Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 278/2004
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I 278/04

Arr t du 29 mars 2006
IIIe Chambre

MM. les Juges Ferrari, Pr sident, Lustenberger et Seiler. Greffi re : Mme von
Zwehl

Office cantonal AI Gen ve, 97, rue de Lyon, 1203 Gen ve, recourant,

contre

D.________, intim e, repr sent e par l'Hospice g n ral, cours de Rive 12,
1204 Gen ve

Tribunal cantonal des assurances sociales, Gen ve

(Jugement du 31 mars 2004)

Faits:

A.
D. ________, n e en 1963, mari e, travaillait depuis 1993 comme secr taire au
service de la soci t  X.________ SA. Peu apr s la naissance, en mars 1997, de
son premier enfant, les m decins ont diagnostiqu  chez elle une thyro dite
silencieuse avec hypothyro die; la pr nomm e s'est  galement plainte d'une
exacerbation de douleurs lombaires et cervicales, ainsi que d'un important
 tat de fatigue. Elle a repris son travail durant quelques jours, puis a
d finitivement arr t  de travailler. Son employeur l'a licenci e pour la fin
du mois de septembre 1997. Par la suite, D.________ a b n fici  des
prestations cantonales de ch mage en cas de maladie. Le 20 juillet 1998, elle
a adress  une demande de rente   l'Office cantonal genevois de
l'assurance-invalidit  (ci-apr s : l'office AI).

L'office AI a recueilli les avis des m decins consult s par l'assur e (cf.
les rapports des docteurs S.________, B.________ ainsi que P.________) et
requis une expertise aupr s du Centre d'observation m dicale de
l'assurance-invalidit  (COMAI). Dans leur rapport du 1er novembre 2001, les
m decins de cet  tablissement ont pos  les diagnostics suivants :  a)
influen ant la capacit  de travail : 1. fibromyalgie, 2. forte suspicion d'un
syndrome de fatigue chronique, 3. troubles d'adaptation avec des composantes
d pressives et sociales dans le cadre d'une maladie somatique chronique; b)
avec r percussion pathologique : 4. enc phalite en 1993 [recte : 1983], 5.
cystite r cidivante; c) autres : thyro dite post-partum en 1997 actuellement
pas d'insuffisance thyro dienne . Ils ont estim  que pour une activit 
lucrative, la pr sence   elle seule de la fibromyalgie (ou syndrome de
fatigue chronique) justifiait la reconnaissance d'une capacit  de travail de
50 %, celle-ci tendant vers z ro   cause des troubles de l'adaptation
surajout s; dans le m nage, la capacit  de travail oscillait entre 25 % et 33
%.

Apr s avoir pos  des questions compl mentaires au COMAI, l'office AI a rendu,
le 30 mai 2002, une d cision par laquelle il a rejet  la demande de
prestations. Il a consid r  que les troubles douloureux dont souffrait
l'assur e ne pr sentaient pas de caract re invalidant au sens de la loi.

B.
Par jugement du 31 mars 2004, le Tribunal cantonal genevois des assurances
sociales a admis le recours de D.________ en ce sens qu'il a annul  la
d cision du 30 mai 2002 et allou    la pr nomm e une demi-rente d'invalidit 
d s le 1er octobre 1998.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement,
dont il requiert l'annulation, en concluant   la confirmation de sa d cision.

D. ________ a renonc    se d terminer, tandis que l'Office f d ral des
assurances sociales a pr sent  des observations.

Consid rant en droit:

1.
Le litige porte sur le degr  d'invalidit  pr sent  par D.________,
respectivement sur son droit   une rente.

2. Le jugement entrepris expose correctement les r gles l gales relatives  
la notion d'invalidit  et la jurisprudence d velopp e en mati re de troubles
somatoformes douloureux ainsi que celle relative   l'appr ciation de la
valeur probante des rapports m dicaux. Il pr cise   juste titre que le
pr sent litige reste soumis aux dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31
d cembre 2002, soit sans les modifications entra n es par l'entr e en
vigueur, le 1er janvier 2003, de la LPGA, d s lors que le juge n'a pas  
prendre en compte des modifications de droit ou de l' tat de fait survenues
apr s que la d cision litigieuse, in casu du 30 mai 2002, a  t  rendue (cf.
ATF 129 V 4 consid. 1.2, 169 consid. 1, 356 consid. 1 et les arr ts cit s).
On peut donc y renvoyer sur ces points, en ajoutant que pour les m mes
raisons, les modifications de la LAI du 21 mars 2003 (4 me r vision de la
LAI), entr es en vigueur au 1er janvier 2004 (RO 2003 3852), ne sont pas non
plus applicables au cas d'esp ce.

3.
Les premiers juges ont examin  le caract re invalidant de la fibromyalgie
diagnostiqu e chez D.________ en faisant application des crit res consacr s
par la jurisprudence dans les cas de troubles somatoformes douloureux. Ils
ont retenu que la pr nomm e pr sentait des probl mes psychiques associ s   la
fibromyalgie (m me si ceux-ci ne se manifestaient pas sous la forme d'un
trouble psychique grave), qu'elle souffrait d'affections corporelles
chroniques sans r mission durable depuis plusieurs ann es, et enfin, que tous
les traitements conformes aux r gles de l'art avaient  chou s. Bien que les
juges cantonaux aient  galement reconnu que certaines circonstances
permettant de motiver un refus de rente  taient pr sents (environnement
psychosocial intact; divergence entre les handicaps d crits et le
comportement adopt , de m me qu'entre les informations fournies par
l'int ress e et celles qui ressortent de l'anamn se; possible gain secondaire
tir  de la maladie), ils ont jug , tout bien consid r , qu'il y avait lieu de
suivre les experts dans leur appr ciation de la capacit  de travail aff rente
  la fibromyalgie et au syndrome de fatigue chronique, et d'admettre une
invalidit  de 50 %. En revanche, ils n'ont pas adh r  aux conclusions desdits
experts en ce qui concernait les effets des troubles de l'adaptation qui,
selon eux, ne constituaient pas une maladie psychique proprement dite.
D.________ avait ainsi droit   une demi-rente d'invalidit .

4. Pour l'office AI, au contraire, le syndrome douloureux dont l'assur e
 tait affect e n'avait pas le degr  de gravit  requis pour  tre qualifi 
d'invalidant. Un des crit res importants, celui d'une comorbidit 
psychiatrique, n' tait pas rempli. De plus, il y avait de nombreuses
circonstances plaidant en d faveur de la reconnaissance d'une incapacit  de
travail de longue dur e.

5.
5.1 Dans un arr t r cent, le Tribunal f d ral des assurances a jug  que les
diagnostics de fibromyalgie et de trouble somatoforme douloureux pr sentaient
des points communs, en ce que leurs manifestations cliniques  taient pour
l'essentiel similaires et qu'il n'existait pas de pathogen se claire et
fiable pouvant expliquer l'origine des douleurs exprim es. Cela rendait la
limitation de la capacit  de travail difficilement mesurable car l'on ne
pouvait pas d duire l'existence d'une incapacit  de travail du simple
diagnostic pos . En particulier, un diagnostic de fibromyalgie ou de trouble
somatoforme douloureux ne renseignait pas encore sur l'intensit  des douleurs
ressenties par la personne concern e, ni sur leur  volution, ou le pronostic
qu'on pouvait poser dans un cas concret. La Cour de c ans a d duit de ces
caract ristiques communes qu'en l' tat actuel des connaissances, il se
justifiait, sous l'angle juridique, d'appliquer par analogie les principes
d velopp s par la jurisprudence en mati re de troubles somatoformes
douloureux lorsqu'il s'agissait d'appr cier le caract re invalidant d'une
fibromyalgie (arr t S. du 8 f vrier 2006, I 336/04, pr vu pour la publication
dans le Recueil officiel, consid. 4.1).
5.2 Aussi, convenait-il,  galement en pr sence d'une fibromyalgie, de poser
la pr somption que cette affection ou ses effets pouvaient  tre surmont s par
un effort de volont  raisonnablement exigible (cf. ATF 131 V 50). Comme en
mati re de troubles somatoformes douloureux, il y avait toutefois lieu de
reconna tre l'existence de facteurs d termin s qui, par leur intensit  et
leur constance, rendaient la personne incapable de fournir cet effort de
volont . Ces crit res permettant de fonder exceptionnellement un pronostic
d favorable dans les cas de fibromyalgie  taient les suivants: la pr sence
d'une comorbidit  psychiatrique importante par sa gravit , son acuit  et sa
dur e, un processus maladif s' tendant sur plusieurs ann es sans r mission
durable (symptomatologie inchang e ou progressive), des affections
corporelles chroniques, une perte d'int gration sociale dans toutes les
manifestations de la vie et l' chec de traitements ambulatoires ou
stationnaires conform ment aux r gles de l'art (m me avec diff rents types de
traitement), cela en d pit de l'attitude coop rative de la personne assur e.
En pr sence d'une comorbidit  psychiatrique, il y avait  galement lieu de
tenir compte de l'existence d'un  tat psychique cristallis  r sultant d'un
processus d fectueux de r solution du conflit, mais apportant un soulagement
du point de vue psychique (profit primaire tir  de la maladie, fuite dans la
maladie). Enfin,   l'instar de ce qui  tait le cas pour les troubles
somatoformes douloureux, il convenait de conclure   l'absence d'une atteinte
  la sant  ouvrant le droit aux prestations d'assurance, si les limitations
li es   l'exercice d'une activit  r sultaient d'une exag ration des sympt mes
ou d'une constellation semblable (par exemple une discordance entre les
douleurs d crites et le comportement observ , l'all gation d'intenses
douleurs dont les caract ristiques demeuraient vagues, l'absence de demande
de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le
patient et celles ressortant de l'anamn se, le fait que des plaintes tr s
d monstratives laissaient insensible l'expert, ainsi que l'all gation de
lourds handicaps malgr  un environnement psychosocial intact (arr t S.
pr cit , consid. 4.2.1 et 4.2.2).

6.
En l'esp ce, le diagnostic principal pos  chez l'assur e est une
fibromyalgie. Au regard de ce qui pr c de (consid. 5 supra), les premiers
juges  taient donc fond s   appliquer au cas particulier les principes
d velopp s par la jurisprudence sur les troubles somatoformes douloureux. En
revanche, on doit constater que le rapport d'expertise du COMAI (du 1er
novembre 2001), auxquels ils ont accord  pleine valeur probante, est
insuffisant pour juger du caract re exigible ou non d'une reprise de travail
par l'intim e.

6.1 Si l'on peut certes d duire dudit rapport d'expertise que D.________ ne
pr senterait pas de comorbidit  psychiatrique grave (le docteur I.________,
psychiatre, estime qu' il n'y a pas de maladie psychiatrique proprement dite
mais des troubles de l'adaptation avec des composantes d pressives et
sociales [...] ), il ne renferme que peu de donn es permettant de faire
application des autres crit res jurisprudentiels en la mati re. Mais surtout
on comprend mal comment les m decins du COMAI ont pu parvenir   la conclusion
que l'assur e manquait de ressources au point d' tre totalement inapte  
travailler et   assumer ses t ches m nag res. Tout d'abord, il appara t
contradictoire de nier la pr sence d'une affection psychique pour affirmer
tout de suite apr s que  du point de vue psychiatrique, cette assur e est
dans une incapacit  de travail de 100 % depuis 1997  (voir le compte-rendu de
l' valuation du docteur I.________ en page 6 in fine et 7 du rapport
d'expertise). Ensuite, au chapitre  degr  de la capacit  de travail , les
m decins du COMAI ont exprim  des r serves quant   l'exactitude de l'anamn se
et   la cr dibilit  du handicap d crit (pages 8 et 9); ils ont  galement
manifest  leur incompr hension face au choix de l'assur e de mettre au monde
un second enfant alors que celle-ci se plaignait d'une fatigue si importante
qu'elle devait d l guer tous les travaux   son mari ou   d'autres membres de
sa famille. Alors que ces observations m ritaient d' tre examin es de fa on
plus approfondie et d'un regard critique, les experts - dont la mission
consiste avant tout, dans les cas d'une symptomatique douloureuse,   porter
une appr ciation sur la vraisemblance de l' tat douloureux et, le cas
 ch ant,   d terminer si la personne expertis e dispose des ressources
psychiques lui permettant de surmonter cet  tat -, se sont content s
d'indiquer qu'ils suspectaient l   un v cu non explor  ou non explorable  de
la personnalit  de l'assur e (page 8 in fine). A cela s'ajoute qu'ils se sont
fond s essentiellement sur la mani re dont D.________ elle-m me ressent et
assume ses facult s de travail. Or, il y a lieu d' tablir la mesure de ce qui
est raisonnablement exigible d'un assur  le plus objectivement possible. En
d finitive, il reste trop de points obscurs, voire contradictoires pour que
le juge puisse se convaincre ici d'une limitation de longue dur e de la
capacit  de travail pouvant conduire   une invalidit  au sens de l'art. 4
aLAI.

Cela  tant, on ne saurait non plus conclure que l'intim e jouit d'une pleine
capacit  de travail excluant tout droit   des prestations de
l'assurance-invalidit  comme le soutient l'office recourant. Il existe tout
de m me sur le vu de l'expertise du COMAI un doute   ce sujet (voir  galement
le rapport du 31 octobre 2003 du docteur R.________, psychiatre et m decin
traitant de l'assur e). Il convient par cons quent de renvoyer la cause  
l'administration pour qu'elle ordonne une nouvelle expertise
interdisciplinaire comprenant un rhumatologue et un psychiatre (voir arr t S.
pr cit , consid. 4.3). Il appartiendra en particulier aux experts d sign s de
d terminer aussi objectivement que possible la capacit  de travail de
l'assur e   la lumi re des pr sents consid rants. Dans cette mesure, le
recours est bien fond .

Par ces motifs, le Tribunal f d ral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du 31 mars 2004 du Tribunal
cantonal genevois des assurances sociales ainsi que la d cision du 30 mai
2002 de l'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidit  sont annul s, la
cause  tant renvoy e audit office pour qu'il proc de conform ment aux
consid rants.

2.
Il n'est pas per u de frais de justice.

3.
Le pr sent arr t sera communiqu  aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales et   l'Office f d ral des assurances sociales.

Lucerne, le 29 mars 2006

Au nom du Tribunal f d ral des assurances

Le Pr sident de la IIIe Chambre: La Greffi re: