Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 585/2004
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I 585/04

Arrêt du 3 octobre 2005
IVe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Meyer et Ursprung. Greffier : M. Beauverd

M.________, recourant, représenté par Me Joël Crettaz, avocat, place Pépinet
4, 1003 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 12 mars 2004)

Faits:

A.
M.________, né en 1965, a travaillé en qualité de maçon. Le 7 janvier 1998,
il a présenté une demande tendant à l'octroi d'une rente de
l'assurance-invalidité.

L'Office de l'assurance-invalidité du canton de Vaud a recueilli l'avis de
divers médecins. En particulier, il a confié une expertise au docteur
S.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (rapport du 15
novembre 2000), ainsi qu'un examen pluridisciplinaire au Service médical
régional de l'assurance-invalidité (SMR Léman; rapport du 30 juillet 2002).
En outre, il a mis en oeuvre un stage d'observation professionnelle (du 1er
au 10 novembre 1998, puis du 22 février au 10 mars 1999) auprès du Centre
d'observation professionnelle de l'assurance-invalidité (COPAI), à Z.________
(rapport du 6 avril 1999).

Par décision du 22 août 2002, l'Office AI a rejeté la demande de rente, motif
pris que le taux d'invalidité (17, 88 %) était insuffisant pour ouvrir droit
à une telle prestation.

B.
Saisi d'un recours contre cette décision, le Tribunal des assurances du
canton de Vaud l'a rejeté par jugement du 12 mars 2004.

C.
M.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
il demande l'annulation, en concluant, sous suite de dépens, à l'octroi d'une
rente entière d'invalidité. Subsidiairement, il demande le renvoi de la cause
à la juridiction cantonale pour instruction complémentaire sous la forme
d'une expertise psychiatrique.

L'Office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer sur celui-ci.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003.
Selon la jurisprudence, les règles applicables sont celles en vigueur au
moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V
467 consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des assurances apprécie la
légalité des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait
existant au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 121 V 366
consid. 1b).
Toutefois, sur le plan de la procédure, les nouvelles dispositions y
relatives sont applicables, sauf dispositions transitoires contraires, à tous
les cas en cours, dès l'entrée en vigueur du nouveau droit (ATF 129 V 115
consid. 2.2, 117 V 93 consid. 6b, 112 V 360 consid. 4a, et les références;
cf. aussi RJB 140/2004 p. 752).

Parmi les dispositions transitoires contenues dans la LPGA, seul l'art. 82
al. 2 LPGA a trait à la procédure. Il prévoit que les cantons doivent adapter
leur législation à la LPGA dans un délai de cinq ans à partir de son entrée
en vigueur; dans l'intervalle, les dispositions cantonales en vigueur restent
applicables. Cette disposition ne contient aucune règle allant à l'encontre
du principe selon lequel les nouvelles dispositions de procédure sont
applicables à tous les cas en cours, dès l'entrée en vigueur du nouveau
droit. Aussi, le jugement attaqué ayant été rendu après le 1er janvier 2003,
les conditions de l'art. 61 LPGA sont-elles applicables ratione temporis à la
procédure devant le Tribunal des assurances du canton de Vaud.

2.
2.1 En vertu des art. 35 al. 1 et 61 al. 2 PA (applicables par le renvoi de
l'art. 1er al. 3 PA, en liaison avec l'art. 61 LPGA), les juridictions
cantonales de dernière instance compétentes en matière d'assurances sociales
sont tenues de motiver les décisions qu'elles rendent. Selon la
jurisprudence, ces dispositions ont la même portée que le droit d'obtenir une
décision motivée, déduit du droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2
Cst. (RSAS 2001 p. 563 consid. 3b). Dès lors qu'elles renferment des règles
essentielles de procédure, le Tribunal fédéral des assurances examine
d'office si les conditions posées par ces normes de la PA sont réalisées (ATF
120 V 362 consid. 2a et l'arrêt cité; RSAS 2001 p. 563 consid. 3a). Etant
donné la nature formelle du droit d'être entendu, sa violation entraîne
l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du
recours sur le fond (ATF 127 V 437 consid. 3d/aa, 126 V 132 consid. 2b et les
arrêts cités).

2.2 Le devoir du juge des assurances sociales de motiver sa décision doit
permettre au destinataire de comprendre la décision et de l'attaquer
utilement s'il y a lieu; il s'agit aussi pour l'autorité de recours d'être en
mesure d'exercer son contrôle (ATF 124 V 181 consid. 1a). A cet égard, la
tâche de l'autorité cantonale de dernière instance ne se limite pas à
constituer un dossier dans lequel le Tribunal fédéral des assurances devrait,
en cas de recours, puiser les éléments déterminants pour pouvoir statuer.
L'établissement des faits déterminants suppose au contraire que le juge de
première instance présente ceux-ci de manière aussi fidèle et précise que
possible, le cas échéant, en démêlant les résultats de la procédure
probatoire (arrêts Z. du 17 décembre 2002, C 212/02, consid. 1.2, et P. du 27
mars 2001, H 249/00).

Pour répondre à ces exigences, il faut au moins que le juge mentionne
brièvement les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision,
de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de
celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas
l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et
griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à ceux qui, sans
arbitraire, lui apparaissent pertinents (ATF 126 I 102 consid. 2b, 124 V 181
consid. 1a; RSAS 2001 p. 563 consid. 3b). L'étendue de la motivation dépend
au demeurant de la complexité de l'affaire à juger, de la liberté
d'appréciation dont jouit le juge et de la gravité des conséquences de sa
décision (cf. ATF 112 Ia 110 consid. 2b).

3.
Sur le plan somatique, le recourant souffre d'une atteinte à la colonne
vertébrale et d'une affection cardiaque. En effet, les médecins consultés ont
fait état de lombalgies chroniques persistantes sur troubles statiques et
dégénératifs rachidiens sous la forme d'une spondylolisthésis du premier
degré L5-S1, ainsi que de cervicalgies chroniques (voir les rapports des
docteurs O.________, chef de clinique à l'Hôpital X.________ [du 31 mai
2001], G.________, médecin au Service de rhumatologie du Centre hospitalier
Y.________ [du 27 mars 2001], L.________, P.________ et V.________, médecins
au SMR [du 30 juillet 2002] et A.________, spécialiste en neurochirurgie [du
25 mars 2003]). Sur le plan cardiologique, le recourant a subi un infarctus
antérieur aigu le 4 décembre 2001, sans signe clinique d'une insuffisance
cardiaque ni ischémie résiduelle (rapport du docteur R.________, spécialiste
en cardiologie, du 15 juillet 2002).

Ces médecins s'accordent pour conclure à l'existence d'une incapacité de
travail entière dans l'ancienne activité de maçon, ce que les juges cantonaux
semblent également admettre. En revanche, dans une activité adaptée, ceux-ci
nient toute incapacité de travail découlant d'une atteinte à la santé
physique, en se contentant toutefois de relever l'existence de divergences
entre les différents avis médicaux. En effet, la juridiction cantonale
constate que « les uns (les médecins du SMR, le docteur S.________) pensent
qu'en l'absence de maladie psychique invalidante, le recourant pourrait
exercer à plein temps une activité adaptée, (que) les autres (le docteur
K.________, le docteur G.________) concluent qu'en raison de troubles
psychiques graves concomitants, le recourant présente une incapacité quasi
totale (et que) quelques somaticiens plus hésitants (le docteur A.________)
parlent d'une invalidité égale ou inférieure à 50 % dans une activité adaptée
», le docteur R.________ niant l'existence d'une incapacité de travail suite
à l'infarctus subi.

Une telle motivation ne permet pas aux destinataires du jugement cantonal de
l'attaquer utilement, ni à la Cour de céans d'exercer son contrôle. En se
contentant de relever des divergences entre les différents avis médicaux au
sujet de l'incapacité de travail découlant des affections somatiques, sans
mentionner, même brièvement, les motifs qui l'ont amenée à nier l'existence
d'une telle incapacité, la juridiction cantonale n'a pas satisfait aux
exigences exposées au consid. 2.2. Certes, l'état de fait du jugement attaqué
énumère de manière complète, voire fastidieuse, les avis médicaux versés au
dossier. Toutefois, dans la mesure où les premiers juges n'indiquent pas sur
quelles appréciations ils se fondent pour nier l'existence d'une incapacité
de travail sur le plan somatique, il n'appartient pas au Tribunal fédéral des
assurances de démêler les résultats de la procédure probatoire devant la
juridiction cantonale.

Cela étant, la motivation du jugement entrepris est nettement insuffisante au
regard des exigences rappelées au consid. 2.2 et il se justifie,  pour ce
motif déjà, de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour nouveau
jugement.

4.
La juridiction cantonale semble admettre l'existence, dans le cas
particulier, d'un trouble somatoforme douloureux mais nie l'existence d'une
atteinte invalidante, motif pris de l'absence d'une commorbidité
psychiatrique grave.

Selon la jurisprudence, la présence d'une commorbidité psychiatrique
importante par sa gravité, son acuité et sa durée, est certes un critère de
premier plan pour admettre le caractère inexigible de la réintégration dans
le processus de travail d'un assuré souffrant d'un trouble somatoforme
douloureux persistant. Cependant, d'autres critères peuvent être
déterminants. Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un
processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable
(symptomatologie inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale
dans toutes les manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé,
sans évolution possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus
défectueux de résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point
de vue psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie),
de l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles
de l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de
l'attitude coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces
critères se manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on
admettra l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der
Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der
Sozialversicherung, in: Schmerz und Arbeitsunfähigkeit, St-Gall 2003, p. 77).

La juridiction cantonale, à qui la cause doit de toute façon être renvoyée
aux termes du consid. 3, devra donc - si le diagnostic de troubles
somatoformes douloureux persistants est avéré (cf. ATF 130 V 398 ss consid.
5.3 et consid. 6) - examiner également si les critères ci-dessus exposés sont
réalisés.

5.
S'agissant d'un litige qui porte, sur le fond, sur des prestations
d'assurance, la procédure est gratuite (art. 134 OJ a contrario).

Si le canton n'est pas partie au procès, il n'y a pas lieu, en principe, de
mettre à sa charge une indemnité de dépens. Toutefois, conformément à l'art.
159 al. 5 en corrélation avec l'art. 156 al. 6 OJ, il se justifie de déroger
à ce principe lorsque le jugement cantonal viole de manière qualifiée les
règles d'application de la justice et cause de ce fait des frais aux parties
(RAMA 1999 n° U 331 p. 128 consid. 4; arrêt W. du 7 avril 1998, consid. 5 non
reproduit aux ATF 124 V 130).

En l'espèce, on doit admettre que cette condition est remplie, dès lors que
la motivation du jugement entrepris est nettement insuffisante au regard des
exigences déduites du droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst.
Par conséquent, il se justifie de mettre l'indemnité de dépens due au
recourant à la charge non pas de l'office intimé, mais de l'Etat de Vaud.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal des assurances du canton de
Vaud du 12 mars 2004 est annulé.

2.
La cause est renvoyée audit tribunal pour nouveau jugement au sens des
motifs.

3.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

4.
Le canton de Vaud versera à M.________ une indemnité de dépens (y compris la
taxe sur la valeur ajoutée) de 2'000 fr.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud, à l'Etat de Vaud ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 3 octobre 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre: Le Greffier: