Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 832/2004
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I 832/04

Arrêt du 3 février 2006
IIIe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Lustenberger et Seiler. Greffier : M.
Métral

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

D.________, intimée, représentée par la Fédération suisse pour l'intégration
des handicapés (FSIH), place Grand-Saint-Jean 1, 1003 Lausanne

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 9 septembre 2004)

Faits:

A.
D. ________, née en 1959, exerçait la profession d'infirmière. Elle
travaillait à temps partiel dans un établissement médico-social tout en
assurant, dès 1994, la gestion d'un magasin de jouets éducatifs. A partir du
mois de janvier 1998, son médecin traitant, le docteur P.________, a attesté
une incapacité de travail variant de 50 à 100 %, en raison de fatigue et de
douleurs musculaires, principalement à la ceinture scapulaire. Il a posé les
diagnostics de fibromyalgie et d'état dépressif réactionnel et a également
fait état d'une hospitalisation en septembre 1999, en raison d'une
décompensation (rapports des 26 janvier, 5 février, 5 juin, 9 août et 27
décembre 20000; rapport du 30 août 2002). Le 24 décembre 1999, D.________ a
adressé une demande de rente à l'Office de l'assurance-invalidité du canton
de Vaud (ci-après : l'Office AI).

L'Office AI a confié au docteur S.________, psychiatre, le soin de réaliser
une expertise. Celui-ci a posé les diagnostics de dysthymie à début précoce
de sévérité légère (axe I), de personnalité immature à défense obsessionnelle
(axe II). Il a renoncé à se prononcer sur l'existence d'une atteinte
somatique à la santé (axe III) et a relevé la présence de difficultés
financières et affectives (axe IV). Il a proposé de retenir une incapacité de
travail de 70 % depuis 1999, et de 30 % dès le début de l'année 2001, en
raison des troubles psychiques de l'assurée (rapport du 18 janvier 2001 et
rapport complémentaire du 23 mai 2002). Pour sa part, le docteur C.________,
médecin au Service médical régional X.________, a proposé d'admettre une
diminution de la capacité de travail de 70 % au maximum entre septembre 1999
et décembre 2000, explicable par une exacerbation d'un trouble de
l'adaptation avec humeur anxio-dépressive, puis une incapacité de travail de
30 % dès le 1er janvier 2001 (rapport du 28 mai 2002).

Le 17 juillet 2002, l'Office AI a adressé à l'assurée un projet de décision
dans lequel il indiquait vouloir lui allouer une rente entière d'invalidité,
pour une période limitée du 1er septembre au 31 décembre 2000. Par lettres
des 22 juillet et 2 août 2002, l'assurée s'est opposée à ce projet de
décision, en alléguant subir une incapacité de travail totale.

Par décision du 24 février 2003, l'Office AI lui a alloué une rente entière
d'invalidité pour la période du 1er septembre au 31 décembre 2000,
conformément au projet de décision du 17 juillet 2002. Dans un recours remis
le 26 mars 2003 au Tribunal des assurances du canton de Vaud, D.________ a
mis en cause l'impartialité du docteur S.________, en produisant une lettre
qu'elle avait adressée le 21 janvier 2003 à la Commission de déontologie de
la Société vaudoise de médecine (ci-après : la Commision de déontologie).
Elle y précise avoir consulté le docteur S.________ en mars 2001 et avoir été
frappée par son attitude familière, son manque de rigueur et d'écoute, ainsi
que par son manque de professionnalisme; elle ajoute lui avoir fait part de
ces critiques dans une lettre. Le docteur S.________ se serait senti agressé
et aurait réagi négativement. La relation thérapeutique aurait pris fin après
deux séances, D.________ la jugeant peu satisfaisante. Toujours dans la
lettre du 21 janvier 2003 à la Commission de déontologie, D.________ allègue
que le docteur S.________, lors de l'expertise, l'a interrogée de manière
insistante sur le point de savoir si elle avait consulté son ex-épouse,
également psychiatre.

Le recours, dans lequel l'assurée relevait encore plusieurs imprécisions de
l'expertise, a été transmis à l'Office AI comme opposition à la décision du
24 février 2003. Par décision sur opposition du 26 novembre 2003, l'Office AI
a alloué à l'assurée une rente entière d'invalidité pour la période du 1er
septembre au 31 décembre 2000, mais a refusé de lui allouer des prestations
postérieurement à cette date. Il a considéré que les motifs de récusation du
docteur S.________ avaient été soulevés tardivement et que l'expertise
revêtait une pleine valeur probante malgré les imprécisions mentionnées par
l'assurée.

B.
Par jugement du 9 septembre 2004, le Tribunal des assurances du canton de
Vaud a admis le recours interjeté par l'assurée contre la décision sur
opposition du 26 novembre 2003 et a renvoyé la cause à l'Office AI pour qu'il
mette en oeuvre une nouvelle expertise psychiatrique et statue à nouveau.

C.
L'Office AI interjette un recours de droit administratif contre ce jugement,
dont il demande l'annulation. L'intimée conclut au rejet du recours, sous
suite de frais et dépens, alors que l'Office fédéral des assurances sociale
en propose l'admission.

Considérant en droit:

1.
Est litigieux le point de savoir si l'expertise réalisée par le docteur
S.________ permet de se prononcer en connaissance de cause sur la capacité
résiduelle de travail de l'intimée, eu égard aux atteintes à la santé
psychique dont elle est atteinte. En revanche, D.________ n'a contesté ni
dans la procédure d'opposition, ni dans le recours qu'elle a adressé à la
juridiction cantonale, ni dans sa détermination sur le recours de droit
administratif de l'Office AI, qu'abstraction faite des atteintes à sa santé
psychique, son état de santé physique lui permet de travailler sans
restriction, comme l'a admis à juste titre le recourant. Il n'y a pas lieu de
revenir sur ce dernier point dans le cadre de la présente procédure.

2.
D'après la juridiction cantonale, l'expertise réalisée par le docteur
S.________ ne revêt qu'une valeur probante insuffisante, parce que l'expert
avait précédemment été médecin traitant de l'assurée et que la relation
thérapeutique s'était terminée de manière conflictuelle. Ces circonstances
jetteraient un doute sur l'impartialité de l'expert, qui justifierait
d'exiger la mise en oeuvre d'une nouvelle expertise par l'Office AI.

2.1
2.1.1 Un expert passe pour prévenu lorsqu'il existe des circonstances propres
à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s'agit
toutefois d'un état intérieur dont la preuve est difficile à rapporter. C'est
pourquoi il n'est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective
pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence
de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l'expert.
L'appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules
impressions de l'expertisé, la méfiance à l'égard de l'expert devant au
contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (cf. ATF 125 V
353 sv. consid. 3b/ee, 123 V 176 consid. 3d; voir également, parmi d'autres,
arrêts S. du 31 mai 2005 [I 26/05], consid. 5.1, B. du 14 avril 2005 [I
12/04], consid. 5.2.1).
2.1.2 D'après la jurisprudence rendue en matière de récusation d'un juge, le
motif de récusation doit être invoqué dès que possible, soit en principe dès
le début des débats, mais au plus tard dès que le plaideur a connaissance de
l'identité des membres composant l'autorité. Il serait en effet contraire à
la bonne foi d'attendre l'issue d'une procédure pour tirer ensuite argument,
à l'occasion d'un recours, du motif de récusation, alors que celui-ci était
déjà connu auparavant (ATF 128 V 85 consid. 2b et les références). Ces
principes sont applicables par analogie à la récusation d'experts judiciaires
(ATF 120 V 364 consid. 3a), ainsi qu'aux cas d'expertises ordonnées par
l'administration (cf. VSI 2001 p. 110 sv. consid. 4a/aa et les références).

2.2 L'intimée avait connaissance d'emblée des motifs qu'elle invoque à
l'appui du grief de partialité de l'expert. Lorsque l'Office AI lui en a
communiqué le nom, elle n'a soulevé aucune objection, ni même ne l'a informé
du fait qu'elle avait déjà consulté le docteur S.________. Après l'expertise,
elle n'a pas davantage protesté auprès de l'Office AI, se bornant à alléguer
à nouveau une incapacité de travail de 100 % à réception du projet de
décision du 17 juillet 2002. Ce n'est qu'après la décision du 24 février 2003
qu'elle a soulevé le grief de prévention pour la première fois. Ces
circonstances justifient de se montrer particulièrement circonspect dans
l'examen de l'argumentation de l'assurée et de faire preuve de retenue avant
d'admettre un renversement de la présomption d'impartialité de l'expert. On
peut d'ailleurs se demander si les premiers juges n'auraient pas déjà dû
rejeter le recours de l'assurée au motif qu'elle n'avait pas présenté une
demande de récusation suffisamment tôt. La question peut cependant rester
ouverte, compte tenu de ce qui suit.

2.3
2.3.1 La jurisprudence exposée ci-dessus (consid. 2.1.1), relative aux motifs
permettant d'écarter une expertise en raison de doutes sur l'impartialité de
l'expert, est également applicable lorsque celui-ci a été consulté
précédemment par l'assuré en qualité de médecin traitant. Dans ce contexte,
on rappellera qu'il convient en principe d'éviter de confier une expertise à
un ancien médecin traitant de l'assuré, eu égard au conflit d'intérêts
pouvant résulter de sa position de thérapeute et d'expert (arrêt P. du 5
avril 2004 [I 814/03], consid. 2.4.2; Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, namentlich
für den Einkommensvergleich in der Invaliditätsbemessung, in :
Schaffhauser/Schlauri, Schmerz und Arbeitsunfähigkeit, St-Gall 2003, p. 51).
Selon la jurisprudence, toutefois, cela ne justifie pas d'exclure d'emblée
toute expertise réalisée par un ancien médecin traitant, en l'absence d'autre
circonstance objective jetant le doute sur son impartialité, par exemple
parce qu'il n'a pas rédigé son rapport de manière neutre et factuelle (arrêt
J. du 17 août 2004 [I 29/04], consid. 2.2 et les références).

2.3.2 En l'occurrence, la plupart des allégations contenues dans la lettre du
21 janvier 2003 à la Commission de déontologie sont d'ordre subjectif et ne
sont étayées par aucune pièce. L'assurée n'a pas produit les récriminations
écrites qu'elle allègue avoir adressées au docteur S.________ en mars 2001 et
soutient à tort que ce médecin n'a pas fait mention dans l'expertise du fait
qu'elle l'avait consulté précédemment en tant que médecin traitant (cf.
expertise, p. 8). Par ailleurs, la lettre à la Commission de déontologie a
été écrite plus d'une année après l'interruption du traitement et les
derniers examens effectués pour l'expertise, alors que l'assurée savait
qu'une décision de refus de prestations, pour la période postérieure au 31
décembre 2000, lui serait notifiée sous peu. Ces circonstances jettent un
sérieux doute sur les allégations de l'assurée, en particulier sur la manière
conflictuelle dont le traitement suivi auprès du docteur S.________ aurait
pris fin et sur l'insistance avec laquelle il l'aurait interrogée sur la
thérapie suivie auprès de son ex-épouse. Hormis la consultation du docteur
S.________ par l'assurée quelques mois avant la désignation de ce médecin
comme expert, il n'y a donc pas lieu de tenir ces faits pour établis.

En ce qui concerne l'expertise comme telle, force est de constater qu'elle
est rédigée de manière objective et nuancée. Contrairement à l'opinion des
premiers juges, l'expert explique de manière convaincante pourquoi il a admis
une amélioration de la capacité de travail de l'assurée dès le 1er janvier
2001. Il a précisé que D.________ présentait une capacité adaptative réduite
en situation de stress, ce qui avait provoqué une décompensation en septembre
1999; elle était alors confrontée à des problèmes familiaux ainsi qu'à des
difficultés dans la gestion de son magasin, ces dernières ayant finalement
abouti à une faillite. Il a ajouté que lorsque l'assurée ne traversait pas de
stress existentiel majeur, elle était tout à fait apte à tenir une activité
professionnelle à 70 % au moins, son fonctionnement hors professionnel
semblant par ailleurs parfaitement conservé. Enfin, comme l'ont admis les
premiers juges eux-mêmes, les erreurs relevées par l'assurée dans l'anamnèse
portent sur des faits d'importance secondaire et n'entament pas sérieusement
la valeur probante de l'expertise.

En l'absence de motifs justifiant objectivement d'admettre le grief de
prévention soulevé par l'assurée, et dès lors que l'expertise remplit
largement les critères posés par la jurisprudence pour lui reconnaître une
pleine valeur probante (sur ces critères : ATF 125 V 352 ss consid. 3), le
renvoi de la cause à l'Office AI par la juridiction cantonale n'était pas
justifié.

3.
Compte tenu de la capacité résiduelle de travail décrite par l'expert dès le
31 décembre 2000, l'Office AI a considéré à juste titre que l'assurée ne
présentait plus, dès le début de l'année 2001, un taux d'invalidité de 40 %
ou plus. Il convient cependant de rectifier la date de modification du droit
à la rente fixée dans la décision sur opposition litigieuse. En effet, un
changement de circonstance entraînant une diminution du taux d'invalidité
d'un assuré ne justifie de revoir son droit à la rente que s'il est
prévisible d'emblée que l'amélioration constatée se maintiendra durant une
assez longue période ou si un tel changement a duré trois mois déjà sans
interruption notable et sans qu'une complication prochaine soit à craindre
(cf. art. 88a al. 1 RAI, applicable, en l'espèce, dans sa teneur en vigueur
jusqu'au 29 février 2004; cf. ATF 130 V 425 consid. 1, 127 V 467 consid. 1).
En l'occurrence, il n'était pas d'emblée prévisible que l'amélioration de
l'état de santé de l'assurée se maintiendrait durablement, l'expert s'étant
montré réservé sur l'évolution de cet état de santé à l'avenir. La rente
allouée avec effet dès le 1er septembre 2000 ne pouvait donc pas être
supprimée avant l'écoulement d'un délai de trois mois courant depuis le 1er
janvier 2001. Le jugement entrepris et la décision sur opposition litigieuse
seront modifiés dans ce sens.

4.
L'intimée, qui voit ses conclusions rejetées, ne peut prétendre de dépens à
la charge de l'Office AI (art. 159 al. 1 OJ). La procédure est par ailleurs
gratuite, dès lors qu'elle porte sur l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance (art. 134 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis au sens des considérants. Le jugement du Tribunal des
assurances du canton de Vaud du 9 septembre 2004 ainsi que la décision sur
opposition de l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud du 26
novembre 2003 sont modifiés en ce sens que D.________ a droit à une rente
d'invalidité pour la période du 1er septembre 2000 au 31 mars 2001.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le Tribunal des assurances du canton de Vaud statuera sur les dépens pour la
procédure de première instance, au regard de l'issue du procès de dernière
instance.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 3 février 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIIe Chambre: Le Greffier: