Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 626/2004
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I 626/04

Arrêt du 13 juillet 2005
IIIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Lustenberger et Kernen. Greffier
: M. Piguet

V.________, recourante,

contre

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, intimé

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 2 septembre 2004)

Faits:

A.
V. ________, née en 1962, travaillait comme ouvrière pour le compte de
l'entreprise X.________ SA. Dès le 28 septembre 1998, la prénommée a présenté
une incapacité de travail totale en raison, principalement, d'une
fibromyalgie et d'un état dépressif. Le 29 septembre 1999, elle a déposé une
demande tendant à l'octroi d'une rente de l'assurance-invalidité.
Après avoir recueilli divers renseignements d'ordre médical, l'Office
cantonal de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-aprè : l'office
AI) a confié à la Policlinique Y.________, fonctionnant en tant que Centre
d'observation médical de l'assurance-invalidité (COMAI), le soin de procéder
à une expertise pluridisciplinaire sur la personne de l'assurée. Dans leur
rapport du 4 février 2002, les experts mandatés ont retenu les diagnostics
d'épisode dépressif moyen sans syndrome somatique, de syndrome douloureux
somatoforme persistant et de trouble de la personnalité dépendante. L'assurée
disposait d'une capacité résiduelle de travail de 40 % au moins dans la
profession précédemment exercée ou dans une activité dans l'industrie légère,
lesquelles étaient parfaitement adaptées à son état de santé.
Après avoir soumis le cas pour appréciation à son médecin-conseil, le docteur
C.________, l'office AI a, par décision du 25 septembre 2002, octroyé à
l'assurée une demi-rente basée sur un degré d'invalidité de 60 %.

B.
Saisi d'un recours de V.________, laquelle concluait à l'octroi d'une rente
entière d'invalidité, le Tribunal cantonal des assurances sociales du canton
de Genève l'a rejeté par jugement du 25 septembre 2003. Par arrêt du 1er
avril 2004, le Tribunal fédéral des assurances a annulé ce jugement, au motif
que la juridiction cantonale avait siégé dans une composition irrégulière. Le
2 septembre 2004, le Tribunal cantonal des assurances sociales a rendu un
nouveau jugement, par lequel il a débouté l'assurée.

C.
V.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
elle demande, implicitement, l'annulation. Elle conclut, principalement, à
l'octroi d'une rente entière d'invalidité, et, subsidiairement, à la mise en
oeuvre d'un complément d'instruction.
L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

D.
Par lettre du 27 avril 2005, le juge délégué a informé l'assurée que le
Tribunal fédéral des assurances pourrait être amené à réformer en sa défaveur
le jugement cantonal et l'a invitée à se déterminer sur cette éventualité,
tout en la rendant expressément attentive à la possibilité de retirer son
recours. V.________ a maintenu son recours.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente de
l'assurance-invalidité, singulièrement sur le taux d'invalidité à la base de
cette prestation.

2.
2.1 La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du
6 octobre 2000 (LPGA), entrée en vigueur le 1er janvier 2003, de même que les
dispositions de la novelle du 21 mars 2003 modifiant la LAI (4ème révision),
entrée en vigueur le 1er janvier 2004, ne sont pas applicables au présent
litige, dès lors que le juge des assurances sociales n'a pas à prendre en
considération les modifications du droit ou de l'état de fait postérieures à
la date déterminante de la décision litigieuse du 25 septembre 2002 (ATF 129
V 4 consid. 1.2 et les références).

2.2 Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et les
principes jurisprudentiels relatifs à la notion d'invalidité (art. 4 LAI),
son évaluation chez les assurés actifs (art. 28 al. 2 LAI), l'échelonnement
des rentes (art. 28 al. 1 LAI), ainsi que la valeur probante des rapports et
expertises médicaux (ATF 125 V 352 consid. 3a et les références). Il convient
donc d'y renvoyer.

3.
Se fondant sur le rapport d'expertise du COMAI du 4 février 2002, les
premiers juges ont considéré que la recourante disposait d'une capacité
résiduelle de travail de 40 %.

3.1 Pour rendre leurs conclusions, les experts du COMAI ont procédé à un
examen clinique complet de la recourante et se sont adjoints les service d'un
rhumatologue, le docteur H.________, et d'une psychiatre, la doctoresse
M.________.
Sur le plan rhumatologique, la recourante présentait un syndrome douloureux
chronique de l'appareil locomoteur de type fibromyalgie d'origine
indéterminée. Elle ne souffrait par contre pas de limitation fonctionnelle
articulaire ou de la colonne cervico-dorsale. Compte tenu de la seule
symptomatologie douloureuse, la capacité de travail dans l'exercice d'un
travail léger était, selon le docteur H.________, de 50 % avec un rendement
de 40 %. Elle était de 70 % dans l'exercice des travaux habituels (rapport du
15 août 2001).
Sur le plan psychiatrique, la doctoresse M.________ a retenu un épisode
dépressif d'intensité moyenne lié à l'existence d'un sentiment de tristesse,
d'inutilité, de honte, avec idées suicidaires et troubles du sommeil. Elle a
également diagnostiqué un syndrome douloureux chronique, compte tenu de la
persistance d'un syndrome algique résistant au traitement, ainsi qu'un
trouble de la personnalité dépendante, lequel chronifiait et rigidifiait la
symptomatologie et fragilisait la recourante. La reprise d'une activité
lucrative paraissait illusoire (rapport du 13 août 2001).

3.2 Se fondant sur ces observations ainsi que sur l'ensemble du dossier
médical, les experts du COMAI ont retenu les diagnostics d'épisode dépressif
moyen sans syndrome somatique (F 32.1), de syndrome douloureux somatoforme
persistant (F 45.4) et de trouble de la personnalité dépendante (F 60.7).
Selon eux, la personnalité dépendante de la recourante l'avait fragilisée
tout au long de sa vie; elle s'était ainsi avérée incapable de décider de son
mariage, et à l'intérieur de celui-ci, de réagir face aux conflits, plus
particulièrement face à la décision de son mari d'envoyer leur fille unique
chez ses grands-parents en Espagne. Bien qu'à leur avis, la souffrance de la
recourante était réelle, les ressources adaptatives de celle-ci n'étaient pas
épuisées, ou du moins pas définitivement, de sorte qu'il subsistait une
capacité résiduelle de travail de 40 % au moins dans son ancienne profession
ou dans une activité dans l'industrie légère. Outre les comorbidités
psychiatriques, qui diminuaient les capacités de la recourante à mobiliser
ses ressources adaptatives et à changer ses comportements, l'arrêt de travail
prolongé ainsi que la présence d'une personnalité dépendante et d'un conflit
conjugal et familial avec la belle-famille représentaient des facteurs de
pronostic négatifs quant à l'éventuelle reprise d'une activité lucrative. Du
côté des facteurs positifs figuraient le souhait de rétablir une certaine
normalité dans sa vie et de retrouver son ancien travail qu'elle aimait bien,
une ambition d'indépendance ainsi que le fait que malgré les douleurs, elle
menait une vie régulière, s'acquittait quotidiennement d'une partie de ses
tâches ménagères et faisait tous les jours de longues promenades.

4.
Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques,
entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art.
8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique
maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré
pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est
exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V
165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298
consid. 4c in fine).

La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique, soit
aussi de troubles somatoformes douloureux persistants, suppose d'abord la
présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege
artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 398
ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme pour toutes les autres atteintes à la
santé psychique, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux
persistants ne constitue pas encore une base suffisante pour conclure à une
invalidité. Au contraire, il existe une présomption que les troubles
somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort
de volonté raisonnablement exigible. Le caractère non exigible de la
réintégration dans le processus de travail peut résulter de facteurs
déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la personne
incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel cas, en effet,
l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour vaincre ses douleurs.
La question de savoir si ces circonstances exceptionnelles sont réunies doit
être tranchée de cas en cas à la lumière de différents critères. Au premier
plan figure la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa
gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères peuvent être déterminants.
Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un processus maladif
s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie
inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de
résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue
psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude
coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces critères se
manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on admettra
l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 77).

Si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une
exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en
règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des
prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la
discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé,
l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations
fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des
plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact
(voir Kopp/Willi/Klipstein, Im Graubereich zwischen Körper, Psyche und
sozialen Schwierigkeiten, in: Schweizerische Medizinische Wochenschrift 1997,
p. 1434, avec référence à une étude approfondie de Winckler et Foerster; voir
sur l'ensemble du sujet consid. 1.2. destiné à la publication de l'arrêt J.
du 16 décembre 2004, I 770/03).

5.
5.1 Le diagnostic d' « épisode dépressif moyen sans syndrome somatique » ne
suffit pas à établir l'existence d'une comorbidité psychiatrique d'une acuité
et d'une durée importante au sens de la jurisprudence. En effet, selon la
doctrine médicale (cf. notamment Dilling/Mombour/Schmidt [éd.],
Internationale Klassifikation psychischer Störungen, ICD-10 Kapitel V [F],
4ème édition, p. 191), sur laquelle se fonde le Tribunal fédéral des
assurances, les états dépressifs constituent des manifestations (réactives)
d'accompagnement des troubles somatoformes douloureux, de sorte qu'un tel
diagnostic ne saurait être reconnu comme constitutif d'une comorbidité
psychiatrique autonome des troubles somatoformes douloureux (ATF 130 V 358
consid. 3.3.1 in fine; Meyer-Blaser, op. cit., p. 81, note 135). On ne
saurait également assimiler le « trouble de la personnalité dépendante » qui
affecte la recourante à une véritable atteinte à la santé psychique ayant
valeur de maladie. La doctoresse M.________ a en effet indiqué que l'assurée
souffrait de ce trouble depuis son adolescence, ce qui ne l'a pourtant pas
empêchée d'exercer une activité lucrative pendant plus de dix-sept ans.

5.2 Reste à examiner la présence éventuelle d'autres critères, dont le cumul
permet d'apprécier le caractère invalidant du trouble somatoforme.
Si on ne saurait contester le fait que le processus maladif perturbe depuis
de nombreuses années le fonctionnement professionnel de la recourante, divers
facteurs permettent de conclure qu'elle dispose des ressources nécessaires
pour vaincre ses douleurs et réintégrer le processus du travail. En effet,
malgré lesdites douleurs, la recourante a conservé une vie sociale
relativement stable. Selon les experts, elle parvient à mener une vie
régulière et à s'acquitter quotidiennement d'une partie de ses tâches
ménagères. Elle fait de longues promenades quotidiennes et les contacts avec
les quelques amies qu'elle aurait en Suisse n'auraient pas diminué ces
dernières années. Elle retourne régulièrement dans son pays d'origine pour
les vacances et maintient des contacts téléphoniques fréquents avec son père.
Elle a pu également s'occuper de sa fille et lui préparer les repas, lorsque
celle-ci est venue chez elle pour les vacances. Par ailleurs, aux yeux mêmes
des experts, l'assurée disposerait de ressources adaptatives qui ne seraient
pas épuisées et ferait état d'une envie de travailler et d'une certaine
ambition sociale, de sorte que l'on ne saurait parler pour l'heure d' un état
psychique cristallisé, sans évolution possible sur le plan thérapeutique.
Enfin, eu égard à la relative brièveté du traitement psychothérapeutique
suivi auprès du docteur P.________ entre les mois de février et juillet 1999,
il est prématuré de conclure à l'échec des mesures thérapeutiques prescrites.

5.3 Sur le vu de ce qui précède, il apparaît que le trouble somatoforme
douloureux ne se manifeste pas avec une sévérité telle que, d'un point de vue
objectif, seule une mise en valeur limitée de la capacité de travail de la
recourante peut être raisonnablement exigée d'elle. C'est dès lors à tort que
l'office AI et les premiers juges ont considéré qu'il ne pouvait être exigé
de la recourante de réintégrer le processus du travail et qu'ils ont retenu
qu'elle présentait une incapacité de travail issue d'un trouble somatoforme
douloureux.

6.
Le 24 janvier 2005, le docteur G.________, médecin traitant de la recourante,
a produit un rapport médical sur l'état actuel de sa patiente. Postérieurs
toutefois à la décision litigieuse du 25 septembre 2002, laquelle détermine
l'objet du litige (ATF 121 V 366 consid. 1b), les faits rapportés par ce
médecin ne sont pas de nature à influencer l'issue de la contestation au
moment déterminant. Il n'y a donc pas lieu de les prendre en considération.

7.
Il convient donc d'annuler le jugement entrepris et, conformément à la lettre
du 27 avril 2005 qui informait la recourante du risque de réforme du jugement
cantonal à son détriment, de rejeter la demande de prestations de
l'assurance-invalidité.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Le jugement du 2 septembre 2004 du Tribunal cantonal des assurances sociales
du canton de Genève ainsi que la décision du 25 septembre 2002 de l'Office
cantonal de l'assurance-invalidité du canton de Genève sont annulés; la
demande de prestations de l'assurance-invalidité est rejetée.

3.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 13 juillet 2005
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIIe Chambre: Le Greffier: