Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen U 300/2004
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U 300/04

Arrêt du 13 avril 2005
IVe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Meyer et Geiser, suppléant. Greffier : M.
Berthoud

1. A.________,

2. B.________,
recourantes, toutes les 2 représentées par
Me Marc-Etienne Favre, avocat, rue Centrale 5, 1002 Lausanne,

contre

La Genevoise assurances, membre de la Zurich, compagnie d'assurances,
Ambassador House, Talackerstrasse 1, 8065 Zurich, intimée,
représentée par Me Eric Stauffacher, avocat,
avenue du Théâtre 7, 1005 Lausanne

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 24 mai 2004)

Faits:

A.
D. ________ travaillait en qualité de cardiologue au service de X.________
SA. A ce titre, il était assuré contre les accidents auprès de La Genevoise
compagnie générale d'assurances (ci-après : La Genevoise). Le 23 mai 1998, à
23 heures 30, il est décédé subitement à son domicile de Y.________. De
l'enquête judiciaire, de l'autopsie médico-légale du corps et des examens
toxicologiques effectués, il est apparu que le défunt avait absorbé notamment
une dose de pentobarbital, dont la résorption n'était pas achevée au moment
du décès, et de l'alcool. D'autres substances ont été découvertes dans
l'urine, en particulier un antidépresseur, un antiémétique et de la
benzodiazépine. Le professeur K.________ et la doctoresse R.________, de
l'Institut de médecine légale de Z.________, dans leur rapport au juge
d'instruction du 3 juillet 1998, ont conclu qu'il s'agissait d'un décès par
intoxication au pentobarbital, en présence de phénobarbital et d'alcool
éthylique. Ils ont relevé que le risque de décès avait pu être accru par la
présence simultanée dans l'organisme de plusieurs substances agissant sur le
système nerveux central et dont les effets pouvaient s'additionner ou se
potentialiser mutuellement. Ils n'ont en revanche pas trouvé d'éléments
évoquant une autre hypothèse ou l'intervention d'un tiers.

Le 10 septembre 1998, X.________ a annoncé le cas à La Genevoise. Par
décision du 29 mars 1999, cette dernière a refusé de servir des rentes de
survivantes à A.________ et B.________, respectivement veuve et fille de
D.________. A l'appui de sa décision, l'assureur-accidents a considéré que le
décès était imputable au pentobarbital, médicament que l'assuré consommait
depuis plusieurs années en raison du tremblement dont il était atteint, si
bien que la notion d'accident devait être niée. La Zurich Compagnie
d'assurances (ci-après : la Zurich), chargée par la Genevoise de gérer les
cas relevant de l'assurance-accidents obligatoire, a rejeté l'opposition de
A.________ et B.________, par décision du 29 septembre 2000. En résumé,
l'assureur-accidents, tout en n'excluant pas la thèse du suicide, a estimé
qu'une surdose involontaire de médicaments était invraisemblable. Il a retenu
que le caractère extraordinaire de la cause du décès devait être nié, car
D.________ avait l'habitude de consommer régulièrement du pentobarbital et
des médicaments avec de l'alcool.

B.
A.________ et B.________ ont déféré la décision sur opposition du 29
septembre 2000 au Tribunal des assurances du canton de Vaud, en concluant au
versement de prestations de l'assurance-accidents.

Le Tribunal a confié un mandat d'expertise à l'Institut de médecine légale de
W.________. Le professeur H.________ ainsi que les docteurs S.________ et
L.________ ont déposé leur rapport le 22 mars 2004.

Par jugement du 24 mai 2004, la juridiction cantonale a rejeté le recours.
Elle s'est par ailleurs déclarée incompétente pour statuer sur des
conclusions relatives à l'assurance collective accidents complémentaire à la
LAA et transmis la cause à la Cour civile du Tribunal cantonal.

C.
A.________ et B.________ interjettent recours de droit administratif contre
ce jugement en concluant, sous suite de frais et dépens, à ce qu'il soit
réformé en ce sens que leur droit aux prestations de l'assurance-accidents
obligatoire soit reconnu.

La Zurich conclut au rejet du recours avec suite de frais et dépens. L'Office
fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le caractère accidentel du décès de D.________.

2.
La loi fédérale sur la partie générale des assurances sociales (LPGA) du 6
octobre 2000, entrée en vigueur au 1er janvier 2003, n'est pas applicable au
présent litige, dès lors que le juge des assurances sociales n'a pas à
prendre en considération les modifications du droit ou de l'état de fait
postérieures à la date déterminante de la décision litigieuse. Le cas
d'espèce reste donc soumis aux dispositions régissant l'assurance-accidents
obligatoire en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002 (ATF 129 V 4 consid. 1.2 et
les références).

3.
Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations sont allouées en cas d'accident
professionnel, d'accident non-professionnel et de maladie professionnelle.
Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire,
portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet
la santé physique ou mentale (art. 2 al. 2 LAMal; art. 9 al. 1 OLAA; ATF 129
V 404 consid. 2.1, 122 V 232 consid. 1 et les références). Il résulte de la
définition même de l'accident que le caractère extraordinaire de l'atteinte
ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur
lui-même. Dès lors il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné, le
cas échéant, des conséquences graves ou inattendues. Le facteur extérieur est
considéré comme extraordinaire lorsqu'il excède, dans le cas particulier, le
cadre des événements et des situations que l'on peut, objectivement,
qualifier de quotidiens ou d'habituels (ATF 129 V 404 consid. 2.1, 122 V 233
consid. 1, 121 V 38 consid. 1a ainsi que les références).

4.
4.1 En l'espèce, il est établi que feu D.________ était atteint d'un
tremblement depuis de nombreuses années dont il traitait les effets par
automédication en recourant à l'ingestion régulière de pentobarbital. Ce
médicament, de la famille des barbituriques, a des effets hypnotique et
sédatif. Il ne figure pas dans le Compendium suisse des médicaments 1998,
mais on le trouve dans les pays voisins. Antérieurement, il était utilisé
dans des cas de grave épilepsie comme tranquillisant aux effets importants et
il entre encore dans la composition de préparations anesthésiques. Comme
hypnotique, la dose habituelle est de 100 à 200 mg; comme sédatif, cette dose
est de 20 mg, trois ou quatre fois par jour. Les doses maximales sont de 200
mg en dose simple et de 400 mg en dose journalière. Les avis d'expert
recueillis par l'instance cantonale auprès de spécialistes de l'Institut de
médecine légale de W.________ - avis qui ne sont pas remis en cause -
indiquent, sur la base de l'analyse des cheveux du défunt, que celui-ci
consommait du pentobarbital de façon chronique et très importante, en tout
cas dans les quatre mois qui ont précédé sa mort. Cette consommation devait
correspondre au moins à 300 mg par jour. Au moment du décès, la concentration
de pentobarbital dans le sang du défunt était de 21,40 mg/l. De plus, la
présence de 91 mg de pentobarbital dans 21 ml de contenu gastrique indiquait
que la résorption de la dose qui venait d'être ingérée n'était pas achevée
lors de la survenance de la mort. Par ailleurs, D.________ avait l'habitude,
depuis de nombreuses années, de boire chaque soir un petit verre de whisky
avant de se coucher.

4.2 L'hypothèse du suicide, évoquée antérieurement dans la procédure, a été à
juste titre écartée par la cour cantonale. En effet, selon la jurisprudence,
le fait que l'assuré s'est volontairement enlevé la vie ne sera considéré
comme prouvé que s'il existe des indices sérieux excluant toute autre
explication qui soit conforme aux circonstances (RAMA 1996 no U 247 p. 172
consid. 2b). Or, en l'espèce, aucun élément ne permet de fonder l'hypothèse
d'une mort volontaire, hormis la découverte de différentes substances
médicamenteuses et d'alcool dans le corps du défunt. Or, leur présence
simultanée est aisément explicable par les habitudes de l'assuré.

4.3 Devant la Cour de céans, les parties s'accordent à imputer le décès en
question à une intoxication chronique au pentobarbital, ce qui est la thèse
retenue in fine par le tribunal cantonal. La plus grande vraisemblance parle
en effet en faveur de cette version, en particulier les déductions
convaincantes des experts judiciaires de l'Institut de médecine légale de
W.________, commis par la cour cantonale. Toutefois, ces derniers n'ont pas
exclu que l'assuré ait pris, juste avant son décès, volontairement ou non,
une importante dose supplémentaire de ce produit.

Que D.________ ait atteint un degré fatal d'intoxication au pentobarbital,
sans changer ses habitudes, ou qu'il ait délibérément ou non absorbé une
quantité de ce médicament supérieure à celle qu'il consommait d'ordinaire,
n'est cependant pas déterminant, car, en toutes hypothèses, les conditions
d'un accident, au sens rappelé plus haut, ne sont pas remplies. En effet,
selon les précisions que le docteur L.________ a fournies à la juridiction
cantonale, par lettre du 5 mai 2004 et lors de son audition du 24 mai 2004,
le pentobarbital génère une forte accoutumance. Alors que son consommateur
doit en prendre de plus en plus, les effets cliniques s'estompent avec
l'utilisation. Une personne peut consommer durant une longue période un
médicament toxique, de manière régulière, et bien le supporter, puis
subitement décéder, du fait de la prise de cette substance. En outre, lors de
l'administration chronique de pentobarbital, en raison de la capacité
d'induction du métabolisme (tolérance), qui varie d'un individu à l'autre, il
n'est pas permis d'établir un seuil à partir duquel la substance est
potentiellement mortelle.

Vu ce qui précède, il est manifeste qu'une prise de pentobarbital par
l'assuré peu avant son décès n'avait rien d'inhabituel. A supposer que la
quantité de substance ingérée ait été délibérément supérieure aux doses
précédentes, c'est alors le caractère involontaire de l'atteinte qui ferait
défaut pour qu'un accident puisse être retenu. En d'autres termes, l'élément
décisif pour nier le caractère accidentel du décès de D.________ réside dans
le fait qu'il prenait du pentobarbital, régulièrement et de façon importante.
La doctrine précise à cet égard qu'une atteinte à la santé, voire un décès,
consécutive à la consommation régulière d'aliments empoisonnés ne peut être
assimilée à un accident (Maurer, Unfallversicherungsrecht, Berne 1985, p.
189, chap. 7 « Vergiftungen » in fine). Quant à la jurisprudence, elle
retient que l'ingestion de nourriture ne saurait constituer un accident que
dans des circonstances tout à fait spéciales (voir l'arrêt publié aux ATFA
1944 p. 101, où un empoisonnement dû à une saucisse avariée ne constituait
pas un accident).

C'est donc sans pertinence que les recourantes tentent de faire un parallèle
entre les circonstances de la présente cause et celles d'une affaire jugée
récemment par la Cour de céans (ATF 130 V 117) où le fait, pour un sportif,
de subir une charge contre la balustrade au cours d'un match de hockey sur
glace a été considéré comme un mouvement non programmé excédant ce que l'on
peut objectivement qualifier de normal et habituel.

5.
Ainsi, le jugement entrepris n'est pas critiquable et le recours se révèle
entièrement mal fondé.

6.
Vu la nature du litige, la procédure est gratuite (art. 134 OJ).

Les recourantes, qui succombent, ne peuvent prétendre de dépens (art. 159 al.
1 OJ a contrario). Par ailleurs, l'intimée n'a pas non plus droit à des
dépens, car elle est assimilée, en sa qualité d'assureur privé participant à
l'application de la LAA, à un organisme chargé de tâches de droit public au
sens de l'art. 159 al. 2 OJ (ATF 128 V 133 consid. 5b, 126 V 150 consid. 4a,
118 V 169 consid. 7 et les références).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral de la santé publique.

Lucerne, le 13 avril 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre:  Le Greffier: