Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 375/2004
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I 375/04

Arrêt du 6 juin 2005
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Schön et Frésard. Greffier : M. Beauverd

P.________, recourante, représentée par Me Véronique Fontana, avocate, rue
Etraz 12, 1002 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 18 mars 2004)

Faits:

A.
P. ________, née en 1958, mariée et mère de famille, a travaillé en qualité
d'employée dans le service hôtelier de l'Hôpital S.________. Elle a cessé
cette activité le 9 septembre 1996 en raison d'une atteinte à la santé.

Le 21 septembre 1997, elle a présenté une demande tendant à l'octroi d'une
rente de l'assurance-invalidité. L'Office de l'assurance-invalidité pour le
canton de Vaud a recueilli des rapports des docteurs F.________, chef de
clinique au Service d'orthopédie et de traumatologie de l'appareil moteur de
l'Hôpital X.________ (du 12 mai 1997) et S.________, spécialiste en chirurgie
orthopédique (du mois d'octobre 1997). En outre, il a requis l'avis du
docteur R.________, médecin-chef au Centre thermal Y.________ (rapports des
15 novembre 1997 et 25 janvier 1999) et confié une expertise au docteur
G.________, spécialiste en médecine physique et réhabilitation. Dans un
rapport du 30 août 2000, ce médecin a posé le diagnostic de polyarthrite
scapulo-humérale droite chronique avec conflit sous-acromial sur
tendinopathie du sus-épineux, moindre du sous-scapulaire et de la portion
intra-articulaire du long chef du biceps et arthrose acromio-claviculaire,
d'obésité, d'hypertension artérielle et de somatisation dans le cadre d'un
syndrome dépressif léger, réactionnel à un conflit professionnel.

L'expert ayant attesté une capacité de travail entière dans une activité ne
mettant pas à contribution l'épaule droite, l'office AI a rendu une décision,
le 9 novembre 2000, par laquelle il a rejeté la demande, motif pris que le
taux d'invalidité (18 %) était insuffisant pour ouvrir droit à une rente.

B.
Saisi d'un recours contre cette décision, le Tribunal des assurances du
canton de Vaud a confié une expertise au docteur M.________, cheffe de
clinique au Service de psychiatrie adulte et de psychogériatrie. Dans un
rapport du 12 mars 2002, l'expert a posé le diagnostic de trouble
somatoforme, sans précision (F 45.9) et de polyarthrite scapulo-humérale
droite. Il a attesté que le trouble somatoforme empêchait l'assurée d'exercer
l'activité professionnelle qu'elle pouvait accomplir jusqu'alors.

Par jugement du 18 mars 2004, la juridiction cantonale a rejeté le recours
dont elle était saisie.

C.
P.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont
elle demande l'annulation, en concluant, sous suite de dépens, au renvoi de
la cause à l'office AI pour complément d'instruction au sujet de sa capacité
résiduelle de travail, subsidiairement, à l'octroi, dès le 21 septembre 1997,
d'une rente fondée sur un taux d'invalidité de 50 %.

L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer sur celui-ci.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit éventuel de la recourante à une rente de
l'assurance-invalidité.

1.1 La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales
du 6 octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003,
entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine
de l'assurance-invalidité. Cependant, le cas d'espèce reste régi par les
dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V 467
consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des assurances apprécie la légalité
des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait existant
au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 121 V 366 consid. 1b).

Pour les mêmes motifs, les dispositions de la novelle du 21 mars 2003
modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004 (RO
2003 3852) ne sont pas non plus applicables.

1.2 L'assuré a droit à une rente s'il est invalide à quarante pour cent au
moins (art. 28 al. 1 LAI). Pour l'évaluation de l'invalidité, le revenu du
travail que l'invalide pourrait obtenir en exerçant l'activité qu'on peut
raisonnablement attendre de lui, après exécution éventuelle de mesures de
réadaptation et compte tenu d'une situation équilibrée du marché du travail,
est comparé au revenu qu'il aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide (art.
28 al. 2 LAI).

1.3 La juridiction cantonale est d'avis que l'invalidité de l'assurée est
insuffisante pour ouvrir droit à une rente, du moment que l'intéressée ne
souffre pas d'atteintes à la santé de nature somatique ou psychique
l'empêchant d'exercer une activité adaptée à plein temps. Elle a considéré,
en se fondant sur l'avis du docteur G.________, que les troubles physiques
n'entraînent aucune incapacité dans des activités où l'épaule droite n'est
pas mise à contribution. Par ailleurs, indiquant se référer au rapport du
docteur M.________, le tribunal cantonal a considéré que le trouble
somatoforme n'était pas une maladie invalidante au sens de la LAI.

De son côté, la recourante reproche à la juridiction cantonale d'avoir omis
de procéder à un complément d'instruction au sujet de sa capacité résiduelle
de travail, du moment que l'office intimé avait enfreint son obligation de
lui faire suivre un stage d'observation dans un atelier protégé ou auprès
d'un centre d'évaluation.

2.
2.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge,
s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement
aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin
consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle
mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En
outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer
quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V
261 consid. 4, 115 V 134 consid. 2, 114 V 314 consid. 3c, 105 V 158 consid.
1).

2.2 Dans son rapport du 30 août 2000, le docteur G.________ a attesté que
l'atteinte à l'épaule droite entraînait une incapacité de travail de 50 %
dans l'activité habituelle. En revanche, selon l'expert, la capacité est
entière dans toute activité où l'épaule droite n'est pas mise à contribution
(petit travail en atelier, par exemple). Certes, le docteur G.________ a
indiqué qu'une telle capacité était illusoire en raison de l'importance des
douleurs, dont la manifestation démonstrative ne correspond pas au status
clinique (excellente mobilité de l'épaule, absence de parésie ou d'atrophie
musculaire). Il n'en demeure pas moins qu'en l'absence de cette majoration
des symptômes, soit eu égard exclusivement au trouble de nature somatique, la
recourante est en mesure, selon l'expert, d'exercer sans limitation une
activité adaptée qui ne met pas l'épaule droite à contribution.

2.3 Cela étant, il apparaît que l'intéressée souffre également d'une atteinte
à la santé psychique sous la forme d'un trouble somatoforme.

2.3.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes
physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI. On ne
considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas
comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les
diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant
preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est exigible doit être
déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V 165; VSI 2001 p. 224
consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298 consid. 4c in fine).

La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique, soit
aussi de troubles somatoformes douloureux persistants, suppose d'abord la
présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege
artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 398
ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme pour toutes les autres atteintes à la
santé psychique, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux
persistants ne constitue pas encore une base suffisante pour conclure à une
invalidité. Au contraire, il existe une présomption que les troubles
somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort
de volonté raisonnablement exigible. Le caractère non exigible de la
réintégration dans le processus de travail peut résulter de facteurs
déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la personne
incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel cas, en effet,
l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour vaincre ses douleurs.
La question de savoir si ces circonstances exceptionnelles sont réunies doit
être tranchée de cas en cas à la lumière de différents critères. Au premier
plan figure la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa
gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères peuvent être déterminants.
Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un processus maladif
s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie
inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de
résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue
psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude
coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces critères se
manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on admettra
l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 77).

Si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une
exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en
règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des
prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la
discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé,
l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations
fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des
plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact
(voir Kopp/Willi/Klipstein, Im Graubereich zwischen Körper, Psyche und
sozialen Schwierigkeiten, in: Schweizerische Medizinische Wochenschrift 1997,
p. 1434, avec référence à une étude approfondie de Winckler et Foerster; voir
sur l'ensemble du sujet consid. 1.2 destiné à la publication de l'arrêt J. du
16 décembre 2004, I 770/03).

2.3.2 En l'occurrence, le docteur M.________ a fait état d'un trouble
somatoforme, sans précision (F 45.9) et indiqué n'avoir pas précisé ce
diagnostic, parce que les douleurs exprimées et l'impotence signalée ont été
qualifiées de disproportionnées par les spécialistes qui se sont prononcés
sur le cas. L'expert a nié l'existence d'une comorbidité psychiatrique en
relevant que ni l'anamnèse, ni les observations effectuées pendant
l'expertise, ni même les entretiens avec le médecin traitant ou le
rhumatologue n'avaient révélé d'éléments de la lignée dépressive, ni d'autres
symptômes du registre psychiatrique. En particulier, le syndrome dépressif
léger indiqué par le docteur G.________ n'était plus présent lors de
l'expertise psychiatrique.
En outre, l'existence d'autres critères mentionnés par la jurisprudence pour
fonder le caractère non exigible de la réinsertion dans le processus de
travail doit être niée. En effet, il y a lieu d'exclure la présence d'une
affection corporelle chronique liée à un processus maladif s'étendant sur
plusieurs années sans rémission durable, puisque les somaticiens consultés
ont constaté une amélioration de la symptomatologie liée au conflit
sous-acromial (cf. rapports des docteurs R.________ du 15 novembre 1997 et
Gabioud du 6 octobre 1999). En outre, une perte d'intégration sociale dans
toutes les manifestations de la vie n'apparaît pas, du moment que le docteur
M.________ relève une bonne entente entre les époux, ainsi que le caractère
gai de l'assurée qui aime la vie de famille. Au demeurant, il faut non
seulement nier la présence de critères déterminants pour fonder le caractère
non exigible de la réintégration dans le processus de travail, mais il y a
lieu également de relever les limitations liées à l'exercice d'une activité
qui résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation
semblable. En particulier, il existe indéniablement une discordance entre les
douleurs décrites et le comportement observé. Le docteur G.________ indique
en effet que la moindre palpation de l'épaule droite provoque des douleurs
exprimées avec véhémence par des pleurs et des cris, tandis que, lorsque
l'assurée est distraite, la palpation devient indolore et les tests normaux.

Cela étant, il y a lieu de présumer que les troubles somatoformes douloureux
ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort de volonté
raisonnablement exigible. Aussi, la Cour de céans ne saurait-elle faire
siennes les conclusions du docteur M.________ relatives à la capacité de
travail de l'assurée, du moment que l'expert a attesté une limitation de
cette capacité fondée uniquement sur le diagnostic de trouble somatoforme
(cf. ATF 130 V 356 consid. 2.2.5). En effet, ce médecin se contente de faire
état d'un trouble somatoforme se manifestant par des douleurs à l'épaule
droite, lesquelles entraînent une invalidité de fait.

2.4 Vu ce qui précède, l'existence d'une atteinte psychique ouvrant le droit
à des prestations d'assurance doit être niée. L'office intimé était dès lors
fondé, sans qu'il ait été nécessaire de procéder à des investigations
complémentaires sur le plan professionnel, comme le demande la recourante, à
considérer que la capacité de travail découlant de l'atteinte à la santé est
entière dans une activité adaptée du genre de celle qui a été préconisée par
le docteur G.________ dans son rapport du 30 août 2000.

En outre, au regard des données économiques prises en considération par
l'office AI, la comparaison des revenus déterminants ne fait pas apparaître
un taux d'invalidité suffisant pour ouvrir droit à une rente et le recours se
révèle mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 6 juin 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: Le Greffier: