Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 497/2004
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I 497/04

Arrêt du 12 septembre 2005
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Lustenberger et Frésard. Greffière : Mme
Gehring

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, recourant,

contre

I.________, intimée, représentée par Me Jean-Bernard Waeber, avocat, rue
d'Aoste 1, 1204 Genève

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 15 juin 2004)

Faits:

A.
I. ________, née en 1947, mariée et mère de deux enfants, a travaillé à temps
partiel (50 %) en qualité d'employée d'assurance depuis le 1er avril 1990,
consacrant le reste de son temps à l'accomplissement des tâches ménagères.
Souffrant de cervicobrachialgies droites chroniques apparues progressivement
à partir de 1997, elle a subi plusieurs arrêts de travail (rapport du 19
janvier 1998 du docteur A.________, [spécialiste FMH en médecine interne et
maladies rhumatismales]). A la suite d'une évolution peu favorable de ces
troubles, elle a développé une thymie dépressive, avant de subir une
incapacité totale de travail à partir du 28 octobre 1998 (rapport du 17 mai
1999 du docteur R.________, [spécialiste FMH en médecine interne et maladies
rhumatismales]). Depuis lors, elle n'a pas repris d'activité lucrative et son
employeur lui a signifié son congé avec effet au 30 juin 1999.

Le 29 avril 1999, I.________ a déposé une demande de prestations de
l'assurance-invalidité tendant à l'octroi d'une rente. Procédant à
l'instruction du dossier, l'administration a confié un mandat d'expertise
pluridisciplinaire aux docteurs L.________ et P.________ du Centre
d'observation médicale de l'assurance-invalidité (COMAI), lesquels se sont
adjoints les services de la doctoresse M.________ (spécialiste en
psychiatrie). Selon le rapport établi consécutivement le 20 novembre 2001,
I.________ souffre d'un syndrome somatoforme douloureux persistant sous forme
de cervicobrachialgies droites et d'un trouble de la personnalité à traits
paranoïaques entraînant une incapacité de travail de 60 %.

Se fondant partiellement sur ces conclusions, l'Office de
l'assurance-invalidité pour le canton de Genève (ci-après : l'office AI) a
rejeté la demande, au motif que l'assurée ne présentait pas de troubles
psychiques invalidants (décision du 23 janvier 2003 confirmée sur opposition
le 23 mai suivant).

B.
Par jugement du 15 juin 2004, le Tribunal cantonal genevois des assurances
sociales a partiellement admis le recours formé contre cette décision par
I.________. Considérant que celle-ci souffrait de troubles psychiques
entraînant une incapacité de travail de 60 %, les premiers juges ont annulé
la décision litigieuse et renvoyé l'affaire à l'office AI pour complément
d'instruction sous forme d'une enquête ménagère, puis nouvelle décision sur
le degré d'invalidité de l'assurée, respectivement sur son droit à la rente.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement,
dont il requiert l'annulation, niant l'existence de troubles psychiques
invalidants.

L'intimée conclut, sous suite de dépens, au rejet du recours et à l'octroi
d'une rente entière, se prévalant d'affections non seulement psychiques mais
également somatiques. De son côté, l'Office fédéral des assurances sociales
propose l'admission du recours, reprenant à son compte, les motifs de
l'office AI.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de l'assurée à une rente, singulièrement sur le
degré d'invalidité qu'elle présente.

2.
2.1 La novelle du 21 mars 2003 modifiant la LAI (4ème révision) est entrée en
vigueur le 1er janvier 2004 (RO 2003 3852). Cependant, le cas d'espèce reste
régi par les dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2003, eu
égard au principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur
au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V
467 consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des assurances apprécie la
légalité des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait
existant au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 121 V 366
consid. 1b).

2.2 Selon l'art. 28 al. 1 LAI (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre
2003), l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à 66 2/3 % au
moins, à une demi-rente s'il est invalide à 50 % au moins, ou à un quart de
rente s'il est invalide à 40 % au moins.

2.3 En vertu de l'art. 27bis al. 1 RAI, l'invalidité des assurés qui
n'exercent - comme en l'espèce - que partiellement une activité lucrative
est, pour cette part, évaluée selon l'art. 16 LPGA. S'ils se consacrent en
outre à leurs travaux habituels au sens de l'art. 8 al. 3 LPGA, l'invalidité
est fixée selon l'art. 27 RAI pour cette activité. Dans ce cas, il faudra
déterminer la part respective de l'activité lucrative et celle de
l'accomplissement des autres travaux habituels et calculer le degré
d'invalidité d'après le handicap dont la personne est affectée dans les deux
domaines d'activité en question (méthode mixte d'évaluation de l'invalidité).

3.
A l'appui de leur point de vue, les premiers juges et l'intimée se fondent
principalement sur les conclusions du rapport d'expertise du COMAI, dont la
valeur probante n'est ni contestée ni contestable (ATF 125 V 352 consid. 3a,
122 V 160 consid. 1c et les références). Les experts observent, sous l'angle
psychiatrique, que l'assurée a présenté en 1997, un épisode dépressif
d'intensité moyenne à sévère qui est actuellement stabilisé grâce à un
traitement médicamenteux adéquat. Elle présente en outre un trouble de la
personnalité à traits paranoïaques, c'est-à-dire une atteinte chronique et
rigide du caractère, présent de longue date, contribuant à l'apparition de
difficultés d'ordre relationnel se traduisant par une sensibilité excessive
aux rebuffades, une tendance rancunière, méfiante, soupçonneuse et rigide,
altérant de manière très significative son fonctionnement social et
professionnel. Sur le plan rhumatologique, elle souffre de
cervicobrachialgies droites et de paresthésies des deux mains, ainsi que de
douleurs mal systématisées du membre inférieur droit. Le bilan radiologique
de la colonne cervicale révèle des troubles statiques et dégénératifs
modérés. Le status clinique indique une limitation de la mobilisation active
de la colonne cervicale, ainsi que la présence de dix points de fibromyalgie
douloureux à la palpation. L'ensemble des éléments objectifs ne permet
toutefois pas d'expliquer la totalité du tableau clinique observé. En se
basant sur l'évaluation psychiatrique, les experts retiennent le diagnostic
de trouble somatoforme douloureux persistant. Globalement, ils considèrent
que l'intimée présente une capacité résiduelle de travail de 40 %, le
pronostic restant défavorable en regard du trouble de la personnalité, de
l'arrêt de travail prolongé et du status post dépression.

4.
Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques,
entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art.
8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique
maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré
pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est
exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V
165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298
consid. 4c in fine).
La reconnaissance de l'existence de troubles somatoformes douloureux
persistants suppose d'abord la présence d'un diagnostic émanant d'un expert
(psychiatre) et s'appuyant lege artis sur les critères d'un système de
classification reconnu (ATF 130 V 398 ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme
pour toutes les autres atteintes à la santé psychique, le diagnostic de
troubles somatoformes douloureux persistants ne constitue pas encore une base
suffisante pour conclure à une invalidité. Au contraire, il existe une
présomption que les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent
être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible. Le
caractère non exigible de la réintégration dans le processus de travail peut
résulter de facteurs déterminés qui, par leur intensité et leur constance,
rendent la personne incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel
cas, en effet, l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour
vaincre ses douleurs. La question de savoir si ces circonstances
exceptionnelles sont réunies doit être tranchée de cas en cas à la lumière de
différents critères. Au premier plan figure la présence d'une comorbidité
psychiatrique importante par sa gravité, son acuité et sa durée. D'autres
critères peuvent être déterminants. Ce sera le cas des affections corporelles
chroniques, d'un processus maladif s'étendant sur plusieurs années sans
rémission durable (symptomatologie inchangée ou progressive), d'une perte
d'intégration sociale dans toutes les manifestations de la vie, d'un état
psychique cristallisé, sans évolution possible au plan thérapeutique,
résultant d'un processus défectueux de résolution du conflit, mais apportant
un soulagement du point de vue psychique (profit primaire tiré de la maladie,
fuite dans la maladie), de l'échec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conformes aux règles de l'art (même avec différents types de
traitement), cela en dépit de l'attitude coopérative de la personne assurée
(ATF 130 V 352). Plus ces critères se manifestent et imprègnent les
constatations médicales, moins on admettra l'exigibilité d'un effort de
volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine
Bedeutung in der Sozialversicherung, in : Schmerz und Arbeitsunfähigkeit, St.
Gall 2003, p. 77).

Si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une
exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en
règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des
prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la
discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé,
l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations
fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des
plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact
(voir Kopp/Willi/Klipstein, Im Graubereich zwischen Körper, Psyche und
sozialen Schwierigkeiten, in : Schweizerische Medizinische Wochenschrift
1997, p. 1434, avec référence à une étude approfondie de Winckler et
Foerster; voir sur l'ensemble du sujet ATF 131 V 49).

5.
5.1 Au vu des diagnostics ayant valeur de maladie aux yeux des experts, il y a
lieu de nier l'existence d'une comorbidité psychiatrique d'une acuité et
d'une durée suffisamment importantes pour admettre qu'un effort de volonté en
vue de surmonter la douleur et de réintégrer un processus de travail, n'est
pas exigible de la part de l'intimée. En tant qu'atteinte chronique et rigide
du caractère, présente de longue date, le trouble de la personnalité à traits
paranoïaques ne l'a pas empêchée d'assumer jusqu'en 1998, la responsabilité
des tâches ménagères, auxquelles l'exercice à temps partiel d'une activité
lucrative s'est ajouté dès 1990. Certes les experts soulignent-ils que cette
affection entraîne l'apparition de difficultés d'ordre relationnel, altérant
notamment de manière très significative le fonctionnement social et
professionnel de l'intéressé; pour autant, ils n'en déduisent pas une
incapacité de travail corrélative indépendante du trouble somatoforme
douloureux.

Par ailleurs, s'agissant des troubles dépressifs, au demeurant largement
stabilisés, il y a lieu d'observer que selon la doctrine médicale (cf.
notamment Dilling/Mombour/Schmidt [Hrsg.], Internationale Klassifikation
psychischer Störungen, ICD-10 Kapitel V [F], 4ème édition, p. 191) sur
laquelle s'appuie le Tribunal fédéral des assurances, les états dépressifs ne
constituent en principe pas une comorbidité psychiatrique grave et durable à
un trouble somatoforme douloureux, dans la mesure où ils ne sont en règle
générale qu'une manifestation réactive ne devant pas faire l'objet d'un
diagnostic séparé (ATF 130 V 356 consid. 3.3.1 in fine; Meyer-Blaser, op.
cit. p. 81, note 135).

5.2 Se pose dès lors la question de la présence éventuelle d'autres critères,
dont le cumul permet d'apprécier le caractère invalidant du trouble
somatoforme douloureux.

5.2.1 En tant que l'intimée souffre de cervicobrachialgies droites  depuis
1997, l'existence d'affections corporelles chroniques est établie.

5.2.2 En revanche, compte tenu de son aptitude à assumer la majeure partie
des tâches ménagères, du soutien familial, du maintien d'un réseau social et
de sorties quotidiennes sous forme d'une heure de marche (cf. rapport
d'expertise du COMAI p. 8 et 13), l'assurée n'a pas épuisé toutes ses
ressources adaptatives et ne subit pas de perte d'intégration sociale dans
toutes les manifestations de la vie.

5.2.3 Il n'y a pas davantage lieu de conclure à l'existence d'un état
psychique cristallisé sans évolution possible au plan thérapeutique ou à
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art, l'état psychique de l'intimée étant stabilisé grâce une médication
adéquate (Ludiomil, Séropram et Ritrovil). En outre, un suivi
psychothérapeutique sur le long terme constituerait un traitement adéquat des
troubles en cause, de l'avis de la doctoresse M.________.

5.3 Sur le vu de ce qui précède, les troubles psychiques présentés par
l'intimée ne se manifestent pas avec une telle sévérité que, d'un point de
vue objectif, ils excluent toute mise en valeur de la capacité de travail de
celle-ci. Au contraire, il y a lieu d'admettre le caractère exigible d'un
effort de volonté de sa part en vue de surmonter la douleur et de se
réinsérer dans un processus de travail. Dès lors, c'est à tort que les
premiers juges ont considéré qu'elle présentait une incapacité de travail de
60 % issue de troubles psychiques, fût-ce sur la base des conclusions des
experts du COMAI. En l'absence de comorbidité psychiatrique, l'incapacité de
travail résultant de tels troubles s'évalue en effet à la lumière de critères
jurisprudentiels (cf. consid. 4 supra) et non plus en regard des seules
conclusions médicales dont il est dès lors possible de s'écarter.

6.
6.1 A l'appui de sa prétention, l'intimée se prévaut en outre de troubles
physiques, se référant à l'avis du docteur G.________ (spécialiste FMH en
endocrinologie et médecine interne). Aux termes d'un rapport du 14 février
2003, ce médecin indique en effet qu'"en raison d'affections exclusivement
somatiques", l'assurée présente un degré d'invalidité ouvrant droit à une
rente entière (voir également rapport du 10 juin 2004, recevable dans la
présente procédure dans la mesure où il se réfère à des constatations
médicales qui sont étroitement liées à l'objet du litige et de nature à en
influencer l'appréciation au moment où la décision attaquée a été rendue [ATF
99 V 102 et les arrêts cités]).

6.2 Cependant, aucun des autres avis médicaux figurant au dossier ne constate
d'incapacité de travail fondée sur des troubles de nature exclusivement
somatique. Bien au contraire, le rapport d'expertise du COMAI exclut
expressément, de ce strict point de vue, toute restriction de la capacité de
travail de l'intimée en qualités d'employée de bureau et de ménagère. En
outre, en tant qu'elles n'émanent pas d'un spécialiste en médecine physique
et qu'elles ne sont guère motivées, les conclusions du docteur G.________ ne
sont pas de nature à emporter la conviction.

6.3 Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'écarter des conclusions des experts selon
lesquels l'intimée ne subit pas d'incapacité de travail fondée sur des
troubles somatiques.

7.
A défaut de présenter des troubles psychiques et somatiques invalidants,
l'assurée n'encourt pas de perte de gain, de sorte que le recours de l'office
AI se révèle bien fondé.

8.
8.1 La décision litigieuse ayant pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, la procédure est gratuite (art. 134 OJ).

8.2 L'intimée, qui succombe, ne saurait prétendre une indemnité de dépens
pour l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en corrélation avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal des assurances sociales du
canton de Genève du 15 juin 2004 est annulé.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances
sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 12 septembre 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: p. la Greffière: