Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 539/2004
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I 539/04

Arrêt du 16 août 2005
IVe Chambre

MM. et Mme les Juges Ferrari, Président, Widmer et Ursprung. Greffier : M.
Wagner

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, recourant,

contre

F.________, intimée, représentée par Me Maurizio Locciola, avocat, rue du Lac
12, 1207 Genève

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 24 août 2004)

Faits:

A.
F. ________, née en 12 janvier 1952, de nationalité portugaise, est arrivée
en Suisse le 8 septembre 1985. De 1986 à 1990, elle a travaillé en qualité de
nettoyeuse au service de I.________ SA. Inscrite dès janvier 1990 à
l'assurance-chômage, elle a retrouvé un emploi à partir de novembre 1990
auprès de B.________ SA, où elle a travaillé dans le domaine du nettoyage des
montres puis en tant qu'employée de conditionnement, s'occupant de
l'emballage des montres pour leur expédition. Pour des raisons économiques,
son employeur a mis fin aux rapports de travail pour le 31 mars 1997.
F.________ s'est inscrite à l'Office cantonal genevois de l'emploi le 1er
avril 1997. Elle a perçu des indemnités de chômage jusqu'à décembre 1998. Au
cours de l'année 1999, elle a été placée en emploi temporaire auprès de
l'établissement médico-social X.________ Sàrl, où elle a travaillé entre les
19 et 22 avril 1999.
Le 28 juillet 1999, F.________ a présenté une demande de prestations de
l'assurance-invalidité. Dans un rapport médical du 23 novembre 1999, le
docteur C.________, médecin traitant de l'assurée, a diagnostiqué notamment
une fibromyalgie. Il indiquait que la patiente présentait une incapacité
totale de travail depuis le 23 avril 1999.
L'Office cantonal de l'assurance-invalidité du canton de Genève a confié une
expertise au Centre d'observation médical de l'assurance-invalidité (COMAI)
de Lausanne. Dans un rapport du 12 mars 2002, les docteurs O.________, chef
de clinique adjoint, et P.________, médecin-chef adjoint, ont retenu comme
diagnostics avec influence essentielle sur la capacité de travail un syndrome
douloureux somatoforme persistant sous forme de douleurs diffuses au niveau
de l'appareil locomoteur (F 45.4), un trouble dépressif récurrent, épisode
actuel moyen (F 33.1), des somatisations (F 45.0) et un trouble
hypocondriaque (F 45.2). Ils ont diagnostiqué également une discopathie
C5-C6, tout en indiquant qu'elle n'avait pas d'influence essentielle sur la
capacité de travail. Dans leur appréciation globale du cas, ils concluaient à
une capacité de travail résiduelle en tant qu'employée de conditionnement de
l'ordre de 30 à 40 %, alors que l'activité de femme de ménage ne paraissait
exigible qu'à un taux inférieur.
Dans un projet de décision du 4 juillet 2002, l'office AI a avisé F.________
que le trouble somatoforme douloureux qu'elle présentait n'était pas associé
à une maladie psychiatrique grave et qu'il n'avait pas valeur de maladie. Par
ailleurs, l'état dépressif dont elle était atteinte ne pouvait être qualifié
de maladie psychiatrique grave.
Par décision du 1er octobre 2002, l'office AI a rejeté la demande.

B.
F.________ a formé recours contre cette décision devant la Commission
cantonale genevoise de recours en matière d'AVS/AI, en concluant, sous suite
de dépens, à l'annulation de celle-ci et à l'octroi d'une rente entière
d'invalidité dès avril 2000.
Le Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de
Genève, entré en fonction le 1er août 2003, a repris les compétences exercées
jusque-là par la Commission de recours. Par jugement du 24 août 2004, il a
admis le recours, annulé la décision attaquée du 1er octobre 2002, invité
l'office AI à rendre une nouvelle décision au sens des considérants et l'a
condamné à payer à F.________ une indemnité de dépens de 1'500 fr.

C.
L'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité interjette un recours de
droit administratif contre ce jugement, en concluant à l'annulation de
celui-ci.

F. ________ conclut, sous suite de dépens, au rejet du recours. L'Office
fédéral des assurances sociales n'a pas déposé d'observations.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de l'intimée à une rente d'invalidité,
spécifiquement sur le point de savoir si elle présente une atteinte à la
santé psychique diminuant sa capacité de travail et de gain ou si la reprise
d'une activité professionnelle est exigible.

2.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-invalidité. Conformément au principe général de droit
transitoire, selon lequel - même en cas de changement des bases légales - les
règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits
juridiquement déterminants se sont produits, le cas d'espèce reste régi par
les règles applicables jusqu'au 31 décembre 2002, le Tribunal fédéral des
assurances appréciant la légalité des décisions attaquées, en règle générale,
d'après l'état de fait existant au moment où la décision administrative
litigieuse du 1er octobre 2002 a été rendue (ATF 130 V 445 et les références;
cf. aussi ATF 130 V 329). Pour les mêmes motifs, les dispositions de la
novelle du 21 mars 2003 modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur
le 1er janvier 2004, ne sont pas applicables.

3.
3.1 En vertu de l'art. 4 al. 1 LAI (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31
décembre 2002), l'invalidité au sens de la présente loi est la diminution de
la capacité de gain, présumée permanente ou de longue durée, qui résulte
d'une atteinte à la santé physique, ou mentale provenant d'une infirmité
congénitale, d'une maladie ou d'un accident.

3.2 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes
physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison
avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état
psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré
pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est
exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V
165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298
consid. 4c in fine).
La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique, soit
aussi de troubles somatoformes douloureux persistants, suppose d'abord la
présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege
artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 398
ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme pour toutes les autres atteintes à la
santé psychique, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux
persistants ne constitue pas encore une base suffisante pour conclure à une
invalidité. Au contraire, il existe une présomption que les troubles
somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort
de volonté raisonnablement exigible. Le caractère non exigible de la
réintégration dans le processus de travail peut résulter de facteurs
déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la personne
incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel cas, en effet,
l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour vaincre ses douleurs.
La question de savoir si ces circonstances exceptionnelles sont réunies doit
être tranchée de cas en cas à la lumière de différents critères. Au premier
plan figure la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa
gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères peuvent être déterminants.
Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un processus maladif
s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie
inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de
résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue
psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude
coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces critères se
manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on admettra
l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 77).

Si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une
exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en
règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des
prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la
discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé,
l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations
fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des
plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact
(voir Kopp/Willi/Klipstein, Im Graubereich zwischen Körper, Psyche und
sozialen Schwierigkeiten, in: Schweizerische Medizinische Wochenschrift 1997,
p. 1434, avec référence à une étude approfondie de Winckler et Foerster; voir
sur l'ensemble du sujet ATF 131 V 50 s. consid. 1.2).

4.
4.1 Pour rendre leurs conclusions, les experts du COMAI ont procédé à un
examen clinique complet de l'intimée le 20 novembre 2001. Ils se sont
adjoints les services d'un rhumatologue, le docteur H.________, et d'un
psychiatre, le docteur N.________. Se fondant sur l'examen clinique, sur les
observations du rhumatologue et du psychiatre ainsi que sur l'ensemble du
dossier médical, les experts du COMAI ont retenu les diagnostics de syndrome
douloureux somatoforme persistant sous forme de douleurs diffuses au niveau
de l'appareil locomoteur (F 45.4), de trouble dépressif récurrent, épisode
actuel moyen (F 33.1), de somatisations (F 45.0) et de trouble hypocondriaque
(F 45.2). A leur avis, l'élément moteur, sur le plan psycho-pathologique, est
représenté par l'interconnexion des somatisations et du trouble
hypocondriaque, l'état dépressif étant en quelque sorte apparu
progressivement et de façon réactionnelle aux troubles susmentionnés qui
relèvent plutôt de la sphère psychotique. Leur appréciation globale, selon le
modèle bio-psycho-social, permettait de conclure à une capacité de travail
résiduelle en tant qu'employée de conditionnement de l'ordre de 30 à 40 %.

4.2 Se fondant sur le rapport d'expertise du COMAI du 12 mars 2002, les
premiers juges ont admis l'existence d'un trouble somatoforme douloureux
ainsi que d'une fibromyalgie ayant des répercussions invalidantes sur la
capacité de travail de l'intimée, à hauteur de 60 à 70 % (capacité de travail
de 30 à 40 %).

4.3 Selon le recourant, la condition d'une comorbidité psychiatrique
importante par sa gravité, son acuité et sa durée fait défaut, étant donné
que l'intimée n'a jamais présenté de symptomatologie dépressive sévère
nécessitant une prise en charge psychiatrique spécialisée et que l'état
dépressif moyen mis en évidence par les experts du COMAI ne constitue pas une
comorbidité psychiatrique autonome. Par ailleurs, l'office AI nie que les
autres critères consacrés par la jurisprudence, dont l'existence permet
d'admettre le caractère non exigible de la reprise de travail, soient réunis
dans le cas particulier.

5.
5.1 Le diagnostic de « trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen » ne
suffit pas à établir l'existence d'une comorbidité psychiatrique d'une acuité
et d'une durée importante au sens de la jurisprudence. En effet, selon la
doctrine médicale (cf. notamment Dilling/Mombour/Schmidt [éd.],
Internationale Klassifikation psychischer Störungen, ICD-10 Kapitel V [F],
4ème édition, p. 191), sur laquelle se fonde le Tribunal fédéral des
assurances, les états dépressifs constituent des manifestations (réactives)
d'accompagnement des troubles somatoformes douloureux, de sorte qu'un tel
diagnostic ne saurait être reconnu comme constitutif d'une comorbidité
psychiatrique autonome des troubles somatoformes douloureux (ATF 130 V 358
consid. 3.3.1 et la référence à Meyer-Blaser, op. cit., p. 81 et la note
135). Selon les experts du COMAI, dont l'avis n'est pas contesté, l'état
dépressif est apparu progressivement et de façon réactionnelle au syndrome
somatoforme douloureux, somatisations et trouble hypocondriaque, qui relèvent
plutôt de la sphère psychotique. Aussi sont-ils d'avis que le retentissement
négatif au niveau de la capacité de travail de l'état dépressif doit être
relativisé.

5.2 Il reste à examiner les autres critères consacrés par la jurisprudence,
dont l'existence permet d'admettre le caractère non exigible de la reprise de
travail.
Dans le cas particulier, ainsi que cela ressort de l'expertise du COMAI du 12
mars 2002, l'intimée se considère pratiquement totalement incapable de
travailler dans tout emploi et à tout taux d'occupation en évoquant surtout
les difficultés à rester assise longtemps ainsi que la nécessité de se rendre
6 à 7 fois par jour aux toilettes. Sur le plan psychique, elle évoque sa
crainte de présenter un jour un cancer intestinal, en dépit des conclusions
rassurantes qui lui on été communiquées par les différents médecins
intervenants.
On ne voit pas, toutefois, que l'intimée réunit en sa personne plusieurs des
critères consacrés par la jurisprudence (ou du moins pas dans une mesure très
marquée) qui fondent un pronostic défavorable en ce qui concerne
l'exigibilité d'une reprise d'activité professionnelle. En effet, celle-ci ne
présente pas, en sus du trouble somatoforme douloureux persistant, une
affection corporelle chronique ou un processus maladif s'étendant sur
plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie inchangée ou
progressive). Sur le plan somatique (et notamment rhumatologique), les
experts du COMAI ont conclu à l'absence de lésion organique significative en
mesure d'expliquer les plaintes de la patiente. Seule une discopathie C5-C6
avec protrusion discale doit être mentionnée: il s'agit d'une constatation
devant être considérée somme toute comme banale pour l'âge de la patiente et
sans répercussion significative au niveau de la capacité de travail. Le fait
que les symptômes de somatisations s'accompagnent d'une perturbation du
comportement et conduisent à une altération du fonctionnement social et
familial ne permet pas non plus de parler d'une perte d'intégration sociale
dans toutes les manifestations de la vie. Du reste, selon l'expertise du
COMAI, l'assurée ne décrit aucun conflit conjugal familial; au contraire,
elle se dit bien entourée sur le plan familial. On ne voit également pas au
dossier que chez l'intimée, l'apparition du trouble somatoforme douloureux
résulterait d'une libération du processus de résolution du conflit psychique
(profit primaire tiré de la maladie). Même si, dans leur rapport du 12 mars
2002, les médecins du COMAI indiquent qu'il leur paraît illusoire de penser
que la patiente puisse reprendre un jour une quelconque activité
professionnelle, il n'en demeure pas moins qu'ils ne font mention d'aucune
source de conflit intra-psychique ni situation conflictuelle externe
permettant d'expliquer le développement du syndrome douloureux et son
aboutissement jusqu'à une interruption totale de toute activité lucrative.

5.3 Sur le vu de ce qui précède, il apparaît que le trouble somatoforme
douloureux ne se manifeste pas avec une sévérité telle que, d'un point de vue
objectif, seule une mise en valeur limitée de la capacité de travail de
l'intimée puisse être raisonnablement exigée d'elle. C'est dès lors à tort
que les premiers juges, admettant implicitement qu'il ne pouvait être exigé
de l'intimée qu'elle réintègre le processus du travail, ont retenu qu'elle
présentait une incapacité de travail issue d'un trouble somatoforme
douloureux ainsi que d'une fibromyalgie.

6.
Le litige ayant pour objet l'octroi ou le refus de prestations d'assurance,
la procédure est gratuite (art. 134 OJ). L'intimée, qui succombe, ne saurait
prétendre une indemnité de dépens pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en
corrélation avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal cantonal des assurances
sociales de la République et canton de Genève, du 24 août 2004, est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 16 août 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre: Le Greffier: