Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen U 387/2004
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U 387/04

Arrêt du 16 février 2006
IIIe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Lustenberger et Seiler. Greffier : M.
Cretton

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1,
6004 Lucerne, recourante,

contre

P.________, intimé, représenté par Me Philippe Nordmann, avocat, place
Pépinet 4, 1003 Lausanne

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 24 février 2004)

Faits:

A.
P. ________, né en 1949, travaillait comme mouleur. A ce titre, il était
assuré contre les accidents par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas
d'accidents (CNA). Victime d'une chute le 6 août 1996, il a souffert d'une
rupture complète du muscle sus-épineux de l'épaule droite et présenté des
signes irritatifs au niveau de la gaine du tendon du long chef du biceps
(rapport du docteur W.________, médecin traitant, du 29 novembre 1996 se
fondant sur ceux des docteurs T.________, radiologue FMH, et B.________,
chirurgien orthopédique FMH, des 15 août et 4 novembre 1996). Le cas a été
pris en charge par la CNA.

Malgré une physiothérapie intensive, les différents médecins consultés n'ont
pu constater qu'une discrète amélioration (rapports des docteurs B.________
et C.________, chirurgien orthopédique FMH et médecin d'arrondissement de
l'assureur, des 21 avril et 5 mai 1997) justifiant néanmoins à leurs yeux la
mise en oeuvre d'une opération chirurgicale (rapport du docteur S.________,
chirurgien orthopédique FMH, du 18 août 1997). Celle-ci n'a toutefois pas
permis la réinsertion du muscle lésé. Malgré une limitation fonctionnelle
permanente probable de l'épaule, l'évolution s'est poursuivie de manière
lentement favorable, laissant augurer une reprise partielle progressive du
travail (rapports du docteur B.________ des 3 et 22 décembre 1997, 5 mars et
28 avril 1998, ainsi que du docteur G.________, chirurgien FMH et médecin
d'arrondissement de la CNA du 16 janvier 1998). Bien que le docteur
G.________ ait relevé la persistance de faiblesses et de douleurs liées à
l'accomplissement d'efforts répétitifs (examen du 22 juin 1998), la reprise
du travail a été organisée d'entente avec l'employeur. Cet essai s'est
cependant soldé par un échec, les douleurs ressenties par l'assuré ne lui
ayant pas permis d'atteindre un rendement supérieur à 10 %. Outre le manque
de force (rapport du docteur S.________ du 1er décembre 1998), les
investigations médicales ultérieures ont mis en évidence une importante
atteinte de la coiffe rotatoire (déchirure du tendon sus-épineux avec
rétractation et dilacération, lésion des tendons sous-scapulaires, long
biceps et sous-épineux, atrophie des muscles sus- et sous-épineux; rapports
des docteurs S.________ et L.________, radiologue FMH, des 2 et 7 décembre
1998). L'opération pratiquée peu après a permis la fermeture de cette large
rupture. La situation ne s'étant que peu améliorée durant l'année 1999
(rapport du docteur S.________ du 30 juin 1999), le docteur R.________,
médecin-conseil de l'assureur a considéré le cas comme stabilisé; vu la perte
de fonctionnalité considérable de l'épaule droite, il estimait que P.________
ne pourrait plus travailler dans une fonderie, mais qu'il était apte à
exercer une activité adaptée: mains à hauteur de table, pas de sollicitations
répétées de l'épaule, port de charges inférieures à 10 kg (examen final du 29
novembre 1999). Les mêmes limitations ressortent du rapport établi le 26
juillet 2000 par les responsables du Centre d'observation professionnelle de
l'assurance-invalidité (ci-après: COPAI) auprès duquel l'assuré venait de
séjourner durant un mois.

Par décision du 27 mars 2001, confirmée sur opposition le 25 mai suivant, la
CNA a octroyé à l'intéressé une rente fondée sur un taux d'invalidité de 15
%, avec effet au 1er décembre 2000. Cinq descriptions de postes de travail
considérés comme exigibles à 100 % par le docteur D.________, chirurgien
orthopédique FMH et médecin-conseil de l'assureur, ont servi de base au
calcul de comparaison des revenus (appréciation médicale du 31 octobre 2000).

B.
P.________ a déféré la décision sur opposition au Tribunal des assurances du
canton de Vaud arguant que son handicap ne lui permettait pas d'exercer les
travaux retenus. Il concluait à l'octroi d'une rente fondée sur un taux
d'invalidité de 75 %, voire de 50 % à titre subsidiaire.

Par jugement incident du 3 décembre 2002, la juridiction cantonale a rejeté
l'opposition formée par l'assuré à l'encontre d'une décision du juge
instructeur refusant la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire. Le
magistrat considérait que l'instruction des dossiers produits par la CNA et
par l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après :
l'Office AI) était suffisamment explicite et complète pour permettre de
statuer en toute connaissance de cause.

La procédure cantonale a donné lieu au dépôt de nombreuses pièces. Y figurent
notamment le rapport d'expertise privée établi le 22 novembre 2002 par le
docteur E.________, chirurgien orthopédique FMH, ainsi que les avis des
docteurs F.________, service médical de l'AI pour la région lémanique, et
M.________, chirurgien orthopédique FMH et médecin-conseil de l'assureur, des
8 janvier, 6 août et 20 octobre 2003, s'y rapportant. On y retrouve également
la décision de l'Office AI du 11 mars 2003 reconnaissant à l'intéressé un
taux d'invalidité de 90,77 % et la réponse du 21 janvier 2004 de l'expert
privé aux critiques du docteur M.________.

Par jugement du 24 février 2004, la juridiction cantonale a admis le recours
de l'intéressé. Elle a annulé la décision de l'assureur, afin qu'il détermine
à nouveau le degré d'invalidité de P.________.

C.
La CNA interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
elle requiert l'annulation. Elle conclut au rétablissement de la décision sur
opposition. A titre subsidiaire, elle sollicite le renvoi de la cause pour
instruction complémentaire (expertise orthopédique).

L'assuré conclut, sous suite de dépens, au rejet du recours. L'Office fédéral
de la santé public a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le litige porte sur le degré d'invalidité de l'intimé, en particulier sur
le point de savoir si la juridiction cantonale a justement annulé la décision
sur opposition en se fondant, aux dires du recourant, principalement sur le
rapport d'expertise du docteur E.________.

1.2 La loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des
assurances sociales (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003,
entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine
de l'assurance-accidents. Cependant, le cas d'espèce reste régi par les
dispositions de la LAA en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, conformément au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 130 V 447
consid. 1.2.1, 127 V 467 consid. 1).

1.3 Le jugement entrepris expose correctement les normes et la jurisprudence
relatives à la notion d'invalidité, au principe de libre appréciation des
preuves et à la valeur probante des rapports médicaux. Il suffit donc d'y
renvoyer sur ces points.

2.
2.1 Le docteur E.________ a constaté un état après rupture traumatique du
tendon sus-épineux, un état après réparation et reconstruction tardive, une
insuffisance musculo-tendineuse de l'épaule droite, une dégénération
graisseuse des muscles sus- et sous-épineux, une déhiscence de la coiffe des
rotateurs supérieure droite et une dépression réactive probable. Il ne
pouvait imaginer, ni proposer des travaux adaptés au handicap de l'intimé,
celui-ci étant droitier et n'arrivant pas à compenser la fonction manquante
par le bras gauche. Il estimait qu'en l'état, l'incapacité de travail était
totale et que sans opération, l'invalidité définitive et l'atteinte à
l'intégrité devaient être réévaluées en se basant sur une perte fonctionnelle
importante de l'épaule droite; l'appréciation du cas d'espèce ne devait pas
se baser sur la bonne mobilité passive de l'épaule, ni sur le peu de douleurs
localisées dans la musculature compensant le déficit, mais sur la mobilité
active faisant défaut et qui seule comptait pour l'utilisation effective du
bras.

Ses conclusions reposaient sur les dossiers du recourant et de l'Office AI,
sur les clichés et les imageries par résonance magnétique antérieures, ainsi
que sur un examen clinique et radiologique ambulatoire effectué le 20
novembre 2002.

2.2 Le docteur F.________, ainsi que le docteur I.________, service médical
de l'AI, ont qualifié le rapport du docteur E.________ de fouillé, pertinent
et bien étayé. D'après eux, l'expert avait apporté suffisamment d'éléments
probants permettant de conclure que l'intimé n'était plus du tout apte à
utiliser son membre supérieur pour l'exercice d'une quelconque activité
lucrative depuis 1999 déjà. Ils ont constaté que l'atteinte portait sur trois
muscles (sus-, sous-épineux et sous-scapulaire) avec ascension complète de la
tête humérale, ce qui rendait l'épaule quasiment inutilisable dans les
mouvements actifs, mais également dans les attitudes passives et interdisait
les activités impliquant l'utilisation répétée et prolongée du bras; le
membre supérieur droit posé sur un établi correspondait à une position
favorisant l'ascension de la tête humérale, le conflit avec l'articulation de
l'épaule et une position vicieuse secondaire de la nuque, engendrant des
douleurs incompatibles avec un travail suivi. Ils décrivaient les éventuels
postes de travail envisageables comme étant ceux que pouvait exercer un
manchot de son membre supérieur dominant.

L'Office AI a fondé sa décision du 11 mars 2003, remplaçant celle du 4 mars
2002, sur cet avis.

2.3 Se référant à la doctrine médicale, le docteur M.________ a notamment
relevé qu'une intervention médicale appropriée au niveau de la coiffe des
rotateurs permettait généralement au patient une utilisation acceptable de
l'épaule atteinte, l'absence d'opération n'engendrant d'ailleurs pas
forcément la dysfonction totale de l'articulation. D'après lui, les lésions
diagnostiquées permettaient encore à l'intimé de porter des charges légères
ou d'utiliser sa main dans le domaine de la mécanique de précision, par
conséquent de mettre en valeur sa capacité de travail dans une activité
adaptée à son handicap.

3.
3.1 Il apparaît dès lors que tous les médecins consultés ont un avis
concordant quant à la nature des lésions (rupture complète de la coiffe des
rotateurs) et à leurs conséquences permanentes probables (cf. notamment,
impotence fonctionnelle importante de l'épaule droite [rapport du docteur
W.________ du 29 novembre 1996], limitation fonctionnelle avec manque de
force [rapport du docteur B.________ du 3 décembre 1997], nette limitation de
la force [rapports du docteur B.________ des 5 mars et 28 avril 1998],
faiblesses et douleurs liées aux efforts répétitifs [rapport du G.________ du
22 juin 1998], important manque de force et perte de fonctionnalité
considérable [rapport du docteur R.________ du 29 novembre 1999]). De
surcroît, les différents praticiens qui se sont exprimés sur le sujet ont
mentionné des limitations fonctionnelles pour l'essentiel identiques
(activité sans port de charge avec le bras restant en dessous de l'horizontal
[rapport du docteur C.________ du 5 mai 1997], activité plus légère que celle
de fondeur [rapport du docteur S.________ du 30 juin 1999], activité ne
nécessitant pas de mouvements répétés de l'épaule droite, ni le port de
charges supérieures à 10 kg et permettant de laisser les mains à hauteur
d'une table [rapport du docteur R.________ du 29 novembre 1999], activité
sans contrainte pour l'épaule droite et excluant le port de charge [rapport
du COPAI du 26 juillet 2000], activité limitant les mouvements répétés de
l'épaule droite au dessus de 20 à 30°, le port de charges supérieures à 10 kg
et les torsions-tractions [rapport du docteur F.________ du printemps 2001],
l'intimé peut utiliser sa main dans des domaines tels que la mécanique de
précision et porter des charges légères [rapports du docteur M.________ des 6
août et 20 octobre 2003]).

En raison notamment de la concordance des avis médicaux sur ces différents
points, il ne saurait être question d'écarter le rapport d'un médecin au
profit d'un autre sous prétexte qu'il aurait une valeur probante accrue,
supérieure à celle des autres, comme semble l'avoir retenu la juridiction
cantonale.

3.2 Les divergences d'opinion, considérables, résultent d'une appréciation
différenciée de la capacité de travail de l'intimé.

Sur la base de constatations identiques, dont certaines reposent sur des
observations concrètes (cf. par exemple, le rapport du COPAI qui retient un
rendement de 50 %, bien que ceux effectivement observés étaient plutôt de
l'ordre de 30 à 40 %, la volonté et l'assiduité de l'intimé n'étant pas en
cause; le rendement de celui-ci durant la tentative de reprise du travail n'a
jamais dépassé 10 %, malgré des efforts évidents relevés par l'employeur et
l'adaptation des activités aux handicaps présumés), le docteur E.________ a
retenu une incapacité totale de travail, le docteur C.________ une capacité
de 25 % dans un travail sans port de charge avec le bras restant en dessous
de l'horizontal (rapport du 5 mai 1997) et le COPAI une capacité de 50 % dans
une activité sans contrainte pour l'épaule droite et excluant le port de
charge (rapport du 26 juillet 2000), tandis que le docteur F.________
relevait une capacité de travail de 100 % dans une activité limitant les
mouvements répétés de l'épaule droite au dessus de 20 à 30°, le port de
charges supérieures à 10 kg et les torsions-tractions (rapport du printemps
2001), le docteur D.________ une pleine capacité dans certains travaux
(rapport du 31 octobre 2000), de même que le docteur M.________ dans des
domaines tels que la mécanique de précision ne nécessitant que le port de
charges légères (rapports des 6 et 20 octobre 2003).

On notera que les considérations justifiant les différentes capacités
retenues ne reposent sur aucun véritable fondement objectif et sont rarement
motivées. Il semble également qu'il n'a pas toujours été tenu compte des
observations formulées à propos des limitations fonctionnelles et de
l'idonéité des différentes professions décrites.

3.3 Même si la juridiction cantonale était fondée, sur la base de l'expertise
du docteur E.________, à écarter les postes de travail reconnus comme
pleinement exigibles - le praticien a justement relevé qu'il existait une
contradiction entre l'une des limitations mentionnée par les docteurs
G.________, R.________ et les responsables du COPAI consistant à éviter
toutes sollicitations répétées de l'épaule et la plupart des postes de
travail proposés impliquant de tels mouvements répétitifs -, il n'en demeure
pas moins que devant une telle divergence d'opinions quant à la capacité de
travail de l'intimé, elle ne pouvait trancher ce point en écartant certains
rapports médicaux sur la base unique de leur valeur probante soi-disant
inférieure à celle de l'expertise du docteur E.________. Cet argument est
erroné, d'autant plus que l'aspect formel d'une expertise (résumé des
examens, compte rendu des plaintes, anamnèse, etc.) ne suffit pas. Encore
faut-il que les interférences médicales soient claires et que les conclusions
soient bien motivées (cf. ATF 125 V 351), ce qui n'est le cas d'aucun rapport
figurant au dossier en tant qu'il se prononce sur la capacité de travail de
l'intéressé.

Au regard de ce qui précède, il convient de renvoyer la cause à la
juridiction cantonale afin qu'elle mette en oeuvre une expertise judiciaire
destinée à déterminer la capacité résiduelle de travail de l'intimé.

4.
La procédure est gratuite, dès lors qu'elle porte sur l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance (art. 134 OJ). Assisté d'un avocat, l'intimé qui
succombe n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 2 OJ en corrélation avec
l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est partiellement admis en ce sens que le jugement du 24 février
2004 du Tribunal des assurances du canton de Vaud est annulé, la cause étant
renvoyée à l'autorité judiciaire précédente pour complément d'instruction au
sens des considérants et nouveau jugement.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral de la santé publique.

Lucerne, le 16 février 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIIe Chambre: Le Greffier: