Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 574/2004
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I 574/04

Arr t du 6 avril 2006
IIIe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Pr sident, Lustenberger et Seiler. Greffi re : Mme von
Zwehl

S.________, recourant, repr sent  par Me Kathrin Gruber, avocate, rue de la
Madeleine 33B, 1800 Vevey,

contre

Office de l'assurance-invalidit  pour le canton de Vaud, avenue
G n ral-Guisan 8, 1800 Vevey, intim 

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 29 avril 2004)

Faits:

A.
A.a S.________, n  en 1952, a notamment travaill  comme chauffeur de car et
d m nageur. Souffrant de lombosciatalgies, il a cess  toute activit  depuis
le 23 d cembre 1992 et pr sent , le 18 janvier suivant, une demande de
prestations de l'assurance-invalidit . En d pit d'une op ration pratiqu e le
19 mai 1993 pour une petite hernie discale au niveau L5-S1   gauche, l'assur 
a continu    se plaindre de douleurs. Apr s avoir mis en oeuvre une expertise
m dicale (rapport des docteurs R.________, FMH en m decine interne, et
O.________, psychiatre, du 14 juillet 1994) ainsi qu'un stage d'observation
professionnelle, l'Office AI pour le canton de Vaud (ci-apr s : l'office AI)
a allou    l'int ress  une demi-rente d'invalidit , fond e sur une incapacit 
de gain de 60 %, d s le 1er d cembre 1992 (d cision du 15 d cembre 1997).

A.b Le 1er avril 1999, S.________ a d pos  une demande de r vision, invoquant
une aggravation de son  tat de sant . L'office AI a mandat  les docteurs
C.________ et M.________ pour se prononcer sur les aspects respectivement
somatique et psychique de la situation m dicale de l'assur . Le premier
m decin nomm  a conclu que la reprise d'une activit  adapt e  tait
th oriquement possible (rapport du 9 novembre 2000). Quant au second, il a
pos  le diagnostic de simulation [CIM-10 Z76.5] (rapport du 1er novembre
2000). Consid rant que les  l ments contenus dans ces rapports permettaient
d'admettre l'existence, chez l'assur , d'une capacit  de travail enti re dans
une activit  adapt e, l'office AI a, par d cision du 19 mars 2001, supprim 
la rente avec effet au premier jour du deuxi me mois suivant la notification
de cette d cision.

B.
L'assur  a recouru contre cette derni re d cision au Tribunal des assurances
du canton de Vaud et produit un nouveau document (du 15 janvier 2002)  manant
de son m decin traitant, le docteur P.________, psychiatre.

Le Tribunal a ordonn  une expertise judiciaire qu'il a confi e   la
doctoresse B.________, psychiatre et psychoth rapeute. Selon le rapport
d'expertise (du 27 ao t 2003), S.________ pr sentait des troubles psychiques
du registre d pressif et psychotique qui emp chaient toute r insertion
professionnelle. Les parties ont eu l'occasion de se d terminer sur ce
rapport. Par jugement du 29 avril 2004, la juridiction cantonale a rejet  le
recours de l'assur .

C.
S.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
il requiert l'annulation. Sous suite de d pens, il invite le Tribunal f d ral
des assurances   confirmer son droit   une demi-rente d'invalidit  d s le 1er
d cembre 1992 et   admettre sa demande de r vision en ce sens qu'il a droit  
une rente enti re d'invalidit    partir du d p t de cette demande. Il
sollicite en outre l'assistance judiciaire.

L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office f d ral des
assurances sociales a renonc    se d terminer.

Consid rant en droit:

1.
Le litige porte sur le bien-fond  de la suppression par l'office AI de la
demi-rente d'invalidit .

2.
La loi f d rale sur la partie g n rale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entr e en vigueur le 1er janvier 2003, entra nant la
modification de nombreuses dispositions l gales dans le domaine de
l'assurance-invalidit . Cependant, le cas d'esp ce reste r gi par les
dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 d cembre 2002, eu  gard au
principe selon lequel les r gles applicables sont celles en vigueur au moment
o  les faits juridiquement d terminants se sont produits (ATF 127 V 467
consid. 1, 121 V 366 consid. 1b).

3.
3.1 Selon l'art. 41 LAI (dans sa teneur jusqu'au 31 d cembre 2002), si
l'invalidit  d'un b n ficiaire de rente se modifie de mani re   influencer le
droit   la rente, celle-ci est, pour l'avenir, augment e, r duite ou
supprim e. Tout changement important des circonstances, propre   influencer
le degr  d'invalidit , donc le droit   la rente, peut donner lieu   une
r vision de celle-ci. Le point de savoir si un tel changement s'est produit
doit  tre tranch  en comparant les faits tels qu'ils se pr sentaient au
moment de la d cision initiale de rente et les circonstances r gnant  
l' poque de la d cision litigieuse (ATF 125 V 369 consid. 2 et la r f rence;
voir  galement ATF 112 V 372 consid. 2b et 390 consid. 1b).

3.2 Selon la jurisprudence, si les conditions pr vues   l'art. 41 LAI font
d faut, l'administration peut en tout temps revenir d'office sur une d cision
formellement pass e en force de chose jug e et sur laquelle une autorit 
judiciaire ne s'est pas prononc e sous l'angle mat riel,   condition qu'elle
soit sans nul doute erron e et que sa rectification rev te une importance
notable (ATF 126 V 23 consid. 4b et les r f rences).

3.3 En outre, par analogie avec la r vision des d cisions rendues par les
autorit s judiciaires, l'administration est tenue de proc der   la r vision
d'une d cision entr e en force formelle lorsque sont d couverts des faits
nouveaux ou de nouveaux moyens de preuve, susceptibles de conduire   une
appr ciation juridique diff rente (ATF 126 V 24 consid. 4b et les
r f rences).

4.
4.1 Estimant que les conclusions de la doctoresse B.________ n' taient pas
convaincantes, la juridiction cantonale s'est  cart e de l'expertise
judiciaire et a fait sienne le diagnostic de simulation retenu par le docteur
M.________. Ce diagnostic constituait un fait nouveau qui justifiait le
r examen du cas de l'assur  (r vision proc durale). Comme S.________ simulait
des troubles psychiques inexistants, il fallait admettre qu'il  tait en
mesure d'exercer une activit  adapt e lui permettant d'obtenir un revenu
suffisant pour exclure le droit   une rente d'invalidit . L'office AI avait
donc supprim    bon droit ses prestations.

4.2 En bref, le recourant reproche   la juridiction cantonale de ne pas avoir
respect  les r gles concernant la r vision et de s' tre  cart    tort de
l'expertise judiciaire. Il soutient qu'aucun m decin ou expert n'a conclu  
une am lioration de son  tat de sant  depuis la d cision d'octroi de la
demi-rente. Par ailleurs, ni les conditions d'une reconsid ration, ni celles
d'une r vision (proc durale) ne seraient r unies dans son cas.

5.
La premi re question   laquelle il convient de r pondre est de savoir s'il
existe un motif de r vision au sens de l'art. 41 aLAI.

5.1 Au plan physique, sur la base de l'examen clinique du docteur C.________
(voir son rapport du 9 novembre 2000), on peut retenir que l'assur  jouit
actuellement d'une capacit  de travail r siduelle th orique proche de la
normale dans une activit  adapt e permettant l'alternance des positions et
n'exigeant pas d'efforts. Ce m decin n'a en effet constat  que des troubles
statiques et g n ratifs mod r s de la colonne vert brale, tandis que tous les
signes de non-organicit  de Wadell  taient pr sents; s'il a n anmoins  voqu 
un pronostic  extr mement mauvais , c'est avant tout en raison de facteurs
 trangers   la notion d'invalidit  (probl mes familiaux, absence d'activit 
professionnelle depuis 10 ans). Mandat  par l'administration dans le cadre de
la premi re demande AI de l'assur , le docteur R.________  tait parvenu aux
m mes conclusions au terme d'observations cliniques similaires (pas de
trouble statique majeur, mobilit  et examen du rachis en ordre; tests de
Wadell positifs). D'un point de vue strictement somatique, il y a d s lors
lieu d'admettre que l' tat de sant  du recourant n'a pas subi d'aggravation
significative par rapport   la situation qui pr valait au moment de l'octroi
de la demi-rente.

5.2
On ne peut pas en dire autant en ce qui concerne le status psychique du
recourant.

5.2.1 Pour rendre ses conclusions, le docteur M.________ s'est appuy  sur
l'ensemble du dossier m dical de l'assur  et a effectu  deux entretiens avec
lui. Selon ce m decin psychiatre, S.________, venu en Suisse dans l'id al
d'entreprendre des  tudes universitaires et se trouvant contraint, faute de
moyens,   exercer des emplois peu valorisants,  bless  narcissiquement ,
voulait donner l'image d'un homme malade, souffrant de troubles aussi bien
physiques que psychiques, lui permettant d'obtenir une quelconque
reconnaissance; le tableau  tait  hyperd monstratif et discordant  sans qu'il
p t mettre en  vidence de symptomatologie psychiatrique. En particulier, le
docteur M.________ ne relevait aucun  l ment de la lign e psychotique,
d pressive ou anxieuse (ni abrasement affectif, ni appauvrissement du
langage, pas de barrages id o-moteurs ou encore de regard se perdant dans le
vague, r ponses coh rentes), mais surtout des  traits caract riels et
manipulatoires . Malgr  que l'assur  se plaign t de difficult s de
concentration et de troubles mn siques, il lui apparaissait bien plut t que
celui-ci gardait d lib r ment pour lui la plupart de ses donn es personnelles
(au premier entretien, certaines dates  taient tr s pr cises tandis qu'elles
demeuraient dans le flou ensuite). Enfin, S.________ conservait la capacit 
de sourire et sa mimique ne concordait pas   ses propos les plus sombres
(notamment quand le pr nomm  abordait le d c s de son p re qui repr sentait
apparemment pour lui le point de d part de son repli social et de ses
sentiments de d tresse, mais dont il ne se souvenait toutefois plus de la
date).

5.2.2 De son c t , la doctoresse B.________ a vu l'assur    quatre reprises,
pris contact avec les m decins traitants de celui-ci, et s'est adjointe les
services d'une psychologue; elle a  galement eu   disposition les documents
m dicaux produits devant la juridiction cantonale. A l'issue de son examen,
l'experte judiciaire a retenu un   tat d pressif s v re chez une personnalit 
de structure psychotique  voluant progressivement sur un mode parano aque .
Elle a constat  chez l'assur  une attitude prostr e, un regard fuyant, des
sentiments de d sespoir et d'impuissance qu'elle qualifiait d' authentiques 
et qui avoisineraient par moments une  d compensation psychotique .
S.________, au d part bien adapt  en Suisse, aurait vu sa situation et son
 tat de sant  se d grader progressivement   la suite de son premier divorce
et de ses  checs professionnels r p t s, qui constituaient des blessures
narcissiques tr s mal support es. Toujours selon la doctoresse B.________, il
n'y aurait pas d'intention chez le pr nomm  de tromper ses interlocuteurs
mais une difficult    appr hender sa propre situation et   accepter ses
 checs. L'aspect d monstratif de sa souffrance - irritante pour beaucoup de
personnes - indiquait des traits manipulateurs et pervers (cf. les r sultats
de l'examen psychologique), mais cette mani re de vivre et d'interagir avec
les autres s'inscrivait dans une logique parano aque. Tous ces  l ments
amenaient l'experte   conclure qu'actuellement et depuis vraisemblablement
une dizaine d'ann es, l'assur   tait incapable de travailler, m me dans une
activit  l g re, en raison de ses troubles psychiques.

5.2.3 En l'esp ce, on peut difficilement,   la seule analyse des
consid rations m dicales de chacun des psychiatres, d partager leurs
conclusions tant les diagnostics pos s sont incompatibles l'un avec l'autre.
Il est d'autant plus malais  de se convaincre du bien-fond  de l'un ou
l'autre de ces avis que les d clarations et le comportement de l'assur  ont
fait l'objet d'une interpr tation fondamentalement diff rente par les
docteurs M.________ et B.________. On peut certes convenir avec les premiers
juges que le rapport d'expertise judiciaire est,   certains  gards,
insatisfaisant : l'experte judiciaire ne s'est en effet pas v ritablement
prononc e sur les motifs qui l'ont conduite   se distancer de l'appr ciation
faite par son confr re, appr ciation pourtant   l'origine de la d cision de
la juridiction cantonale de mettre en oeuvre une expertise. C'est le lieu
toutefois de rappeler que selon la jurisprudence, le juge ne s' carte pas
sans motifs s rieux des conclusions d'une expertise m dicale judiciaire, la
t che de l'expert  tant pr cis ment de mettre ses connaissances sp ciales  
la disposition de la justice afin de l' clairer sur les aspects m dicaux d'un
 tat de fait donn  (voir ATF 125 V 352 ss consid. 3b). Or, le fait que les
premiers juges ont estim  n cessaire de recourir   un expertise judiciaire
montre bien qu'ils avaient un doute sur la fiabilit  du diagnostic de
simulation retenu le docteur M.________. Comme l'experte judiciaire a abouti
  des conclusions diam tralement oppos es, on voit mal qu'ils aient pu, sans
autres investigations, trancher le litige en se fondant sur le rapport du
docteur M.________. A tout le moins auraient-ils d  poser des questions
compl mentaires   l'experte judiciaire ou alors ordonner une surexpertise.
C'est ce qu'il convient de faire ici dans la mesure o  les pi ces m dicales
au dossier ne permettent pas de statuer sur la question litigieuse.

Il s'impose donc de renvoyer la cause   la juridiction cantonale afin qu'elle
mette en oeuvre une surexpertise psychiatrique. En ce sens, le recours est
bien fond .

6.
Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit   des d pens   charge de
l'office AI (art. 159 al. 1 OJ). Partant, sa requ te d'assistance judiciaire
est sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal f d ral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du 29 avril 2004 du Tribunal
des assurances du canton de Vaud est annul , la cause  tant renvoy e   cette
juridiction pour qu'elle proc de conform ment aux consid rants.

2.
Il n'est pas per u de frais de justice.

3.
L'Office AI pour le canton de Vaud versera au recourant une indemnit  de
d pens (y compris la taxe   la valeur ajout e) de 2'500 fr. pour l'instance
f d rale.

4.
Le Tribunal des assurances du canton de Vaud statuera sur les d pens pour la
proc dure de premi re instance, au regard de l'issue du proc s de derni re
instance.

5.
Le pr sent arr t sera communiqu  aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et   l'Office f d ral des assurances sociales.

Lucerne, le 6 avril 2006

Au nom du Tribunal f d ral des assurances

Le Pr sident de la IIIe Chambre: La Greffi re: