Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Sozialrechtliche Abteilungen I 205/2004
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I 205/04

Arrêt du 26 octobre 2004
IIIe Chambre

Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Kernen. Greffier : M.
Piguet

M.________, recourante,

contre

Office cantonal AI Genève, 97, rue de Lyon, 1203 Genève, intimé

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 24 mars 2004)

Faits:

A.
A.a M.________, née en 1955, a requis, le 12 février 1993,  des prestations
de l'assurance-invalidité en alléguant souffrir de problèmes gynécologiques
et dorsaux, ainsi que d'un état dépressif. Par décision du 24 août 1994,
l'Office cantonal de l'assurance-invalidité de Genève (ci-après: l'office AI)
a alloué à l'assurée, à partir du 1er février 1993, une rente entière
d'invalidité assortie de rentes complémentaires pour ses quatre enfants sur
la base d'un taux d'invalidité de 100 %. L'office AI s'est fondé sur les
rapports médicaux de la doctoresse B.________, gynécologue, qui a posé les
diagnostics d'état dépressif important, de status variqueux des membres
inférieurs très important, de sciatalgies importantes sur troubles
scoliotiques de la colonne vertébrale, de colon spastique et de status après
hystérectomie et colporraphie antérieure pour prolapsus utérin et
incontinence urinaire urge (rapport du 20 août 1993), et de la doctoresse
U.________, psychiatre, qui a diagnostiqué un épisode anxio-dépressif majeur
avec idées suicidaires (rapport du 23 mars 1993).

A.b En 1997, l'office AI a procédé à la révision du dossier de l'assurée. Il
a sollicité à cette fin un rapport de la doctoresse U.________ qui, tout en
diagnostiquant un trouble somatoforme douloureux, une névrose de rente et une
personnalité borderline avec traits hystériques et narcissiques, a fait état
de l'amélioration de l'état de santé de l'assurée à la suite de la
disparition de la symptomatologie anxio-dépressive traitée par médicaments et
soutien (rapport du 15 mai 1997). La doctoresse S.________, spécialiste en
médecine interne et en rhumatologie, a également constaté une amélioration de
l'état de santé de l'assurée. En effet, malgré une très mauvaise statique
rachidienne, la mobilité de l'assurée était globalement satisfaisante et
n'entraînait pas une incapacité de travail supérieure à 50 % (rapport du 1er
juin 1997). Par décision du 11 décembre 1997, l'office AI a réduit la rente à
une demi-rente d'invalidité à partir du 1er février 1998.

A.c Dans un rapport du 15 juin 2000, la doctoresse S.________ a fait état
d'une aggravation de l'état de santé de l'assurée en attestant une péjoration
des douleurs rachidiennes, constantes et polyarticulaires, dans un contexte
fibromyalgique. Le docteur J.________, spécialiste en psychiatrie et en
psychothérapie, a posé le diagnostic de personnalité borderline et de «
syndrome douloureux somatoforme persistant (fibromyalgie) »; il a estimé
l'incapacité de travail de l'assurée à 100 % (rapports des 19 juillet et 21
septembre 2000).
L'office AI a mandaté l'Institut ABI (Aerztliches Begutachtungsinstitut) de
Bâle afin qu'il procède à une expertise médicale pluridisciplinaire de
l'assurée. Les experts ont diagnostiqué un trouble de la personnalité de type
borderline et des dorso-lombalgies chroniques et ont conclu à une capacité de
travail de 50 % dans le cadre d'une activité légère et adaptée (rapport du 16
novembre 2001). Le Service médical régional (SMR) s'est rallié à cette
conclusion (rapport du 28 janvier 2002). Par décision du 19 avril 2002,
l'office AI a rejeté le droit à une rente entière et a maintenu le droit à la
demi-rente.

B.
M.________ a déféré cette décision à la Commission cantonale de recours
AVS-AI. Elle a produit un rapport du docteur F.________, médecin généraliste,
du 23 avril 2002, ainsi qu'une attestation du docteur C.________, spécialiste
en médecine interne et en rhumatologie, du 24 mai 2002. Le dossier a été
transmis par la suite au Tribunal cantonal des assurances sociales du canton
de Genève qui, par  jugement du 24 mars 2004, a rejeté le recours.

C.
M.________ interjette recours de droit administratif contre ce jugement, en
concluant à l'octroi d'une rente entière d'invalidité.
L'office conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le point de savoir si l'invalidité de la recourante s'est
modifiée au point d'influencer son droit à la rente entre le 11 décembre
1997, date de la décision de réduction de la rente à une demi-rente
d'invalidité, et le 19 avril 2002, date de la décision refusant le droit à
une rente entière et maintenant le droit à la demi-rente (cf. ATF 125 V 369
consid. 2 et la référence).

2.
2.1 La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du
6 octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant
la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de
l'assurance-invalidité. Cependant, le cas d'espèce reste régi par les
dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard au
principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment
où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 4 consid.
1.2, 398 consid. 1.1 et les références). En outre, le Tribunal fédéral des
assurances apprécie la légalité des décisions attaquées, en règle générale,
d'après l'état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été
rendue (ATF 121 V 366 consid. 1b).
Pour les mêmes motifs, les dispositions de la novelle du 21 mars 2003
modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004 (RO
2003 3852) ne sont pas non plus applicables.

2.2 Le jugement entrepris expose correctement les règles légales et les
principes jurisprudentiels régissant la révision de la rente d'invalidité
(art. 41 LAI dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002), de sorte
qu'on peut y renvoyer.

3.
La recourante fait essentiellement grief à l'administration et aux premiers
juges d'avoir écarté les avis des docteurs S.________, J.________ et
F.________, médecins traitants, au profit de l'expertise pluridisciplinaire
de l'Institut ABI, basée sur des examens réalisés en l'espace d'une seule
journée par des médecins inconnus.

4.
Dans un arrêt du 14 juin 1999 (ATF 125 V 351), le Tribunal fédéral des
assurances a précisé sa jurisprudence relative à l'appréciation des preuves
notamment dans le domaine médical. Il convient de rappeler ici que selon le
principe de la libre appréciation des preuves, qui s'applique aussi bien en
procédure administrative qu'en procédure de recours de droit administratif
(art. 40 PCF en corrélation avec l'art. 19 PA; art. 95 al. 2 OJ en liaison
avec les art. 113 et 132 OJ), l'administration ou le juge apprécie librement
les preuves, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une
appréciation complète et rigoureuse des preuves. Dès lors, le juge doit
examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la
provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter
un jugement valable sur le droit litigieux. Si les rapports médicaux sont
contradictoires, il ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des
preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une
opinion médicale et non pas sur une autre.
L'élément déterminant pour la valeur probante d'un certificat médical n'est
ni son origine ni sa désignation sous la forme d'un rapport ou d'une
expertise, mais bel et bien son contenu. A cet égard, il importe que les
points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le
rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en
considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine
connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences
médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien
motivées.
Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, la
jurisprudence a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière
d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.
Lorsque, au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un
médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base
d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine
connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats
convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice
concret ne permet de douter de leur bien-fondé.
En outre, au sujet des rapports établis par les médecins traitants, le juge
peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin
traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son
patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier.
Toutefois, le simple fait qu'un certificat médical est établi à la demande
d'une partie et produit pendant la procédure ne justifie pas, en soi, des
doutes quant à sa valeur probante. Une expertise présentée par une partie
peut donc également valoir comme moyen de preuve. En vertu des principes
énoncés par la jurisprudence concernant l'appréciation des preuves, le juge
est toutefois tenu d'examiner si elle est propre à mettre en doute, sur les
points litigieux importants, l'opinion et les conclusions de l'expert mandaté
par le tribunal. Cette jurisprudence s'applique aussi bien lorsqu'un assuré
entend remettre en cause, au moyen d'une expertise privée, les conclusions
d'une expertise aménagée par l'assureur-accidents ou par un office AI.

5.
5.1 Pour rendre leurs conclusions, les experts de l'Institut ABI ont procédé à
un examen clinique complet de la recourante, auquel ont participé les
docteurs L.________, W.________ et A.________.
Sur le plan rhumatologique, le docteur W.________ a observé que seuls les
troubles statiques de la colonne dorso-lombaires ainsi qu'une dysbalance
musculaire pouvaient être objectivés. Ces troubles n'empêchaient pas la
recourante d'exercer une activité physique légère et variée à plein temps,
évitant les positions fixes et prolongées, les mouvement répétitifs et le
port de charges supérieures à 5 kg. L'examen a en outre permis d'écarter le
diagnostic de fibromyalgie (seuls 8 des 18 points de contrôle selon les
critères de l'ACR [American College of Rheumatology] étaient positifs). Le
docteur W.________ a émis l'hypothèse que la recourante pouvait souffrir d'un
trouble somatoforme douloureux, laissant à l'expert psychiatre le soin
d'évaluer l'éventuelle influence dudit trouble sur la capacité de travail de
la recourante.
Sur le plan psychiatrique, le diagnostic de trouble de la personnalité de
type borderline a été confirmé par le docteur A.________. Cette pathologie,
associée à une symptomatologie douloureuse, entraînait des problèmes
relationnels importants et des états dépressifs récurrents et variables en
intensité. Le docteur A.________ a relevé en particulier que la recourante
vivait une situation conjugale difficile dont elle attribuait l'entière
responsabilité à son mari, sans qu'elle ne fût capable, selon l'expert, de se
livrer à une quelconque forme d'introspection. Il fallait toutefois noter que
la situation s'était quelque peu apaisée depuis que le couple s'était séparé.
Ces éléments ont conduit le docteur A.________ à reconnaître que la
recourante souffrait certes d'une atteinte invalidante à sa santé psychique,
mais qui ne justifiait toutefois pas une incapacité de travail supérieure à
50 %.
Lors du consilium, les experts ont été unanimes à reconnaître l'importance
prépondérante de la problématique psychiatrique, malgré le fait que la
recourante ait mis au premier plan ses souffrances physiques. Ces dernières
ne reposaient toutefois pas sur des éléments objectifs suffisants. Pour les
experts, il se justifiait dès lors de fixer la capacité de travail de la
recourante à 50 %, même si sur le plan somatique, une activité à plein temps
était à sa portée.

5.2 Force est de constater que l'expertise pluridisciplinaire de l'Institut
ABI remplit toutes les conditions auxquelles la jurisprudence soumet la
valeur probante d'un tel document. En effet, les experts, dont l'indépendance
n'est pas remise en cause, ont fondé leur rapport sur un examen clinique et
paraclinique complet et ont pris en considération les plaintes exprimées par
la recourante. Le rapport a été établi en pleine connaissance de l'anamnèse
et du dossier médical, en particulier des rapports des docteurs S.________ et
J.________. La description de la situation et son appréciation sont claires.
Enfin, les conclusions de l'expertise sont bien motivées et aboutissent à un
résultat convaincant.

6.
En l'occurrence, il n'y a pas lieu de s'écarter de l'expertise de l'Institut
ABI. En effet, contrairement à ce que pense la recourante, les différentes
pièces médicales figurant au dossier ne sont pas susceptibles de remettre en
cause les conclusions du rapport d'expertise. Certes le docteur F.________
a-t-il attesté d'une incapacité de travail de 100 %, il n'a toutefois fait
état d'aucun élément qui n'ait été pris en considération par l'expertise et
son opinion, insuffisamment motivée, ne fait pour l'essentiel que restituer
les plaintes subjectives de sa patiente. Quant au rapport du docteur
J.________, il n'est pas non plus de nature à mettre sérieusement en doute
l'avis des experts. En effet, l'appréciation de ce médecin repose en partie
sur des motifs d'ordre économique (« Elle aura besoin d'une rente à 100 %
pour vivre indépendamment de son mari car cette vie commune est insoutenable
pour elle et représente un facteur pathogène »), motifs qui n'entrent pas
dans la notion juridique de l'invalidité; en outre, il se réfère abondamment
au contexte psychosocial entourant la recourante, contexte qui a fait l'objet
d'une étude attentive dans le cadre de l'expertise. On ne saurait au surplus
être convaincu par le rapport de la doctoresse S.________. Tout en faisant
état d'une aggravation de l'état de santé de la recourante, celle-ci n'a pas
produit de motivation circonstanciée qui justifierait, sur le plan médical,
une réduction de la capacité de travail de la recourante. Il n'y a pas lieu
enfin de retenir le diagnostic de fibromyalgie que les docteurs S.________,
J.________ et C.________ ont posé. Cette affection - qui a d'ailleurs été
écartée par les experts - n'a en effet été documentée par aucun des médecins
traitants; ceux-ci n'ont en particulier pas expliqué quels critères leur
avaient permis de retenir une telle affection.

7.
Au vu ce qui précède, on doit admettre que la recourante dispose d'une
capacité de travail de 50 % dans le cadre d'une activité légère et adaptée.
En conséquence, il y a lieu de constater que depuis la décision du 11
décembre 1997, l'état de santé physique et psychique de la recourante ne
s'est pas modifié de façon à réduire sa capacité de travail et accroître son
invalidité. Il s'ensuit que les premiers juges ont appliqué correctement le
droit fédéral, les conditions de l'art. 41 LAI n'étant pas remplies.

8.
Le jugement entrepris n'est pas critiquable et le recours se révèle par
conséquent mal fondé. Vu la nature du litige, il n'est pas perçu de frais
(art. 134 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal genevois
des assurances sociales et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 26 octobre 2004
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

p. la Présidente de la IIIe Chambre:   Le Greffier: