Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 488/2004
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I 488/04

Arrêt du 31 janvier 2006
IIIe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Lustenberger et Seiler. Greffière : Mme
Moser-Szeless

R.________, recourante, représentée par Me Olivier Wasmer, avocat, Grand Rue
8, 1204 Genève,

contre

Office cantonal AI Genève, rue de Lyon 97, 1203 Genève, intimé

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 23 juin 2004)

Faits:
A.Ressortissante portugaise née en 1968, R.________ s'est annoncée à
l'assurance-invalidité le 16 novembre 1998. Elle invoquait souffrir de
douleurs à la suite d'un blocage du dos, survenu le 10 novembre 1997, alors
qu'elle travaillait à plein temps comme femme de ménage au service de
l'entreprise P.________. L'examen effectué par le docteur C.________ à la
demande de l'assureur-accidents de l'intéressée a mis en évidence des
troubles statiques de la colonne avec une hypercyphose dorsale, une
hyperlordose lombaire et une raideur lombaire; le médecin indiquait toutefois
ne pas avoir constaté de signes objectifs qui permettaient d'expliquer les
douleurs ressenties comme très importantes par la patiente (rapport du 14
juillet 1998). Le docteur D.________, médecin traitant, a attesté d'une
incapacité de travail totale depuis le 10 novembre 1997 (rapport transmis le
14 juillet 1999).

L'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité (ci-après : l'office AI)
a chargé le Centre d'observation médicale de l'AI (COMAI) d'une expertise
pluridisciplinaire. Dans leur rapport rendu le 29 juin 2001, les docteurs
L.________ et B.________, du COMAI, ont posé les diagnostics de trouble
somatoforme douloureux persistant sous forme de dorso-lombalgies (F 45.4),
troubles statiques rachidiens avec séquelles de dystrophie rachidienne de
croissance de la région dorsale basse (ancienne maladie de Scheuermann
dorsale; M42), dysthymie (F34.1) et status après dépression post-partum
anamnestique. Sur un plan purement somatique, ils estimaient l'assurée
partiellement limitée dans les travaux manuels lourds, cette limitation étant
de l'ordre de 40% depuis le 10 novembre 1997; dans une activité adaptée, à
savoir sans travaux lourds, ni ports de charges de plus de 15 kg, ni position
statique prolongée, telle une activité de nettoyage allégée ou de manutention
légère, elle disposait en revanche d'une capacité de travail entière. D'un
point de vue psychique, se fondant sur les résultats de l'évaluation
psychiatrique effectuée par le docteur E.________, les docteurs L.________ et
B.________ ont expliqué qu'une succession d'événements «stressants» (vécu
difficile de l'émigration, accident, naissance d'une petite fille alors que
la mère souffrait déjà de lombalgies, dépression post-partum, tensions
conjugales importantes) avaient favorisé l'émergence, puis l'extension et la
chronicisation du trouble somatoforme douloureux et de la dysthymie qui
limitaient la capacité de travail encore raisonnablement exigible; celle-ci
était estimée, de manière globale, à 50%.
Le 25 janvier 2002, l'office AI a rejeté la demande de prestations de
l'assurée, au motif qu'elle disposait d'une capacité de travail entière dans
une activité adaptée qui lui permettait de réaliser un revenu de 42'250 fr.;
la perte économique (de 28%) qui en résultait n'était pas susceptible
d'ouvrir le droit à une rente.

B.
B.aR.________ a déféré cette décision à la Commission cantonale genevoise de
recours AVS/AI. Le 1er août 2004, la cause a d'office été transmise au
Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève, qui, par
jugement du 26 novembre 2003, a débouté l'assurée.

B.b Saisi d'un recours de l'intéressée, le Tribunal fédéral des assurances a
annulé le jugement entrepris, motif pris de l'irrégularité de la composition
de la juridiction cantonale, et renvoyé la cause à celle-ci pour nouveau
jugement (arrêt du 5 avril 2004, I 30/04). Statuant le 23 juin 2004, le
Tribunal genevois des assurances sociales a derechef rejeté le recours de
l'assurée.

C.
R.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont
elle demande l'annulation. Sous suite de frais et dépens, elle conclut à
l'octroi d'une demi-rente d'invalidité dès le 1er juillet 1998; à titre
subsidiaire, elle demande le renvoi de la cause à la juridiction cantonale
pour complément d'instruction et nouvelle décision.

L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente de
l'assurance-invalidité, singulièrement sur l'évaluation du degré
d'invalidité.

1.2 Le jugement entrepris expose correctement les règles légales et la
jurisprudence relative à la notion d'invalidité, à son évaluation pour les
assurés actifs, au degré d'invalidité ouvrant le droit à une rente, ainsi
qu'à la valeur probante des rapports médicaux. Il précise également à juste
titre que le présent litige reste soumis aux dispositions de la LAI en
vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, soit sans les modifications entraînées par
l'entrée en vigueur, au 1er janvier 2003, de la LPGA (cf. ATF 129 V 4 consid.
1.2). On peut donc y renvoyer sur ces points, en ajoutant que, pour les mêmes
raisons, les modifications de la LAI du 21 mars 2003 (4ème révision de la
LAI), entrées en vigueur au 1er janvier 2004, ne sont pas non plus
applicables au cas d'espèce.

2.
2.1 Se référant à l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances M. du 20 mars
2003 (I 182/02), la juridiction cantonale a considéré que l'expertise du
COMAI ne contenait pas suffisamment d'éléments permettant d'admettre que la
recourante présentait une invalidité psychique au sens de la LAI. Aussi,
l'office intimé était-il fondé à s'écarter des conclusions des experts quant
à l'évaluation de la capacité de travail sur le plan psychique et à retenir
une capacité de travail entière dans un poste léger. Procédant à un calcul de
la comparaison des revenus avant et après invalidité, dont le résultat était
un degré d'invalidité de 20%, les premiers juges ont admis que le taux fixé
par l'office intimé (28%) était conforme au droit et nié, en conséquence, le
droit de l'assurée à une rente de l'assurance-invalidité.

2.2 La recourante reproche aux premiers juges de s'être écartés sans motif
des conclusions des médecins du COMAI selon lesquelles elle présentait de
manière globale une capacité de travail résiduelle de 50%. Selon elle,
l'autorité cantonale de recours aurait dû tenir compte de l'incapacité de
travail constatée médicalement et fixer à 23'328 fr. - et non pas à 46'656
fr. - le salaire maximum qu'elle pourrait percevoir; comparé au salaire
réalisé avant l'invalidité de 58'400 fr., il en résulterait un taux
d'invalidité «de l'ordre de 60%», ce qui lui ouvrirait le droit à une
demi-rente d'invalidité. A tout le moins, fait-elle valoir, les premiers
juges auraient dû tenir compte d'un abattement de 25% au regard de sa
situation personnelle, ce qui conduirait à admettre un taux d'invalidité «de
l'ordre de 40%», propre à fonder le droit à un quart de rente.

3.
3.1 Dans leur rapport du 29 juin 2001, les médecins du COMAI ont estimé que
les troubles physiques présentés par la recourante entraînaient une
incapacité de travail de 40% dans sa profession de nettoyeuse, mais ne
l'empêchaient en revanche pas d'exercer à plein temps une activité adaptée.
Selon eux, la capacité de travail résiduelle de la recourante était toutefois
réduite de manière globale à 50% en raison du trouble somatoforme douloureux
et de la dysthymie dont elle souffrait.

3.2 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes
physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison
avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état
psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré
pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est
exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V
165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298
consid. 4c in fine).

La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique, soit
aussi de troubles somatoformes douloureux persistants, suppose d'abord la
présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege
artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 398
ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme pour toutes les autres atteintes à la
santé psychique, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux
persistants ne constitue pas encore une base suffisante pour conclure à une
invalidité. Au contraire, il existe une présomption que les troubles
somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort
de volonté raisonnablement exigible. Le caractère non exigible de la
réintégration dans le processus de travail peut résulter de facteurs
déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la personne
incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel cas, en effet,
l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour vaincre ses douleurs.
La question de savoir si ces circonstances exceptionnelles sont réunies doit
être tranchée de cas en cas à la lumière de différents critères. Au premier
plan figure la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa
gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères peuvent être déterminants.
Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un processus maladif
s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie
inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de
résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue
psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude
coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces critères se
manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on admettra
l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 77).

3.3 A l'instar du diagnostic d'état dépressif récurrent, qui constitue une
manifestation (réactive) d'accompagnement des troubles somatoformes
douloureux (cf. ATF 130 V 358 consid. 3.3.1 in fine; Meyer-Blaser, op. cit.,
p. 81, note 135), celui de dysthymie posé par les médecins du COMAI ne suffit
pas à établir en l'espèce l'existence d'une comorbidité psychiatrique d'une
acuité et d'une gravité suffisamment importantes pour admettre qu'un effort
de volonté en vue de surmonter la douleur et de réintégrer un processus de
travail n'est pas exigible de la part de la recourante. Caractérisé par une
humeur dépressive présente en majeure partie du temps pendant au moins deux
ans, associée à des symptômes dépressifs ne répondant pas aux critères d'un
épisode dépressif majeur, le trouble dysthymique (F34.1) est accompagné de
symptômes dépressifs chroniques moins sévères que ceux liés à un trouble
dépressif (majeur) (American psychiatric association, DSM-IV, Manuel
diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4ème éd., traduction
française par J.-D. Guelfi et al., Paris 1996, p. 407 ss, 410); selon le
docteur E.________ du COMAI, la recourante ne présentait pas d'idéation
suicidaire, ni autres signes de la lignée dépressive et la situation sur le
plan de l'humeur s'était quelque peu améliorée à l'époque de l'expertise, de
sorte que l'affection en cause - qualifiée également par les docteurs
L.________ et B.________ d'«état dépressif modéré» (rapport du COMAI, p. 16)
- ne revêt pas les caractéristiques requises par la jurisprudence pour
admettre une comorbidité psychiatrique.

Il reste à examiner la présence éventuelle d'autres éléments dont le cumul
permet d'apprécier le caractère invalidant du trouble somatoforme en
question. Au vu des conclusions des médecins du COMAI, en particulier la
constatation selon laquelle une partie des douleurs rachidiennes ressenties
par la recourante survient dans le contexte d'une ancienne maladie de
Scheuermann, on peut admettre qu'elle présente une affection corporelle
chronique. En revanche, il n'apparaît pas qu'elle subisse une perte
d'intégration sociale dans toutes les manifestations de la vie: au dire des
experts, même si elle se décrit très limitée dans toutes les activités
ménagères, la recourante s'occupe seule durant la journée de sa petite fille;
de plus, elle entretient des contacts avec ses frères et des amies qu'elle
préfère recevoir à la maison afin de pouvoir se reposer en cas de besoin. Par
ailleurs, les docteurs L.________ et B.________ sont d'avis que la recourante
n'a pas épuisé toutes ses ressources sur le plan de la capacité de travail et
qu'une médication ciblée permettrait une amélioration de son état de santé;
on ne saurait donc conclure à l'existence d'un état psychique cristallisé
marquant une libération du processus de résolution du conflit, sans évolution
possible sur le plan thérapeutique. Au regard de ces éléments, le trouble
somatoforme douloureux ne se manifeste pas avec une sévérité telle que, d'un
point de vue objectif, il exclut toute mise en valeur de la capacité de
travail de la recourante. Il y a lieu d'admettre, au contraire, le caractère
exigible d'un effort de volonté de sa part en vue de surmonter la douleur et
se réinsérer pleinement dans un processus de travail. Dans ce contexte, on
rappellera que la reconnaissance du caractère invalidant de troubles
somatoformes douloureux chez de jeunes assurés tels que la recourante doit
rester exceptionnelle en l'absence de comorbidité psychiatrique (cf.
Meyer-Blaser, op. cit., p. 87).

3.4 Cela étant, l'office intimé était fondé à s'écarter des conclusions des
experts du COMAI quant à l'évaluation de la capacité de travail de la
recourante et à retenir une pleine capacité de travail dans une activité
adaptée telle que décrite par les médecins. A cet égard, c'est en vain que la
recourante fait valoir une péjoration de son état de santé qui justifierait,
à ses yeux, une mesure d'instruction complémentaire sous la forme d'une
expertise médicale. S'il apparaît à la lecture du rapport du docteur
D.________ du 19 décembre 2003 que l'assurée a souffert d'un épisode de
colique néphrétique en juin 2003, qui a provoqué des douleurs costales
persistant à la fin de l'année 2003, il s'agit d'un fait survenu
postérieurement à la décision litigieuse (du 25 janvier 2002) dont le juge
n'a pas à tenir compte dans l'appréciation du droit de la recourante à des
prestations de l'assurance-invalidité. En effet, selon une jurisprudence
constante, le juge des assurances sociales apprécie la légalité des décisions
attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait existant au moment où la
décision litigieuse a été rendue. Les faits survenus postérieurement, et qui
ont modifié cette situation, doivent normalement faire l'objet d'une nouvelle
décision administrative (ATF 121 V 366 consid. 1b et les arrêts cités).

4.
En ce qui concerne l'évaluation du taux d'invalidité, l'argument de la
recourante selon lequel le revenu d'invalide fixé par les premiers juges à
46'656 fr. devrait être réduit de moitié en raison d'une incapacité de
travail de 50% se révèle infondé au vu de ce qui précède. Par ailleurs,
contrairement à ce qu'elle invoque, une réduction de ce salaire à raison de
25% ne se justifie pas. Ce taux constitue en effet la limite supérieure de
l'abattement prévu par la jurisprudence lorsque le revenu d'invalide est,
comme en l'occurrence, évalué sur la base de statistiques sur les salaires
moyens; son application suppose la prise en compte d'un ensemble de critères
(difficultés liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie
d'autorisation de séjour, taux d'occupation; ATF 126 V 78 consid. 5), dont
seuls certains jouent un rôle chez la recourante. Si on peut certes admettre
une limitation liée aux atteintes à la santé dont elle souffre, ni son âge,
ni le taux d'occupation envisageable ne constituent des éléments susceptibles
d'influencer de manière négative l'étendue de son revenu hypothétique. Tout
au plus conviendrait-il de tenir compte d'un abattement de 10%, ce qui
conduirait à un degré d'invalidité de 28% ([58'400-41'990] x 100/58'400), en
reprenant les montants déterminés par la juridiction cantonale que la
recourante ne conteste pas en tant que tels. Ce taux est insuffisant pour
ouvrir le droit à une rente d'invalidité. Il en irait de même, du reste, si
on se fondait sur une comparaison des revenus sans et avec invalidité en
prenant en considération les circonstances qui prévalaient au moment de la
naissance éventuelle du droit à une rente, conformément à la jurisprudence
(ATF 129 V 222 consid. 4, 128 V 174 consid. 4a).

5.
Il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris n'est pas critiquable
et le recours est mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office
fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 31 janvier 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIIe Chambre: La Greffière: