Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 51/2004
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I 51/04

Arrêt du 1er octobre 2004
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Rüedi et Frésard. Greffier : M. Berthoud

M.________, recourant, représenté par Me Thierry Thonney, avocat, place
Pépinet 4, 1002 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 26 novembre 2003)

Faits:

A.
M.________, né en 1948, a travaillé en qualité d'ouvrier agricole et de
manoeuvre dans la branche du bâtiment. Le 13 mai 1993, il a été victime d'un
accident dont les séquelles consistent en une mobilité réduite du genou
gauche. La Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA) a
pris le cas en charge et lui a alloué une rente d'invalidité de 15 % à partir
du 1er juin 1998, par décision du 11 août 1998.

Le 23 août 1996, l'assuré a sollicité l'octroi de prestations de
l'assurance-invalidité (reclassement et rente). A l'issue d'un stage au
Centre d'observation professionnelle de l'AI (ORIPH) d'Yverdon-les-Bains, les
responsables du centre sont parvenus à la conclusion que l'assuré, d'aspect
négligé, n'est pas présentable à un employeur (rapport du 9 novembre 1998).
Suspectant une dépression, le docteur A.________, médecin-conseil, a
recommandé la mise en oeuvre d'une expertise psychiatrique. Celle-ci a été
confiée au docteur V.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie.
Dans son rapport du 16 novembre 1999, ce psychiatre a attesté un trouble
somatoforme douloureux modéré (CIM-10 F45.4) chez une personne immature
(CIM-10 F60.8), ce qui diminue de 30 % au maximum sa capacité de travail.

Par décision du 21 novembre 2000, l'Office de l'assurance-invalidité pour le
canton de Vaud a rejeté la demande de mesures professionnelles.
Parallèlement, l'office AI a fixé le taux d'invalidité à 39 % et rejeté la
demande de rente.

B.
M.________ a déféré cette décision au Tribunal des assurances du canton de
Vaud en concluant au versement d'une rente d'invalidité d'un taux à dire de
justice.

Par jugement du 26 novembre 2003, la juridiction cantonale a rejeté le
recours.

C.
M.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation, avec suite de dépens, en reprenant ses conclusions
formulées en première instance.

L'intimé conclut au rejet du recours. L'Office fédéral des assurances
sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le taux d'invalidité du recourant.

2.
Les premiers juges ont exposé correctement les règles applicables à la
solution du litige, singulièrement celles qui ont trait à la coordination de
l'évaluation de l'invalidité dans les différentes branches de l'assurance
sociale (cf. ATF 126 V 288). Il suffit dès lors d'y renvoyer.

On ajoutera que la Cour de céans s'est récemment exprimée sur les conditions
auxquelles des troubles somatoformes douloureux persistants peuvent présenter
un caractère invalidant (arrêt N. du 12 mars 2004, I 683/03, destiné à la
publication; arrêt P. du 21 avril 2004, I 870/02). Elle a notamment considéré
ce qui suit, au consid. 3.3 de l'arrêt P. :

3.3.1 Selon la jurisprudence, des troubles somatoformes douloureux peuvent,
dans certaines circonstances, conduire à une incapacité de travail (ATF 120 V
119 consid. 2c/cc; RAMA 1996 no U 256 p. 217 ss consid. 5 et 6). De tels
troubles entrent dans la catégorie des affections psychiques, pour lesquelles
une expertise psychiatrique est en principe nécessaire quand il s'agit de se
prononcer sur l'incapacité de travail qu'ils sont susceptibles d'entraîner
(VSI 2000 p. 160 consid. 4b; arrêt N. du 12 mars 2004, destiné à la
publication, I 683/03, consid. 2.2.2 et les arrêts cités). Compte tenu des
difficultés, en matière de preuve, à établir l'existence de douleurs, les
simples plaintes subjectives de l'assuré ne suffisent pas pour justifier une
invalidité (entière ou partielle). Dans le cadre de l'examen du droit aux
prestations de l'assurance sociale, l'allégation des douleurs doit être
confirmée par des observations médicales concluantes, à défaut de quoi une
appréciation de ce droit aux prestations ne peut être assurée de manière
conforme à l'égalité de traitement des assurés (arrêt N. précité, consid.
2.2.2).
3.3.2  Un rapport d'expertise attestant la présence d'une atteinte psychique
ayant valeur de maladie - tels des troubles somatoformes douloureux - est une
condition juridique nécessaire, mais ne constitue pas encore une base
suffisante pour que l'on puisse admettre qu'une limitation de la capacité de
travail revêt un caractère invalidant (arrêt N. précité consid. 2.2.3; Ulrich
Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in
der Sozialversicherung, namentlich für den Einkommensvergleich in der
Invaliditätsbemessung, in : René Schauffhauser/Franz Schlauri (éd.), Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 64 sv., et note 93). En effet,
selon la jurisprudence, les troubles somatoformes douloureux persistants
n'entraînent pas, en règle générale, une limitation de longue durée de la
capacité de travail pouvant conduire à une invalidité au sens de l'art. 4 al.
1 LAI (voir sur ce point Meyer-Blaser, op. cit. p. 76 ss, spéc. p. 81 sv.).
Une exception à ce principe est admise dans les seuls cas où, selon
l'estimation du médecin, les troubles somatoformes douloureux se manifestent
avec une telle sévérité que, d'un point de vue objectif, la mise en valeur de
sa capacité de travail ne peut, pratiquement, - sous réserve des cas de
simulation ou d'exagération (SVR 2003 IV no 1 p. 2 consid. 3b/bb; voir aussi
Meyer-Blaser, op. cit. p. 83, spéc. 87 sv.) - plus raisonnablement être
exigée de l'assuré, ou qu'elle serait même insupportable pour la société (ATF
102 V 165; VSI 2001 p. 224 sv. consid. 2b et les références; arrêt N. précité
consid. 2.2.3 et les arrêts cités; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in
fine).

Admissible seulement dans des cas exceptionnels, le caractère non exigible
d'un effort de volonté en vue de surmonter la douleur et de la réintégration
dans un processus de travail suppose, dans chaque cas, soit la présence
manifeste d'une comorbité psychiatrique d'une acuité et d'une durée
importantes, soit le cumul d'autres critères présentant une certaine
intensité et constance. Ce sera le cas (1) des affections corporelles
chroniques ou d'un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans
rémission durable, (2) d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, (3) d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, marquant simultanément l'échec et la
libération du processus de résolution du conflit psychique (profit primaire
tiré de la maladie), ou enfin (4) de l'échec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conformes aux règles de l'art et de mesures de réhabilitation,
cela en dépit de la motivation et des efforts de la personne assurée pour
surmonter les effets des troubles somatoformes douloureux (VSI 2000 p. 155
consid. 2c; arrêt N. précité, consid. 2.2.3 in fine; Meyer-Blaser, op. cit.
p. 76 ss, spéc. 80 ss).

3.3.3  Dès lors qu'en l'absence de résultats sur le plan somatique le seul
diagnostic de troubles somatoformes douloureux ne suffit pas  pour justifier
un droit à des prestations d'assurance sociale, il incombe à l'expert
psychiatre, dans le cadre large de son examen, d'indiquer à l'administration
(et au juge en cas de litige) si et dans quelle mesure un assuré dispose de
ressources psychiques qui - eu égard également aux critères mentionnés au
considérant 3.3.2 ci-dessus - lui permettent de surmonter ses douleurs. Il
s'agit pour lui d'établir de manière objective si, compte tenu de sa
constitution psychique, l'assuré peut exercer une activité sur le marché du
travail, malgré les douleurs qu'il ressent (cf. arrêt N. précité consid.
2.2.4. et les arrêts cités).

3.3.4  Les prises de position médicales sur la santé psychique et sur les
ressources dont dispose l'assuré constituent une base indispensable pour
trancher la question (juridique) de savoir si et dans quelle mesure on peut
exiger de celui-ci qu'il mette en oeuvre toute sa volonté pour surmonter ses
douleurs et réintégrer le monde du travail. Dans le cadre de la libre
appréciation dont ils disposent (art. 40 PCF en liaison avec l'art. 19 PA;
art. 95 al. 2 en liaison avec 113 et 132 OJ; VSI 2001 p. 108 consid. 3a),
l'administration et le juge (en cas de litige) ne sauraient ni ignorer les
constatations de fait des médecins, ni faire leurs les estimations et
conclusions médicales relatives à la capacité (résiduelle) de travail, sans
procéder à un examen préalable de leur pertinence du point de vue du droit
des assurances sociales. Cela s'impose en particulier lorsque l'expert
atteste une limitation de la capacité de travail fondée uniquement sur le
diagnostic de troubles somatoformes douloureux. Dans un tel cas, il
appartient aux autorités administratives et judiciaires d'examiner avec tout
le soin nécessaire si l'estimation médicale de l'incapacité de travail prend
en considération également des éléments étrangers à l'invalidité (en
particulier des facteurs psychosociaux et socio-culturels) qui ne sont pas
pertinents du point de vue des assurances sociales (ATF 127 V 299 consid. 5a;
VSI 2000 p. 149 consid. 3), ou si la limitation (partielle ou totale) de la
capacité de travail est justifiée par les critères juridiques déterminants,
énumérés aux consid. 3.3.2 et 3.3.3 ci-dessus (cf. arrêt N. précité consid.
2.2.5).

3.
A teneur de la décision exécutoire de la CNA du 11 août 1998, les séquelles
traumatiques du genou gauche du recourant réduisent sa capacité de gain de 15
%.

Rien ne permet, en l'état, de remettre en cause cette appréciation de
l'assureur-accidents. Le recourant n'en conteste d'ailleurs pas le
bien-fondé.

4.
En l'occurrence, il s'agit de déterminer si l'AI doit répondre d'affections
invalidantes qui n'engagent pas la responsabilité de la CNA.

4.1 A cet égard, le recourant reproche à l'intimé d'avoir omis de tenir
compte du fait qu'il présente diverses affections somatiques (énumérées en
pages 5 et 6 de son mémoire de recours) qui réduiraient sa capacité de gain,
en plus des séquelles accidentelles du genou gauche (gonarthrose interne
gauche et genu varu bilatéral).

Les allégués du recourant ne trouvent cependant aucun appui dans le dossier.
Le docteur O.________, médecin-conseil de l'office intimé, a clairement
indiqué que les limitations somatiques du recourant ne concernent que les
activités qui mettent à contribution les genoux, savoir le port de charges,
le travail debout et la marche prolongée (appréciation du 22 novembre 1999).
Il a ajouté que les rendements excessivement bas observés au COPAI ne sont
pas explicables médicalement (note du 22 août 2000).

4.2 En ce qui concerne le trouble somatoforme douloureux, l'intimé a
implicitement admis qu'il devait répondre de l'incapacité de travail de 30 %
que cette affection psychique engendre chez le recourant. A peine de
s'écarter des principes jurisprudentiels précités, il convient donc
préalablement d'examiner si le trouble somatoforme dont est affecté le
recourant présente ou non un caractère invalidant.

En l'occurrence, à la lecture du rapport d'expertise du docteur V.________ du
16 novembre 1999, il apparaît clairement que le critère de la comorbidité
psychiatrique n'est pas réalisé, dès lors que le trouble somatoforme ne
s'accompagne d'aucune affection psychique. Par ailleurs, l'expert a attesté
que le trouble en question ne revêt qu'une importance modérée; en d'autres
termes, cela signifie que cette affection ne se manifeste pas chez le
recourant avec une telle sévérité qui rendrait l'exercice d'une activité
lucrative inexigible de sa part. On peut dès lors se dispenser d'examiner
plus avant les quatre autres critères retenus par la jurisprudence; il paraît
de toute manière douteux que le dernier d'entre eux soit réalisé, car il
n'est pas fait état de l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires
conformes aux règles de l'art. Il en va de même d'ailleurs du critère de la
perte d'intégration dans toutes les manifestations de la vie sociale (voir p.
3 et 4 du rapport d'expertise).

Au demeurant, on pourrait se demander si l'expert psychiatre n'a pas attaché
une importance prépondérante à des circonstances qui ne sont pas
déterminantes pour apprécier le caractère invalidant de troubles
somatoformes, à l'instar du contexte familial chargé (maladie psychique de
l'épouse; conflit opposant l'épouse et sa belle fille), ou du faible niveau
de la formation professionnelle du recourant.

4.3 Dans ces conditions, on doit nier - d'un point de vue juridique - qu'une
mise en valeur de la capacité de travail du recourant, jugée complète au plan
somatique dans une activité adaptée, ne puisse plus entièrement être exigée
de sa part. Il s'ensuit que l'intimé n'avait aucune raison valable de
s'écarter de l'évaluation de l'invalidité de la CNA.

Vu ce qui précède, le taux d'invalidité du recourant (15 %) est inférieur à
la limite ouvrant droit à la rente. En conséquence, le recours est infondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 1er octobre 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

p. le Président de la IIe Chambre:   Le Greffier: