Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Sozialrechtliche Abteilungen I 237/2004
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I 237/04

Arrêt du 30 novembre 2004
IVe Chambre

MM. et Mme les Juges Ferrari, Président, Widmer et Boinay, suppléant.
Greffier : M. Beauverd

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

A.________, intimée, représentée par Me Hervé Crausaz, avocat, route de la
Cité-Ouest 15, 1196 Gland

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 5 novembre 2003)

Faits:

A.
A. ________, née en 1958, a déposé une demande tendant à l'octroi d'une rente
de l'assurance-invalidité. Elle alléguait souffrir de dépression et
d'anxiété.

Par décision du 12 mars 2001, l'Office AI pour le canton de Vaud (ci-après :
l'office AI) a nié le droit de l'assurée à des prestations, motif pris que
celle-ci ne présentait pas d'atteinte à la santé invalidante, entraînant une
diminution de sa capacité de travail.

B.
Saisi d'un recours de l'assurée qui concluait à l'octroi de prestations, le
Tribunal des assurances du canton de Vaud a confié une expertise au docteur
C.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Dans son rapport du
7 juillet 2003, ce médecin a diagnostiqué une personnalité émotionnellement
labile, type borderline (F 60.31), un syndrome de dépendance à l'alcool, «
actuellement abstinente » (F 10.20) et un trouble anxieux et dépressif mixte
(F 41.2). Il a attesté que A.________ souffre d'un trouble de la personnalité
qui peut être assimilé à une maladie psychique et qui la rend incapable de
supporter les contraintes d'un emploi, étant donné les exigences actuelles du
monde économique. L'expert a fait état d'une capacité résiduelle de travail
de 20 % à 25 %, voire 30 %, dans son activité habituelle de secrétaire et il
a indiqué que cette limitation de rendement était apparue en 1994.

Se fondant sur cette expertise, la juridiction cantonale a admis le recours
et annulé la décision attaquée, la cause étant renvoyée à l'office AI pour
qu'il calcule la rente due à l'assurée et fixe le moment de la naissance de
ce droit (jugement du 5 novembre 2003).

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif contre ce jugement,
dont il demande l'annulation, en concluant au renvoi de la cause à la
juridiction cantonale pour qu'elle mette en oeuvre une nouvelle expertise.

L'intimée conclut au rejet du recours, sous suite de dépens. En outre, elle
requiert le bénéfice de l'assistance judiciaire et la désignation d'un avocat
d'office.

L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) propose l'admission du
recours.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6
octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la
modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-invalidité. Cependant, le cas d'espèce reste régi par les
dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V 467
consid. 1). En outre, le Tribunal fédéral des assurances apprécie la légalité
des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait existant
au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 121 V 366 consid. 1b).

Pour les mêmes motifs, les dispositions de la novelle du 21 mars 2003
modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004 (RO
2003 3852) ne sont pas non plus applicables.

2.
Le litige porte sur le droit de l'intimée à des prestations de
l'assurance-invalidité, en particulier une rente.

Le jugement entrepris expose de manière exacte et complète les dispositions
légales applicables au présent cas. Il suffit donc d'y renvoyer.

3.
3.1 Se fondant sur les conclusions de l'expertise judiciaire effectuée par le
docteur C.________, la juridiction cantonale a considéré que l'intimée
souffrait d'un grave trouble de la personnalité assimilable à une maladie
psychique, qui entraînait une incapacité de travail de 70 % au moins. En
conséquence, elle a admis le droit de l'intéressée à une rente entière.
Considérant toutefois que le dossier n'était pas suffisamment instruit pour
permettre de fixer le début du droit à cette prestation, les juges cantonaux
sont d'avis que ce droit a pris naissance au mois de février 1999 au plus
tard, et ils ont renvoyé le dossier à l'office AI pour qu'il fixe ce point
plus précisément.

3.2 De son côté, l'office recourant conteste la valeur probante de
l'expertise judiciaire du docteur C.________, auquel il reproche un manque
d'objectivité, dans la mesure où l'expert aurait déprécié dans une remarque
finale l'instruction effectuée par l'office AI. Par ailleurs, celui-ci fait
valoir que les conclusions du docteur C.________ reposent essentiellement sur
des éléments subjectifs et que leur justification procède uniquement des
déclarations de l'assurée, sans motivation objective.

4.
4.1
En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions
d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément
de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de
l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la
jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise
judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une
surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière
convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions
contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions
de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente
des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction
complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 352
consid. 3b/aa et les références). En ce qui concerne, par ailleurs, la valeur
probante d'un rapport médical, ce qui est déterminant c'est que les points
litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se
fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les
plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine
connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et
l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les
conclusions de l'expert soient dûment motivées. Au demeurant, l'élément
déterminant pour la valeur probante n'est ni l'origine du moyen de preuve ni
sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu
(ATF 125 V 352 consid. 3a, 122 V 160 consid. 1c et les références).

4.2 L'expert médical appelé à se prononcer sur le caractère invalidant de
troubles psychiques doit poser un diagnostic relevant d'une classification
reconnue et se déterminer sur le degré de gravité de l'affection. Dans
l'éventualité où des troubles psychiques ayant valeur de maladie sont
finalement admis, il y a alors lieu d'évaluer le caractère exigible de la
reprise d'une activité lucrative par l'assuré, au besoin moyennant un
traitement thérapeutique. A cet effet, il faut examiner quelle est l'activité
que l'on peut raisonnablement exiger de lui. Pour admettre l'existence d'une
incapacité de gain causée par une atteinte à la santé mentale, il n'est donc
pas décisif que l'assuré exerce une activité lucrative insuffisante; il faut
bien plutôt se demander s'il y a lieu d'admettre que la mise à profit de sa
capacité de travail ne peut, pratiquement, plus être raisonnablement exigée
de lui, ou qu'elle serait même insupportable pour la société (ATF 102 V 165;
VSI 2001 p. 224 consid. 2b et les références; cf. aussi ATF 127 V 298 consid.
4c in fine). Ces principes sont valables, selon la jurisprudence, pour les
psychopathies, les altérations du développement psychique (psychische
Fehlentwicklungen), l'alcoolisme, la pharmacomanie, la toxicomanie et pour
les névroses (RCC 1992 p. 182 consid. 2a et les références).

4.3 En l'espèce, le docteur C.________ fonde ses conclusions sur deux
entretiens avec l'assurée, un entretien téléphonique avec la doctoresse
G.________, spécialiste en médecine interne et médecin traitant de
l'intéressée, ainsi que sur le dossier. Sur ces bases, il diagnostique une
personnalité émotionnellement labile, type Borderline (F 60.31), un syndrome
de dépendance à l'alcool, « actuellement abstinente » (F 10.20) et un trouble
anxieux et dépressif mixte (F 41.2). Au sujet de la capacité de travail, il
relève que toute situation nouvelle est source d'angoisse pour la recourante.
Selon l'expert, « il est vraisemblable que cette expertisée, si elle devait
reprendre une activité professionnelle, présenterait très rapidement une
décompensation sur un mode anxieux et dépressif avec une symptomatologie
anxieuse massive, des troubles de l'attention et de la concentration et de la
mémoire, et une humeur triste ». Le docteur C.________ en déduit que
l'assurée subit une incapacité de travail depuis 1994 et qu'elle est toujours
incapable d'exercer une activité dans le monde économique en raison de sa
très faible capacité à surmonter ses angoisses et à résister aux tensions
qu'induit tout travail par ses exigences de rendement et de qualité. En dépit
de ce constat, l'expert atteste, sans explication, une capacité résiduelle de
travail de 20 % à 30 % dans une activité de secrétaire et réserve une
évaluation en milieu spécialisé pour déterminer de manière précise la
capacité résiduelle de travail. En ce qui concerne l'alcoolisme, il relève
que A.________ ne consomme plus d'alcool de manière abusive et qu'il n'existe
pas de séquelles notables de cette période d'alcoolisme sur les plans
somatique, psychique ou cognitif.

4.4 L'avis de l'expert n'emporte pas la conviction. Tout d'abord, il
considère que les conséquences négatives d'une reprise du travail par
l'intimée sont seulement vraisemblables, ce qui ne suffit pas à établir un
fait dans un procès en matière d'assurances sociales (ATF 126 V 360 consid.
5b, 125 V 195 consid. 2 et les références). En outre, en ce qui concerne la
capacité résiduelle de travail, l'expert n'indique pas les éléments sur
lesquels il se fonde pour la fixer entre 20 % et 30 %. Or, si l'on admet les
conséquences que l'expert attache à la reprise de l'activité professionnelle
par l'intimée, on devrait conclure à l'existence d'une incapacité entière de
travail. En outre, sur ce point, l'expert ne paraît pas sûr de son estimation
puisqu'il propose une évaluation en milieu spécialisé. Enfin, il n'a pas
examiné la possibilité d'un traitement thérapeutique et/ou d'une activité en
milieu protégé ainsi que leurs conséquences éventuelles sur la capacité de
gain de l'intimée. Les mêmes manques apparaissent en ce qui concerne
l'évaluation des activités ménagères.

Ces considérations mettent en cause la valeur probante de l'expertise dans
son ensemble. Il n'est dès lors pas possible de demander un complément
d'expertise au docteur C.________, ce d'autant plus que sa remarque finale
peut être interprétée comme un préjugé négatif à l'égard de l'office
recourant.

Cela étant, il y a lieu d'annuler le jugement entrepris et de renvoyer la
cause au tribunal cantonal pour qu'il ordonne une nouvelle expertise.

5.
Le litige ayant pour objet l'octroi ou le refus de prestations d'assurance,
la procédure est gratuite (art. 134 OJ).

L'intimée, qui succombe, ne saurait prétendre une indemnité de dépens pour
l'instance fédérale (art. 159 al. 1 en liaison avec l'art. 135 OJ). Elle
sollicite pour la présente instance l'octroi de l'assistance judiciaire
gratuite. En l'état du dossier, on peut admettre qu'elle en remplit les
conditions (art. 152 al. 1 et 2 en corrélation avec l'art. 135 OJ; ATF 125 V
202 consid. 4a, 372 consid. 5b et les références). L'attention de l'intimée
est cependant attirée sur le fait qu'elle devra rembourser la caisse du
Tribunal si elle devient ultérieurement en mesure de le faire (art. 152 al. 3
OJ; SVR 1999 IV no 6 p. 15).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal des assurances du
canton de Vaud du 5 novembre 2003 est annulé, la cause étant renvoyée audit
tribunal pour complément d'instruction au sens des considérants et nouveau
jugement.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'assistance judiciaire est accordée. Les honoraires (y compris la taxe sur
la valeur ajoutée) de Me Hervé Crausaz sont fixés à 1'500 fr. pour la
procédure fédérale et seront supportés par la caisse du Tribunal.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 30 novembre 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre:   Le Greffier: