Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 636/2004
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I 636/04

Arrêt du 17 janvier 2006
IIIe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Meyer et Lustenberger. Greffière : Mme
Gehring

F.________, recourant, représenté par Me Philippe Nordmann, avocat, place
Pépinet 4, 1003 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 23 février 2004)

Faits:

A.
F. ________, né en 1958, a travaillé en qualité de maçon, puis d'ouvrier
d'usine. A la suite d'une chute survenue le 17 mai 1996, il a subi une
fracture par tassement du mur antérieur des deuxième et troisième vertèbres
lombaires entraînant une incapacité totale de travail comme maçon (rapport du
13 mars 1997 du docteur B.________ spécialiste en orthopédie). Le 6 février
1997, il a déposé une demande de prestations de l'assurance-invalidité
tendant à l'octroi principalement de mesures professionnelles,
subsidiairement d'une rente.

Procédant à l'instruction du dossier, l'Office de l'assurance-invalidité pour
le canton de Vaud (ci-après : l'office) a mis F.________ au bénéfice d'un
stage de réadaptation dans le cadre d'un reclassement auprès d'un Centre de
l'Office romand d'intégration professionnelle pour handicapés (ORIPH). Selon
le rapport en résultant, il dispose d'une capacité résiduelle de travail de
70 % dans une activité de petite mécanique sur machines réglées ou autres
travaux légers tels que le montage de connecteurs électriques ou des petits
travaux de série (rapport du 1er septembre 1998). L'office a en outre
recueilli l'avis du docteur F.________, spécialiste en orthopédie. Selon ce
médecin, l'assuré souffre de dorso-lombalgies chroniques et présente un
status post fracture par tassement des vertèbres D12-L2-L3 ainsi qu'un
syndrome douloureux somatoforme persistant entraînant une incapacité totale
de travail comme maçon; dans une activité raisonnablement exigible telle que
manutention légère, sa capacité de travail se trouve sensiblement péjorée par
un grave trouble de la personnalité résultant d'une carence affective ainsi
que de mauvais traitements. Aussi ce médecin prescrit-il une reprise du
travail à mi-temps dès le 23 novembre 1998 (rapports des 9 et 24 novembre
1998).

Se fondant sur les conclusions de l'ORIPH, l'office a alloué à F.________, un
quart de rente dès le 1er mai 1997, en regard d'un degré d'invalidité de 48 %
(décision du 13 mars 2000). Le 30 octobre suivant, il lui a accordé une
demi-rente pour cas pénible à compter de la même date. De son côté, la Caisse
nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : CNA) a mis
l'assuré au bénéfice d'une rente fondée sur un degré d'invalidité de 25 %
depuis le 1er mars 1999, en regard d'une capacité totale d'exercer une
activité lucrative adaptée à son état de santé physique (décision du 7 août
2000).

B.
Par mémoires séparés, F.________ a recouru contre les  décisions de l'office
devant le Tribunal des assurances du canton de Vaud. Dans le cadre d'un
complément d'instruction, les premiers juges ont confié deux mandats
d'expertise, l'un au docteur F.________ (rapport du 6 juin 2001) et l'autre à
la doctoresse M.________, spécialiste FMH en psychiatrie (rapport du 18
octobre 2002). Par jugement du 23 février 2004, le tribunal - après jonction
des causes (décision du 21 mars 2001) - a rejeté les recours.

C.
F.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il requiert l'annulation en concluant, sous suite de dépens, à l'octroi d'un
trois-quarts de rente fondé dès le 1er janvier 2004 sur un degré d'invalidité
de 63 %. En outre, il demande le bénéfice de l'assistance judiciaire
gratuite.

L'office conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-invalidité. Le cas d'espèce reste néanmoins régi par les
dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 130 V 447
consid. 1.2.1, 127 V 467 consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des
assurances apprécie la légalité des décisions attaquées, en règle générale,
d'après l'état de fait existant au moment où la décision sur opposition
litigieuse a été rendue (ATF 121 V 366 consid. 1b; RAMA 2001 no U 419 p.
101).

Pour les mêmes motifs, les dispositions de la novelle du 21 mars 2003
modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004 (RO
2003 3852) ne sont pas non plus applicables, de sorte que les conclusions du
recourant tendant à l'octroi de trois-quarts de rente dès le 1er janvier 2004
sont irrecevables. Ce nonobstant, il y a lieu d'entrer en matière sur le
recours qui n'en est pas pour autant dépourvu d'objet.

2.
2.1 Le litige porte sur le droit à la rente du recourant, en particulier sur
le degré d'invalidité, respectivement la capacité de travail qu'il présente
sur le plan psychique. Du point de vue somatique en effet, il est établi et
non contesté qu'il souffre de dorso-lombalgies chroniques et présente un
status post fracture D12-L2-L3 sans trouble neurologique irritatif ou
déficitaire entraînant une incapacité totale d'exercer le métier de maçon;
dans une activité de manutention légère, il dispose en revanche d'une
capacité totale de travail (expertise du 6 juin 2001 du docteur F.________).
Sous l'angle psychique, les premiers juges considèrent que l'intéressé subit
une incapacité de travail de 30 %, se référant notamment aux conclusions du
rapport de l'ORIPH. Ce faisant, ils s'écartent des conclusions de la
doctoresse M.________, selon lesquelles l'incapacité de travail corrélative
aux troubles psychiques de l'assuré s'élève à 50 %. A cet égard, ils estiment
que lors de l'évaluation de ce taux, ce médecin a additionné les incapacités
de travail constatées sur les plans psychique et somatique de même qu'elle
s'est référée à certains facteurs étrangers à la notion d'invalidité. De son
côté, le recourant estime que les conclusions de la doctoresse M.________
sont pourvues d'une pleine valeur probante et que le degré d'invalidité qu'il
présente doit dès lors être établi compte tenu d'une incapacité de travail
fondée sur des troubles psychiques s'élevant à 50 %.

3.
3.1 En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des
conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant
précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la
justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné.
Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une
expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou
qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de
manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des
opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des
déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation
divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une
instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale
(ATF 125 V 352 consid. 3b/aa et les références).

3.2 Selon le rapport d'expertise de la doctoresse M.________, le recourant
souffre d'un trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans
symptômes psychotiques (F 33.2); en outre, il présente une personnalité
paranoïaque (F 60.0) ainsi que des difficultés liées à une enfance
malheureuse (Z61 et Z62). L'experte explique que l'enfance malheureuse de
l'assuré, marquée par le manque d'affection et de tendresse, la violence
familiale quotidienne et les mauvais traitements ont contribué au
développement d'une personnalité anxieuse à traits paranoïaques, caractérisée
par la rigidité, l'incapacité d'évolution et l'inadaptation à une nouvelle
structure telle que notamment la formation tardive, la réinsertion
socio-professionnelle. Privé de facultés d'adaptation aux relations sociales,
ainsi qu'aux situations et  acquisitions nouvelles, il se trouve dans
l'instabilité et la précarité sociales, sans réelles possibilités affectives
ou intellectuelles de gérer les difficultés de la vie quotidienne. Présentant
des troubles de l'attention de fixation, de la mémoire de fixation ou
d'évocation, de raisonnements inflexibles, il n'est pas à même de développer
de nouvelles stratégies plus adéquates aux situations. Sa personnalité
méfiante et suspicieuse cause la déformation des événements par
interprétation des actions impartiales d'autrui perçues comme hostiles. Ses
raisonnements sont focalisés sur des explications compliquées et fondées sur
des idées de persécution et de complot face aux événements l'environnant.
Exprimant méfiance, dureté et opposition à tout, sa thymie est profondément
perturbée en raison d'une irritabilité marquée, d'une excitabilité importante
et d'une sensibilité excessive aux échecs. Ses carences d'instruction et
d'éducation ainsi que les mauvais traitements génèrent des compétences
sociales et de savoir-être déficitaires ainsi qu'un blocage du développement
normal avec impossibilité d'acquisition ultérieure des données existentielles
non apprises pendant la jeunesse, perturbant sa personnalité, son psychisme
et conduisant à l'échec social.

Du point de vue médico-psychiatrique, l'experte considère que les troubles
psychiques de l'assuré entraînent une incapacité de travail dans toute
activité lucrative de 50 %. Elle ajoute qu'il convient d'y additionner
l'invalidité de 25 % reconnue par l'assureur-accidents en regard des
séquelles somatiques et elle conclut globalement à une capacité résiduelle de
travail de 30 %.

3.3 S'il est vrai que la doctoresse M.________ procède de manière erronée à
une addition des taux d'incapacité de travail constatés sur les plans
somatique et psychique, il n'en demeure pas moins qu'elle fixe
indiscutablement à 50 % l'incapacité de travail ressortissant des seuls
troubles psychiques. Sur ce point, ses conclusions ne sont infirmées par
aucune des pièces médicales versées au dossier; en particulier, aucun autre
spécialiste n'émet d'opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute
la pertinence de ses déductions. Au contraire, celles-ci sont corroborées par
celles du docteur F.________ (rapport du 6 juin 2001). Par ailleurs, lorsque
l'experte fait référence à l'échec socio-professionnel du recourant, c'est
afin d'illustrer l'incidence des affections psychiques constatées; pour
autant, elle ne fonde pas l'incapacité de travail de l'assuré sur des
facteurs étrangers à l'invalidité. Au reste, le rapport d'expertise ne
contient pas de contradiction. Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'écarter des
conclusions de la doctoresse M.________ dans la mesure où celle-ci attribue
au recourant une incapacité de travail de 50 % en raison de troubles
psychiques.

4.
4.1 Procédant à la comparaison des gains déterminants, l'office et les
premiers juges ont pris en considération un revenu sans invalidité de 62'401
fr. 90 qui correspond à la rémunération que le recourant aurait perçu comme
maçon en 1999 selon les renseignements fournis par la Fédération vaudoise des
entrepreneurs. Ce montant n'est pas contesté.

4.2 A titre de revenu d'invalide, ils ont retenu un gain moyen de 46'200 fr.,
qui n'est plus contesté en procédure fédérale. Sur ce point, il convient de
renvoyer à la motivation des premiers juges à laquelle la Cour de céans n'a
rien à ajouter.

4.3 En procédant à la comparaison de ces gains compte tenu d'une capacité
résiduelle de travail de 50 %, il appert que le recourant présente un degré
d'invalidité de 63 % ouvrant droit à une demi-rente dès le 1er mai 1997. Si
l'on se fondait sur des données existant au moment de l'ouverture théorique
du droit à la rente (ATF 129 V 222, 128 V 174), on n'aboutirait pas à un
résultat sensiblement différent.

4.4 Certes, ce taux s'écarte-t-il de celui retenu par la CNA (25 %).
Toutefois, il convient de préciser qu'en ce qui concerne la coordination des
taux d'invalidité entre les différentes branches de l'assurance sociale, l'AI
n'est pas liée en l'espèce par l'évaluation à laquelle a procédé la CNA (à
propos de la coordination du degré de l'invalidité entre ces deux assurances
sociales, voir ATF 126 V 288). En effet, le taux d'invalidité de 63 % trouve
sa justification essentiellement dans des affections d'ordre psychique, dont
l'assureur-accidents ne répond pas in casu, faute d'un lien de causalité
entre celles-ci et l'événement accidentel assuré (voir décision du 7 août
2000 de la CNA).

4.5 Sur le vu de ce qui précède, le recours se révèle bien fondé.

5.
S'agissant d'un litige qui concerne l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure est gratuite (art. 134 OJ). En outre, la partie qui
obtient gain de cause a droit à des dépens (art. 135 en corrélation avec
l'art. 159 OJ). La demande d'assistance judiciaire est dès lors sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Dans la mesure où il est recevable, le recours est admis. Le jugement du
Tribunal des assurances du canton de Vaud du 23 février 2004 ainsi que la
décision de l'Office pour l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud du 13
mars 2000 sont modifiés en ce sens que le recourant a droit à une demi-rente
depuis le 1er mai 1997. La décision de l'Office pour l'assurance-invalidité
pour le canton de Vaud du 30 octobre 2000 est annulée.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud versera au
recourant la somme de 2'500 fr. à titre de dépens (y compris la taxe sur la
valeur ajoutée) pour l'instance fédérale.

4.
Le Tribunal des assurances du canton de Vaud statuera sur les dépens pour la
procédure de première instance, au regard de l'issue du procès de dernière
instance.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 17 janvier 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIIe Chambre: La Greffière: