Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 465/2004
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I 465/04

Arrêt du 9 mai 2005
IVe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Président, Meyer et Geiser, suppléant. Greffière : Mme
Moser-Szeless

C.________, recourante, représentée par Me Philippe Nordmann, avocat, place
Pépinet 4, 1003 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 5 février 2004)

Faits:

A.
C. ________, née en 1955, a travaillé comme inspectrice auprès de la société
K.________ SA, de novembre 1979 au 31 janvier 1994, date à laquelle elle a
été licenciée pour des raisons économiques. Après une période de chômage,
elle a travaillé à nouveau de novembre 1996 à novembre 1997, avant de se
retrouver derechef sans emploi. Le 17 mars 1999, alors qu'elle occupait un
emploi temporaire, elle a fait une chute qui a provoqué des douleurs
multiples. En parallèle, elle a développé un état anxio-dépressif avec
somatisations multiples et a été incapable de travailler depuis lors (rapport
du docteur M.________ du 26 octobre 1999). Une thérapie de soutien a été
instaurée à partir du mois de juin 1999 par le docteur B.________, médecin
traitant (rapport du 25 avril 2000).

Le 3 avril 2000, C.________ a présenté une demande de prestations de
l'assurance-invalidité auprès de l'Office de l'assurance-invalidité pour le
canton de Vaud (ci-après : office AI). Celui-ci a recueilli divers avis
médicaux dont il ressort que l'assurée souffrait, en plus de l'état
anxio-dépressif, d'incontinence urinaire d'effort de grade III et
d'incontinence de type urgence (dès 1993; rapport du docteur Y.________,
médecin-chef du service de gynécologie et obstétrique  de l'Hôpital
X.________, relatif à un examen du 10 juin 1999), ainsi que de fibromyalgie
(rapports du docteur R.________, rhumatologue, des 23 août et 13 octobre
1999).

A la demande de l'office AI, l'assurée a été examinée par la doctoresse
P.________, spécialiste en chirurgie plastique et reconstructive, et la
doctoresse A.________, psychiatre, du Service médical régional AI du
Z.________ (ci-après : SMR). Dans leur rapport du 2 juillet 2002, ces
médecins ont diagnostiqué une dysthymie tardive, d'intensité légère, un
syndrome douloureux somatoforme persistant, ainsi qu'une personnalité
schizoïde; ils ont estimé à 50 % la capacité de travail de l'assurée dans
toute activité.

Par décision du 26 août 2002, l'office AI a rendu une décision par laquelle
il a alloué à l'assurée une demi-rente d'invalidité fondée sur un taux
d'incapacité de gain de 50 %, à compter du 1er mars 2000.

B.
Saisi d'un recours de C.________ contre cette décision, le Tribunal cantonal
des assurances du canton de Vaud a chargé le docteur L.________, spécialiste
FMH en psychiatrie et psychothérapie, d'une expertise. Dans son rapport rendu
le 23 septembre 2003, ce médecin a fait état d'un trouble de la personnalité
non spécifique à traits dépendants, narcissique et histrionique, d'un épisode
dépressif sévère sans symptômes psychotiques, d'incontinences urinaires
(d'effort de grade III et de type urgence) et de fibromyalgie. Il a conclu
que ces troubles entraînaient une incapacité de travail de l'ordre de 80 %
depuis le 11 juillet 1999.

Considérant les conclusions de l'expert comme peu convaincantes, le tribunal
a débouté l'assurée par jugement du 5 février 2004.

C.
C.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
elle demande, sous suite de dépens, la réforme en ce sens que lui soit
reconnu le droit à une rente entière de l'assurance-invalidité,
subsidiairement à un trois-quarts de rente.

L'office AI et l'Office fédéral des assurances sociales ont renoncé à se
déterminer.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales
(LPGA) du 6 octobre 2000, entrée en vigueur au 1er janvier 2003, n'est pas
applicable au présent litige, dès lors que le juge des assurances sociales
n'a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l'état de
fait postérieures à la date déterminante de la décision litigieuse du 26 août
2002 (ATF 129 V 4 consid. 1.2 et les arrêts cités). Pour les mêmes motifs,
les dispositions de la novelle du 21 mars 2003 modifiant la LAI (4ème
révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004, ne sont pas non plus
applicables.

2.
2.1 Le litige porte sur l'évaluation du degré d'invalidité de la recourante,
singulièrement sur le droit à une rente entière de l'assurance-invalidité.

2.2 Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et les
principes jurisprudentiels relatifs à la notion d'invalidité (art. 4 LAI),
son évaluation chez les assurés actifs (art. 28 al. 2 LAI), l'échelonnement
des rentes en fonction du degré d'invalidité (art. 28 al. 1 LAI), ainsi que
les exigences posées par la jurisprudence en ce qui concerne la valeur
probante d'un rapport médical (ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V 160 consid. 1c
et les références). Il suffit donc d'y renvoyer sur ces différents points.

3.
La juridiction cantonale a considéré que le rapport du docteur L.________
reposait sur des contradictions. D'une part, l'expert avait estimé qu'en
fournissant des efforts très importants, la recourante pourrait travailler
deux à trois heures par jour; d'autre part, il expliquait qu'en raison de ses
capacités d'adaptation et de résilience limitées et de l'absence de toute
motivation et de tout espoir, elle ne serait pas en mesure d'apporter
l'effort nécessaire pour reprendre une activité professionnelle. L'autorité
cantonale de recours a par ailleurs retenu que les troubles psychiques
présentés par la recourante résultaient en grande partie de sa situation
personnelle (dépression grave de son mari, difficultés conjugales et
financières, chômage, déménagement) et étaient d'ordre réactionnel, de sorte
qu'ils n'étaient pas invalidants au sens de l'art. 4 LAI. Aussi, les premiers
juges se sont-ils écartés des conclusions de l'expert judiciaire et ont-ils
tenu pour déterminantes celles du rapport des médecins du SMR du 2 juillet
2002.
De son côté, la recourante soutient qu'il faut reconnaître pleine valeur
probante aux conclusions du docteur L.________ confirmant l'avis des autres
médecins qui se sont exprimés sur sa capacité de travail, à l'exception de
l'appréciation des praticiens du SMR.

4.
4.1 En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des
conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant
précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la
justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné.
Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une
expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou
qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de
manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des
opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des
déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation
divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une
instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale
(ATF 125 V 352 consid. 3b/aa et les références).

4.2 Dans les domaines médicaux qui ne relevaient pas de sa spécialité, le
docteur L.________, psychiatre, s'est fondé sur les rapports des médecins qui
se sont exprimés sur l'état de santé de la recourante du point de vue
somatique. Ainsi en est-il des diagnostics liés aux deux formes
d'incontinence urinaire mis en évidence par le docteur Y.________, ainsi que
par les docteurs T.________, obstétricien-gynécologue, et G.________,
urologue, également consultés par la recourante. De même, l'expert a-t-il
repris le diagnostic de fibromyalgie posé antérieurement par le docteur
R.________, rhumatologue. Sur le plan psychiatrique, le docteur L.________
4.3 a retenu un trouble de la personnalité non spécifique à traits
dépendants, narcissique et histrionique (F60.9), ainsi qu'un épisode
dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2). Ce dernier diagnostic
correspond à celui déjà posé par les docteurs B.________ et M.________ qui
avaient tous deux fait état d'un état anxio-dépressif et d'un épisode
dépressif sévère observés depuis l'hiver 1998-1999 (rapports respectifs des
25 avril 2000 et 10 mai 2000).
Les diagnostics indiqués par les médecins du SMR (dysthymie tardive
d'intensité légère [F34.1], syndrome douloureux somatoforme persistant
[F45.4], personnalité schizoïde [F60.1]) diffèrent de ceux arrêtés par
l'expert judiciaire. Le rapport du SMR ne fournit toutefois aucune
explication quant aux raisons qui ont amené les doctoresses P.________ et
A.________ à retenir ces atteintes, pas plus du reste que leur détermination
ultérieure, rédigée à l'attention de l'intimé le 14 octobre 2003. En
particulier, le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme ne repose sur
aucune motivation. Insuffisamment étayé quant aux diagnostics énoncés, le
rapport du SMR ne permet dès lors pas de s'écarter de l'avis du docteur
L.________.

4.4 Dans son expertise du 23 septembre 2003, le psychiatre a par ailleurs
évalué la capacité de travail de la recourante à 20 %, voire 30 %, dans un
poste de travail régulier n'exigeant pas le port de charges importantes ni un
rendement constant, source de tensions trop importantes pour elle. Pour
conclure à une incapacité de travail de l'ordre de 70 à 80 %, l'expert expose
avoir pris en compte l'ensemble des troubles présentés par la recourante, à
savoir trouble dépressif, troubles cognitifs légers, troubles du sommeil,
fatigue diurne, inappétence, perte de l'élan vital, incontinence urinaire et
fibromyalgie.

Toutefois, dans la partie du rapport d'expertise consacrée aux réponses aux
questions posées par le juge instructeur cantonal, le docteur L.________
indique que l'incapacité de travail de la recourante doit être évaluée à 80 %
dans son ancienne activité d'inspectrice de laboratoire en raison du seul
trouble dépressif, ce qui apparaît en contradiction avec ses affirmations
antérieures, tant par rapport aux différentes atteintes invalidantes
énumérées qu'au type d'activités encore exigibles. Par ailleurs, en ce qui
concerne les répercussions de la fibromyalgie sur la capacité de travail de
la recourante, le docteur R.________ avait précisé dans son rapport du 15 mai
2000 qu'une incapacité de travail ne se justifiait pas du point de vue
rhumatologique. En outre, il ne ressort pas clairement du dossier médical
dans quelle mesure la recourante serait effectivement gênée dans l'exercice
d'une activité professionnelle par l'incontinence urinaire. Sur ce point, le
docteur Y.________ s'est limité à faire état d'une «invalidité extrêmement
importante» sans plus de précisions (cf. courrier du 2 février 2003 au
conseil de la recourante), tandis que la doctoresse P.________ a affirmé que
l'incontinence d'effort et d'urgence constituait une altération de la qualité
de vie, mais non de la capacité de travail (note du 20 février 2003).

L'ensemble de ces éléments conduit à mettre sérieusement en doute la
pertinence des conclusions de l'expert sur le point de savoir quelle activité
demeure exigible de la part de la recourante et ce, à quel taux; il se
justifie dès lors de s'en écarter. Contrairement à ce qu'a retenu la
juridiction cantonale, on ne saurait cependant suivre l'appréciation des
médecins du SMR, dans la mesure où on ne saurait reconnaître pleine valeur
probante à leur rapport. Outre le fait que les doctoresses P.________ et
A.________ n'ont pas motivé les diagnostics posés (cf. consid. 4.2), elles se
sont limitées à estimer la capacité de travail résiduelle à 50 %, sans étayer
leur affirmation, ni décrire quelles activités pouvaient être exigées de la
recourante.

Dans ces circonstances, le degré d'invalidité de la recourante ne saurait
être déterminé sur la base des pièces médicales au dossier, de sorte qu'il
convient de renvoyer la cause à l'intimé afin qu'il complète l'instruction
sur le plan médical. Il lui incombera de recueillir des données médicales
permettant de déterminer, du point de vue psychiatrique, rhumatologique et
uro-gynécologique, quelles activités sont encore exigibles de la recourante
et ce dans quelle mesure. A cette occasion, il lui appartiendra également
d'évaluer le degré d'invalidité de la recourante en procédant selon la
méthode générale de la comparaison des revenus, l'intimé s'étant contenté de
fixer le degré d'invalidité dans la décision litigieuse en reprenant
simplement le taux d'incapacité fonctionnelle reconnu par les médecins de son
SMR. Or, la détermination du taux d'invalidité ne saurait reposer sur la
simple évaluation médico-théorique de la capacité de travail de l'assurée,
car cela revient à déduire de manière abstraite le degré d'invalidité de
l'incapacité de travail, sans tenir compte de l'incidence économique de
l'atteinte à la santé (ATF 114 V 283 consid. 1c, 314 consid. 3c; RAMA 1996 n°
U 237 p. 36 consid. 3b, 1991 n° U 130 p. 272 consid. 3b).

Le recours est ainsi bien fondé.

5.
La procédure est gratuite, dès lors qu'elle porte sur l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance (art. 134 OJ). La recourante, représentée par un
avocat, a droit à des dépens (art. 159 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal cantonal des
assurances du canton de Vaud du 5 février 2004 et la décision de l'Office de
l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud du 26 août 2002 sont annulés.

2.
La cause est renvoyée à l'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de
Vaud pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle
décision.

3.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

4.
L'Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud versera à la
recourante une indemnité de dépens de 1500 fr. (y compris la taxe à la valeur
ajoutée) pour la procédure fédérale.

5.
Le Tribunal cantonal des assurances du canton de Vaud statuera sur les dépens
pour la procédure de première instance au regard de l'issue du procès de
dernière instance.

6.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 9 mai 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre: La Greffière: