Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 8/2004
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I 8/04

Arrêt du 12 octobre 2005
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Schön et Frésard. Greffière : Mme Fretz

R.________, recourant, représenté par Me Philippe Nordmann, avocat, place
Pépinet 4, 1003 Lausanne,

contre

Office AI pour les assurés résidant à l'étranger, avenue Edmond-Vaucher 18,
1203 Genève, intimé

Commission fédérale de recours en matière d'AVS/AI pour les personnes
résidant à l'étranger, Lausanne

(Jugement du 17 novembre 2003)

Faits:

A.
R. ________, ressortissant portugais né en 1951, a exercé l'activité de maçon
en Suisse de 1985 à 1990. Souffrant d'un syndrome douloureux persistant sur
personnalité fruste et dépendante, ainsi que de dorso-lombalgies chroniques
avec quelques troubles statiques et dégénératifs en relation avec une
ancienne maladie de Scheuermann (rapport d'expertise du Centre médical
d'observation de l'assurance-invalidité de Lausanne [COMAI], du 9 mai 1995),
il a bénéficié d'une rente entière d'invalidité dès le 1er septembre 1991
(décision du 1er décembre 1995). Au cours de l'année 1996, l'intéressé est
reparti s'installer au Portugal.

En 2000, l'Office de l'assurance-invalidité pour les assurés résidant à
l'étranger (ci-après : l'OAI) a entrepris une procédure de révision et a
confié une expertise à la Clinique X.________. Cette dernière a rendu son
rapport le 10 mai 2002, lequel exposait que l'assuré ne souffrait d'aucune
atteinte somatique ou psychique susceptible de limiter sa capacité de travail
dans les activités exercées précédemment. Sur la base de cette expertise,
l'OAI a supprimé le droit à la rente dès le 1er mars 2003 (décision du 20
janvier 2003 et décision sur opposition du 31 mars de la même année).

B.
Par jugement du 17 novembre 2003, la Commission fédérale de recours en
matière d'AVS/AI pour les personnes résidant à l'étranger (ci-après : la CRE)
a rejeté le recours déposé par l'assuré. Elle a considéré que ce dernier ne
présentait pas d'atteinte physique ou psychique l'empêchant de reprendre une
activité lucrative.

C.
R.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement. Avec
suite de dépens, il conclut, principalement, à son annulation et au maintien
de la rente d'invalidité et, subsidiairement, au renvoi de la cause à la CRE
pour instruction complémentaire sous la forme d'une expertise judiciaire.

Dans sa réponse, l'OAI propose le rejet du recours et la confirmation du
jugement entrepris, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales a
renoncé à se déterminer.

D.
La IIe chambre du Tribunal fédéral des assurances a tenu une audience ouverte
aux parties le 12 octobre 2005.

Considérant en droit:

1.
La décision par laquelle l'OAI a supprimé le droit à la rente de l'assuré
(dès le 1er mars 2003) est postérieure à l'entrée en vigueur de la LPGA.
L'art. 17 LPGA est donc applicable à la révision de la rente litigieuse. Les
principes jurisprudentiels développés en matière de révision de rente sous le
régime de l'ancien art. 41 LAI demeurent cependant applicables (ATF 130 V 349
ss consid. 3.5).

2.
2.1 En l'espèce, il s'agit tout d'abord de savoir si l'on est en présence d'un
motif de révision, ce qui suppose une modification notable du taux
d'invalidité (art. 17 LPGA). Il n'y a pas matière à révision lorsque les
circonstances sont demeurées inchangées et que le motif de la suppression ou
de la diminution de la rente réside uniquement dans une nouvelle appréciation
du cas. Un motif de révision au sens de l'art. 17 LPGA (ou de l'ancien art.
41 LAI) doit clairement ressortir du dossier (p. ex. arrêt P. du 31 janvier
2003 [I 559/02], consid. 3.2 et les arrêts cités; sur les motifs de révision
en particulier: Urs Müller, Die materiellen Voraussetzungen der
Rentenrevision in der Invalidenversicherung, thèse Fribourg 2002, p. 133 ss).
La réglementation sur la révision ne saurait en effet constituer un fondement
juridique à un réexamen sans condition du droit à la rente (Rudolf Ruedi, Die
Verfügungsanpassung als verfahrensrechtliche Grundfigur namentlich von
Invalidenrentenrevisionen, in: Schaffauser/Schlauri [Hrsg], Die Revision von
Dauerleistungen in der Sozialversicherung, Saint-Gall, 1999, p. 15).

2.2 Si l'on compare les expertises du COMAI du 9 mai 1995 et de la Clinique
X.________ du 10 mai 2002, les principaux diagnostics posés sont pratiquement
superposables (syndrome somatoforme douloureux persistant et personnalité
fruste et dépendante en 1995; syndrome douloureux somatoforme persistant
[F45.4] et personnalité aux traits dépendants [F60.7] en 2002). Les
conclusions des expertises sont divergentes, en revanche, en ce qui concerne
les répercussions des atteintes à la santé sur la capacité de travail. Les
experts du COMAI avaient estimé que le syndrome somatoforme douloureux
prenait place dans le contexte d'un trouble de la personnalité. On était en
présence d'une atteinte à la santé mentale importante, entraînant une
incapacité totale de travail, sans perspective de reclassement ni
d'amélioration, vu l'importance de la régression et de la fixation somatique.
Les experts de la Clinique X.________ concluent, pour leur part, à l'absence
d'atteinte somatique ou psychique susceptible de limiter la capacité de
travail. Les mêmes experts déclarent s'écarter des conclusions du COMAI, au
motif que l'association d'un trouble somatoforme douloureux à une
personnalité aux traits dépendants ne constitue pas, à leur avis, une
atteinte à la santé mentale importante.

2.3 Sur la base de ces éléments, il y a lieu de constater que les experts de
la Clinique X.________ ne font pas état d'une modification de l'état de santé
du recourant, mais remettent en cause l'appréciation précédente - et fondée
sur un même état de fait - des experts du COMAI. Ni l'administration ni les
premiers juges n'ont cherché du reste à démontrer l'existence d'un changement
de circonstances. Ils insistent plutôt sur le caractère probant de
l'expertise de la Clinique X.________, en faisant totalement abstraction des
règles sur la révision et comme s'il s'agissait en l'occurrence de se
prononcer pour la première fois sur le droit à la rente. Mais cela ne suffit
pas, on l'a vu, pour justifier une révision du droit à la rente (cf. aussi
Urs Müller, op. cit., p. 135, ch. 490).

3.
3.1 Le principe selon lequel l'administration peut en tout temps revenir
d'office sur une décision formellement passée en force qui n'a pas donné lieu
à un jugement sur le fond, lorsque celle-ci est certainement erronée et que
sa rectification revêt une importance appréciable, l'emporte sur la procédure
de révision. Ainsi, l'administration peut aussi modifier une décision de
rente lorsque les conditions de la révision selon l'art. 17 LPGA ne sont pas
remplies. Si le juge est le premier à constater que la décision initiale
était certainement erronée, il peut confirmer, en invoquant ce motif, la
décision de révision prise par l'administration (ATF 125 V 369 consid. 2 et
les arrêts cités; cf. aussi ATF 112 V 373 consid. 2c et 390 consid. 1b). Il
est à relever que la reconsidération est désormais expressément prévue à
l'art. 53 LPGA.

3.2 Pour juger s'il est admissible de reconsidérer une décision pour le motif
qu'elle est sans nul doute erronée, il faut se fonder sur la situation
juridique existant au moment où cette décision a été rendue, compte tenu de
la pratique en vigueur à l'époque (ATF 119 V 479 consid. 1b/cc et les
références). Par le biais de la reconsidération, on corrigera une application
initiale erronée du droit, de même qu'une constatation erronée résultant de
l'appréciation des faits. Un changement de pratique ou de jurisprudence ne
saurait en principe justifier une reconsidération (ATF 117 V 17 consid. 2c,
115 V 314 consid. 4a/cc). Une décision est sans nul doute erronée non
seulement lorsqu'elle a été prise sur la base de règles de droit non
correctes ou inappropriées, mais aussi lorsque des dispositions importantes
n'ont pas été appliquées ou l'ont été de manière inappropriée (DTA 1996/97 n°
28 p. 158 consid. 3c). Tel est notamment le cas lorsque l'administration a
accordé une rente d'invalidité au mépris du principe de la priorité de la
réadaptation sur la rente (voir l'arrêt P. du 31 janvier 2003, déjà cité). A
l'inverse, une inexactitude manifeste ne saurait être admise lorsque l'octroi
de la prestation dépend de conditions matérielles dont l'examen suppose un
pouvoir d'appréciation, quant à certains de leurs aspects ou de leurs
éléments, et que la décision paraît admissible compte tenu de la situation de
fait et de droit (arrêt P. du 13 août 2003 [I 790/01], consid. 3).

3.3 En l'espèce, c'est en vue d'élucider les divergences issues d'avis
médicaux contradictoires se trouvant au dossier que l'administration a
recueilli l'expertise du COMAI, du 9 mai 1995, et qu'elle s'est fondée sur
cette dernière pour allouer une rente entière au recourant, le 1er décembre
1995. En présence d'un tableau clinique complexe, par ailleurs difficile à
appréhender en raison de ses aspects subjectifs, la prise de position sur une
incapacité de travail implique toujours un jugement d'appréciation. Or, un
tel jugement ne saurait être qualifié de manifestement erroné que si les
investigations médicales dans les différents domaines concernés n'ont pas été
entreprises ou qu'elles ne l'ont pas été avec le soin nécessaire (cf. arrêt
P. du 31 janvier 2003, déjà cité). Tel n'est pas le cas en ce qui concerne
l'expertise du COMAI dans la mesure où cette expertise pluridisciplinaire
répond aux critères jurisprudentiels permettant de lui attribuer une pleine
valeur probante. En tout cas, les critiques émises à l'encontre des
conclusions du COMAI par les médecins de la Clinique X.________ ne suffisent
pas pour admettre que ces conclusions sont dépourvues de crédibilité. Comme
on l'a vu, on est en présence d'appréciations divergentes d'experts en ce
sens que les uns, à la différence des autres, considèrent que l'association
d'un trouble somatoforme douloureux à une personnalité aux traits dépendants
n'a pas d'incidence sur la capacité de travail. Seule une surexpertise serait
de nature à les départager. Mais, ici également, on ne peut faire abstraction
des éléments qui ont conduit l'administration à allouer une rente entière au
recourant comme si l'on devait statuer pour la première fois sur les droits
de l'assuré et modifier sa situation juridique à la lumière exclusivement des
données médicales recueillies à l'occasion de la procédure de révision. Une
appréciation médicale différente ultérieure ne suffit pas pour faire
apparaître comme manifestement erronée la décision initiale ou pour ordonner
une expertise. On ne peut pas non plus affirmer que l'administration a commis
à l'origine une erreur de droit, notamment en méconnaissant le principe de la
priorité de la réadaptation sur la rente: l'expertise du COMAI excluait toute
possibilité de reclassement professionnel et ne laissait pas entrevoir, à
brève échéance, une amélioration de l'état de santé qui eût permis la mise en
oeuvre de mesures de réadaptation professionnelle.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis. Le jugement de la Commission fédérale de recours en
matière d'AVS/AI pour les personnes résidant à l'étranger, du 17 novembre
2003, et la décision sur opposition de l'Office AI pour les assurés résidant
à l'étranger, du 31 mars 2003, sont annulés.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'office intimé versera au recourant la somme de 2'500 fr. (y compris la taxe
sur la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

4.
La Commission fédérale de recours en matière d'AVS/AI pour les personnes
résidant à l'étranger statuera sur les dépens pour la procédure de première
instance au regard de l'issue définitive du litige.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Commission fédérale de
recours en matière d'AVS/AI pour les personnes résidant à l'étranger et à
l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 12 octobre 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: La Greffière: