Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.129/2006
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{T 1/2}
1P.129/2006 /col

Arrêt du 18 octobre 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Nay, Aeschlimann, Reeb,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Gilles-André Monney,
Josepha Chevallaz,
recourants,
tous deux représentés par Maîtres Christian Luscher et Olivier Jornot,
avocats,

contre

Grand Conseil du canton de Genève,
rue de l'Hôtel-de-Ville 2, case postale 3970,
1211 Genève 3.

droits politiques; validité de l'initiative populaire IN 126,

recours de droit public contre la décision du Grand Conseil du canton de
Genève du 27 janvier 2006.

Faits:

A.
Par arrêté du 4 mai 2005, le Conseil d'Etat genevois a constaté
l'aboutissement de l'initiative populaire intitulée "Energie-Eau: notre
affaire!". Munie de plus de 10000 signatures, cette initiative tendait à une
modification de l'art. 158 de la Constitution genevoise (Cst./GE) relatif aux
Services Industriels (ci-après: les SI), dans le sens suivant (les
modifications matérielles sont en gras):
Art. 158 Principes - But - Siège - Surveillance

1 L'approvisionnement et la distribution d'eau, de gaz et d'électricité sont
un monopole public exercé par les Services Industriels de Genève.
2 Les Services Industriels de Genève, établissement de droit public, doté de
la personnalité juridique, autonome dans les limites des présentes
dispositions constitutionnelles et de la loi qui en détermine le statut, ont
pour but de fournir dans le canton de Genève l'eau, le gaz, l'électricité, de
l'énergie thermique, dans le respect de l'art. 160E fixant la politique
énergétique du canton, ainsi que de traiter les déchets. Les Services
Industriels ont également pour tâche d'évacuer et de traiter les eaux
polluées dans le cadre fixé par la loi: cette activité ne peut pas être
sous-traitée à des tiers. Ils peuvent en outre développer des activités dans
des domaines liés au but décrit ci-dessus, exercer leurs activités à
l'extérieur du canton et fournir des prestations et des services en matière
de télécommunications.
3 Leur siège est à Genève.
4 Ils sont placés sous la surveillance du Conseil d'Etat.
Selon les arguments figurant sur la formule de récolte de signatures,
l'initiative fait suite au rejet en votation populaire, le 22 décembre 2002,
de la loi fédérale sur le marché de l'électricité (LME). Elle tend au
maintien d'un monopole public existant jusqu'alors dans les faits, de manière
à assurer un approvisionnement sûr et de qualité et à éviter les spéculations
et les hausses de tarifs dans le domaine du marché de l'eau et de
l'électricité, ainsi qu'à garantir l'égalité de traitement en interdisant
notamment les tarifs dégressifs pour les gros consommateurs.

B.
Dans son rapport du 29 juillet 2005 au Grand Conseil, le Conseil d'Etat a
estimé que l'initiative respectait notamment les principes d'unité de la
matière (elle se rapportait aux trois champs d'action traditionnels des SI)
et de conformité au droit supérieur. Le monopole sur la distribution d'eau se
justifiait, dans le but d'assurer un approvisionnement de qualité sans
multiplier les infrastructures. En revanche, en tant qu'énergie fossile non
renouvelable, le gaz ne nécessitait pas un tel monopole. S'agissant de
l'électricité, le Conseil d'Etat (notamment dans le cadre de l'élaboration de
la loi fédérale sur l'approvisionnement en électricité - LApEl) s'était
prononcé pour l'ouverture du marché; les SI se préparaient à une telle
éventualité, et il n'y avait pas lieu de modifier entre-temps le droit
cantonal.
La Commission législative du Grand Conseil s'est prononcée le 30 septembre
2005, puis le 23 janvier 2006 sur la validité de l'initiative. Elle a estimé
que le principe d'unité de la matière n'était pas respecté et qu'il y avait
lieu, en vertu de l'art. 66 al. 2 Cst./GE, de scinder le texte de
l'initiative en trois articles distincts. Si l'instauration d'un monopole de
droit ne posait pas de problème s'agissant de l'approvisionnement en eau,
l'art. 13 de la loi fédérale sur les installations de transport par conduites
de combustibles ou carburants liquides ou gazeux (LITC, RS 746.1) imposait
une obligation de transporter en faveur de tiers, ce qui ne permettait pas de
limiter la concurrence dans ce domaine. L'initiative devait donc être
déclarée nulle sur ce point. A propos de la livraison d'électricité, l'arrêt
rendu le 17 juin 2003 par le Tribunal fédéral dans la cause Entreprises
électriques fribourgeoises (EEF; ATF 129 II 497) exprimait de sérieuses
réserves sur la possibilité pour les cantons d'instaurer un monopole.
Toutefois, en cas de doute, il appartenait au peuple de se prononcer. Deux
rapports de minorité ont été déposés.
Par décision du 27 janvier 2006, publiée dans la Feuille d'avis officielle du
3 février suivant, le Grand Conseil a décidé de scinder l'initiative en deux
parties, modifiant chacune l'art. 158 Cst./GE, soit l'IN 126-1 concernant
l'eau et l'IN 126-2 concernant l'électricité. La partie de l'initiative
concernant le gaz a été déclarée nulle.

C.
Gilles-André Monney et Josepha Chevallaz, tous deux citoyens genevois,
forment un recours de droit public contre cette dernière décision. Ils en
demandent l'annulation, en tant qu'elle déclare recevable l'IN 126,
subsidiairement en tant qu'elle déclare recevable l'IN 126-2. Ils désirent
d'ores et déjà pouvoir s'exprimer sur les arguments que le Grand Conseil sera
amené à fournir dans sa réponse au recours.
Le Grand Conseil conclut au rejet du recours. Les parties ont répliqué et
dupliqué.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
En vertu de l'art. 85 let. a OJ, le Tribunal fédéral connaît des recours de
droit public concernant le droit de vote des citoyens et de ceux qui ont
trait aux élections et aux votations cantonales, quelles que soient les
dispositions de la constitution cantonale et du droit fédéral régissant la
matière.

1.1 Le recours institué par l'art. 85 let. a OJ permet au citoyen de se
plaindre de ce qu'une initiative a été indûment soustraite au scrutin
populaire, notamment parce qu'elle a été déclarée totalement ou partiellement
invalide par l'autorité cantonale chargée de cet examen, et quelle que soit
la motivation de cette décision d'invalidation.
La voie de l'art. 85 let. a OJ est également ouverte pour contester la
décision, prise par l'autorité cantonale, de présenter une initiative au vote
populaire, pour autant que le droit cantonal charge l'autorité compétente de
vérifier d'office la conformité des initiatives aux règles supérieures. Dans
ce cas, le citoyen dispose d'une prétention à ce que ce contrôle obligatoire
soit effectué correctement et à ce que le corps électoral soit dispensé de se
prononcer, le cas échéant, sur des dispositions qui paraissent d'emblée
contraires au droit matériel supérieur (ATF 128 I 190 consid. 1.3 p. 194).
Selon l'art. 66 al. 3 de la Constitution genevoise du 24 mai 1847 (Cst./GE;
RS 131.234), le Grand Conseil déclare partiellement nulle l'initiative dont
une partie est manifestement non conforme au droit si la ou les parties qui
subsistent sont en elles-mêmes valides; à défaut, il déclare l'initiative
nulle. Même s'il ne sanctionne que les violations évidentes du droit (par
quoi il faut entendre non seulement le droit formel relatif à la recevabilité
des initiatives, mais également le droit supérieur), le Grand Conseil est
tenu d'effectuer un examen d'office. Cela ouvre la voie du recours pour
violation des droits politiques.

1.2 La qualité pour recourir dans ce domaine appartient à toute personne à
laquelle la législation cantonale accorde l'exercice des droits politiques
pour participer à la votation en cause, même si elle n'a aucun intérêt
juridique personnel à l'annulation de l'acte attaqué (ATF 128 I 190 consid. 1
p. 192; 121 I 138 consid. 1 p. 139; 357 consid. 2a p. 360). La qualité pour
agir des recourants agissant à titre personnel, électeurs dans le canton de
Genève, est donc indiscutable. Contrairement à ce que soutient le Grand
Conseil, même si les recourants agissent davantage pour violation des droits
constitutionnels, le fait qu'ils n'ont apparemment pas d'intérêt personnel et
juridiquement protégé à l'annulation de l'initiative n'a aucune influence sur
leur qualité pour agir (ATF 128 I 190 consid. 1.5).
1.3 Saisi d'un recours pour violation des droits politiques, le Tribunal
fédéral revoit librement l'interprétation et l'application du droit fédéral
et du droit constitutionnel cantonal, ainsi que des dispositions de rang
inférieur qui sont étroitement liées au droit de vote ou en précisent le
contenu et l'étendue (ATF 129 I 185 consid. 2 p. 190). Toutefois, s'agissant
de la conformité de l'initiative au droit supérieur, une invalidation ne doit
intervenir, selon l'art. 66 al. 3 Cst./GE, que dans les cas manifestes. Saisi
d'un recours dont le but est, comme cela est relevé ci-dessus, de contrôler
si l'examen effectué par le Grand Conseil est conforme à ses attributions
constitutionnelles, le Tribunal fédéral ne peut se reconnaître un pouvoir
d'examen plus étendu que celui de l'autorité cantonale. Dans ce cas
particulier, il ne doit sanctionner, lui aussi, que les violations manifestes
du droit supérieur. Pour le surplus, le recours est soumis aux exigences de
motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.

2.
Les recourants reprochent au Grand Conseil d'avoir scindé l'initiative en
trois parties, en copiant chaque fois le même texte et en mentionnant
alternativement les mots "eau", "gaz" et "électricité". L'acceptation par le
peuple des IN 126-1 et 126-2 aurait pour conséquence l'adjonction dans la
constitution genevoise de deux dispositions quasiment identiques, portant la
même numérotation.

2.1 Les recourants invoquent à ce propos l'art. 66 al. 2 Cst./GE, qui permet
la scission ou la nullité partielle d'une initiative populaire qui ne
respecte pas le principe d'unité de la matière. Les recourants ne prétendent
toutefois pas que le procédé utilisé serait interdit par la Constitution, ni
qu'il violerait en tant que tel les droits politiques des citoyens.

2.2 Il est vrai que l'acceptation par le peuple des deux textes poserait un
problème de rédaction, puisqu'il en résulterait l'adoption de deux normes
portant le même numéro et consacrées l'une à la fourniture d'eau, l'autre à
l'électricité. Il n'en découle pas pour autant une violation des droits
politiques: cela permet en effet aux citoyens de s'exprimer clairement sur
les deux sujets. En cas d'acceptation des deux textes, il y aurait sans doute
lieu de refondre les deux articles en un seul, voire de changer la
numérotation des normes, mais, pour autant qu'aucune modification matérielle
ne découle de cette opération, la volonté populaire n'en sera pas moins
respectée (cf. consid. 6 non publié de l'ATF 130 I 185). Si elle est
critiquable du point de vue de la technique législative, la scission opérée
par le Grand Conseil ne pose pas de problème sous l'angle des droits
politiques.

3.
Les recourants estiment que la création d'un monopole de droit en faveur des
SI, pour l'approvisionnement et la distribution d'électricité, constituerait
une atteinte inadmissible à la liberté économique. Les motifs invoqués par
les initiants ne reposeraient pas sur un intérêt public suffisant. Sous
l'angle de la proportionnalité, la jurisprudence admettrait de manière plus
restrictive que par le passé l'instauration de monopoles, en particulier
lorsqu'un régime d'autorisation permettrait d'aboutir au même résultat (ATF
128 I 3 concernant le droit d'affichage). En l'occurrence, un régime
d'autorisations ou de concessions, assorties de conditions particulières
d'approvisionnement ou de provenance, permettrait d'atteindre le but visé par
les initiants. Dans l'ATF 129 II 497, le Tribunal fédéral avait émis des
doutes sérieux sur l'admissibilité d'un monopole en matière de fourniture
d'électricité. La doctrine elle aussi se montrerait restrictive en matière de
monopoles cantonaux. Les conditions de dérogation prévues à l'art. 94 al. 4
Cst. ne seraient pas réunies.
Pour le Grand Conseil, l'IN 126 ne fait que concrétiser une situation déjà
bien établie, soit l'existence d'un monopole de fait, voire de droit en
faveur des SI. Le monopole dans le domaine de l'électricité permettrait
notamment la sécurité de l'approvisionnement, l'égalité de traitement et une
tarification équitable. Il ne s'agirait donc pas d'une mesure de politique
économique, mais de police et de politique sociale. Des solutions analogues
auraient été adoptées récemment dans les cantons de Fribourg (droit exclusif
de livraison dans des secteurs déterminés), Neuchâtel (droit exclusif de
fourniture jusqu'à l'entrée en vigueur de la législation fédérale) et Vaud
(monopole et octroi de concessions de distribution). Seul le droit fédéral
pourrait imposer une ouverture du marché de l'électricité.

3.1 De manière générale, une initiative populaire cantonale ne doit rien
contenir qui viole le droit supérieur, qu'il soit cantonal, intercantonal,
fédéral ou international (cf. ATF 124 I 107 consid. 5b p. 118-119).
L'autorité appelée à statuer sur la validité matérielle d'une initiative doit
en interpréter les termes dans le sens le plus favorable aux initiants.
Lorsque, à l'aide des méthodes reconnues, le texte d'une initiative se prête
à une interprétation la faisant apparaître comme conforme au droit supérieur,
elle doit être déclarée valable et être soumise au peuple. L'interprétation
conforme doit permettre d'éviter autant que possible les déclarations
d'invalidité (ATF 125 I 227 consid. 4a p. 231/232 et les arrêts cités). Par
ailleurs, en vertu du principe de la force dérogatoire du droit fédéral (art.
49 al. 1 Cst.), les cantons ne sont pas autorisés à légiférer dans les
domaines exhaustivement réglementés par le droit fédéral. Dans les autres
domaines, ils peuvent édicter des règles de droit qui ne violent ni le sens
ni l'esprit du droit fédéral, et qui n'en compromettent pas la réalisation
(ATF 125 I 474 consid. 2a et les arrêts cités p. 480).

3.2 Selon l'art. 27 al. 1 Cst., la liberté économique est garantie. Elle
comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une
activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2
Cst.). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à
titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF
118 Ia 175 consid. 1 p. 176). Aux termes de l'art. 36 al. 1 Cst., toute
restriction à ce droit fondamental doit être fondée sur une base légale; les
restrictions graves doivent être prévues par une loi. Toute restriction d'un
droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la
protection d'un droit fondamental d'autrui (art. 36 al. 2 Cst.) et
proportionnée au but visé (art. 36 al. 3 Cst.). L'essence des droits
fondamentaux est inviolable (art. 36 al. 4 Cst.).
Selon l'article 94 al. 1 Cst., la Confédération et les cantons respectent le
principe de la liberté économique. Ils veillent à sauvegarder les intérêts de
l'économie nationale et contribuent, avec le secteur de l'économie privée, à
la prospérité et à la sécurité économique de la population (art. 94 al. 2
Cst.). Dans les limites de leurs compétences respectives, ils veillent à
créer un environnement favorable au secteur de l'économie privée (art. 94 al.
3 Cst.). Les dérogations au principe de la liberté économique, en particulier
les mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont
prévues par la Constitution fédérale ou fondées sur les droits régaliens des
cantons (art. 94 al. 4 Cst.). L'art. 94 al. 4 Cst. vient sur ce point
préciser la portée de la liberté économique, sans pour autant modifier la
situation qui prévalait sous l'ancienne constitution. La Constitution
fédérale consacre ainsi un ordre économique fondé sur la libre concurrence
(message relatif à la Constitution fédérale, FF 1997 p. 176).

3.3 L'obligation pour l'Etat de se comporter de manière neutre sur le plan de
la concurrence n'est toutefois pas absolue. En dehors des droits régaliens
historiques des cantons (qui ne sont pas concernés en l'occurrence, cf. ATF
124 I 11 consid. 3 p. 14-15), les dérogations à la liberté économique telle
que l'instauration d'un monopole, sont admissibles pour autant que ces
dérogations poursuivent un but de police ou de politique sociale, à
l'exclusion des buts de politique économique (ATF 124 I 11 consid. 3b p. 15,
concernant le monopole d'assurance des bâtiments; 109 Ia 193 concernant le
monopole des ramoneurs officiels; 100 Ia 445 consid. 5 p. 449 concernant un
monopole d'affichage). Les mesures concernant l'aménagement du territoire, la
politique énergétique et environnementale sont également admissibles
(message, p. 177). Les monopoles à des fins fiscales sont en revanche prohibé
(ATF 128 I 3 consid. 3a p. 9-10).
Le Tribunal fédéral a ainsi estimé que l'instauration d'un monopole de droit
en faveur d'une caisse publique pour l'assurance scolaire obligatoire ne
devait être revue qu'avec retenue sous l'angle de l'art. 31 aCst., car la
pesée d'intérêts dépendait largement des conditions locales; l'intérêt public
à une couverture de l'ensemble des risques, les exigences de contrôle, la
responsabilité de la collectivité pour une part importante des risques, la
possibilité de conditions plus avantageuses et le subventionnement par les
collectivités publiques permettaient d'admettre une solution évitant toute
complication, quant bien même d'autres possibilités étaient envisageables
(ATF 101 Ia 124). Plus récemment, le Tribunal fédéral est revenu sur sa
jurisprudence en matière d'affichage, en considérant que le monopole
constituait une atteinte disproportionnée à la liberté économique, dans la
mesure où il  touchait un fond privé (ATF 128 I 3 consid. 3 p. 9). Le
réexamen du Tribunal portait sur le respect de la proportionnalité, compte
tenu des circonstances particulières - activité de type commercial sur fonds
privés - sans pour autant consacrer, comme le prétendent les recourants, un
durcissement général de la jurisprudence à l'égard des monopoles cantonaux.

3.4 Selon les initiants, l'instauration d'un monopole de droit en faveur des
SI dans le domaine de la livraison d'électricité fait suite au rejet, par
près de deux tiers des électeurs genevois, de la loi fédérale sur le marché
de l'électricité (LME). Il s'agissait ainsi d'éviter toute spéculation dans
ce domaine. Les SI avaient révisé leur tarification et prévu une offre
diversifiée, promouvant les économies d'énergie et les énergies
renouvelables, en permettant notamment au canton de renoncer à l'énergie
nucléaire. Le monopole de fait exercé jusque-là avait permis le développement
et l'entretien d'infrastructures de qualité, qu'il y avait lieu de préserver
contre une "libéralisation sauvage"; l'interdiction des tarifs dégressifs
pour les gros consommateurs devait être maintenue.

3.5 Il faut convenir, avec les recourants, que le but d'éviter les
privatisations du secteur de la fourniture d'électricité ainsi que les
spéculations, est un pur objectif de politique économique, inadmissible sous
l'angle des art. 27 et 94 Cst. (Weber/Kratz, Elektrizitätswirtschaftsrecht,
Berne 2005, p. 72-73). Il en va différemment des autres objectifs mentionnés
par les initiants. Dans la mesure où il s'agit d'assurer la sécurité de
l'approvisionnement, une distribution et une utilisation de l'énergie fondée
sur les principes d'économie, le développement prioritaire des énergies
renouvelables et le respect de l'environnement, l'initiative se conforme aux
objectifs fixés à l'art. 160E de la Constitution cantonale, disposition dont
la conformité au droit supérieur n'est ni contestée, ni contestable. Cette
disposition prévoit notamment que la conservation de l'énergie est assurée
par l'obligation de rachat à des conditions adéquates du courant produit par
les centrales du secteur agricole, immobilier et industriel, et par
l'interdiction des tarifs dégressifs non justifiés par les fondements de la
politique cantonale en matière d'énergie et une tarification conforme à ces
derniers (al. 3 let. d). Le développement des sources d'énergies
renouvelables est quant à lui obtenu par la promotion des installations
utilisant ces énergies (al. 4 let. a). Les établissements publics, tels les
SI, sont, avec les communes et le canton, chargés de la réalisation de cette
politique (al. 2). La livraison d'énergie répondant à ces exigences constitue
certainement un but de politique environnementale, y compris l'interdiction
des tarifs dégressifs dont le but est d'encourager les économies d'énergie.

3.6 Les recourants ne contestent pas que l'instauration d'un monopole de
droit en faveur des SI est apte à parvenir aux buts recherchés. Ils estiment
cependant que d'autres solutions, moins restrictives, seraient envisageables,
notamment un régime d'autorisations assorties de charges et conditions
concernant l'obligation d'approvisionnement et l'origine de l'énergie
électrique. Toutefois, il paraît qu'entre un système de monopole et celui de
l'autorisation préalable dans un régime de libre concurrence, le premier
permet d'atteindre de façon plus sûre, plus efficace et à moindre frais pour
la collectivité les objectifs d'intérêt général fixés par la constitution
cantonale (cf. ATF 100 Ia 445 consid. 5c p. 452). A défaut d'un accès
réglementé au marché de l'électricité, la libéralisation par le biais des
seules règles sur la concurrence, de manière ponctuelle et sans possibilité
de fixer des conditions-cadre, présente des inconvénients importants (ATF 129
II 497 consid. 3.2.4 p. 511 et les auteurs cités). De ce point de vue, le
principe de la proportionnalité paraît respecté.

3.7 Les recourants font grand cas des considérations émises dans l'ATF 129 II
497. Cet arrêt a trait essentiellement à l'application de la loi fédérale sur
les cartels (LCart) au marché de l'électricité, après le rejet de la LME en
votation populaire. Le Tribunal fédéral a considéré que les exceptions
prévues à l'art. 3 al. 1 LCart n'étaient pas réalisées en l'occurrence, car
ni le droit fédéral, ni le droit cantonal n'excluaient la concurrence dans ce
secteur: l'établissement fribourgeois de droit public (EEF) ne disposait que
d'un monopole de fait. L'application de la loi sur les cartels ne
compromettait pas l'accomplissement de la tâche d'approvisionnement impartie
à l'entreprise. Plusieurs considérants de cet arrêt font certes apparaître
comme douteuse la compatibilité du monopole cantonal en matière de livraison
de l'électricité avec la liberté économique (consid. 5.4.7 in fine p. 528,
7.5 p. 535; consid. 3.2.1 p. 509, faisant état de la remise en cause des
monopoles sur les plans politiques et économiques). Outre que ces
considérations ont le caractère d'obiter dicta, elles ne tranchent pas de
manière définitive la conformité des monopoles cantonaux à la Constitution
fédérale, cette question étant en définitive qualifiée de "délicate" (consid.
5.7 p. 535). On ne saurait donc déduire de cet arrêt que l'instauration d'un
monopole de droit tel qu'il est prévu par l'IN 126 serait "manifestement" et
dans tous les cas contraire à la Constitution fédérale.

3.8 Le marché de l'électricité fait actuellement l'objet du projet de
modification de la LIE et de la LApEl (cf. Message du Conseil fédéral du 3
décembre 2004, FF 2005 1493). Cette révision tend à permettre une ouverture
par étapes du marché, tout en garantissant notamment l'approvisionnement.
Dans son message relatif à l'IN 126, le Conseil d'Etat admet que, dès
l'entrée en vigueur du droit fédéral prévoyant l'ouverture du marché, les
dispositions contraires du droit cantonal devraient être abrogées. Le
Parlement fédéral pourra d'ailleurs tenir compte de l'état de la législation
fédérale lorsque, le cas échéant, il sera appelé à donner la garantie de la
Confédération à la norme constitutionnelle cantonale (art. 51 al. 2 Cst.).
Néanmoins, tant que demeurent les compétences des cantons dans ce domaine, il
y a lieu de reconnaître au Constituant cantonal la possibilité d'effectuer le
choix qui lui est proposé. Dans l'attente d'une réglementation fédérale, une
libéralisation totale du marché, souhaitée par les recourants, n'apparaît pas
préférable à la transformation, opérée par l'initiative, d'un monopole de
fait en monopole de droit, laquelle se traduirait dans les faits par un statu
quo.

3.9 Faute d'apparaître manifestement contraire au droit supérieur,
l'initiative IN 126 devait, conformément à l'art. 66 al. 3 Cst./GE, être
déclarée valide par le Grand Conseil. Le grief doit par conséquent être
rejeté.

4.
Dans un dernier grief, les recourants estiment que la partie de l'initiative
relative à la fourniture d'eau ne serait qu'accessoire par rapport au volet
central consacré à l'électricité, et ne saurait subsister sans elle. Les
recourants invoquent également l'interdiction de l'abus de droit. L'argument
doit être écarté, puisqu'il repose sur la prémisse, erronée, d'une
invalidation de la partie de l'initiative relative à l'électricité. Les
recourants n'élèvent pour le surplus aucun grief à l'encontre du monopole des
SI en matière de fourniture d'eau.

5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public est rejeté.
Conformément à la pratique, il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni
alloué de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des recourants et au
Grand Conseil du canton de Genève.

Lausanne, le 18 octobre 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: