Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 544/2004
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I 544/04

Arrêt du 13 décembre 2005
IVe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Meyer et Ursprung. Greffière : Mme
Moser-Szeless

B.________, recourante, représentée par Me Mauro Poggia, avocat, rue
De-Beaumont 11, 1206 Genève,

contre

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, intimé

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 14 juillet 2004)

Faits:

A.
B. ________, née en 1946, mariée et mère de deux enfants adultes, travaillait
en qualité d'ouvrière de pré-assemblage au service de la société X.________
SA. A la suite d'une chute survenue le 15 avril 1999, elle a souffert d'une
entorse cervicale et de cervicalgies post-traumatiques. Mise en arrêt de
travail à 100 % à partir de cette date (rapport du docteur R.________,
médecin traitant, du 21 juin 1999), l'intéressée n'a plus repris d'activité
lucrative. Les différents examens médicaux qu'elle a subis (examens
radiologiques, scanner de la charnière cervico-occipitale, résonance
magnétique cervicale) n'ont fait apparaître aucune lésion post-traumatique.

En raison de la persistance des cervicalgies,B.________ s'est annoncée à
l'assurance-invalidité le 27 juillet 2000. L'Office de l'assurance-invalidité
du canton de Genève (ci-après: l'office AI) a recueilli notamment les avis
médicaux figurant au dossier de l'assurée auprès de son assureur-accidents
(la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents [CNA]) et de son
assureur-maladie perte de gain (La Bâloise, compagnie d'assurances [la
Bâloise]). Ainsi, dans un rapport du 5 octobre 1999, le docteur O.________,
médecin d'arrondissement de la CNA, a diagnostiqué de légers troubles
dégénératifs préexistants et la persistance d'un syndrome hyperalgique en
nette discrépance avec les constatations tant cliniques que radiologiques,
avec une attitude évoquant la sinistrose. De son côté, le docteur U.________,
responsable du service ambulatoire de la Clinique Y.________, a rendu un
rapport à l'intention de la Bâloise dans lequel il a fait état d'un syndrome
somatoforme douloureux persistant. Selon lui, il existait un hiatus manifeste
entre les plaintes subjectives de l'assurée et les constatations objectives,
celle-ci ne présentant aucune affection médicale (somatique ou psychique)
susceptible d'expliquer l'état douloureux ou le retentissement fonctionnel.
Le médecin concluait que B.________ disposait d'une capacité de travail
entière dans son activité d'ouvrière (rapport du 2 août 2000, complété le 16
janvier 2001).

Dans un projet de décision du 20 août 2002, l'office AI a informé l'assurée
qu'il comptait rejeter sa demande de prestations, au motif que son atteinte à
la santé n'était pas invalidante au sens de la loi. Contestant ce projet,
B.________ a produit des certificats médicaux des docteurs E.________ et
R.________, selon lesquels elle était en incapacité totale de travail.

Le 23 octobre 2002, l'office AI a refusé toute prestation à l'assurée en
reprenant les arguments exposés dans son projet de décision.

B.
B.________ a déféré la décision du 23 octobre 2002 à la Commission cantonale
genevoise de recours en matière d'AVS/AI (aujourd'hui: Tribunal cantonal des
assurances sociales, Genève). A l'appui de son recours, elle a produit,
notamment, un rapport (du 18 juin 2002) signé par les docteurs P.________ et
C.________, psychologue, du Centre multidisciplinaire d'évaluation et de
traitement de la douleur de la Clinique Z.________, ainsi qu'un rapport du
docteur E.________ (du 28 avril 2003) qui pose le diagnostic de trouble
somatoforme douloureux persistant associé à un état dépressif modéré. Elle a
été déboutée par jugement du 14 juillet 2004.

C.
L'assurée interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
elle demande l'annulation. Sous suite de dépens, elle conclut principalement
au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour la mise en oeuvre d'une
expertise médicale pluridisciplinaire ou, à tout le moins, une expertise
psychiatrique; à titre subsidiaire, elle requiert l'octroi d'une rente
entière d'invalidité fondé sur un taux d'invalidité de 100 %. Elle sollicite
en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire.

L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales (OFAS) n'a pas présenté de déterminations.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le litige porte sur le droit éventuel de la recourante à une rente de
l'assurance-invalidité, singulièrement sur le point de savoir si l'atteinte à
la santé dont elle est atteinte est invalidante au sens de l'art. 4 al. 1
LAI.

Le jugement entrepris expose correctement les termes de cette disposition
légale (dans sa teneur en vigueur à la date déterminante de la décision
litigieuse du 23 octobre 2002) et les principes jurisprudentiels relatifs à
l'appréciation des expertises médicales par le juge.

1.2 On rappellera, par ailleurs, que la reconnaissance de l'existence d'une
atteinte à la santé psychique, soit aussi de troubles somatoformes douloureux
persistants, suppose d'abord la présence d'un diagnostic émanant d'un expert
(psychiatre) et s'appuyant lege artis sur les critères d'un système de
classification reconnu (ATF 130 V 398 ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme
pour toutes les autres atteintes à la santé psychique, le diagnostic de
troubles somatoformes douloureux persistants ne constitue pas encore une base
suffisante pour conclure à une invalidité. Au contraire, il existe une
présomption que les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent
être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible. Le
caractère non exigible de la réintégration dans le processus de travail peut
résulter de facteurs déterminés qui, par leur intensité et leur constance,
rendent la personne incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel
cas, en effet, l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour
vaincre ses douleurs. La question de savoir si ces circonstances
exceptionnelles sont réunies doit être tranchée de cas en cas à la lumière de
différents critères. Au premier plan figure la présence d'une comorbidité
psychiatrique importante par sa gravité, son acuité et sa durée. D'autres
critères peuvent être déterminants. Ce sera le cas des affections corporelles
chroniques, d'un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans
rémission durable (symptomatologie inchangée ou progressive), d'une perte
d'intégration sociale dans toutes les manifestations de la vie, d'un état
psychique cristallisé, sans évolution possible au plan thérapeutique,
résultant d'un processus défectueux de résolution du conflit, mais apportant
un soulagement du point de vue psychique (profit primaire tiré de la maladie,
fuite dans la maladie), de l'échec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conformes aux règles de l'art (même avec différents types de
traitement), cela en dépit de l'attitude coopérative de la personne assurée
(ATF 130 V 352). Plus ces critères se manifestent et imprègnent les
constatations médicales, moins on admettra l'exigibilité d'un effort de
volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine
Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz und Arbeitsunfähigkeit, St.
Gall 2003, p. 77).

2.
2.1 La juridiction cantonale a considéré qu'une expertise médicale
supplémentaire, telle que requise par la recourante, ne s'avérait pas
nécessaire, dès lors que l'ensemble des pièces médicales au dossier
permettait d'apprécier le caractère invalidant du syndrome somatoforme
douloureux persistant. Des documents médicaux, en particulier des rapports
des docteurs U.________ et C.________, les premiers juges ont déduit que
l'atteinte en cause ne présentait pas un tel caractère.

2.2 Se référant à la jurisprudence de la Cour de céans relative aux troubles
somatoformes douloureux, la recourante demande à être soumise à une expertise
pluridisciplinaire, voire psychiatrique. Elle soutient que son dossier ne
comprend aucune évaluation psychologique ou psychiatrique, alors qu'elle
présente une affection psychique sous la forme d'une dépression. Dans la
mesure où le docteur U.________ ne semble pas être titulaire d'une
spécialisation en psychiatrie et que son rapport ne contient qu'une
appréciation de la situation sur le plan somatique, son expertise ne serait,
selon la recourante, en aucun cas suffisante pour conclure à l'absence d'une
incapacité de travail. A titre subsidiaire, elle fait encore valoir que les
critères posés par la jurisprudence permettant de retenir le caractère
invalidant de troubles somatoformes seraient remplis; aussi, aurait-elle
droit à une rente d'invalidité fondée sur un taux d'invalidité de 100 % (se
confondant avec le degré d'incapacité de travail).

3.
3.1 Les troubles somatoformes douloureux entrent dans la catégorie des
affections psychiques, pour lesquelles une expertise psychiatrique est en
principe nécessaire quand il s'agit de se prononcer sur l'incapacité de
travail qu'elles sont susceptibles d'entraîner (ATF 130 V 353 consid. 2.2.2;
VSI 2000 p. 156 consid. 4b). Une telle appréciation psychiatrique n'est
toutefois pas indispensable lorsque le dossier médical comprend suffisamment
de renseignements pour exclure l'existence d'une composante psychique aux
douleurs de l'assuré qui revêtirait une importance déterminante au regard de
la limitation de la capacité de travail. Le Tribunal fédéral des assurances a
ainsi retenu qu'une expertise psychiatrique complémentaire n'était pas
nécessaire dans un cas où un rhumatologue, titulaire d'un certificat AMPP en
médecine psychosomatique et psychosociale, s'était également prononcé de
manière circonstanciée sur d'éventuels problèmes psychiques sous-jacents aux
troubles physiques de l'assuré (arrêt D. du 25 août 2003, I 830/03). De même,
a-t-il considéré que des éclaircissements de la part d'un médecin psychiatre
n'étaient pas nécessaires lorsqu'il n'existait aucun indice que l'assuré
présentât une problématique psychique invalidante (SVR 2003 IV n° 11 p. 31).

3.2 Le dossier de la recourante ne contient pas à proprement parler
d'évaluation psychique de son état de santé. Dans son rapport du 2 août 2000,
qui comprend une énumération précise des examens somatiques sur lesquels il a
fondé ses constatations, le docteur U.________ a certes fait état d'une
surcharge psychique, en mentionnant qu'elle n'atteignait pas le seuil
diagnostique d'une affection psychiatrique. Il s'agit cependant d'une
affirmation que le médecin n'a pas assorti d'explication et qui ne repose sur
aucune analyse psychique de l'assurée. A cet égard, la description des
plaintes subjectives et objectives de la patiente, ainsi que l'anamnèse
familiale et socioprofessionnelle évoquées par les premiers juges ne
sauraient remplacer la discussion et l'évaluation proprement dite du vécu de
l'assurée. De leur côté, les docteurs P.________ et C.________ ont fait une
brève anamnèse psychosociale de la patiente, en décrivant ses plaintes, sans
toutefois se prononcer, dans la partie «discussion et proposition» de leur
rapport, sur la situation au niveau psychique. Ils indiquent avoir encouragé
la patiente à poursuivre le traitement d'un médicament anti-dépresseur, sans
toutefois poser de diagnostic psychiatrique, ni expliquer la nécessité d'un
tel traitement; ils ne se sont pas prononcés non plus sur la capacité de
travail de l'intéressée. Pour sa part, le docteur E.________ a posé le
diagnostic d'un trouble somatoforme douloureux persistant associé à un état
dépressif modéré (rapport du 28 avril 2003). Il a par ailleurs précisé que la
patiente suivait déjà un traitement avec des anti-dépresseurs au moment de la
première consultation, le 8 février 2002, et que l'avis d'un spécialiste en
psychiatrie lui semblait nécessaire (réponses au courrier du conseil de la
recourante du 27 août 2004, produites en instance fédérale).
Dans ces circonstances, le cas d'espèce ne saurait être assimilé à celui qui
a fait l'objet de l'arrêt du 25 août 2003, I 830/03, précité, auquel s'est
référée la juridiction cantonale pour nier la nécessité d'une expertise
psychiatrique. Les appréciations médicales mentionnées ne comprennent en
effet aucune évaluation psychologique de l'assurée qui aurait pu, aux
conditions posées par l'arrêt du 25 août 2003, remplacer l'appréciation d'un
psychiatre. En particulier, les éléments avancés par les docteurs U.________,
P.________ et C.________, pas plus que l'avis du médecin traitant, ne
permettent de répondre à la question décisive qui se pose en présence de
troubles somatoformes douloureux: celle de savoir si la personne concernée
possède en elle suffisamment de ressources psychiques pour faire face à ses
douleurs et réintégrer le circuit économique, eu égard aux critères rappelés
ci-avant (supra consid. 1.2). La seule mention, par les docteurs P.________
et C.________, de la réduction des activités sociales de l'assurée ne suffit
pas encore pour se faire une idée sur la mesure dans laquelle l'atteinte à la
santé dont elle souffre aurait une répercussion sur les divers aspects de sa
vie. Par ailleurs, il n'est pas possible de juger en pleine connaissance de
l'existence ou de l'absence d'une comorbidité psychiatrique - l'appréciation
du docteur U.________ étant dépourvue de motivation sur ce point -, ni d'un
éventuel conflit intra-psychique ou encore d'une situation de conflit
externe. La question du profit secondaire d'une maladie (c'est-à-dire le
désir subjectif de se voir accorder une rente) n'a pas non plus été examiné.

3.3 En conséquence, étant donné qu'un certain nombre d'aspects liés à
l'évaluation du caractère invalidant des troubles somatoformes de la
recourante n'a pas été éclairci et qu'on ne peut pas conclure, sans autre
examen, qu'elle jouit d'une pleine capacité de travail comme l'a retenu
l'autorité cantonale de recours, il est nécessaire de mettre en oeuvre une
expertise psychiatrique. La cause sera par conséquent renvoyée à l'office
intimé pour ce faire.

Partant, le recours se révèle bien fondé.

4.
Vu la nature du litige, la procédure est gratuite (art. 134 OJ). Assistée
d'un avocat, la recourante qui obtient gain de cause a droit à des dépens
(art. 159 al. 2 OJ en corrélation avec l'art. 135 OJ). Sa demande
d'assistance judiciaire est dès lors sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal cantonal des assurances
sociales de la République et canton de Genève du 14 juillet 2004 ainsi que la
décision sur opposition du 23 octobre 2002 sont annulés, la cause étant
renvoyé à l'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité pour qu'il
procède conformément aux considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'office intimé versera à la recourante une indemnité de dépens de 2'500 fr.
(y compris la taxe à la valeur ajoutée) pour l'instance fédérale.

4.
Le Tribunal cantonal genevois des assurances sociales statuera à nouveau sur
les dépens de l'instance cantonale, au regard de l'issue du procès.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal genevois
des assurances sociales et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 13 décembre 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre: La Greffière: