Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 228/2004
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I 228/04

Arrêt du 4 juillet 2005
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Schön et Frésard. Greffier : M. Métral

Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud, avenue
Général-Guisan 8, 1800 Vevey, recourant,

contre

T.________, intimée, représentée par Me Denis Bridel, avocat, avenue
C.-F.-Ramuz 60, 1009 Pully

Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne

(Jugement du 18 décembre 2003)

Faits:

A.
T. ________, née en 1952, a travaillé comme ouvrière d'usine, puis comme
aide-serveuse dans un restaurant. Dès 1990, elle a présenté des douleurs
lombaires, en raison desquelles elle a subi plusieurs hospitalisations en
1994. A l'époque, les médecins ont posé le diagnostic de lombo-pygialgies
droites sur spondylolisthésis de degré 2, de L5 sur S1, dans le cadre d'une
spondylolyse de L5. Ces atteintes ont provoqué plusieurs périodes
d'incapacité de travail. Le 30 septembre 1996, T.________ a présenté une
demande de prestations à l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Vaud
(ci-après : l'Office AI), en alléguant souffrir de douleurs dorsales
invalidantes.

L'Office AI s'est adressé à la doctoresse S.________, médecin traitant de
l'assurée, qui a notamment attesté un état anxio-dépressif avec somatisations
douloureuses multiples (rapport du 29 septembre 1997). Par la suite,
l'assurée a consulté le docteur Q.________, qui a confirmé le diagnostic de
la doctoresse S.________, en faisant également état de gonarthrose gauche,
probablement due à une surcharge pondérale, de lombalgies chroniques et de
probable personnalité prépsychotique borderline. Il attestait une incapacité
de travail totale depuis le mois de septembre 1997 (rapports des 29 mai et 18
novembre 1998).

Compte tenu de ces rapports médicaux, l'Office AI a confié au Centre
d'observation médicale de l'assurance-invalidité (COMAI), le soin de réaliser
une expertise pluridisciplinaire. Celle-ci a été effectuée par les docteurs
D.________, P.________ et B.________, qui se sont notamment appuyés sur un
examen rhumatologique pratiqué par le docteur H.________ et un examen
psychiatrique par le docteur C.________. Selon les experts, la capacité de
travail résiduelle de la recourante était de 20 % au maximum, dans une
activité adaptée (permettant l'alternance des positions, ainsi que d'éviter
le port de charges lourdes et certains types de mouvements). L'incapacité de
travail résultait de diverses atteintes à la santé, à savoir, notamment :
syndrome douloureux somatoforme persistant de type fibromyalgie,
spondylolisthésis de L5 sur S1 avec ostéophyte d'instabilité, trouble
dépressif moyen avec syndrome somatique, état anxieux persistant chez une
personnalité immature à traits masochistes, obésité, gonarthrose gauche et
status après ostéotomie de valgisation en 1999. Se référant à l'avis du
docteur H.________, les experts précisaient qu'abstraction faite des troubles
psychiques mis en évidence par le docteur C.________ - qui en déduisait une
incapacité de travail totale de l'assurée - les affections somatiques
laissaient subsister une capacité résiduelle de travail de 60 % dans une
activité adaptée (rapport d'expertise du COMAI du 16 mars 2000).

Par décision du 4 juillet 2001, l'Office AI a alloué un quart de rente
d'invalidité à T.________, avec effet dès le 1er septembre 1998, en se
fondant sur un taux d'invalidité de 40 %. Il a considéré que l'expertise du
COMAI n'établissait pas de manière convaincante l'existence de troubles
psychiques limitant la capacité de travail de l'assurée, qui présentait donc
une capacité résiduelle de travail de 60 % dans une activité adaptée.

B.
T.________ a recouru contre cette décision devant le Tribunal des assurance
du canton de Vaud. Celui-ci a confié aux docteurs W.________, spécialiste en
chirurgie orthopédique, et M.________, psychiatre, le soin de réaliser une
nouvelle expertise pluridisciplinaire.

Le docteur W.________ a attesté une incapacité de travail totale de
l'assurée, en raison d'un spondylolisthésis L5/S1 et d'une obésité morbide
(indice de masse corporelle de 43,4); il décrivait, par ailleurs, plusieurs
autres atteintes à la santé physique (asthme, coxa profunda bilatérale,
gonarthrose gauche, dégénérescences modérées de la colonne dorsale) (rapport
du 19 mai 2003). Pour sa part, le docteur M.________ a fait état, après
discussion avec le docteur W.________, d'un épisode dépressif moyen
réactionnel, mais a nié l'existence d'un trouble de la personnalité et d'une
incapacité de travail causée par une affection psychique (rapport du 28
juillet 2003).

Par jugement du 18 décembre 2003, le Tribunal des assurances du canton de
Vaud a réformé la décision administrative litigieuse et alloué à T.________
une rente entière d'invalidité, avec effet dès le 1er septembre 1998, ainsi
qu'une indemnité de dépens de 2200 fr.

C.
L'Office AI interjette un recours de droit administratif contre ce jugement,
dont il demande l'annulation. Il conclut au renvoi de la cause à la
juridiction cantonale pour instruction complémentaire et nouveau jugement.
L'intimée conclut au rejet du recours, alors que l'Office fédéral des
assurances sociales en propose l'admission.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de l'intimée à une rente d'invalidité et, à
titre préalable, sur le point de savoir si les premiers juges disposaient
d'un dossier suffisamment complet pour statuer en connaissance de cause. Le
recourant fait valoir, d'une part, que le rapport établi le 28 juillet 2003
par le docteur M.________ exclut une affection psychique entraînant une
incapacité de travail; il soutient, d'autre part, que celui établi le 19 mai
2003 par le docteur W.________ ne revêt pas une valeur probante suffisante
pour admettre l'incapacité de travail attestée par ce médecin en raison
d'atteintes à la santé physique. Ce rapport serait d'ailleurs contredit par
l'expertise du COMAI du 16 mars 2000, en particulier par les résultats de
l'examen rhumatologique pratiqué par le docteur H.________.

2.
2.1 Le juge des assurances sociales apprécie librement les preuves (art. 61
let. c LPGA; art. 95 al. 2 OJ, en relation avec les art. 113 et 132 OJ).
Toutefois, si les rapports médicaux sont contradictoires, il ne peut trancher
l'affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une
opinion médicale et non pas sur une autre. A cet égard, l'élément déterminant
n'est ni l'origine, ni la désignation du moyen de preuve comme rapport ou
expertise, mais son contenu. Il importe que les points litigieux importants
aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des
examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes
exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse),
que la description des interférences médicales soit claire et, enfin, que les
conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 352 consid. 3a).

2.2 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves,
la jurisprudence a posé quelques principes relatifs à la manière d'apprécier
certains types d'expertises ou de rapports médicaux. Ainsi, le juge ne
s'écartera pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale
judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses
connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur
les aspects médicaux d'un état de fait donné. Peut constituer une raison de
s'écarter de l'expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des
contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme
les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres
spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en
doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les
cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge
ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle
expertise médicale (ATF 125 V 352 ss consid. 3b).

3.
En l'occurrence, l'expertise réalisée par le docteur W.________ revêt une
pleine valeur probante. L'anamnèse est complète, les plaintes de l'assurée
sont prises en considération et font l'objet d'une discussion en relation
avec les atteintes objectives constatées par le médecin, que ce dernier
décrit de manière claire. Bien qu'il n'ait pas eu à disposition certaines
anciennes radiographies, l'expert disposait d'un dossier médical relativement
complet, comprenant notamment l'expertise du COMAI du 16 mars 2000.
Contrairement à ce que soutient l'OFAS, le seul fait qu'il n'a pas analysé en
détail la vitesse de progression du spondylolisthésis ne suffit pas pour
mettre en doute ses conclusions, ce facteur n'étant pas le seul permettant
d'évaluer la gravité de l'atteinte. Le docteur W.________ s'est fondé sur
d'autres constatations objectives pour émettre son appréciation et a exposé
de manière convaincante que l'importance du glissement de L5 sur S1 qu'il
avait constaté le conduisait à retenir une incapacité de travail totale.

A cela s'ajoute que l'appréciation de la capacité de travail résiduelle de
l'assurée par les docteurs W.________ et M.________ corrobore l'expertise
pluridisciplinaire menée au COMAI, plutôt qu'elle ne la contredit, en ce qui
concerne la capacité de travail résiduelle de l'assurée. Le docteur
M.________ n'a pas retenu, certes, l'existence de troubles somatoformes
douloureux, contrairement aux médecins du COMAI. Il a toutefois pris soin de
se renseigner auprès du docteur W.________ avant de rédiger son rapport; il
savait donc que ce dernier admettait l'existence d'un substrat organique
expliquant les douleurs de l'assurée et justifiant une incapacité de travail
totale. Pour leur part, les docteurs D.________, P.________ et B.________ ne
retiennent qu'une capacité de travail résiduelle de 20 % dans une activité
adaptée. La divergence entre les experts du COMAI et les docteurs W.________
et M.________ ne réside donc pas tant dans l'appréciation de cette capacité
de travail que dans le point de savoir quelle part de l'incapacité constatée
résulte d'une atteinte à la santé physique et dans quelle mesure elle est
influencée par des troubles d'ordre psychique. Cette question n'est toutefois
pas décisive, dès lors qu'une capacité de travail résiduelle supérieure à 20
%, permettant de mettre sérieusement en doute le droit de l'assurée à une
rente entière d'invalidité, ne peut être admise ni en se fondant sur le
rapport du COMAI, ni sur l'expertise judiciaire confiée aux docteurs
W.________ et M.________.

Dans ce contexte, on ne saurait suivre l'argumentation du recourant d'après
laquelle il conviendrait de prendre en considération le rapport
rhumatologique établi par le docteur H.________ pour le COMAI, d'une part, et
le rapport psychiatrique établi par le docteur M.________, d'autre part, pour
déterminer la capacité de travail résiduelle de l'assurée. Le but d'une
expertise pluridisciplinaire est précisément d'obtenir une collaboration
entre différents praticiens et d'éviter les contradictions que pourraient
entraîner des examens trop spécialisés, menés indépendamment les uns des
autres. En l'occurrence, il convient de s'attacher à la discussion globale
menée par les experts du COMAI plutôt qu'aux rapports forcément sectoriels et
limités des différents spécialistes consultés en cours d'expertise. De même,
le rapport du docteur M.________ forme-t-il un tout cohérent avec celui du
docteur W.________, dont les conclusions relatives à la capacité de travail
de l'assurée emportent la conviction.

4.
Vu ce qui précède, c'est à juste titre que les premiers juges ont renoncé au
complément d'instruction demandé par l'Office AI et ont alloué une rente
entière d'invalidité à T.________. Cette dernière, qui obtient gain de cause,
peut prétendre une indemnité de dépens à la charge du recourant (art. 159 al.
1 OJ). Par ailleurs, la procédure porte sur l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, de sorte qu'elle est gratuite (art. 134 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le recourant versera à T.________ la somme de 2500 fr. (y compris la taxe à
la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du
canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 4 juillet 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: Le Greffier: