Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen U 351/2004
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U 351/04

Arrêt du 14 février 2006
IIIe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Meyer et Lustenberger. Greffier : M. Piguet

F.________, recourant, représenté par Me Olivier Carrard, avocat, cours des
Bastions 14, 1205 Genève,

contre

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1,
6004 Lucerne, intimée

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 24 août 2004)

Faits:

A.
F. ________, né en 1962, travaillait en qualité de maçon pour le compte de
l'entreprise X.________SA. A ce titre, il était assuré contre les accidents
professionnels et non professionnels auprès de la Caisse nationale suisse
d'assurance en cas d'accidents (CNA).
Le vendredi 7 juin 2002, alors qu'il était occupé sur un chantier à porter un
sac de ciment, F.________ a glissé et chuté de sa hauteur en se recevant sur
le côté droit. Malgré de fortes douleurs, il a terminé sa journée et
travaillé le lundi suivant. Le soir, l'assuré s'est rendu à la Permanence de
la Clinique Y.________ où une lombalgie L3-L4 droite non déficitaire a été
diagnostiquée. Des anti-douleurs et des séances de physiothérapie lui ont
alors été prescrits et une incapacité totale de travailler lui a été
reconnue. L'assuré a été revu à la Clinique les 14, 20 et 24 juin ainsi que
le 1er juillet 2002. Le 7 juillet 2002, alors qu'il devait reprendre le
travail le jour suivant, l'assuré s'est rendu d'urgence à la Clinique
Y.________ en raison de l'aggravation de ses douleurs lombaires, lesquelles
irradiaient désormais dans la cuisse droite jusqu'au genou. L'injection à
laquelle il a été procédé n'ayant pas permis de calmer la douleur, l'assuré a
été adressé le jour suivant à l'Hôpital Z.________ afin que soit pratiqué un
scanner de la colonne vertébrale lombaire. Celui-ci a révélé l'existence
d'une hernie discale L4-L5 médiane et droite luxée vers le haut, qui a été
opérée le 16 juillet 2002. L'assuré n'a depuis lors pas repris le travail.
Après avoir requis l'avis de son médecin d'arrondissement, le docteur
G.________, la CNA a, par décision du 18 septembre 2002, confirmée sur
opposition le 21 novembre suivant, mis fin au versement de ses prestations
avec effet rétroactif au 8 juillet 2002, au motif que les troubles présentés
par l'assuré n'étaient plus, à compter de cette date, en relation de
causalité naturelle avec l'événement accidentel.

B.
Par acte du 20 février 2003, F.________ a recouru contre la décision sur
opposition devant le Tribunal administratif de la République et canton de
Genève (aujourd'hui: Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de
Genève).
Par décision du 28 août 2003, la juridiction cantonale a confié aux docteurs
B.________ et O.________, spécialistes en neurologie, le mandat de procéder à
une expertise. Le rapport d'expertise du 26 avril 2004 a été soumis aux
parties, qui se sont déterminées tour à tour.
Par jugement du 24 août 2004, le tribunal a rejeté le recours.

C.
F.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
il demande l'annulation, concluant, sous suite de dépens, à l'octroi des
prestations d'assurance (indemnités journalières et frais médicaux) au-delà
du 7 juillet 2002.
La CNA conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral de la santé
publique a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit du recourant à des prestations de
l'assurance-accidents au-delà du 7 juillet 2002.

2.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA), entrée en vigueur le 1er janvier 2003, n'est pas
applicable au présent litige, dès lors que le juge des assurances sociales
n'a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l'état de
fait postérieures à la date déterminante de la décision litigieuse du 21
novembre 2002 (ATF 129 V 4 consid. 1.2 et les références).

3.
3.1
Le droit à des prestations découlant d'un accident assuré suppose d'abord,
entre l'événement dommageable de caractère accidentel et l'atteinte à la
santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu'il y
a lieu d'admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait
pas produit du tout, ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il
n'est pas nécessaire, en revanche, que l'accident soit la cause unique ou
immédiate de l'atteinte à la santé; il faut et il suffit que l'événement
dommageable, associé éventuellement à d'autres facteurs, ait provoqué
l'atteinte à la santé physique ou psychique de l'assuré, c'est-à-dire qu'il
se présente comme la condition sine qua non de celle-ci. Savoir si
l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de
causalité naturelle est une question de fait, que l'administration ou, le cas
échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements
d'ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du
degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation
des preuves dans l'assurance sociale. Ainsi, lorsque l'existence d'un rapport
de cause à effet entre l'accident et le dommage paraît possible, mais qu'elle
ne peut pas être qualifiée de probable dans le cas particulier, le droit à
des prestations fondées sur l'accident assuré doit être nié (ATF 129 V 181
consid. 3.1, 406 consid. 4.3.1, 119 V 337 consid. 1, 118 V 289 consid. 1b et
les références).

3.2 Le droit à des prestations de l'assurance-accidents suppose en outre
l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'accident et l'atteinte la
santé. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et
l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet
du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant
de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 181 consid.
405 consid. 2.2, 125 V 461 consid. 5a et les références).
En présence d'une atteinte à la santé physique, le problème de la causalité
adéquate ne se pose toutefois guère, car l'assureur-accidents répond aussi
des complications les plus singulières et les plus graves qui ne se
produisent habituellement pas selon l'expérience médicale (cf. ATF 118 V 291
consid. 3a, 117 V 364 consid. 5d/bb et les références; Frésard,
L'assurance-accidents obligatoire, in : Schweizerisches
Bundesverwaltungsrecht [SBVR], n. 39, p. 16).

3.3 En vertu de l'art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les
remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les
allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l'atteinte à la santé
n'est que partiellement imputable à l'accident. La jurisprudence a souligné à
cet égard que lorsqu'un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière
générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de
l'assurance-accidents d'allouer des prestations cesse si l'accident ne
constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce
dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le
cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait
immédiatement avant l'accident (statu quo ante) ou à celui qui serait survenu
tôt ou tard même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire
(statu quo sine) (cf. RAMA 1992 n° U 142 p. 75 consid. 4b; Maurer,
Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, p. 469 nos 3 et 4;
Debrunner/Ramseier, Die Begutachtung von Rückenschäden, Berne 1990, p. 52;
Meyer-Blaser, Die Zusammenarbeit von Richter und Arzt in der
Sozialversicherung, Bulletin des médecins suisses 71/1990, p. 1093). A
contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n'est pas rétabli,
l'assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l'état maladif
préexistant, dans la mesure où il a été causé ou aggravé par l'accident.

3.4 Selon l'expérience médicale, pratiquement toutes les hernies discales
s'insèrent dans un contexte d'altération des disques intervertébraux
d'origine dégénérative, un événement accidentel n'apparaissant
qu'exceptionnellement, et pour autant que certaines conditions particulières
soient réalisées, comme la cause proprement dite d'une telle atteinte. Une
hernie discale peut être considérée comme étant due principalement à un
accident, lorsque celui-ci revêt une importance particulière, qu'il est de
nature à entraîner une lésion du disque intervertébral et que les symptômes
de la hernie discale (syndrome vertébral ou radiculaire) apparaissent
immédiatement, entraînant aussitôt une incapacité de travail. Dans de telles
circonstances, l'assureur-accidents doit, selon la jurisprudence, allouer ses
prestations également en cas de rechutes et pour des opérations éventuelles.
Si la hernie discale est seulement déclenchée, mais pas provoquée par
l'accident, l'assurance-accidents prend en charge le syndrome douloureux lié
à l'événement accidentel. En revanche, les conséquences de rechutes
éventuelles doivent être prises en charge seulement s'il existe des symptômes
évidents attestant d'une relation de continuité entre l'événement accidentel
et les rechutes (RAMA 2000 n° U 378 p. 190 consid. 3 [arrêt N. du 7 février
2000, U 149/99]; SZIER 2001 p. 346 consid. 3b et les arrêts cités [arrêt H.
du 18 août 2000, U 4/00]; cf. également Debrunner/Ramseier, op. cit., p. 54
ss, en particulier p. 56).

4.
En l'espèce, il ressort du dossier que la chute du 7 juin 2002, dont le
caractère accidentel n'est pas remis en cause, a déclenché un syndrome
lombo-vertébral qui s'est aggravé au fil des semaines et a abouti à une
intervention chirurgicale le 16 juillet 2002 puis, postérieurement, à un état
chronique.
D'après le rapport d'expertise des docteurs B.________ et O.________ du 26
avril 2004, lequel remplit toutes les exigences auxquelles la jurisprudence
soumet la valeur probante d'un tel document (ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V
160 consid. 1c et les références), le recourant présentait avant l'accident
des troubles dégénératifs étagés des disques inter-vertébraux de la colonne
lombaire, qui étaient asymptomatiques. Si l'accident du 7 juin 2002 n'était
pas en soi susceptible d'entraîner une rupture de l'anneau fibreux d'un
disque lombaire, et comme conséquence une hernie discale, il était dans tous
les cas propre à déclencher les symptômes d'une hernie discale, dès lors que
le disque était déjà fragilisé par des micro-traumatismes antérieurs ou un
processus à caractère dégénératif. Bien que l'accident ne constituât pas la
cause unique de l'atteinte à la santé, le processus dégénératif étant
prédominant, il avait néanmoins décompensé durablement les troubles
dégénératifs, de sorte qu'il y avait lieu de considérer comme vraisemblable
le lien de causalité entre l'accident et l'évolution ultérieure de l'état de
santé de l'assuré.
La prise de position du docteur G.________ du 12 septembre 2002, qui a nié
tout lien de causalité entre l'accident et la hernie discale, ne justifie pas
que l'on s'écarte des conclusions de l'expertise. Les explications de ce
médecin ne permettent en effet pas d'affirmer ou de tenir pour vraisemblable
que l'accident avait cessé de déployer ses effets sur l'état de santé et la
capacité de travail du recourant à la date du 7 juillet 2002. La nature de
l'accident, en particulier l'absence de mécanisme traumatique direct touchant
la colonne vertébrale, ne constitue à cet égard pas un indice pertinent pour
déterminer si le syndrome douloureux consécutif à l'accident avait été
éliminé. De même, le fait que la reprise du travail était prévue le 8 juillet
2002 (certificat médical du docteur U.________ du 1er juillet 2002) ne permet
pas non plus de conclure à l'élimination des troubles lombaires en date du 7
juillet 2002, dès lors que cette reprise n'a pas eu lieu et que le recourant
était toujours incapable d'exercer son activité lucrative à ce moment-là.
Cela étant, il n'existe aucun élément concret qui justifierait de dissocier
la découverte de la hernie discale à la suite du scanner réalisé le 8 juillet
2002 et l'intervention chirurgicale qui s'en est suivie de l'événement
accidentel, les experts ayant au contraire relevé que celle-ci constituait
l'aboutissement d'un processus continu de décompensation qui trouvait son
origine dans l'accident du 7 juin 2002.

Dans ces circonstances, il y a lieu d'admettre que la chute subie par le
recourant a aggravé un état maladif préexistant au sens de l'art. 36 al. 1
LAA et qu'au moment où l'intimée a cessé d'allouer ses prestations, le statu
quo sine vel ante n'était pas rétabli. Il en résulte que la CNA est tenue de
prendre en charge les frais engendrés par le traitement du syndrome
douloureux, y compris l'intervention chirurgicale du 16 juillet 2002 et ses
suites, et d'allouer des indemnités journalières, jusqu'au rétablissement du
statu quo sine vel ante (voir également arrêt P. du 14 mars 2000, U 266/99).

5.
Le recours se révèle ainsi bien fondé.
Le recourant, qui est assisté d'un avocat, obtient gain de cause, de sorte
qu'il a droit à une indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 159
al. 2 en corrélation avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal administratif de la
République et canton de Genève du 24 août 2004 ainsi que la décision sur
opposition de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents du 21
novembre 2002 sont annulés, la cause étant renvoyée à l'intimée pour nouvelle
décision au sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'intimée versera au recourant la somme de 2'500 fr. (y compris la taxe à la
valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

4.
Le Tribunal administratif de la République et canton de Genève statuera sur
les dépens pour la procédure de première instance, au regard de l'issue du
procès de dernière instance.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal administratif de la
République et canton de Genève et à l'Office fédéral de la santé publique.

Lucerne, le 14 février 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIIe Chambre: Le Greffier: