Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 657/2004
Zurück zum Index Sozialrechtliche Abteilungen 2004
Retour à l'indice Sozialrechtliche Abteilungen 2004


I 657/04

Arrêt du 20 octobre 2005
IIIe Chambre

MM. les Juges Lustenberger, Kernen et Seiler.
Greffier : M. Wagner

Office AI Berne, Chutzenstrasse 10, 3007 Berne, recourant,

contre

K.________, intimée, représentée par Me Vincent Paupe, avocat, place du
23-Juin 10, 2350 Saignelégier

Tribunal administratif du canton de Berne, Cour des affaires de langue
française, Berne

(Jugement du 3 septembre 2004)

Faits:

A.
K. ________, née le 15 février 1958, a travaillé en qualité d'opticienne. Le
27 novembre 2001, elle a présenté une demande de prestations de
l'assurance-invalidité, en requérant l'allocation d'une rente. Le 23 mai
2002, l'Office AI Berne, se fondant sur un rapport d'expertise du 4 mai 2002
de la doctoresse L.________, spécialiste FMH en neurochirurgie, a avisé
l'assurée qu'elle était apte à exercer sa profession à 100 %, avec un
rendement réduit de 40 % en raison des pauses qu'elle devait effectuer, et
qu'elle présentait ainsi une invalidité de 40 %, ce que celle-ci a contesté.
Le service médical de l'office AI a mis en oeuvre une expertise psychiatrique
et neuro-psychologique, qu'il a confiée aux Services psychiatriques de
X.________. Le 1er octobre 2002, les docteurs J.________, chef de clinique,
et R.________, médecin assistant, ont avisé l'office AI qu'ils déclinaient le
mandat, étant donné que la patiente s'exprimait en français et que la
problématique était complexe, si bien qu'il était indiqué que l'expertise
soit effectuée par une personne de langue maternelle française. D'autre part,
les tests psychologiques disponibles dans le cadre des Services
psychiatriques de X.________ n'existaient qu'en allemand. Par lettre du 11
octobre 2002, l'office AI a informé K.________ que l'expertise psychiatrique
et neuro-psychologique devrait être effectuée par d'autres médecins. En
raison d'une surcharge de travail des experts, c'est au début décembre 2002
qu'il pourrait mandater deux médecins de A.________ qui effectuaient des
expertises pour des assurés de langue française.
Le 2 décembre 2002, l'office AI a avisé K.________ qu'il avait confié une
expertise au docteur M.________, spécialiste FMH en neurologie, et une autre
expertise au docteur H.________, spécialiste FMH en psychiatrie et
psychothérapie. L'examen médical de l'assurée a eu lieu le 22 janvier 2003.
Le docteur M.________ a établi son rapport le 30 janvier 2003 en allemand. De
son côté, le docteur H.________ a établi son rapport d'expertise le 5 février
2003, également en langue allemande.
Le 18 mars 2003, l'office AI a fait parvenir à K.________ un exemplaire des
expertises des docteurs M.________ et H.________. Le 25 mars 2003, celle-ci a
communiqué à l'office AI copie de ses lettres du même jour au médecin de
l'office AI et au docteur H.________. Par lettre du 9 avril 2003, elle a
sollicité la traduction en français des rapports d'expertise des docteurs
M.________ et H.________, afin qu'elle puisse vérifier leur contenu en
fonction de la terminologie spécifique des spécialistes consultés. Elle
s'étonnait que les expertises aient été rédigées en allemand, alors qu'elle
n'est pas bilingue et que les entrevues avec les experts s'étaient déroulées
en français. En outre, elle demandait que la possibilité lui soit offerte de
poser, au besoin, des questions complémentaires aux experts.
Le 5 mai 2003, l'office AI a avisé K.________ qu'il avait procédé aux mesures
d'instruction médicale nécessaires, que des questions complémentaires à
l'attention des experts ne se justifiaient pas et qu'elle n'avait pas droit à
une traduction des pièces médicales. Par lettre du 8 juillet 2003, il a
maintenu son refus de faire traduire en français les rapports étant donné que
l'assurée n'avait formulé aucune objection quant au choix des experts.
Par décision du 5 septembre 2003, l'office AI a informé K.________ que selon
l'expertise interdisciplinaire effectuée, elle présentait une incapacité de
travail de 60 %, et qu'on pouvait raisonnablement exiger de sa part qu'elle
exerce son activité d'opticienne dans une mesure de 40 %. Son invalidité
était de 60 % et elle avait droit à une demi-rente d'invalidité à partir du
1er novembre 2001.

K. ________ a formé opposition contre cette décision et invité l'office AI à
constater qu'elle présentait un taux d'invalidité supérieur à 66 2/3 %.
Affirmant qu'elle avait été trompée, en ce sens qu'on lui avait caché que les
rapports d'expertise seraient rédigés en allemand, alors que celles-ci
s'étaient déroulées en français, elle demandait la traduction en français de
ces deux documents. Elle produisait un rapport médical du 28 mai 2003 du
docteur B.________, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.
Par décision du 25 février 2004, l'office AI a rejeté l'opposition.
K.________ avait droit à une demi-rente d'invalidité à partir du 1er novembre
2001 jusqu'au 31 décembre 2003; elle avait droit à un trois-quart de rente à
partir du 1er janvier 2004, ce qui ferait l'objet d'une nouvelle décision.

B.
K.________ a formé recours contre cette décision devant la Cour des affaires
de langue française du Tribunal administratif du canton de Berne, en
concluant, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de celle-ci. Elle
demandait que la cause soit renvoyée à l'office AI pour qu'il lui communique
la traduction en français des rapports d'expertise du docteur M.________ du
30 janvier 2003 et du docteur H.________ du 5 février 2003, qu'il procède à
une nouvelle instruction et pour qu'il confie une expertise au COMAI.
Par jugement du 3 septembre 2004, la juridiction cantonale a annulé la
décision sur opposition du 25 février 2004 et renvoyé la cause à l'Office AI
Berne, afin qu'il donne à la cause la suite qu'elle implique au sens des
considérants et rende une nouvelle décision. Elle a considéré qu'il
appartenait à l'office AI de faire parvenir à K.________, à bref délai, une
traduction en langue française des rapports d'expertise des 30 janvier et 5
février 2003 des docteurs M.________ et H.________, et qu'après avoir donné à
l'assurée l'occasion de s'exprimer sur ces expertises, celui-ci reprendrait
cas échéant l'instruction au fond.

C.
L'Office AI Berne interjette un recours de droit administratif contre ce
jugement, en concluant à son annulation.
La juridiction inférieure dépose des observations. K.________ conclut, sous
suite de frais et dépens, au rejet du recours. L'Office fédéral des
assurances sociales renonce à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 Même s'il est un arrêt de renvoi à l'administration pour instruction
complémentaire et nouvelle décision sur le droit de l'intimée à une rente
d'invalidité, le jugement attaqué ne concerne pas l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, dans la mesure où il n'examine pas l'affaire au fond
mais annule la décision litigieuse pour des motifs formels. Le Tribunal
fédéral des assurances doit dès lors se borner à examiner si les premiers
juges ont violé le droit fédéral, y compris par l'excès ou par l'abus de leur
pouvoir d'appréciation, ou si les faits pertinents ont été constatés d'une
manière manifestement inexacte ou incomplète, ou s'ils ont été établis au
mépris de règles essentielles de procédure (art. 132 en corrélation avec les
art. 104 let. a et b et 105 al. 2 OJ).

1.2 Dans son mémoire de recours, l'office AI indique que le litige porte sur
le renvoi de la cause et les motifs invoqués dans le jugement attaqué à
l'appui de celui-ci. Pour autant, ainsi que cela ressort de la motivation du
recours, le litige ne porte pas sur l'injonction de reprendre au besoin
l'instruction de la cause au fond après avoir donné à l'intimée l'occasion de
s'exprimer sur le contenu des expertises, mais bien plutôt sur l'obligation
de fournir à celle-ci une traduction des expertises des docteurs M.________
et H.________.

2.
2.1 Les premiers juges ont constaté, de manière à lier la Cour de céans
(supra, consid. 1.1), que dès le début de la procédure d'expertise ordonnée
par l'office AI, la question de la langue a joué un rôle prépondérant. Ainsi,
l'office AI a retiré le mandat d'expertise psychiatrique et
neuropsychologique confié aux Services psychiatriques de X.________ qui
l'informaient que la problématique complexe de l'intimée exigeait que
l'expertise soit menée par une personne de langue maternelle française et que
cette possibilité n'était pas garantie auprès d'eux. L'office AI a ensuite
veillé à mandater des experts effectuant des expertises « pour des assurés de
langue française », portant à cette fin son choix sur deux spécialistes de
A.________, à savoir les docteurs M.________, neurologue, et H.________,
psychiatre et psychothérapeute, ce dont l'office AI a expressément informé
l'assurée.

2.2 Cela n'est pas contesté par l'office AI. En effet, le recourant ne
reproche pas à la juridiction cantonale d'avoir constaté les faits pertinents
d'une manière manifestement inexacte ou incomplète. Il fait valoir que
l'intimée, dans des lettres du 25 mars 2003 adressées au docteur H.________
et à l'office AI - soit avant sa demande de traduction du 9 avril 2003 -,
avait déjà pris position par rapport aux conclusions de l'expert psychiatre.
Cela est toutefois inexact. Dans ses lettres du 25 mars 2003 aux docteurs
H.________ et N.________, l'intimée a essentiellement pris position sur le
rapport médical du 24 juin 2002 du docteur E.________, spécialiste FMH en
médecine physique et réhabilitation et médecin-chef du Service de
rhumatologie de l'Hôpital Y.________, mentionné dans l'expertise. Il
s'agissait en fait d'extraits de ce rapport, rédigé en français, reproduits
également dans cette langue par le docteur H.________ dans son expertise.
Contrairement aux affirmations du recourant, l'intimée n'a pas pris position
sur les conclusions du docteur H.________ : si elle a relevé à celui-ci que
les propos de son époux n'avaient pas bien été retranscrits, elle lui a
principalement déclaré qu'elle souhaitait avoir son appréciation sur les
documents qu'elle lui faisait parvenir et connaître sa réaction face aux
conclusions de son expertise du 5 février 2003; en outre, elle s'étonnait
qu'il attache autant d'importance au rapport du docteur E.________. Il en va
de même de sa lettre au docteur N.________, qui reprend pour l'essentiel ses
remarques sur le rapport médical du docteur E.________ du 24 juin 2002.

3.
L'office recourant fait valoir que la Constitution du canton de Berne ne
reconnaît pas à une personne le droit d'exiger que des moyens de preuves
rédigés dans une langue officielle du canton - en l'occurrence l'allemand -
soient traduits dans la langue de l'instruction, à savoir le français.

3.1 Aux termes de l'art. 6 de la Constitution du canton de Berne (RSB 101.1),
le français et l'allemand sont les langues nationales et officielles de ce
canton (al. 1er); le français est la langue officielle dans le Jura bernois
(al. 2 let. a) et toute personne peut s'adresser dans la langue officielle de
son choix aux autorités compétentes pour l'ensemble du canton (al. 4).

3.2 Dans un arrêt A. du 10 août 2001, publié aux ATF 127 V 219, le Tribunal
fédéral des assurances, se fondant sur la garantie constitutionnelle de la
non-discrimination du fait notamment de la langue (art. 8 al. 2 Cst.) et la
liberté de la langue (art. 18 Cst.), a jugé que, sauf exception justifiée
pour des raisons objectives, il y a lieu en principe de donner suite à la
demande d'un assuré de désigner un Centre d'observation médicale où l'on
s'exprime dans l'une des langues officielles de la Confédération qu'il
maîtrise. S'il n'est pas donné suite à cette demande, l'assuré a le droit non
seulement d'être assisté par un interprète lors des examens médicaux, mais
encore d'obtenir gratuitement une traduction du rapport d'expertise du COMAI
(ATF 128 V 37 consid. 2a, 127 V 226-227 consid. 2b/bb). Cette règle est
également applicable lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'une expertise
interdisciplinaire menée ailleurs que dans un COMAI (arrêt M. du 2 juillet
2003 [I 790/02]).
En revanche, lorsque l'assuré donne suite sans réserve à la convocation
régulière d'un expert, rien ne s'oppose à ce que cette expertise - qu'elle
soit conduite auprès d'un COMAI ou d'un centre médical spécialisé - soit
effectuée dans un milieu où l'on ne s'exprime pas nécessairement dans l'une
des langues officielles de la Confédération que l'assuré maîtrise (arrêt T.
du 31 mars 2004 [I 313/03]). Restent réservées les règles procédurales
relatives à l'assistance d'un interprète, qui ne sont toutefois pas en cause
ici (ATF 127 V 226 consid. 2b/bb).

3.3 Selon les faits retenus par les premiers juges (supra, consid. 2.1), on
doit considérer avec eux qu'au vu de la mise en oeuvre et du déroulement des
expertises, rien ne laissait présager à l'intimée que les rapports seraient
rédigés en allemand. A la suite de la communication de l'office recourant du
11 octobre 2002, l'intimée s'attendait en effet à ce que les deux médecins de
A.________ effectuent leur expertise pour une assurée de langue française;
les entretiens avec les experts ont ensuite eu lieu en français, comme
l'intimée s'y attendait.
Dès lors, on ne saurait reprocher aux premiers juges d'avoir considéré que
celle-ci devait être traitée comme si elle avait demandé à ce que l'expertise
se déroule dans un milieu où l'on s'exprime en français et obtienne une
traduction des rapports dans cette langue. Si elle avait consenti à ce que
des experts bâlois soient mandatés, elle pouvait s'attendre à ce que leurs
rapports soient en français.

3.4 Enfin, c'est en vain que le recourant invoque la jurisprudence selon
laquelle ni l'art. 6 CEDH, ni la garantie constitutionnelle du droit d'être
entendu ne confèrent au justiciable le droit d'obtenir la traduction dans sa
propre langue des pièces du dossier dans une langue qu'il ne maîtrise pas ou
de manière seulement imparfaite (ATF 127 V 227 consid. 2b/bb; RDAT 2002 I n°
11 p. 190 consid. 2; RCC 1983 p. 392 consid. 1). Certes, il appartient en
principe au justiciable de se faire traduire les actes officiels du dossier
(ATF 115 Ia 65 consid. 6b; arrêt A. du 22 décembre 2004 [I 292/03]).
Toutefois, ce n'est pas la question qui se pose ici, dès lors qu'il s'agit
d'un rapport d'expertise médicale mandatée par le recourant et qu'au vu de la
mise en oeuvre et du déroulement de l'expertise, l'intimée pouvait s'attendre
à ce que celui-ci soit rédigé en français (ATF 127 V 219).

4.
Le litige n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure est onéreuse (art. 134 OJ a contrario). Le
recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 156 al. 1 en
corrélation avec l'art. 135 OJ). Représentée par un avocat, l'intimée, qui
obtient gain de cause, a droit à une indemnité de dépens pour l'instance
fédérale (art. 159 al. 1 en liaison avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 500 fr., sont mis à la charge du
recourant.

3.
L'Office AI Berne versera à l'intimée la somme de 1'500 fr. (y compris la
taxe sur la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal administratif du
canton de Berne, Cour des affaires de langue française, et à l'Office fédéral
des assurances sociales.

Lucerne, le 20 octobre 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Juge présidant la IIIe Chambre: Le Greffier: