Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 364/2004
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I 364/04

Arrêt du 26 juillet 2005
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Schön et Frésard. Greffier : M. Berthoud

R.________, recourant, représenté par Me Marc-Etienne Favre, avocat, rue
Centrale 5, 1002 Lausanne,

contre

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, intimé

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 28 novembre 2003)

Faits:

A.
R. ________, né en 1956, a travaillé en qualité de nettoyeur professionnel au
service de l'entreprise S.________ depuis le 1er septembre 1991. En 1995 et
1996, il a été victime de deux accidents dont la Caisse nationale suisse
d'assurance en cas d'accidents (CNA) a pris les suites en charge. La CNA a
mis fin à ses prestations le 27 octobre 1996, estimant que les troubles qui
subsistaient n'étaient plus en relation avec les événements accidentels. Les
rapports de travail ont été résiliés par l'employeur pour le 31 janvier 1997.

Invoquant des maux de dos, R.________ a déposé une demande de prestations de
l'assurance-invalidité (orientation professionnelle, reclassement et rente)
le 4 février 1997. L'assuré a été soumis à un examen pluridisciplinaire
auprès du Centre Y.________. Dans leur rapport du 7 septembre 1999, le
professeur D.________ ainsi que les docteurs L.________ et P.________ ont
diagnostiqué un trouble somatoforme douloureux persistant sous la forme de
lombo-cruro-sciatialgies droites, des troubles statiques et dégénératifs
rachidiens mineurs, une hernie discale foraminale L4-L5 droite, un état
dépressif léger, des traits passifs-agressifs de la personnalité ainsi que
des migraines. Selon les experts du Centre Y.________, le patient ne présente
aucune pathologie psychiatrique invalidante. En revanche, le trouble
somatoforme douloureux persistant centré sur la région lombaire et le membre
inférieur droit réduit sa capacité de travail à 50 %. Selon les experts, la
capacité de travail peut être améliorée par des mesures d'ordre
professionnel, mais il est à craindre que le syndrome douloureux et la
régression physique et psychique qu'il a induite représentent un obstacle
difficilement franchissable dans l'idée d'un reclassement .A cet égard, un
responsable de la division de réadaptation de l'Office de
l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud (l'office AI) a estimé, dans
une appréciation du 13 décembre 1999, que l'attitude démonstratrice de
l'assuré rendait toutes mesures de réadaptation illusoires.

Lors de l'évaluation de l'invalidité, l'office AI a tenu compte d'une
capacité de travail de 50 % dans une activité adaptée. Comme l'assuré
subissait un manque à gagner de 61,48 %, l'office AI lui a alloué une
demi-rente d'invalidité à partir du 1er novembre 1996, par décision du 8
septembre 2000.

B.
R.________ a déféré cette décision au Tribunal des assurances du canton de
Vaud, en concluant au versement d'une rente entière fondée sur un taux
d'invalidité supérieur à 66 2/3 %. Dans sa réponse, l'office AI a soutenu que
sa décision était erronée, car aucune comorbidité psychiatrique grave n'était
associée au trouble somatoforme douloureux; l'administration a dès lors
conclu à la réforme de sa décision au détriment de l'assuré, la rente étant
supprimée.

Dans sa réplique, l'assuré a produit deux rapports de l'Hôpital X.________,
des 28 mars et 15 juin 2001. Dans le premier d'entre eux, les docteurs
T.________ et M.________ ont attesté, notamment, que le trouble somatoforme
est compliqué par une symptomatologie dépressive d'ampleur moyenne et par un
trouble de la personnalité. A leur avis, l'affection est chronique et
invalidante, elle contribue à la perte de l'intégration sociale ainsi qu'à
l'émergence de conflits familiaux et compromettent la reprise d'une activité
lucrative.

La juridiction de recours a interpellé le Centre Y.________. Dans un rapport
du 15 novembre 2002, le professeur D.________ a confirmé l'appréciation
précédente du Centre Y.________, c'est-à-dire que le trouble somatoforme
réduit à lui seul la capacité de travail à 50 % et que l'assuré ne présente
aucune comorbidité psychiatrique. L'expert du Centre Y.________ a aussi
précisé que les troubles statiques dégénératifs rachidiens mineurs et
l'hernie discale ne constituent pas un facteur entravant de façon permanente
la capacité de travail.

Par écriture du 7 octobre 2003, la Présidente de la juridiction cantonale de
recours a informé l'assuré que le Tribunal envisageait de réformer la
décision attaquée à son détriment et a attiré son attention sur la
possibilité qui était la sienne de retirer son recours. L'assuré a maintenu
ses conclusions par lettre du 4 novembre 2003.

Par jugement du 28 novembre 2003, le Tribunal cantonal des assurances a
rejeté le recours (ch. I du dispositif); en outre, il a réformé la décision
du 8 septembre 2000 en ce sens que le droit à la demi-rente a été supprimé à
partir du premier jour qui suit le mois au cours duquel son jugement entre en
force (ch. II du dispositif).

C.
R.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement. Avec
suite de dépens, il conclut à titre principal à sa réforme en ce sens que le
ch. II du dispositif soit annulé; subsidiairement, il conclut au renvoi de la
cause aux premiers juges pour complément d'instruction.

L'intimé conclut au rejet du recours. L'Office fédéral des assurances
sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit du recourant à des prestations de
l'assurance-invalidité, singulièrement une rente, en raison des troubles
somatoformes douloureux dont il est atteint.

2.
Le jugement entrepris rappelle correctement les dispositions légales (en
particulier les art. 4 et 28 LAI, dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31
décembre 2002 et jusqu'au 31 décembre 2003 respectivement) ainsi que les
principes jurisprudentiels (relatifs à l'appréciation des expertises
médicales par le juge) applicables au cas d'espèce, de sorte qu'il suffit d'y
renvoyer.

3.
Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques,
entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art.
8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique
maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par
l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré
pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté; la mesure de ce qui est
exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V
165; VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298
consid. 4c in fine).

La reconnaissance de l'existence d'une atteinte à la santé psychique, soit
aussi de troubles somatoformes douloureux persistants, suppose d'abord la
présence d'un diagnostic émanant d'un expert (psychiatre) et s'appuyant lege
artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 130 V 398
ss consid. 5.3 et consid. 6). Comme pour toutes les autres atteintes à la
santé psychique, le diagnostic de troubles somatoformes douloureux
persistants ne constitue pas encore une base suffisante pour conclure à une
invalidité. Au contraire, il existe une présomption que les troubles
somatoformes douloureux ou leurs effets peuvent être surmontés par un effort
de volonté raisonnablement exigible. Le caractère non exigible de la
réintégration dans le processus de travail peut résulter de facteurs
déterminés qui, par leur intensité et leur constance, rendent la personne
incapable de fournir cet effort de volonté. Dans un tel cas, en effet,
l'assuré ne dispose pas des ressources nécessaires pour vaincre ses douleurs.
La question de savoir si ces circonstances exceptionnelles sont réunies doit
être tranchée de cas en cas à la lumière de différents critères. Au premier
plan figure la présence d'une comorbidité psychiatrique importante par sa
gravité, son acuité et sa durée. D'autres critères peuvent être déterminants.
Ce sera le cas des affections corporelles chroniques, d'un processus maladif
s'étendant sur plusieurs années sans rémission durable (symptomatologie
inchangée ou progressive), d'une perte d'intégration sociale dans toutes les
manifestations de la vie, d'un état psychique cristallisé, sans évolution
possible au plan thérapeutique, résultant d'un processus défectueux de
résolution du conflit, mais apportant un soulagement du point de vue
psychique (profit primaire tiré de la maladie, fuite dans la maladie), de
l'échec de traitements ambulatoires ou stationnaires conformes aux règles de
l'art (même avec différents types de traitement), cela en dépit de l'attitude
coopérative de la personne assurée (ATF 130 V 352). Plus ces critères se
manifestent et imprègnent les constatations médicales, moins on admettra
l'exigibilité d'un effort de volonté (Meyer-Blaser, Der Rechtsbegriff der
Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, in: Schmerz
und Arbeitsunfähigkeit, St. Gall 2003, p. 77).

Si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une
exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en
règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des
prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la
discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé,
l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues,
l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations
fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des
plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que
l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact
(voir Kopp/Willi/Klipstein, Im Graubereich zwischen Körper, Psyche und
sozialen Schwierigkeiten, in: Schweizerische Medizinische Wochenschrift 1997,
p. 1434, avec référence à une étude approfondie de Winckler et Foerster; sur
l'ensemble du sujet, voir ATF 131 V 49).

4.
A la lecture des avis émanant aussi bien du Centre Y.________ que de
l'Hôpital X.________, il est constant qu'une comorbidité psychiatrique, d'une
acuité et d'une durée importantes, n'est pas associée au trouble somatoforme
douloureux. En effet, ce trouble s'accompagne d'un état dépressif léger et de
traits passifs-agressifs de la personnalité, qui ne sont d'ailleurs pas
traités.

Quant aux autres critères retenus par la jurisprudence, singulièrement la
chronicité des douleurs ainsi que l'échec de mesures de réhabilitation, il
faut constater que les experts du Centre Y.________ ont admis que les
douleurs n'empêcheraient pas le recourant de mettre sa capacité de travail à
profit et que des mesures de réadaptation d'ordre professionnel n'étaient pas
à exclure d'emblée (rapport du 7 septembre 1999, p. 18). En outre, le
recourant demeure intégré socialement, dès lors qu'il s'occupe de ses deux
plus jeunes enfants, qu'il entretient des contacts assez réguliers avec ses
deux frères habitant en Suisse, ainsi qu'avec plusieurs beaux-frères et
plusieurs neveux habitant la région (rapport du 7 septembre 1999, p. 7).

Dans ces conditions, on doit nier - d'un point de vue juridique - qu'une mise
en valeur de la capacité de travail du recourant, jugée complète au plan
somatique dans une activité adaptée, ne puisse plus entièrement être exigée
de sa part. C'est dès lors à juste titre que la juridiction de recours a
réformé la décision administrative et supprimé la demi-rente, car le taux
d'invalidité de 23 % (qui n'est ni contesté en tant que tel ni sujet à
discussion) n'ouvre pas droit à cette prestation (art. 28 al. 1 LAI). Le
recours est mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 26 juillet 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: Le Greffier: