Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 472/2004
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I 472/04

Arrêt du 22 février 2006
IVe Chambre

MM. et Mme les Juges Ursprung, Président, Widmer et Frésard. Greffier : M.
Berthoud

V.________, recourant, représenté par Me Jean-Pierre Moser, avocat, rue
Jean-Jacques Cart 8, 1006 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 18 mars 2004)

Faits:

A.
V. ________, né en 1956, a travaillé en qualité de maçon. Le 10 décembre
1993, il a été victime d'un accident de travail qui a entraîné un syndrome
lombo-vertébral. La Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents
(la CNA) a pris les suites de cet événement à sa charge jusqu'au 31 août
1994.

L'assuré n'a plus exercé d'activité régulière depuis son accident; son
employeur l'a licencié le 8 mars 1995. Le 14 juillet 1995, V.________ s'est
annoncé à l'assurance-invalidité, en demandant des mesures médicales de
réadaptation ainsi qu'une rente. Par décision du 21 mai 1999, l'Office de
l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (l'office AI) a rejeté sa
demande après avoir arrêté le taux d'invalidité à 26 %.

Le Tribunal des assurances du canton de Vaud a toutefois annulé cette
décision, par jugement du 8 mai 2000. Il a renvoyé la cause à l'office AI
afin qu'il complète l'instruction pour connaître la capacité de travail de
l'assuré, d'un point de vue médical et professionnel. Dans ce cadre, l'office
AI a recueilli l'avis des docteurs L.________ et G.________, médecins à
l'Hôpital X.________ (COMAI). Ces derniers ont attesté que l'assuré présente
un trouble somatoforme douloureux persistant sous la forme de
lombosciatalgies bilatérales, de cervico-brachialgies droites et de céphalées
(F45.4), ainsi qu'un trouble délirant de type somatique (F22.0); ces
affections réduisent la capacité de travail à 60 % dans une activité adaptée
(rapport du 5 mars 2001). De son côté, le docteur A.________, psychiatre au
SMR, s'est rallié aux conclusions du COMAI (rapport du 1er mai 2001).

L'assuré a suivi un stage auprès d'un atelier de préparation à une activité
industrielle légère, qui s'est soldé par un échec (rapport du Centre
d'intégration professionnelle APAIL du 12 mars 2002).

Pour évaluer l'invalidité de l'assuré, l'office AI a tenu compte d'une
capacité de travail de 60 % dans une activité adaptée. La comparaison des
revenus avec et sans invalidité (29'344 fr. / 67'145 fr.) a fait apparaître
une perte de gain de 56 %, si bien que l'office AI a alloué une demi-rente
d'invalidité à l'assuré à compter du 1er décembre 1994, par décision du 9
septembre 2002.

B.
V.________ a déféré cette décision au Tribunal des assurances en concluant au
versement d'une rente entière.

L'office AI a conclu à ce que sa décision fût réformée au détriment de
l'assuré.

La juridiction cantonale a rejeté le recours par jugement du 18 mars 2004.

C.
L'assuré interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont il
demande l'annulation, avec suite de dépens, en concluant derechef au
versement d'une rente entière.

L'intimé conclut au rejet du recours. L'Office fédéral des assurances
sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit du recourant à une rente entière d'invalidité.

2.
La solution du litige ressortit aux art. 4, 28 al. 1 et 2 LAI, dans leur
teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002.

La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales
(LPGA) du 6 octobre 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, n'est pas
applicable, dès lors que le juge des assurances sociales n'a pas à prendre en
considération les modifications du droit ou de l'état de fait postérieures à
la date déterminante de la décision litigieuse du 9 décembre 2002 (ATF 129 V
4 consid. 1.2 et les références).

3.
Dans leur rapport d'expertise pluridisciplinaire du 5 mars 2001, les docteurs
L.________ et G.________, du COMAI, ont attesté que le recourant souffre de
cervicalgies et de lombalgies compliquées de pseudo-sciatalgies bilatérales
chroniques apparues après un traumatisme banal. Le bilan radiologique révèle
des troubles dégénératifs rachidiens discrets, qui ne suffisent pas à eux
seuls pour expliquer l'intensité des symptômes et les limitations qu'elles
entraînent. La présence de nombreux signes de non-organicité selon Waddell à
l'examen clinique, de même que les autres critères selon CIM-10, leur font
admettre un trouble somatoforme douloureux persistant sous la forme de
lombosciatalgies bilatérales, de cervico-brachialgies droites et de céphalées
(F45.4).

Les médecins du COMAI ont également constaté que le recourant est d'humeur
fluctuante, alternant des périodes euthymique et de tristesse; il présente
aussi une asthénie, une irritabilité et des insomnies, ainsi que des bouffées
d'angoisse. Selon les experts, le recourant est convaincu d'avoir une maladie
grave, à l'instar du cancer qui a emporté sa belle-mère; les multiples
investigations et traitements ne l'ont pas rassuré. Il s'agit là d'un trouble
délirant de type somatique (F22.0) qui génère une angoisse; ces idées
délirantes semblent partiellement envahir sa vie quotidienne et se
manifestent par des bouffées d'angoisse, une rigidité, une passivité, un
manque de ressources adaptatives (p. 18 du rapport du 5 mars 2001). En
revanche, le recourant ne présente pas d'hallucinations auditives, de
symptômes schizophréniques (tels que des idées délirantes d'influence ou un
émoussement des affects) ou de troubles formels de la pensée (p. 15). Les
experts précisent que ce trouble délirant n'est pas très invalidant en soi,
mais qu'il aggrave le trouble somatoforme en en faisant une pathologie encore
plus fixée et réfractaire à tout traitement (p. 18).

Selon les docteurs L.________ et G.________, le trouble somatoforme
douloureux et le trouble délirant influencent la capacité de travail. D'un
point de vue global (rhumatologique et psychiatrique), ils estiment que la
capacité de travail dans l'ancienne activité de maçon est nulle, mais qu'elle
serait de 60 % dans un travail adapté. Il subsiste toutefois une certaine
capacité de travail chez le recourant qui n'a pas épuisé toutes ses
ressources.

Quant au docteur A.________, il a estimé que le contexte particulier, généré
par les nombreux phénomènes maladifs survenus dans l'entourage du recourant,
peut être considéré comme un élément de comorbidité suffisant pour justifier
l'incapacité de travail attestée par ses confrères du COMAI (rapport du 1er
mai 2001).

4.
Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques,
entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art.
8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique
maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré
pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est
exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V
165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298
consid. 4c in fine).

La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique, soit
aussi de troubles somatoformes douloureux persistants, suppose d'abord la
présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege
artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 398
ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme pour toutes les autres atteintes à la
santé psychique, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux
persistants ne constitue pas encore une base suffisante pour conclure à une
invalidité. Au contraire, il existe une présomption que les troubles
somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort
de volonté raisonnablement exigible. Le caractère non exigible de la
réintégration dans le processus de travail peut résulter de facteurs
déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la personne
incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel cas, en effet,
l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour vaincre ses douleurs.
La question de savoir si ces circonstances exceptionnelles sont réunies doit
être tranchée de cas en cas à la lumière de différents critères. Au premier
plan figure la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa
gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères peuvent être déterminants.
Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un processus maladif
s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie
inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de
résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue
psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude
coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces critères se
manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on admettra
l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 77).

Si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une
exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en
règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des
prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la
discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé,
l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations
fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des
plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact
(voir Kopp/Willi/Klipstein, Im Graubereich zwischen Körper, Psyche und
sozialen Schwierigkeiten, in: Schweizerische Medizinische Wochenschrift 1997,
p. 1434, avec référence à une étude approfondie de Winckler et Foerster; voir
sur l'ensemble du sujet ATF 131 V 49).

5.
En l'espèce, le trouble délirant de type somatique dont souffre le recourant
est une comorbidité psychiatrique à son trouble somatoforme douloureux.

D'après les experts du COMAI, ces deux affections réduisent la capacité de
travail du recourant à 60 % dans une activité adaptée, point de vue que
partage le psychiatre du SMR. La Cour de céans ne voit aucune raison de
s'écarter de cette appréciation médicale dans un sens plus favorable au
recourant, d'autant que le rapport d'expertise du COMAI satisfait à tous les
réquisits jurisprudentiels relatifs à la valeur probante de tels documents
(cf. ATF 125 V 352 consid. 3a). Le recourant n'apporte d'ailleurs pas
d'élément qui permettrait de jeter le doute sur le bien-fondé de l'avis des
experts. A cet égard, le rapport du centre APAIL du 13 mars 2002 qu'il
invoque ne lui est d'aucun secours, car le directeur du centre le jugeait
inapte à reprendre une activité professionnelle dans le circuit économique
normal non pas en raison de son état de santé, mais de sa situation
psychosociale, ce dont l'AI ne répond pas. Au regard de la jurisprudence
susmentionnée, la reconnaissance d'un taux d'incapacité de travail de 40 pour
cent se révèle d'ailleurs assez généreuse si l'on considère que le trouble
délirant n'est pas lui-même invalidant (p. 18 du rapport d'expertise), que le
recourant semble avoir conservé un environnement social intact (p. 10) et
qu'il n'a pas, comme on l'a vu, épuisé toutes ses ressources adaptatives.

Quant au taux d'invalidité de 56 % que l'intimé a fixé en partant d'une
capacité résiduelle de travail de 60 %, il n'est pas contestable. Il s'ensuit
que le recours est mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 22 février 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre: Le Greffier: