Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 506/2004
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I 506/04

Arrêt du 22 février 2006
IIIe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Lustenberger et Seiler. Greffier : M.
Pellegrini

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, recourant,

contre

M.________, intimée, représentée par Christine Bulliard, Forum Santé,
boulevard Helvétique 27, 1207 Genève

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 6 octobre 2004)

Faits:

A.
Encarnation Salgado Martinez Perez, née en 1959, a exercé diverses activités,
en particulier celles de vendeuse, caissière et femme de ménage. Souffrant de
migraines, de douleurs aux cervicales, au dos et aux membres ainsi que d'une
importante fatigue et d'un manque de force pour l'accomplissement des tâches
ménagères, l'assurée a présenté une incapacité totale de travail à partir du
3 novembre 1997. Son médecin traitant a d'abord diagnostiqué des troubles
somatoformes avec douleurs chroniques sur pathologie de deuil, une
alexithymie et un syndrome du défilé thoracique bilatéral, puis un trouble
somatoforme douloureux et un état dépressif (rapports du docteur B.________
des 20 mars 1998 et 25 février 2000).

Le 8 janvier 1998, elle a déposé une demande de prestations auprès de
l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office
AI) tendant à l'octroi d'une rente.

Procédant à l'instruction du dossier, l'office AI a recueilli divers avis
médicaux. Il a confié un mandat d'expertise pluridisciplinaire au Centre
d'Observation Médical de l'Assurance Invalidité (COMAI) à Lausanne. A l'issu
de leurs examens, les experts ont posé le diagnostic suivant: "trouble
somatoforme douloureux persistant sous forme de cervico-dorso-lombalgies,
trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique et
personnalité dépendante à traits immatures. D'après eux, la capacité de
travail de l'assurée était de 60 % dans une activité excluant les travaux
lourds ainsi que le port de charges supérieures à 10 ou 15 kg de manière
répétée et permettant l'alternance des positions assis/debout (rapport
d'expertise des docteurs P.________, I.________, G.________, consultant et
rhumatologue, et C.________ , consultant et psychiatre, du 27 juin 2002).

Dans un projet de décision du 16 octobre 2002, l'office AI a informé
l'assurée qu'il entendait lui nier le droit à une rente. Il a considéré que
les troubles dont elle souffrait n'avaient pas valeur d'invalidité au sens de
la loi. Par décision du 15 novembre suivant, l'office précité a confirmé son
projet de décision.

B.
A la suite du recours formé par l'assurée, le Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève lui a reconnu, par
jugement du 6 octobre 2004, le droit à une rente entière dès le 8 janvier
1997 en se fondant sur le rapport du docteur R.________  du 22 mai 2003 et
son complément du 11 septembre suivant produits en instance cantonale.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
il demande l'annulation en concluant principalement à la confirmation de la
décision du 15 novembre 2002 et subsidiairement au renvoi de la cause au
tribunal cantonal pour nouvelle décision.

L'intimée conclut au rejet du recours tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales n'a pas présenté de déterminations.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de l'intimée à une éventuelle rente
d'invalidité, singulièrement sur le point de savoir si l'affection dont elle
souffre est invalidante au sens de l'article 4 al. 1 LAI.

2.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA), entrée en vigueur le 1er janvier 2003, de même que les
dispositions de la novelle du 21 mars 2003 modifiant la LAI (4ème révision),
entrée en vigueur le 1er janvier 2004, ne sont pas applicables au présent
litige, dès lors que le juge des assurances sociales n'a pas à prendre en
considération les modifications du droit ou de l'état de fait postérieures à
la date déterminante de la décision litigieuse du 15 novembre 2002 (ATF 130 V
445 et les références).

Par ailleurs, le jugement entrepris rappelle correctement les dispositions
légales relatives à la notion de l'invalidité et à l'échelonnement des rentes
selon le taux d'invalidité, ainsi que les principes jurisprudentiels relatifs
à la valeur probante des rapports médicaux et à l'appréciation des expertises
médicales par le juge, de sorte qu'il suffit d'y renvoyer sur ces points.

3.
Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques,
entraîner une invalidité. On ne considère pas comme des conséquences d'un
état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré
pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est
exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V
165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b [arrêt P. du 31 janvier 2000, I 138/98] et
les références; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in fine).

La reconnaissance de l'existence de troubles somatoformes douloureux
persistants suppose d'abord la présence d'un diagnostic émanant d'un expert
(psychiatre) et s'appuyant lege artis sur les critères d'un système de
classification reconnu (cf. ATF 130 V 398 ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme
pour toutes les autres atteintes à la santé psychique, le diagnostic de
troubles somatoformes douloureux persistants ne constitue pas encore une base
suffisante pour conclure à une invalidité. Au contraire, il existe une
présomption que les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent
être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible. Le
caractère non exigible de la réintégration dans le processus de travail peut
résulter de facteurs déterminés qui, par leur intensité et leur constance,
rendent la personne incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel
cas, en effet, l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour
vaincre ses douleurs. La question de savoir si ces circonstances
exceptionnelles sont réunies doit être tranchée de cas en cas à la lumière de
différents critères. Au premier plan figure la présence d'une comorbidité
psychiatrique importante par sa gravité, son acuité et sa durée. D'autres
critères peuvent être déterminants. Ce sera le cas des affections corporelles
chroniques (dont les manifestations douloureuses ne se recoupent pas avec le
trouble somatoforme douloureux), d'un processus maladif s'étendant sur
plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie inchangée ou
progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de
résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue
psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art (même avec différents types de traitements), cela en dépit de
l'attitude coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces
critères se manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on
admettra l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der
Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der
Sozialversicherung, in : Schmerz und Arbeitsunfähigkeit, St Gall 2003, p.77).

4.
La juridiction cantonale a retenu que l'intimée souffre d'un trouble
somatoforme douloureux invalidant entraînant une totale incapacité de
travail. Elle s'est ainsi écartée des conclusions des experts du COMAI, au
motif que ceux-ci avaient ignoré l'existence d'une fausse-couche faite par
l'assurée lorsqu'elle avait 20 ans et d'une grave dépression qui s'en était
suivie. Selon les premiers juges, la connaissance de cet événement aurait
certainement modifié le diagnostic posé par les médecins du COMAI. Aussi,
ont-ils fondé leur appréciation sur le rapport du docteur R.________  du 22
mai 2003 et son complément du 11 septembre suivant, en considérant que la
plupart des critères posés par la jurisprudence permettant de reconnaître le
caractère invalidant à un trouble somatoforme douloureux étaient réunis.

Contestant ce point de vue, l'office recourant soutient que l'exercice à
plein temps d'une activité lucrative serait raisonnablement exigible de la
part de l'assurée.

5.
5.1 Les motifs pour lesquels les premiers juges ont écarté l'expertise du
COMAI ne sont pas fondés. Il n'est ainsi pas exact de soutenir que les
experts du COMAI méconnaissaient l'existence de la fausse-couche de
l'intéressée et la dépression qui s'ensuivit. Leur diagnostic a été posé en
s'appuyant sur l'ensemble des pièces médicales du dossier, en particulier le
rapport du docteur B.________ du 20 mars 1998. Or, ce dernier y faisait état
de problèmes obstétricaux avec un enfant décédé peu après la naissance et
d'une fausse-couche d'un enfant théoriquement viable. Leur rapport mentionne
le diagnostic de ce médecin (trouble somatoforme avec douleurs chroniques sur
pathologie de deuil) et retient, dans l'appréciation du cas, l'existence
d'antécédents dépressifs en se basant pour cela sur l'anamnèse et les
rapports de ce médecin-traitant (p. 2 et 13 du rapport). Ces éléments
démontrent ainsi que les experts du COMAI connaissaient l'existence de la
fausse-couche et ses conséquences sur l'état de santé psychique de l'intimée.
Dès lors et contrairement à l'opinion des juges cantonaux, leur appréciation
repose sur une anamnèse complète. Par ailleurs, leur diagnostic résulte d'une
discussion pluridisciplinaire à laquelle a notamment participé la psychiatre
U.________ . Il ne saurait être remis en cause par le seul fait que, dans sa
consultation, le psychiatre C.________  ne mentionne pas la fausse-couche de
l'intimée.

5.2 Pour attester un trouble somatoforme indifférencié, une dépression
récurrente sévère avec menaces suicidaires exprimées et récent passage à
l'acte minimum et une personnalité émotionnellement labile de type
borderline, jugée comme un trouble grave de la personnalité, le docteur
R.________ , spécialiste en psychiatrie, s'est basé sur quatre consultations
qui ont eu lieu aux mois d'avril et mai 2003, une évaluation de la dépression
à l'aide de l'échelle de Hamilton à 21 items effectuée le 15 avril 2003, un
test de la personnalité Mini-mult de Kincannon (version abrégée du test de la
personnalité, Minnesota Multiphasic Personnality Inventory [MMPI]) du 2 mai
2003 et sur le rapport des experts du COMAI (rapport du Dr R.________ du 22
mai 2003). Le test de la personnalité auquel il a soumis l'intimée révèle en
particulier qu'elle apparaît coupée de la réalité, repliée sur elle-même,
très sensitive et hostile à l'égard des autres. Lors du dernier entretien, sa
patiente était plus émue et tremblante et la veille, elle avait voulu
attenter à ses jours en prenant cinq comprimés de Ponstan.
La situation décrite par ce médecin sur la base de consultations survenues en
2003 diffère de celle qui existait auparavant. Ainsi, selon les experts du
COMAI, l'intéressée n'était pas déprimée, elle paraissait même
authentiquement souriante par moment et n'avait pas eu d'idées suicidaires.
Par ailleurs, elle restait insérée socialement et rencontrait fréquemment des
voisins et des amis. Aussi, doit-on admettre que la péjoration de l'état de
santé de l'intéressée, à supposer qu'elle soit établie, est sans aucun doute
postérieure à la décision du 15 novembre 2002 de l'office recourant.

Dans ces conditions, c'est à tort que la juridiction cantonale s'est fondée
sur l'appréciation médicale du docteur R.________ dont l'avis, de surcroît,
ne s'appuyait pas sur une connaissance complète du dossier. En effet, il
incombe au juge des assurances sociales d'apprécier la légalité des décisions
attaquées, sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, d'après
l'état de fait existant au moment où la décision sur opposition litigieuse a
été rendue (ATF 121 V 366 consid. 1b; RAMA 2001 n° U 419 p. 101).

5.3 Reste ainsi à examiner, sur la base des constatations des experts du
COMAI dont les conclusions sont à tous égards probantes (cf. ATF 125 V 352
consid. 3a, 122 V 160 consid. 1c), le caractère éventuellement invalidant des
troubles dont souffre l'intimée.

5.3.1 Le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec
syndrome somatique ne suffit pas à établir l'existence d'une comorbidité
psychiatrique d'une acuité et d'une durée suffisamment importantes pour
admettre qu'un effort de volonté en vue de surmonter la douleur et de
réintégrer un processus de travail, n'est pas exigible de la part de
l'intimée. En effet, selon la doctrine médicale (cf. notamment
Dilling/Mombour/Schmidt [Hrsg.], Internationale Klassifikation psychischer
Störungen, ICD-10 Kapitel V [F], 4ème édition, p. 191) sur laquelle s'appuie
le Tribunal fédéral des assurances, les états dépressifs ne constituent en
principe pas une comorbidité psychiatrique grave et durable à un trouble
somatoforme douloureux, dans la mesure où ils ne sont en règle générale
qu'une manifestation réactive ne devant pas faire l'objet d'un diagnostic
séparé (ATF 130 V 356 consid. 3.3.1 in fine; Meyer-Blaser, op. cit. p. 81,
note 135).
Quant à la structure de la personnalité - personnalité à traits immatures - ,
elle n'est pas, selon les experts, une entrave à l'exercice d'une activité
lucrative, si bien que l'on ne saurait y voir une comorbidité psychiatrique
déterminante.

5.3.2 Se pose dès lors la question de la présence éventuelle d'autres
critères, dont le cumul permet d'apprécier le caractère invalidant du trouble
somatoforme douloureux.

Selon le rapport d'expertise pluridisciplinaire du 27 juin 2002, l'intimée
présente, depuis 1985, des douleurs au rachis, plus particulièrement cervical
et à la région thoracique. Malgré ces affections corporelles chroniques,
l'intéressée a été à même de travailler pendant plus de dix ans, comme elle
demeure en mesure d'effectuer un certain nombre de tâches ménagères (en
particulier la préparation des repas, les emplettes légères), des promenades
avec des amies qu'elle voit fréquemment et de maintenir des contacts sociaux
avec sa famille vivant en Espagne. D'ailleurs, aux dires même de l'intimée,
ses douleurs s'atténuent très fortement lorsqu'elle se rend en Espagne auprès
de sa famille. On doit en conclure qu'elle n'a pas épuisé toutes ses
ressources adaptatives de même qu'elle ne subit pas de perte d'intégration
sociale dans toutes les manifestations de la vie.

Il n'y a pas davantage lieu de retenir l'existence d'un état psychique
cristallisé sans évolution possible au plan thérapeutique ou à l'échec de
traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de l'art, dès
lors que l'intimée n'a pas suivi de traitement psychiatrique durable, qu'elle
ne juge d'ailleurs pas utile. Par ailleurs, les experts ont attesté une
mauvaise compliance médicamenteuse et ont recommandé la poursuite de la
médication anti-dépressive afin d'éviter une recrudescence des symptômes
dépressifs.

5.3.3 Sur le vu de ce qui précède, les troubles psychiques présentés par
l'intimée ne se manifestent pas avec une telle sévérité que, d'un point de
vue objectif, ils excluent toute mise en valeur de la capacité de travail de
celle-ci. Au contraire, il y a lieu d'admettre le caractère exigible d'un
effort de volonté de sa part en vue de surmonter la douleur et de se
réinsérer dans un processus de travail. Dès lors, c'est à tort que les
premiers juges ont considéré qu'elle présentait une totale incapacité de
travail en raison de troubles psychiques.

5.4 A défaut de restrictions psychique et somatique de sa capacité de travail
dans les métiers qu'elle exerçait préalablement, l'assurée n'encourt donc pas
de perte de gain susceptible d'ouvrir droit aux prestations de
l'assurance-invalidité. Aussi, le recours de l'office AI se révèle-t-il bien
fondé.

La recourante a néanmoins la possibilité de saisir l'administration d'une
nouvelle demande de révision, si elle estime que, postérieurement à la
décision du 15 novembre 2002, son invalidité s'est modifiée de manière à
influencer ses droits. En effet, les faits survenus postérieurement et qui
ont modifié la situation doivent faire l'objet d'une nouvelle décision
administrative (ATF 117 V 293 consid. 4).

6.
La décision litigieuse ayant pour objet l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, la procédure est gratuite (art. 134 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal cantonal des assurances
sociales de la République et canton de Genève du 6 octobre 2004 est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office
fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 22 février 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIIe Chambre: Le Greffier: