Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 820/2004
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I 820/04

Arrêt du 6 février 2006
IIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Borella et Kernen. Greffier : M.
Wagner

Office AI du canton de Neuchâtel, Espacité 4-5, 2302 La Chaux-de-Fonds,
recourant,

contre

L.________, intimée, représentée par Me Eric-Alain Bieri, avocat, avenue
Léopold-Robert 9, 2302 La Chaux-de-Fonds

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

(Jugement du 12 novembre 2004)

Faits:

A.
L. ________, née le 16 janvier 1953, est titulaire d'un certificat fédéral de
capacité de coiffeuse. Dès le 1er janvier 1998, elle a travaillé en qualité
de sommelière au service du restaurant X.________, dont son mari est
l'associé gérant. A partir du 23 novembre 2000, elle a été mise en arrêt
maladie.
Le 22 février 2002, L.________ a présenté une demande de prestations de
l'assurance-invalidité. Dans un rapport médical du 11 mars 2002, le docteur
C.________, médecin traitant de l'assurée, a posé le diagnostic de probable
sclérose en plaques. Il indiquait que la patiente avait présenté dans
l'activité d'employée une incapacité de travail de 100 % du 23 novembre 2000
au 31 août 2001, de 90 % du 1er septembre 2001 au 28 février 2002 et de 100 %
depuis le 1er mars 2002. Dans un rapport médical du 10 avril 2002, le docteur
I.________, spécialiste FMH en neurologie et également médecin traitant de
L.________, a conclu à une sclérose en plaques. Selon lui, il y avait
incapacité totale de travail dans la profession exercée (service hôtelier)
depuis décembre 2000.
L'Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel a confié une
expertise au professeur B.________, chef de service du Service de neurologie
du Centre hospitalier Y.________. Dans un rapport du 12 décembre 2002, le
professeur B.________ et la doctoresse S.________, médecin assistante, ont
retenu le diagnostic de sclérose en plaques probable. Dans un rapport
complémentaire du 14 janvier 2003, ils ont indiqué que l'incapacité de
travail s'élevait à 30 % depuis le début de la maladie et qu'elle avait
évolué de manière stable. A la question de savoir quelle était la capacité de
travail actuellement exigible comme coiffeuse, sommelière ou gérante, ils ont
répondu : 70 %.
Par décision du 10 février 2003, l'office AI a rejeté la demande, au motif
que L.________ présentait une capacité de gain de 70 % dans sa profession
habituelle et que le taux de son invalidité était donc inférieur à celui
donnant droit à une rente.

L. ________ a formé opposition contre cette décision. Elle a requis la mise
en oeuvre d'une nouvelle expertise neurologique. Après avoir requis
l'appréciation de son médecin-conseil (rapport du 26 mars 2003 et 23 avril
2003), l'office AI a rejeté l'opposition par décision du 19 juin 2003.

B.
L.________ a formé recours contre cette décision devant le Tribunal
administratif de la République et canton de Neuchâtel, en concluant, sous
suite de frais et dépens, à l'annulation de celle-ci et à l'allocation d'une
rente entière d'invalidité. A titre subsidiaire, elle invitait la juridiction
cantonale à dire qu'elle avait droit à une demi-rente d'invalidité. A titre
plus subsidiaire, elle demandait que le dossier soit renvoyé à l'office AI
pour nouvelle expertise médicale.
Par jugement du 12 novembre 2004, le Tribunal administratif a admis le
recours et renvoyé la cause à l'office AI pour instruction complémentaire au
sens des considérants et nouvelle décision. Il invitait l'office AI à
ordonner une nouvelle expertise médicale.

C.
L'Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel interjette un
recours de droit administratif contre ce jugement, en concluant à
l'annulation de celui-ci.

L. ________ conclut, sous suite de frais et dépens, au rejet du recours. Elle
invite le Tribunal fédéral des assurances à dire qu'elle a droit à une rente
entière d'invalidité, à titre subsidiaire qu'elle a droit à une demi-rente. A
titre plus subsidiaire, elle demande que la cause soit renvoyée à l'office AI
pour complément d'instruction (nouvelle expertise médicale). L'Office fédéral
des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
La contestation, dont l'objet est déterminé par la décision administrative
litigieuse du 19 juin 2003, concerne le droit de l'intimée à une rente
d'invalidité. Le litige porte sur le point de savoir si, comme l'ont décidé
les premiers juges, une instruction complémentaire est nécessaire pour
déterminer la capacité de travail de l'assurée dans une activité adaptée à
son état de santé, singulièrement si cela justifie un renvoi de la cause à
l'office AI pour qu'il ordonne une nouvelle expertise médicale.

2.
2.1 Dans son rapport médical du 10 avril 2002, le docteur I.________ a indiqué
les résultats de l'examen neurologique auquel il avait procédé le même jour.
En ce qui concerne les douleurs et troubles annoncés par l'assurée, ceux-ci
consistaient dans des paresthésies, hypoesthésies, dysesthésies des quatre
membres et du tronc apparues le 20 novembre 2000, dans la persistance depuis
lors de dysesthésies spontanées, aggravées par l'activité, par
l'effleurement, le tact, au niveau des quatre membres mais particulièrement
au niveau des membres supérieurs, et dans un signe de Lhermitte. Selon les
constatations de ce praticien, l'intimée présentait des paresthésies dans le
territoire V-3 des deux côtés, un signe de Lhermitte, des dysesthésies
désagréables au toucher-piquer sur l'ensemble des membres supérieurs, à
prédominance distale, niveau sensitif D-6-D-7 des deux côtés, des
dysesthésies au piquer et au toucher au niveau des membres inférieurs, à
prédominance distale et gauche. De l'avis du docteur I.________, la patiente
n'avait aucun déficit moteur. Il a relevé une très discrète instabilité.
D'après lui, les douleurs neuropathiques, accentuées par l'activité,
l'effleurement (etc...) rendaient l'intimée toutefois incapable de travailler
et la handicapaient également dans ses activités ménagères, qu'elle assumait
cependant seule. Il a retenu une incapacité totale de travail dans la
profession exercée jusque-là (service hôtelier), d'une durée indéterminée.

2.2 Dans l'expertise neurologique du 12 décembre 2002, le professeur
B.________ et la doctoresse S.________ ont constaté qu'actuellement, au
status neurologique, on mettait en évidence des signes sensitifs subjectifs :
allodynies des mains des deux côtés et dysesthésies des membres inférieurs à
partir de la mi-cuisse, sans signe de polyneuropathie. Selon eux, ceci
pourrait correspondre à la lésion médullaire cervicale visible à l'imagerie
par résonance magnétique dès novembre 2000. A la question de savoir à partir
de quelle date la capacité de travail subissait une réduction de 20 % au
moins, ils ont répondu à partir du 23 novembre 2000, tout en indiquant que le
degré de la capacité de travail était resté stable. En ce qui concerne les
possibilités d'améliorer la capacité de travail par des mesures médicales,
ils ont proposé comme traitement possible une désensibilisation des zones
douloureuses par un programme d'ergothérapie, anesthésiants locaux avec
application de gants de contention, traitements médicamenteux antalgiques
autres et soutien psychologique. Dans leur rapport complémentaire du 14
janvier 2003, ils ont répondu, en ce qui concerne l'incapacité de travail de
l'intimée, qu'elle s'élevait à 30 % depuis le début de la maladie et qu'elle
avait évolué de manière stable. A la question de savoir quels étaient les
déficits neurologiques objectifs et quelles étaient les limitations
fonctionnelles qu'ils induisent dans l'activité de l'assurée, ils ont répondu
que l'intimée présentait une allodynie des mains des deux côtés (sensation
douloureuse au moindre stimulus) et des dysesthésies des membres inférieurs à
partir de la mi-cuisse des deux côtés (sensation anormale). Il y avait une
limitation fonctionnelle à utiliser ses mains dans les activités manuelles
exigées par son activité de coiffeuse ou de sommelière. A la question de
savoir quelle était la capacité de travail actuellement exigible comme
coiffeuse, sommelière ou gérante, ils ont répondu que la capacité de travail
exigible était de 70 %.

3.
3.1 Les premiers juges ont considéré que la cause n'était pas en état d'être
jugée, attendu que les rapports médicaux figurant au dossier, notamment ceux
établis par le docteur I.________ et les neurologues du Centre hospitalier
Y.________, seraient totalement contradictoires. S'agissant du docteur
I.________ et du professeur B.________, tous deux spécialistes, le premier
avait retenu une incapacité de travail pleine et entière et le second une
capacité de travail à 70 % dans les activités de sommelière ou de coiffeuse.
De l'avis de la juridiction cantonale, si l'on pouvait imaginer que l'assurée
était en mesure d'exercer une activité professionnelle, compte tenu de son
atteinte à la santé, et qu'il fallait peut-être relativiser l'avis du docteur
I.________ à cet égard, il paraissait en revanche difficilement envisageable
qu'elle travaille précisément comme sommelière ou comme coiffeuse, étant
donné qu'elle présentait une limitation fonctionnelle à utiliser ses mains
dans les activités manuelles exigées par ces deux métiers. Les premiers juges
relevaient que les spécialistes du Centre hospitalier Y.________ étaient à
l'origine à la fois de l'estimation de sa capacité résiduelle de travail et
que c'était également eux qui admettaient une limitation fonctionnelle de ses
mains dans les deux activités en question. Les gants de contention évoqués ne
paraissaient pas adaptés aux métiers de sommelière et de coiffeuse, en
contacts réguliers avec l'eau, notamment l'eau chaude, et avec la clientèle.

3.2 Lorsque des spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre
sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut
exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce
dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la
forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 352 consid. 3b/aa et les
références; arrêt T. du 14 septembre 2005 [I 634/04]).

3.3 Les déclarations du docteur I.________, médecin traitant de l'intimée,
ont cependant une moindre valeur probante que l'expertise du professeur
B.________ et de la doctoresse S.________ en raison du rapport de confiance
qui lie le médecin traitant à son patient (ATF 125 V 353 consid. 3b/cc; comp.
ATF 124 I 175 consid. 4).

3.3.1 Dans son rapport médical du 10 avril 2002, le docteur I.________ a
retenu une incapacité de travail de 100 % dans la profession exercée
jusque-là (service hôtelier), d'une durée indéterminée. Toutefois, ce
spécialiste a pris acte que les douleurs neuropathiques, accentuées par
l'activité, l'effleurement (etc.) rendaient l'intimée incapable de
travailler, mais il n'a fourni aucune explication sur son appréciation de la
capacité de travail de l'assurée. Sur ce point, les conclusions du docteur
I.________ ne sont pas dûment motivées.
Les communications ultérieures du docteur I.________ des 11 février et 20
mars 2003, produites dans la procédure d'opposition contre la décision du 10
février 2003 de rejet de la demande, n'y changent rien. En effet, la lettre
de ce praticien du 11 février 2003 concerne l'évolution de la situation
médicale, en particulier les propositions thérapeutiques des neurologues du
Centre hospitalier Y.________. D'autre part, la lettre du docteur I.________
du 20 mars 2003, dans laquelle ce spécialiste se déclare surpris par les
résultats de l'expertise des neurologues du Centre hospitalier Y.________ et
considère qu'une contre-expertise est indispensable, ne supplée pas au défaut
de motivation de son rapport médical du 10 avril 2002.

3.3.2 L'expertise neurologique du 12 décembre 2002 remplit toutes les
conditions auxquelles la jurisprudence soumet la valeur probante d'un tel
document (ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V 160 consid. 1c et les références).
Elle repose sur un examen clinique complet et prend en considération les
plaintes exprimées par l'assurée. Le rapport du 12 décembre 2002 a été établi
en pleine connaissance de l'anamnèse et du dossier médical. La description du
contexte médical et l'appréciation de la situation médicale sont claires.
L'expertise ne contient pas non plus d'incohérences. Dans leur rapport
complémentaire du 14 janvier 2003, le professeur B.________ et la doctoresse
S.________ ont indiqué que l'intimée présente une allodynie des mains des
deux côtés (sensation douloureuse au moindre stimulus) et des dysesthésies
des membres inférieurs à partir de la mi-cuisse des deux côtés (sensation
anormale). On ne voit aucune contradiction de leur part entre le fait de
constater que l'assurée présente une limitation fonctionnelle à utiliser ses
mains dans les activités manuelles exigées par son activité de coiffeuse ou
de sommelière et le fait de constater qu'elle présente une capacité de
travail exigible de 70 %. Les experts ont évoqué une limitation et non une
impossibilité fonctionnelle à exercer une activité.
Dans leur expertise, les neurologues du Centre hospitalier Y.________ ont
proposé l'application de gants de contention comme traitement possible des
troubles dont est atteinte l'intimée. Pour autant, contrairement à ce que
semblent croire les premiers juges, cette proposition ne vise pas l'exercice
d'une activité déterminée, mais le cas où des anesthésiants locaux sont
utilisés, ainsi que cela ressort du rapport du 12 décembre 2002.
Cela étant, on ne se trouve pas dans la même situation que dans l'arrêt P. du
5 octobre 2001 (I 236/01) cité par les premiers juges. Certes, l'office AI
n'a pas invité le professeur B.________ et la doctoresse S.________ à
s'exprimer sur les motifs pour lesquels ils ne partageaient pas l'avis de
leur confrère I.________ quant à l'exercice d'une activité dans le service
hôtelier. Cependant, les neurologues du Centre hospitalier Y.________ ont été
invités par le médecin-conseil de l'office AI à répondre à un questionnaire
complémentaire, ce qu'ils ont fait dans leur rapport du 14 janvier 2003, dont
les conclusions sont dûment motivées (supra, consid. 2.2).
3.4 Dès lors, les premiers juges n'avaient aucune raison de s'écarter des
conclusions du professeur B.________ et de la doctoresse S.________, la tâche
de ces experts étant précisément de mettre leurs connaissances spéciales à la
disposition de l'administration ou de la justice sur les aspects médicaux
d'un état de fait. Comme on l'a vu, les précisions du docteur I.________,
d'une valeur probante moindre et motivées sommairement, ne justifiaient pas
de s'écarter des conclusions des experts. Une instruction complémentaire
comportant une nouvelle expertise médicale n'est dès lors pas nécessaire.
Sur la base de l'expertise du professeur B.________ et de la doctoresse
S.________ des 12 décembre 2002 et 14 janvier 2003, il convient de retenir
que l'intimée, atteinte d'une sclérose en plaques probable, présente une
allodynie des mains des deux côtés (sensation douloureuse au moindre
stimulus) et des dysesthésies des membres inférieurs à partir de la mi-cuisse
des deux côtés (sensation anormale). Elle présente une limitation
fonctionnelle à utiliser ses mains dans les activités manuelles exigées par
son activité de coiffeuse ou de sommelière. La capacité de travail exigible
est de 70 % comme coiffeuse, sommelière ou gérante.

3.5 C'est donc à tort que les premiers juges ont renvoyé la cause à l'office
AI pour instruction complémentaire comportant une nouvelle expertise
médicale. Cela étant, il se justifie d'annuler le jugement attaqué et de
renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu'elle statue sur le fond
de la contestation. A ce stade de la procédure, il n'y a pas lieu d'examiner
plus avant les arguments du recourant et de l'intimée.

4.
La procédure est gratuite (art. 134 OJ). L'intimée, qui succombe, ne saurait
prétendre une indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en
corrélation avec l'art. 135 OJ; ATF 123 V 159).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal administratif de
la République et canton de Neuchâtel, du 12 novembre 2004, est annulé, la
cause étant renvoyée à la juridiction cantonale pour qu'elle procède
conformément aux considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal administratif du
canton de Neuchâtel et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 6 février 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIe Chambre: Le Greffier: