Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen U 93/2004
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U 93/04

Arrêt du 14 février 2005
IIIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Kernen. Greffière : Mme
von Zwehl

L.________, recourant, représenté par Me Karin Baertschi, avocate, rue du 31
Décembre 41, 1211 Genève 6,

contre

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1,
6004 Lucerne, intimée,

Tribunal administratif de la République et canton de Genève, Genève

(Jugement du 10 février 2004)

Faits:

A.
Le 4 octobre 1996, alors qu'il travaillait sur un chantier pour le compte de
l'entreprise C.________ SA, L.________ a été victime d'un accident
professionnel: il est tombé d'un échafaudage d'une hauteur de 2 mètres et
s'est réceptionné sur son pied droit. Cette chute lui a occasionné une
fracture complexe du calcanéum droit qui a été traitée  à l'Hôpital
H.________. La Caisse nationale suisse en cas d'accidents (CNA), auprès de
laquelle le prénommé était assuré, a pris en charge le cas.

Du 2 au 26 septembre 1997, l'assuré a bénéficié d'une physiothérapie
intensive à la Clinique thermale S.________. L'ablation du matériel
d'ostéosynthèse a eu lieu le 5 février 1998. Dans un rapport du 18 février
suivant, les docteurs E.________ et A.________ ont fait état d'une arthrose
sous-astragalienne post-traumatique et suggéré une arthrodèse, à laquelle
l'assuré a cependant refusé de se soumettre (voir aussi le rapport du docteur
D.________ du 22 octobre 1998). A l'occasion d'un examen réalisé le 13
janvier 1999, le docteur R.________, médecin d'arrondissement de la CNA,
s'est prononcé pour une pleine capacité de travail dans une activité adaptée
et a évalué le taux de l'atteinte à l'intégrité à 15 % (rapport daté du même
jour). En raison de l'apparition de douleurs au dos et à la hanche, l'assuré
s'est rendu à la consultation du docteur O.________, qui a consigné ses
conclusions dans un rapport du 23 juin 1999.

Entre-temps, L.________ a présenté une demande de prestations de
l'assurance-invalidité. Le 18 novembre 1999, l'Office cantonal de
l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI) l'a
informé qu'il devait se soumettre à une expertise auprès du Centre
d'observation de M.________. Dans leur rapport du 6 février 2001, les
médecins de cet établissement ont retenu, entre autres diagnostics, des
troubles somatoformes douloureux avec une tendance à l'exagération; ils ont
conclu qu'une activité adaptée à 70 % était exigible de la part de l'assuré,
et préconisé des mesures professionnelles. Le stage d'observation
professionnelle organisé à la suite de cette expertise s'est toutefois soldé
par un échec.
Par lettre du 13 mai 2002, la CNA a informé L.________ qu'elle ne prendrait
pas en charge ses troubles du dos et de la hanche droite faute de relation de
causalité avec l'accident assuré. Alors que par décision du 15 août 2002,
l'Office AI a octroyé au prénommé une rente d'invalidité entière, la CNA a
rendu, le 4 septembre suivant, une décision par laquelle elle lui a alloué
une rente complémentaire LAA fondée sur un degré d'invalidité de 37 % avec
effet au 1er juin 2002, ainsi qu'une indemnité pour atteinte à l'intégrité
d'un taux de 15 %. Saisie d'une opposition de l'assuré, la CNA l'a écartée
dans une nouvelle décision du 29 novembre 2002.

B.
Par jugement du 10 février 2004, le Tribunal administratif du canton de
Genève (aujourd'hui, en matière d'assurance-accidents, Tribunal cantonal des
assurances sociales) a rejeté le recours formé par l'assuré contre la
décision sur opposition de la CNA.

C.
L.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
il requiert l'annulation. Sous suite de dépens, il conclut, à titre
principal, à l'allocation par la CNA d'une rente d'invalidité de 100 % dès le
1er juin 2002 ainsi que d'une indemnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux
de 30 % et, à titre subsidiaire, au renvoi de la cause à la CNA pour nouvelle
décision au sens des considérants.

La CNA conclut au rejet du recours. L'Office fédéral de la santé publique a
renoncé à présenter des déterminations. La Caisse-maladie Assura, en sa
qualité de co-intéressée, s'en remet à justice.

Considérant en droit:

1.
Le jugement entrepris expose de manière complète et exacte les dispositions
légales (dans leur teneur applicable en l'espèce jusqu'au 31 décembre 2002),
ainsi que les principes jurisprudentiels topiques, de sorte qu'on peut y
renvoyer.

On rappellera néanmoins qu'à l'inverse de l'assurance-invalidité, la
responsabilité de l'assureur-accidents se limite aux seules atteintes à la
santé qui se trouvent en lien de causalité naturelle et adéquate avec
l'événement accidentel assuré.

2.
Le recourant considère que c'est à tort que la CNA et - implicitement - les
premiers juges ont nié l'existence d'un lien de causalité entre ses troubles
du dos ainsi que de la hanche droite d'une part, et la chute dont il a été
victime, d'autre part. Avant la survenance de cet accident, il n'avait jamais
souffert du dos. En outre, selon le docteur O.________, ses douleurs dorsales
devaient être mises sur le compte de son inactivité. Dès lors, il fallait
bien admettre que sans l'accident, il n'aurait jamais développé de telles
douleurs. Quant aux problèmes d'ordre psychiques, ils étaient assurément en
lien de causalité adéquate avec sa chute. Compte tenu de l'ensemble de ces
affections, son degré d'invalidité atteignait 100 %. Enfin, le taux de
l'atteinte à l'intégrité devait être fixé à 30 % conformément à
l'appréciation faite par le docteur O.________.

3.
3.1 En ce qui concerne les douleurs au dos et à la hanche droite, on ne
saurait souscrire au point de vue du recourant, car cela reviendrait à
conférer au principe «post hoc, ergo propter hoc» une valeur probante qu'il
n'a pas, comme la Cour de céans a déjà eu l'occasion de le préciser à
plusieurs reprises (cf. ATF 119 V 341 sv. consid. 2b/bb; RAMA 1999 n° U 341
p. 408 sv. consid. 3b). Selon la jurisprudence, c'est en effet
essentiellement à la lumière des renseignements d'ordre médical qu'il
convient de trancher la question de la causalité naturelle, en se conformant
à la règle du degré de vraisemblance prépondérante appliquée généralement à
l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale (ATF 119 V 337 consid. 1,
118 V 289 consid. 1b et les références).

3.2 En l'occurrence, après avoir procédé à un examen clinique approfondi de
l'assuré et s'être renseigné auprès des médecins l'ayant traité depuis la
survenance de l'accident, le docteur O.________ a conclu que «la causalité au
niveau de la hanche droite, du genou droit et de la colonne vertébrale
n'(était) que possible»; selon lui, les douleurs dorsales dont se plaignait
L.________ étaient plutôt à mettre sur le compte de sa longue inactivité
(rapport du 23 juin 1999). L'existence d'une relation de causalité naturelle
directe entre ces maux de dos et l'accident assuré ne peut donc qu'être niée.
Contrairement à ce que prétend le recourant, rien ne permet non plus de
retenir qu'il existerait une relation de causalité indirecte. On ne trouve en
effet au dossier aucune justification médicale objective à une immobilité
prolongée de l'assuré; par ailleurs, le docteur O.________ a expressément
écarté l'hypothèse que les lombalgies puissent être dues à l'utilisation de
«cannes ou à la boiterie» (p. 18 de son rapport). On doit bien plus en
rechercher la cause dans le comportement inadéquat du recourant (voir aussi
les observations des médecins du Centre d'observation de M.________ selon
lesquelles L.________ se déplace en adoptant une posture grotesque sans lien
avec une éventuelle atteinte de nature orthopédique ou neurologique).

4.
4.1 De l'expertise du Centre d'observation de M.________, il ressort que
L.________ présente également une affection psychique sous la forme de
troubles somatoformes douloureux. Dût-on retenir, comme le soutient le
recourant, un rapport de causalité naturelle entre ces troubles et l'accident
que cette seule conclusion ne lui serait d'aucun secours, vu l'absence d'un
lien de causalité adéquate. A l'instar des premiers juges, il y a lieu de
qualifier l'événement du 4 octobre 1996 comme faisant partie de la catégorie
des accidents de gravité moyenne; pour juger du caractère adéquat du lien de
causalité dans le cas d'espèce, il importe dès lors que plusieurs des
critères consacrés par la jurisprudence (cf. ATF 115 V 138 consid. 6, 407 ss
consid. 5) se trouvent réunis ou revêtent une intensité particulière.

4.2 Or, on ne voit pas d'éléments de nature à faire apparaître la chute en
cause comme particulièrement impressionnante ou dramatique. La lésion qu'elle
a entraînée (fracture du calcanéum droit) ne saurait être qualifiée de grave
et propre, selon l'expérience, à entraîner des troubles psychiques. Quand à
la durée du traitement médical, elle n'apparaît pas anormalement longue, un
suivi médical de deux ans devant être considéré comme normal pour le type de
traumatisme subi. Par ailleurs, nonobstant le développement chez l'assuré
d'une arthrose sous-astragalienne, il ressort du rapport du docteur
D.________, médecin associé à la Clinique d'orthopédie et de chirurgie de
l'appareil moteur de l'Hôpital H.________, qu'à partir du mois d'octobre
1998, son état était à tout le moins suffisamment stabilisé pour lui
permettre d'envisager une reconversion professionnelle, ce que le docteur
R.________ a également confirmé à l'issue d'un examen médical en date du 13
janvier 1999. Les médecins du Centre d'observation de M.________ ont
d'ailleurs mis en doute que L.________ fût totalement inactif comme il le
prétendait: la parfaite symétrie de ses callosités plantaires et la quasi
absence d'atrophie à son extrémité inférieure droite démontrait qu'il
utilisait sa jambe droite nettement plus qu'il ne voulait bien le montrer
(cette même constatation avait déjà surpris le docteur O.________ au cours de
son examen). Que l'intéressé n'ait en définitive jamais repris une activité
lucrative relève donc pour l'essentiel de circonstances étrangères à
l'atteinte à la santé en elle-même. Le seul critère des douleurs persistantes
qu'on peut admettre en raison de l'arthrose ne suffit pas pour que l'accident
assuré soit tenu pour la cause adéquate de l'affection psychique
diagnostiquée par les médecins du Centre d'observation de M.________.

5.
Il s'ensuit que l'intimée ne doit répondre que des séquelles de la fracture
du calcanéum droit, dont le rapport de cause à effet avec l'accident assuré
ne fait aucun doute. Les nombreux examens orthopédiques auxquels L.________
s'est soumis ont permis d'établir qu'il présente un aplatissement résiduel
définitif de l'angle de Böhler ainsi qu'une arthrose de l'articulation
sous-astragalienne (rapports des docteurs R.________ et O.________,
respectivement des 13 janvier et 23 juin 1999; voir aussi le rapport du
Centre d'observation de M.________). De l'avis unanime des spécialistes
consultés, les troubles constatés empêchent l'assuré de poursuivre son
ancienne activité de maçon sur les chantiers. Selon le docteur R.________,
ils ne constituent en revanche pas un obstacle à la reprise d'une activité
adaptée à 100 % à condition d'éviter certaines sollicitations telles que la
marche (surtout sur des terrains en pente ou inégaux), la station debout
prolongée, les accroupissements et les agenouillements, ainsi que le port de
charges. Sans s'être véritablement prononcé sur la capacité de travail
résiduelle de L.________, le docteur O.________ a également confirmé
l'existence, chez le prénommé, d'un important potentiel de réinsertion
professionnelle. Enfin, sous réserve d'une diminution de la capacité de
travail de 30 % pour des motifs psychiques, l'opinion du médecin
d'arrondissement de la CNA est partagée par ses confrères du Centre
d'observation de M.________. Dans ce contexte, ni l'incapacité de travail
totale attestée par le docteur I.________, médecin traitant de l'assuré, ni
l'abandon du stage d'observation professionnelle mis en oeuvre par l'office
AI ne sont de nature à faire douter du bien-fondé de ces appréciations
médicales convergentes. Il y a dès lors lieu de reconnaître que le recourant
serait capable - abstraction faite de ses troubles dorsaux et psychiques dont
la CNA n'a pas à répondre - de reprendre un travail à 100 % dans une activité
adaptée à son handicap.
Le calcul proprement dit de l'invalidité auquel l'intimée a procédé ne prête
flanc à aucune critique (le recourant ne le prétend d'ailleurs pas). Celle-ci
s'est basée sur cinq descriptions de poste de travail qui répondent aux
limitations fixées par le docteur R.________, procédé admis par la
jurisprudence au même titre que le recours aux statistiques économiques pour
la détermination du revenu d'invalide (cf. ATF 129 V 472).

6.
Il reste à examiner si le recourant a droit, comme il le soutient, à une
indemnité pour atteinte à l'intégrité d'un taux supérieur à celui fixé par
l'intimée.

A l'appui de ses conclusions, le recourant se réfère au rapport du docteur
O.________. Ce dernier a estimé qu'il y avait lieu «d'additionner l'atteinte
à l'intégrité résultant d'une arthrodèse de l'articulation inférieure de la
cheville (15 %) et celle consécutive à une arthrodèse de l'articulation de
Chopart (15 %), une arthrodèse après une fracture du calcanéum devant
consister en une fusion du calcanéum et de l'astragale, de même qu'en une
fusion de l'articulation de Chopart». Dans sa prise de position du 2 mai
2002, le docteur G.________, médecin d'arrondissement de la CNA, objecte que
c'est prendre en considération une intervention chirurgicale qui n'a pas eu
lieu; les séquelles consécutives à la fracture du calcanéum droit consistant,
chez l'assuré, en une gêne fonctionnelle dans les articulations
sous-astragaliennes (arthrose), c'était cette seule atteinte qu'il convenait
d'indemniser; les tables concernant les atteintes à l'intégrité établies par
la CNA, plus précisément la table 2 (atteinte à l'intégrité résultant de
troubles fonctionnels des membres inférieurs), prévoyaient dans cette
situation un taux entre 5 % et 30 %; pour L.________, il y avait lieu de
retenir un taux de 15 %, le même au demeurant qu'en cas de status après
arthrodèse sous-astragalienne (opération à laquelle les médecins lui avaient
suggéré de se soumettre). En l'occurrence, les objections du docteur
G.________ sont convaincantes et la Cour de céans les fera siennes.
Le recours se révèle par conséquent en tous points mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à ASSURA, assurance maladie et
accident, au Tribunal cantonal genevois des assurances sociales et à l'Office
fédéral de la santé publique.

Lucerne, le 14 février 2005
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIIe Chambre:   p. la Greffière: