à la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de
Genève.

Lausanne, le 16 février 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  Le greffier: