Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 484/2004
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I 484/04

Arrêt du 18 juillet 2005
IIIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Lustenberger et Kernen. Greffière
: Mme von Zwehl

S.________, recourante, représentée par Me Alain Vuithier, avocat, avenue
Villamont 23, 1002 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 3 décembre 2003)

Faits:

A.
S. ________, né en 1960, travaillait comme aide hospitalière au service de la
Clinique X.________. Dès le 11 février 1999, elle s'est régulièrement trouvée
en incapacité de travail pour cause de maladie. Son employeur l'a licenciée
pour le 31 mai 1999. S.________ s'est annoncée à l'assurance-invalidité le 17
mai, demandant l'octroi d'une rente.

Dans un rapport du 21 juillet 1999, le docteur N.________, médecin traitant,
a indiqué que l'assurée se plaignait épisodiquement d'épigastralgies depuis
1983 et de lombalgies. Les différents examens pratiqués avaient révélé une
gastrite antrale discrète, un colon spastique, ainsi qu'une émergence
conjointe de la racine L5-S1 sans signe de hernie ni de compression
radiculaire; selon lui, ces troubles bénins ne justifiaient cependant pas une
incapacité de travail de longue durée. En raison de l'échec des traitements
entrepris, il avait adressée sa patiente à un médecin psychiatre, la
doctoresse B.________, qui la suivait depuis fin mai 1999. Dans un rapport du
5 mars 2000, celle-ci a fait état d'une thymie déprimée, d'un ralentissement
psychomoteur et d'une régression. Au vu des documents recueillis, l'Office de
l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (ci-après : l'office AI) a
décidé de confier une expertise psychiatrique au docteur H.________. Ce
médecin a posé les diagnostics de dépression anxieuse persistante (F34.1), de
somatisations (F45.0) et de personnalité fragile à traits infantiles (F60.8);
il a retenu une incapacité de travail totale (rapport du 5 décembre 2001).
Invité à donner son avis sur le cas, le Service médical régional AI (SMR) a
estimé que S.________ ne présentait aucune atteinte à la santé invalidante
dans la mesure où il existait pas de comorbidité psychiatrique grave associée
aux troubles somatoformes douloureux [somatisations] (rapport d'examen du 29
janvier 2002).

Se fondant sur l'appréciation du SMR, l'office AI a rejeté la demande de
prestations par décision du 5 mars 2002.

B.
L'assurée a recouru contre cette décision devant le Tribunal des assurances
du canton de Vaud, en concluant à l'octroi d'une rente d'invalidité entière.
Elle a produit un rapport d'expertise du docteur L.________, psychiatre,
établie à l'intention de l'assureur perte de gain de l'employeur, allant dans
le même sens que l'appréciation de l'expert  commis par l'office AI.

Après avoir requis un complément d'instruction auprès du docteur H.________,
le tribunal a rejeté le recours par jugement du 3 décembre 2003, notifié aux
parties le 28 juin 2004.

C.
Reprenant ses conclusions formulées en première instance, S.________
interjette recours de droit administratif contre ce jugement.

L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit éventuel de la recourante à une rente de
l'assurance-invalidité. A cet égard, le jugement entrepris expose
correctement les dispositions légales (dans leur teneur en vigueur à la date
déterminante de la décision litigieuse du 5 mars 2002) et les principes
jurisprudentiels en matière d'invalidité et de son évaluation chez les
assurés actifs, de sorte qu'il suffit d'y renvoyer.

2.
En bref, les premiers juges ont considéré que S.________ était à même
d'accomplir l'effort nécessaire pour reprendre une activité lucrative. Selon
eux, les symptômes de somatisation de l'assurée avaient en grande partie un
caractère réactionnel à son licenciement : avant qu'elle ne perde son emploi,
il n'avait jamais été question de maladie psychiatrique, ni de prise en
charge psychiatrique.

La recourante reproche à la juridiction cantonale d'avoir fait fi des
conclusions claires des docteurs H.________ et L.________. Ces médecins
avaient d'une manière concordante mis en évidence qu'elle souffrait d'une
psychopathologie qui s'était installée progressivement et qui était devenue
invalidante à partir de 1999.

3.
Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques,
entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art.
8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique
maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré
pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est
exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V
165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298
consid. 4c in fine).

La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique, soit
aussi de troubles somatoformes douloureux persistants, suppose d'abord la
présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege
artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 398
ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme pour toutes les autres atteintes à la
santé psychique, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux
persistants ne constitue pas encore une base suffisante pour conclure à une
invalidité. Au contraire, il existe une présomption que les troubles
somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort
de volonté raisonnablement exigible. Le caractère non exigible de la
réintégration dans le processus de travail peut résulter de facteurs
déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la personne
incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel cas, en effet,
l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour vaincre ses douleurs.
La question de savoir si ces circonstances exceptionnelles sont réunies doit
être tranchée de cas en cas à la lumière de différents critères. Au premier
plan figure la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa
gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères peuvent être déterminants.
Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un processus maladif
s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie
inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de
résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue
psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude
coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces critères se
manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on admettra
l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 77).

Si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une
exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en
règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des
prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la
discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé,
l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations
fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des
plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact
(voir Kopp/Willi/Klipstein, Im Graubereich zwischen Körper, Psyche und
sozialen Schwierigkeiten, in : Schweizerische Medizinische Wochenschrift
1997, p. 1434, avec référence à une étude approfondie de Winckler et
Foerster; voir sur l'ensemble du sujet consid. 1.2. destiné à la publication
de l'arrêt J. du 16 décembre 2004, I 770/03).

4.
4.1
4.1.1Pour rendre ses conclusions, le docteur H.________ a effectué trois
entretiens personnels avec l'assurée et fait faire des tests psychologiques;
il avait également à sa disposition l'ensemble du dossier médical AI. Au
chapitre de son rapport intitulé «Appréciation du cas et pronostic» (page 6
et 7), le docteur H.________ a principalement mis en exergue la personnalité
fragile marquée par une grave immaturité affective et des traits infantiles
de S.________. D'après lui, elle lutterait depuis très longtemps, à un plan
profond de sa personnalité contre des affects anxio-dépressifs de nature
archaïque; les somatisations dont elle se plaignait devaient être comprises
comme des «équivalents dépressifs». Au fil du temps, les défenses de
l'assurée avaient commencé à s'épuiser, ce qui avait favorisé l'apparition
d'une décompensation psychique chronique dont on ne pouvait attendre
d'amélioration. A cela s'ajoutait le fait que S.________ s'identifiait
fortement à sa mère, morte en 1980 alors qu'elle-même était enceinte de son
premier enfant, et qui avait été régulièrement malade. Le docteur H.________
aboutit ainsi à la conclusion que «l'assurée souffre d'une lourde
psychopathologie floride qui entrave sa capacité d'adaptation et par là même
sa capacité lucrative et ce de façon chronique».

4.1.2 Le docteur L.________, pour sa part, a posé les diagnostics de trouble
de somatisation (F45.0) et de trouble panique sans agoraphobie (F41.0). Il a
noté une «discordance frappante» entre l'absence de conflits existentiels
chez l'assurée et l'importance de son mal-être. Il était cependant d'avis
qu'il n'y avait pas à douter de l'authenticité de ses plaintes qui,
estime-t-il, ne sont pas produites intentionnellement ou feintes comme dans
le trouble factice ou la simulation. L'incapacité de travail totale était
donc justifiée. A la question de savoir s'il existait une comorbidité ou
d'autres facteurs qui interféraient avec la maladie pour expliquer la
prolongation de l'incapacité de travail, le docteur L.________ a répondu par
l'affirmative : il était possible que la symptomatologie de l'assurée était
l'expression de l'angoisse d'une perte de la capacité de travail de toute la
famille dès lors qu'elle-même avait été licenciée, que son mari risquait
aussi de perdre son emploi et que son fils avait, quant à lui, des
difficultés à trouver un travail; la recherche d'un bénéfice secondaire sous
la forme d'une rente AI pour un retour au Portugal était également une
hypothèse qu'il laissait ouverte.

4.2
4.2.1Lorsqu'on se trouve en présence d'un diagnostic de somatisation (ou
troubles somatoformes douloureux) comme c'est le cas ici, la question
décisive à laquelle l'expert psychiatre doit répondre est celle de savoir si
la personne concernée possède en elle suffisamment de ressources psychiques
pour faire face à ses douleurs et réintégrer le circuit économique. Si
l'expert psychiatre est à cet égard libre de procéder de la façon qu'il
considère la plus opportune, il doit à tout le moins fournir les éléments
nécessaires permettant à l'administration ou au juge de déterminer
l'incidence des troubles somatoformes douloureux sur la capacité de travail
de l'assuré à l'aune des critères dégagés par la jurisprudence (voir consid.
3 supra). De toute façon générale, on rappellera qu'il est attendu de
l'expert médecin, dont la mission diffère ici clairement de celle du médecin
traitant, notamment qu'il procède à un examen objectif de la situation
médicale de la personne expertisée et qu'il donne une description
circonstanciée des motifs à la base de l'avis qu'il exprime (pour plus de
détails à ce sujet, Jacques Meine, L'expert et l'expertise - critères de
validité de l'expertise médicale, éd. Médecine & Hygiène, 2002; voir aussi
arrêt S. du 26 juin 2003, I 671/02, consid. 5.2 et les références citées).

4.2.2 En l'occurrence, ni le rapport d'expertise du docteur H.________, ni
celui du docteur L.________ ne permettent de statuer à satisfaction sur le
caractère invalidant ou non des troubles somatoformes douloureux présentés
par la recourante. Ces médecins n'ont en effet pas recueilli les données qui
permettraient de faire application des critères jurisprudentiels en la
matière. Tout d'abord, on ne peut pas juger en pleine connaissance de cause
de l'existence ou de l'absence d'une comorbidité psychiatrique. Certes, le
docteur H.________ a-t-il retenu une dépression anxieuse persistante ainsi
qu'une personnalité fragile à traits infantiles. Il n'a toutefois pas fait
mention des éléments pertinents au plan psychiatrique qui l'ont conduit à
poser un tel diagnostic, ni décrit en quoi et dans quelle mesure ces
atteintes auraient une répercussion sur les divers aspects de la vie de
l'assurée. Aussi n'est-il pas possible de se faire une opinion sur leur
acuité, sans parler du fait qu'elles n'ont pas trouvé d'écho auprès du
docteur L.________. On peut en tout cas s'interroger sur la portée de la
conclusion du docteur H.________ selon laquelle l'assurée présenterait une
«grave psychopathologie». S'agissant, ensuite, de l'exigibilité d'une reprise
du travail, on peut se demander si les deux médecins psychiatres n'ont pas
attaché une importance prépondérante à la manière dont S.________ elle-même
ressent et assume ses facultés de travail - alors qu'il y a lieu d'établir la
mesure de ce qui est raisonnablement exigible d'un assuré le plus
objectivement possible -, ainsi qu'à des circonstances étrangères à l'état de
santé de la prénommée (par exemple la situation économique des autres membres
de la famille). En revanche, d'autres critères qui sont déterminants pour
fonder un pronostic défavorable (comme la perte d'intégration sociale dans
toutes les manifestations de la vie, un éventuel conflit intra-psychique ou
encore une situation de conflit externe) n'ont été que superficiellement,
voire même pas du tout, abordés. Enfin, on constate que la question du profit
secondaire tiré de la maladie (c'est-à-dire le désir subjectif de se voir
accorder une rente) a été soulevée par le docteur L.________ sans que
celui-ci n'ait voulu l'approfondir, tandis que le docteur H.________ n'a pas
examiné la situation de l'assurée sous cet angle. Or cette question a son
importance dans les cas de somatisation en ce sens que s'il existe
suffisamment d'indices de cet ordre, cela doit en règle générale conduire au
refus des prestations (Meyer-Blaser, op. cit., p.86).

4.3 Dès lors que plusieurs aspects liés à l'évaluation du caractère
invalidant des troubles somatoformes douloureux de la recourante ne sont pas
élucidés et que l'on ne saurait pas non plus conclure que celle-ci jouit
d'une pleine capacité de travail comme l'ont estimé les premiers juges, il
est nécessaire de mettre en oeuvre une nouvelle expertise psychiatrique.
Puisque l'office AI a déjà recueilli deux rapports d'expertise qui, comme on
vient de le voir, ne permettent pas de trancher le litige, il se justifie ici
d'ordonner une expertise judiciaire. La cause sera par conséquent renvoyée à
la juridiction cantonale pour ce faire. Dans cette mesure, le recours se
révèle bien fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du 3 décembre 2003 du
Tribunal des assurances du canton de Vaud est annulé, la cause étant renvoyé
à cette juridiction pour qu'elle procède conformément aux considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'office intimé versera à la recourante une indemnité de dépens de 2'000 fr.
(taxe à la valeur ajoutée comprise) pour l'instance fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 18 juillet 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

La Présidente de la IIIe Chambre: La Greffière: