Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 279/2004
Zurück zum Index Sozialrechtliche Abteilungen 2004
Retour à l'indice Sozialrechtliche Abteilungen 2004


I 279/04

Arrêt du 8 avril 2005
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Schön et Frésard. Greffière : Mme Berset

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, recourant,

contre

D.________, 1967, intimée, représentée par Me Maurizio Locciola, avocat, rue
du Lac 12, 1207 Genève

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 6 avril 2004)

Faits:

A.
D. ________, née en 1967, a travaillé du 1er avril 1987 au 30 septembre 1999
en qualité de caissière pour le compte de la société X.________. Elle a
bénéficié des indemnités de l'assurance-chômage dès le 15 janvier 2001. Suite
à un accouchement le 3 juin 1999, elle a présenté un syndrome du tunnel
tarsien bilatéral, lequel a été opéré des deux côtés, ainsi qu'un syndrome du
tunnel carpien bilatéral et développé par la suite un état dépressif
nécessitant une prise en charge médicale et psychologique. Le 4 juillet 2000,
elle a déposé une demande de prestations de l'assurance-invalidité tendant à
l'octroi d'une rente auprès de l'Office cantonal genevois de
l'assurance-invalidité (OCAI).

Dans un rapport du 10 juillet 2001, la doctoresse V.________, médecin
traitant, a posé les diagnostics de double neurolyse du nerf tibial
postérieur pour tunnel tarsien bilatéral, persistance de para/dysesthésies au
niveau des talons, neuropathie des nerfs médians du carpe et état dépressif.
L'incapacité de travail était totale dans l'activité de caissière; la reprise
de l'activité dans une autre profession, sans port de charges supérieures à 5
kilos, telle que réceptionniste-téléphoniste était envisageable, au début à
50 %, après un recyclage en anglais et en informatique. De son côté, le
docteur F.________, spécialiste en chirurgie et médecin traitant, a précisé
que la dépression dont souffrait sa patiente n'avait pas de répercussions sur
la capacité de travail; la situation s'était stabilisée, de sorte qu'une
reprise du travail dans une activité appropriée était tout à fait
envisageable (rapport du 19 août 2001). Pour sa part, le docteur C.________,
médecin-conseil de l'OCAI, estimait qu'une activité sédentaire, telle celle
de réceptionniste-téléphoniste, pouvait être exercée à 100 % par l'assurée, à
condition qu'elle ne sollicite pas excessivement les poignets (rapport du 19
septembre 2001). Par ailleurs, il ressort d'un rapport du 5 avril 2002 de la
division de réadaptation professionnelle de l'OCAI que l'assurée présentait
les ressources et l'intérêt nécessaires pour exercer une activité de bureau.

Par décision du 15 octobre 2002, l'OCAI a rejeté la demande de prestations de
l'assurance-invalidité, au motif que l'assurée était apte à exercer
l'activité de réceptionniste-téléphoniste ou une autre activité adaptée (sans
port de charge) à 100 % et qu'il ne résultait pas de perte de gain par
rapport à son ancienne occupation.

B.
Par acte du 15 novembre 2002, complété le 18 décembre suivant, l'assurée a
interjeté recours contre cette décision en joignant à ses écritures une
attestation de la doctoresse V.________, dont il ressortait qu'elle
présentait des troubles de sensibilité et de force musculaire qui limitaient
sa capacité de travail (rapport du 12 décembre 2002).

Invitée à fournir des précisions par la juridiction cantonale, cette
praticienne a indiqué que sa patiente traversait une période difficile en
raison de problèmes conjugaux liés à la séparation des époux et que si elle
était apte à travailler du point strictement physique, le taux de capacité de
travail de 50 % fixé dans le rapport du 10 juillet 2001 tenait compte de la
composante psychologique.

Par jugement du 6 avril 2004, le Tribunal cantonal des assurances sociales du
canton de Genève a admis très partiellement, au sens des considérants, le
recours interjeté par l'assurée contre la décision de l'administration du 15
octobre 2002 et renvoyé le dossier à l'OCAI afin qu'il détermine si l'assurée
se trouve en mesure d'exercer la profession de téléphoniste-réceptionniste ou
si des cours complémentaires s'imposent.

C.
L'OCAI interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont il
demande l'annulation. Il conclut à ce que le Tribunal fédéral des assurances
confirme que le taux d'invalidité de l'assurée n'ouvre pas le droit à un
reclassement professionnel et, partant, prononce le maintien de sa décision
du 15 octobre 2002.

D. ________ conclut, sous suite de dépens, au rejet du recours. La Présidente
du Tribunal cantonal des assurances sociales a présenté des observations dont
il sera fait état dans la mesure utile. L'office fédéral des assurances
sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Dans ses observations, la juridiction cantonale se détermine sur la
controverse à propos de la base constitutionnelle du Tribunal des assurances
sociales du canton de Genève. L'ATF 130 I 226 a mis un terme à cette
controverse. Le Tribunal fédéral a jugé, en effet, que l'existence du
Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève trouve son
fondement directement dans le droit fédéral, soit l'art. 57 LPGA, à teneur
duquel chaque canton institue un tribunal des assurances, qui statue en
instance unique sur les recours dans le domaine des assurances sociales. Le
Tribunal fédéral en a déduit qu'une base constitutionnelle cantonale expresse
n'était pas nécessaire pour la création de cette juridiction de recours (cf.
consid. 2.4 à 2.6). Quant à la solution consistant à rendre des arrêts par
trois juges régulièrement élus, à teneur de la loi cantonale du 13 février
2004, dans l'attente de l'élection des juges assesseurs par le peuple, le
Tribunal fédéral a jugé qu'elle était la plus rationnelle et conforme de
surcroît au droit fédéral (consid. 3.4). Il suffit dès lors, sur ces
questions, de renvoyer à cet arrêt.

2.
L'intimée souffre d'un syndrome du tunnel tarsien opéré des deux côtés, d'un
syndrome du tunnel carpien bilatéral et d'un état dépressif en rémission. Il
est admis que cet état dépressif n'a pas d'incidence sur la capacité de
travail. Il n'est d'autre part pas contesté qu'en raison de troubles de la
sensibilité plantaire et d'un manque de force dans la main gauche (impliquant
une contre-indication au port de charges de plus de cinq kilos), l'intimée
n'est plus à même de reprendre son ancienne activité de caissière dans un
supermarché, qui pourrait entraîner une sollicitation excessive des poignets.
En dehors de cette limitation, l'intimée serait à même d'exercer une activité
à plein temps. Est ainsi litigieux le droit à des mesures de reclassement.

3.
Est réputé invalide au sens de l'art. 17 LAI (dans sa version en vigueur
jusqu'au 31 décembre 2003) celui qui n'est pas suffisamment réadapté,
l'activité lucrative exercée jusque-là n'étant plus raisonnablement exigible
ou ne l'étant plus que partiellement en raison de la forme et de la gravité
de l'atteinte à la santé. Le seuil minimum fixé par la jurisprudence pour
ouvrir droit à une mesure de reclassement est une diminution de la capacité
de gain de 20 pour cent environ (ATF 124 V 110 consid. 2b et les références).
Contrairement à ce que soutient l'intimée, le fait qu'elle ne peut plus
exercer sa profession antérieure ne suffit pas, à lui seul, pour fonder un
droit à un reclassement. Car l'assuré n'a pas droit à des mesures de
réadaptation s'il ne subit pas une perte de gain permanente ou de longue
durée (20 pour cent au moins) dans une activité activité raisonnablement
exigible et pouvant être exercée sans autres mesures de réadaptation
(Meyer-Blaser, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], Die
Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, Zurich 1997,
p. 124 sv.).

D'autre part, pour juger si le seuil minimum fixé par la jurisprudence pour
ouvrir droit à une mesure de reclassement (diminution de la capacité de gain
de 20 pour cent environ) est atteint, il y a lieu, en particulier pour les
métiers dont les salaires initiaux sont bas, non seulement de prendre en
considération les possibilités de gain actuelles, mais également de tenir
compte, sur la base d'un pronostic, d'autres facteurs comme l'évolution des
salaires et la durée d'activité (ATF 124 V 111 consid. 3).

4.
4.1 Selon son ancien employeur, l'assurée aurait gagné, dès le 1er janvier
2000, 3460 fr. par mois. S'y ajoutent une indemnité de résidence (100 fr. par
mois), ainsi qu'une gratification (2577 fr. en 1999, que l'on peut arrondir à
2800 fr.). L'addition de ces montants   donne un salaire de 3793 fr. par mois
ou de 45'516 fr. par an que l'on peut arrondir à 45'520 fr. C'est ce montant
qu'il convient de retenir à titre de revenu sans invalidité.

4.2 Pour le revenu d'invalide, on peut se référer aux données salariales
publiées dans L'Enquête suisse sur la structure des salaires 2000 (ci-après :
ESS) par l'Office fédéral de la statistique. A cet égard, on constate que le
salaire mensuel brut (valeur centrale) des femmes, pour une activité simple
et répétitive dans le secteur privé, était de 3658 fr. en 2000 (ESS, table
A1, p. 31). Après adaptation de ce montant à la durée de travail hebdomadaire
usuelle dans les entreprises cette année-là (41,8 heures; La Vie économique
10/2002 p. 88) les salaires bruts standardisés tenant compte d'un horaire de
travail de 40 heures (ESS p. 10), on obtient un revenu mensuel hypothétique
de 3822 fr. 60, ou soit 45'871 fr. par an. Un abattement maximum de 10 pour
cent tient compte, en l'espèce, suffisamment de l'empêchement lié à la
personne de l'assurée (cf. ATF 126 V 78 ss consid. 5), ce qui donne un revenu
annuel de 41'283 fr.

4.3 Ces chiffres sont réalistes. Au regard du large éventail d'activités
simples et répétitives que recouvrent les secteurs de la production et des
services, on doit convenir qu'un nombre significatif de ces activités sont
légères et adaptées au handicap de l'intimée. Le salaire statistique qui a
été pris en considération est donc représentatif de ce que pourrait gagner
l'intéressée, compte tenu d'un marché équilibré du travail (au sens de l'art.
28 al. 2 aLAI ou 16 LPGA), en mettant à profit sa pleine capacité de travail
dans une activité adaptée.

Il faut noter, au demeurant, que l'office, dans sa décision, s'est déclaré
prêt à accorder à l'assurée, sur demande, une aide au placement, qui
implique, le cas échéant un droit à des indemnités journalières pour la
période de mise au courant (art. 20 RAI). Cette mesure apparaît suffisante
pour permettre à l'intéressée de trouver un emploi adapté.

4.4 La comparaison des revenus déterminants (à savoir 45'520 fr. pour le
revenu sans invalidité et 41'283 fr. pour le revenu d'invalide) conduit à un
taux d'invalidité (arrondi; cf. ATF 130 V 121) de 9 pour cent, sensiblement
inférieur à 20 pour cent. Comme on peut par ailleurs partir de l'idée qu'à
moyen et à long terme les perspectives de gain de l'assurée dans une activité
adaptée ne seront pas réduites dans une plus large mesure que si elle avait
poursuivi son activité de caissière de supermarché (cf. ATF 124 V 111 ss
consid. 3b et c), le droit à des mesures de réadaptation doit être nié.

5.
Il s'ensuit que le recours est bien fondé

Vu la nature du litige, il est statué sans frais (art. 134 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du 6 avril 2004 du Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève est annulé dans la mesure où il porte
sur les mesures de réadaptation et où il met à la charge du recourant une
indemnité de dépens de 800 fr.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 8 avril 2005
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: La Greffière: