Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.105/2006
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{T 0/2}
1P.105/2006 /svc

Arrêt du 4 août 2006
Ire Cour de droit public

MM. les Juges Aeschlimann, Juge présidant,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffière: Mme Angéloz.

A. ________,
recourant, représenté par Me Stefan Disch, avocat,

contre

B.________,
C.________,
D.________,
intimés,
tous trois représentés par Me Christian Fischer,
avocat,
Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois, quai Maria-Belgia
18, case postale,
1800 Vevey,
Ministère public du canton de Vaud,
case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du
canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.

Procédure pénale; non-lieu,

recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal du canton de Vaud
du 6 janvier 2006.

Faits:

A.
A. ________, né en 1944, a été employé pendant quelque 30 ans au service de
X.________ SA, occupant divers postes, en dernier lieu celui de responsable
de l'unité de sécurité. En août 1998, son contrat de travail a été résilié
pour le 30 novembre de la même année, avant qu'un arrangement amiable soit
trouvé, aux termes duquel son licenciement était converti en retraite
anticipée avec effet au 31 mai 1999. Par la suite, souffrant d'une
dépression, il a été mis au bénéfice d'une rente AI complète.
Le 30 mai 2002, A.________ a déposé plainte pénale contre ses anciens
supérieurs, B.________, D.________ et C.________, pour lésions corporelles
graves par négligence au sens de l'art. 125 al. 2 CP. Il leur reprochait de
lui avoir fait subir des pressions insoutenables et des vexations, ayant
conduit à sa mise à l'écart et à le réduire au silence. Il faisait valoir que
l'état dépressif et les troubles psychosomatiques dont il souffrait ainsi que
son incapacité de travail étaient le résultat du harcèlement psychologique
dont il avait été victime entre 1996 et 1998 à tout le moins.
Le 19 décembre 2002, l'avocate E.________, sur mandat de A.________, a déposé
une expertise privée relative au mobbing dont il aurait fait l'objet. Elle
concluait que, dès 1996, par le fait de B.________ puis de C.________ et
D.________, A.________ avait été victime de mobbing visant à l'éloigner de
X.________ SA en lui imputant à tort la responsabilité de cet éloignement.

B.
Par ordonnance du 19 octobre 2005, le Juge d'instruction de l'arrondissement
de l'Est vaudois a prononcé un non-lieu, au motif que l'enquête n'avait pas
permis de conclure que A.________ avait été victime de mobbing et que les
prévenus n'avaient pas violé le devoir de prudence qui leur incombait en leur
qualité de supérieurs.
Saisi d'un recours de A.________, le Tribunal d'accusation du Tribunal
cantonal vaudois l'a rejeté par arrêt du 6 janvier 2006. Il a notamment
considéré comme injustifié le grief fait au magistrat instructeur de n'avoir
pas pris en compte l'expertise privée; observant que son auteur s'était
occupée, comme avocate-stagiaire, du dossier de A.________ avant qu'il ne
résilie le mandat de l'étude où elle était alors en stage, qu'elle avait par
la suite été mandatée par celui-ci pour déterminer s'il avait été victime de
mobbing et était rémunérée par lui, que l'expertise avait été établie avant
même le début de l'enquête, sur la base d'une simple hypothèse de travail, et
qu'elle ne contenait aucune indication quant à la méthode utilisée, il a
estimé que le magistrat instructeur pouvait, sans arbitraire, dénier
implicitement toute force probante à l'expertise. Les autres griefs formulés
dans le recours, notamment quant à l'insuffisance de l'instruction et au fait
que la preuve d'un mobbing aurait été niée à tort, ont également été jugés
infondés.

A. ________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral. Se
plaignant d'arbitraire et d'une violation de son droit à un procès équitable,
il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Les intimés concluent au rejet du recours. Le Procureur général conclut
également au rejet du recours. Le Juge d'instruction n'a pas déposé
d'observations. L'autorité cantonale se réfère à son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Le recourant, qui allègue notamment une atteinte à son intégrité psychique
ensuite de l'infraction qu'il a dénoncée, est une victime au sens de l'art. 2
al. 1 LAVI. Il a incontestablement participé à la procédure cantonale et,
comme il l'indique, a précisé dans sa plainte quelles conclusions civiles il
entendait prendre dans la procédure pénale. Il a donc qualité pour recourir
sur la base de l'art. 8 al. 1 let. c LAVI, dont il remplit les conditions.

2.
Saisi d'un recours de droit public, qui n'est ouvert qu'à l'encontre des
décisions de dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), le Tribunal
fédéral ne peut entrer en matière que sur les griefs d'ordre constitutionnel
invoqués et suffisamment motivés dans le recours (cf. art. 90 al. 1 let. b
OJ; ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120, 185
consid. 1.6 p. 189).

3.
Le recourant invoque une violation du droit à un procès équitable garanti par
l'art. 6 ch. 1 CEDH, au motif que l'autorité cantonale, alors qu'elle a
écarté l'expertise privée qu'il avait produite, n'a pas ordonné une expertise
judiciaire.

3.1 Le droit à un procès équitable garanti par l'art. 6 ch. 1 CEDH, également
consacré par l'art. 29 al. 1 Cst., comporte notamment le droit d'être
entendu, qui inclut le droit à l'administration de preuves quant aux faits de
nature à influer sur le sort de la décision à rendre (ATF 131 I 153 consid. 3
p. 157; 129 I 85 consid. 4.1 p. 88/89). En principe, il appartient à celui
qui entend obtenir l'administration d'un moyen de preuve d'en faire la
demande, en justifiant sa requête. En toute hypothèse, l'autorité n'est
cependant tenue d'ordonner que l'administration des moyens de preuve qui sont
nécessaires et propres à établir des faits déterminants pour l'issue du
litige. En outre, il n'y a pas violation du droit à l'administration de
preuves, lorsque, sur la base d'une appréciation non arbitraire des preuves
dont elle dispose déjà, l'autorité parvient à la conclusion que les faits
pertinents sont établis et que le résultat, même favorable au requérant, de
la mesure probatoire sollicitée ne pourrait pas modifier sa conviction (ATF
131 I 153 consid. 3 p. 157 et les arrêts cités).

3.2 En l'espèce rien n'indique que le recourant ait jamais demandé qu'une
expertise judiciaire soit ordonnée pour le cas où l'expertise privée qu'il
avait produite ne serait pas prise en compte, en particulier qu'il ait pris
des conclusions en ce sens dans son recours cantonal. Dans ces conditions, il
ne saurait se plaindre d'un "refus" de l'autorité cantonale d'ordonner une
expertise.
En réalité, le grief revient à reprocher à l'autorité cantonale de n'avoir
pas ordonné d'office une expertise. Certes, le Tribunal d'accusation vaudois
jouit d'une pleine cognition en fait et en droit et il n'est pas lié par les
conclusions des parties, ni même, lorsque comme en l'espèce, le recours est
dirigé contre une ordonnance de non-lieu, par les moyens invoqués devant lui
(cf. art. 306 CPP/VD). Même lorsque la procédure est régie par la maxime
d'office, l'autorité n'est toutefois tenue d'ordonner que les mesures
probatoires qui apparaissent nécessaires. S'agissant plus précisément d'une
expertise, elle ne s'impose que si l'autorité est amenée à résoudre une
question dont la solution implique des connaissances spécifiques qu'elle ne
possède pas. Or, le recourant ne démontre nullement ce qui, en l'espèce,
justifiait de recourir à un expert. Il n'indique même pas sur quels points
précis l'autorité cantonale n'aurait pas été en mesure de se prononcer sans
faire appel à un expert. Autant qu'il s'agissait de déterminer si le
recourant avait fait l'objet d'un mobbing punissable selon la loi pénale, il
appartenait à l'autorité cantonale de trancher cette question. Au reste, le
seul fait que l'autorité cantonale a écarté l'expertise privée ne suffit pas
à faire admettre qu'une expertise s'imposait.
Une violation du droit à un procès équitable à raison d'un refus ou d'une
omission d'ordonner une mesure probatoire n'est ainsi aucunement établie
conformément aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.

4.
Le recourant se plaint d'un refus arbitraire de prendre en compte l'expertise
privée qu'il avait produite.

4.1 La notion d'arbitraire a notamment été rappelée dans les ATF 129 I 8
consid. 2.1 p. 9 et 173 consid. 3.1 p. 178, auxquels on peut donc se référer.

4.2 Le recourant allègue vainement que l'autorité cantonale a écarté
l'expertise litigieuse "en quelques lignes seulement"; pour autant, il ne
démontre aucun arbitraire. C'est en vain aussi qu'il invoque la renommée de
l'auteur de l'expertise; ce n'est pas pour l'avoir niée que l'autorité
cantonale a écarté l'expertise, mais, essentiellement, en raison des liens
existant entre cet auteur et le recourant, subsidiairement en raison de la
manière dont l'expertise a été établie dans le cas concret. Dans la mesure où
il dénonce une contradiction dans le raisonnement du juge d'instruction, il
perd de vue que seule la décision de dernière instance cantonale peut faire
l'objet du recours de droit public (art. 86 al. 1 OJ). Quant au grief de
"contradiction flagrante" qu'il fait à l'autorité cantonale elle-même, il se
résume à une pure allégation, non démontrée. Que l'expertise litigieuse
aurait été écartée arbitrairement n'est ainsi aucunement établi d'une manière
qui satisfasse aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.
Au demeurant, il n'y avait pas d'arbitraire à ne pas tenir compte de
l'expertise privée. Les déclarations de son auteur quant à l'état de fait, au
vu des liens de celle-ci avec le recourant, n'ont pas plus de crédibilité que
celles de ce dernier, d'autant moins que l'auteur de l'expertise n'a pas
assisté aux faits ni entendu les protagonistes de l'affaire. Au reste, c'est
à l'autorité cantonale, et non à un expert, qu'il revenait de déterminer si
les faits apparaissaient constitutifs de l'infraction dénoncée.

5.
Le recours de droit public doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est
recevable. Le recourant, qui succombe, supportera les frais (art. 156 al. 1
OJ) et une indemnité de dépens sera allouée aux intimés, à la charge du
recourant (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge du recourant.

3.
Une indemnité de dépens de 2'000 francs est allouée aux intimés, à la charge
du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Juge
d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois ainsi qu'au Ministère
public et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 4 août 2006

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse

Le juge présidant:  La greffière: