Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen I 171/2004
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I 171/04

Arrêt du 1er avril 2005
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Schön et Frésard. Greffière : Mme von Zwehl

Office AI du canton de Neuchâtel, Espacité 4-5, 2302 La Chaux-de-Fonds,
recourant,

contre

S.________, intimé, représenté par Me Pierre Bauer, avocat, avenue
Léopold-Robert 88, 2300 La Chaux-de-Fonds

Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, Neuchâtel

(Jugement du 10 mars 2004)

Faits:

A.
Le 17 juin 1991, S.________, né en 1959, a été victime d'un accident de
travail qui lui a occasionné deux fractures (hanche droite et radius distal
droit). Il travaillait à l'époque comme maçon au service de l'entreprise
A.________ & Cie. L'instruction médicale menée par la Caisse nationale suisse
en cas d'accidents (CNA) a révélé qu'en raison des séquelles de l'accident,
S.________ ne pouvait plus poursuivre son ancienne activité. Aussi, l'Office
de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel (ci-après : l'office AI),
saisi d'une demande de prestations du prénommé, a-t-il pris en charge une
formation de dessinateur en bâtiment au Centre R.________ de O.________ à
titre de mesure de réadaptation professionnelle. Dès le 25 avril 1995,
l'assuré a bénéficié d'indemnités journalières. Il a achevé la formation avec
succès en juillet 1998. Afin d'augmenter ses chances de réinsertion, l'office
AI lui a encore accordé une formation complémentaire dans la direction de
travaux suivie d'un stage pratique auprès de la société P.________ SA. Ce
stage s'est toutefois soldé par un échec. L'office AI a alors mandaté le
Service d'orthopédie et de traumatologie de l'appareil moteur de l'Hôpital
V.________ pour une expertise. Dans leur rapport du 30 avril 1999, les
docteurs C.________ et B.________ ont conclu à une capacité de travail de 75
% dans une activité adaptée alternant les positions et évitant le port de
charges lourdes.

Par décision du 2 février 2001, l'office AI a alloué à l'assuré une rente
d'invalidité entière du 1er juin 1992 au 31 juillet 1994 ainsi qu'une
demi-rente limitée dans le temps du 1er août 1994 au 31 juillet 1995; il a
considéré qu'à partir du 1er juin 1999, l'intéressé ne pouvait prétendre de
rente, celui-ci étant suffisamment réadapté dans l'activité de conducteur de
travaux. Le 8 février suivant, la CNA et S.________ ont passé une transaction
aux termes de laquelle le prénommé était mis au bénéfice d'une rente
d'invalidité à partir du 1er juin 1999 fondée sur un taux d'incapacité de
gain de 45 %.

B.
B.aPar jugement du 8 mai 2001, le Tribunal administratif du canton de
Neuchâtel a admis le recours formé par l'assuré contre la décision du 2
février 2001. En bref, le tribunal a jugé que pour déterminer le revenu
d'invalide de S.________, l'office AI ne pouvait se fonder sur le salaire que
le prénommé pourrait percevoir comme conducteur de travaux puisque celui-ci
ne bénéficiait pas des compétences nécessaires dans ce domaine, mais sur le
salaire qu'il pourrait réaliser dans une activité de dessinateur en bâtiment
et ce, en considération d'une capacité de travail de 75 %; le dossier était
par conséquent renvoyé audit office pour qu'il fixe à nouveau le revenu
d'invalide après avoir mis en oeuvre une enquête économique et procédé, au
besoin, à une réduction du salaire ainsi obtenu pour tenir compte du handicap
de l'assuré.

B.b L'office AI a rendu, le 23 novembre 2001, une nouvelle décision par
laquelle il a octroyé à l'assuré un quart de rente dès le 1er juin 1999. Sans
autres mesures d'instruction, il a fixé le degré d'invalidité à 45 %.

B.c S.________ a derechef recouru contre cette décision au Tribunal
administratif du canton de Neuchâtel, en concluant à l'octroi d'une
demi-rente. Par jugement du 10 mars 2004, le tribunal a admis le recours,
annulé la décision du 23 novembre 2001 et renvoyé la cause à l'office AI afin
qu'il procède conformément à ce qu'il avait ordonné dans son premier
jugement.

C.
L'office AI interjette recours de droit administratif, en concluant à
l'annulation de ce jugement.

S. ________ conclut au rejet du recours sous suite de frais et dépens, tandis
que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Même si elle ne met pas fin à la procédure, une décision de renvoi, qui
invite l'administration à statuer à nouveau selon des instructions
impératives, est une décision autonome, susceptible en tant que telle d'être
attaquée par la voie du recours de droit administratif, et non une simple
décision incidente (ATF 117 V 241 consid. 1, 113 V 159). Il y a dès lors lieu
d'entrer en matière sur le recours.

2.
Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales (dans leur
teneur en vigueur à la date déterminante de la décision litigieuse du 23
novembre 2001), ainsi que les principes jurisprudentiels régissant la notion
de l'invalidité et son évaluation chez les assurés actifs, si bien qu'on peut
y renvoyer. On rappellera également que la loi fédérale sur la partie
générale des assurances sociales (LPGA) du 6 octobre 2000, entrée en vigueur
le 1er janvier 2003, de même que les dispositions de la novelle du 21 mars
2003 modifiant la LAI (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004,
ne sont pas applicables au présent litige (voir ATF 129 V 4 consid. 1.2 et
les références).

3.
3.1 Dans un premier moyen, l'office recourant fait valoir que la capacité de
travail résiduelle de S.________ est supérieure à l'appréciation qu'en ont
faite les médecins de l'Hôpital V.________.

3.2 En l'occurrence, on ne voit pas de motifs sérieux de s'écarter des
conclusions des docteurs C.________ et B.________ de l'Hôpital V.________.
Certes, S.________ a-t-il été en mesure d'assumer sa formation de dessinateur
en bâtiment avec un taux de présence de 100 %. Cela ne remet pas pour autant
en cause l'avis de ces médecins qui ont tenu compte dans leur appréciation
des séquelles douloureuses du traumatisme à la hanche droite subi par
l'intéressé. On ne saurait en effet mettre sur le même pied la capacité de
suivre une formation et celle de travailler à plein temps et avec un
rendement entier dans le circuit économique normal. On rappellera d'autre
part que si les informations recueillies au cours d'un stage peuvent se
révéler utiles, en complément des données médicales, pour fixer le degré
d'invalidité, elles ne sauraient supplanter l'avis dûment motivé d'un médecin
à qui il appartient, au premier chef, de porter un jugement sur l'état de
santé de l'assuré et d'indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités
celui-ci est capable de travailler, le cas échéant quels travaux on peut
encore raisonnablement exiger de lui (ATF 125 V 261 consid. 4). Il y a donc
lieu de retenir que l'intimé jouit d'une capacité de travail de 75 % dans une
activité de dessinateur en bâtiment laquelle est, par ailleurs, parfaitement
adaptée à son état de santé.

4.
4.1 Dans un second moyen, l'office recourant soutient que la juridiction
cantonale lui «ordonne de procéder à une comparaison de revenus en appliquant
une méthode contraire à la jurisprudence constante». Selon lui, en matière
d'assurance-invalidité, le revenu d'invalide doit être évalué d'après les
données économiques statistiques issues de l'Enquête suisse sur la structure
des salaires (ESS). En ce qui concerne le cas de S.________, celui-ci serait
en mesure réaliser au minimum le revenu annuel d'un homme exerçant une
activité simple et répétitive, soit 53'681 fr. (ESS 1998, TA1, p. 25); en
admettant même un abattement du revenu statistique de 5 % pour tenir compte
de la perte de certains avantages liés à son ancienne activité, son taux
d'invalidité ne dépasserait pas 29 % [(71'819 - 50'997) : 71'819 x 100].

4.2 L'argumentation de l'office recourant ne saurait être suivie. A
conditions de respecter certaines exigences de procédure, la détermination du
revenu d'invalide sur la base de données salariales concrètes est un procédé
admis par le Tribunal fédéral des assurances au même titre que le recours aux
données statistiques économiques (voir ATF 129 V 472); contrairement à ce que
semble croire le recourant, il n'y a pas de hiérarchie entre ces deux
méthodes. Il est vrai que la Cour de céans fait souvent recours aux valeurs
statistiques pour fixer le revenu d'invalide. Cette méthode concerne
toutefois avant tout des assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne
activité parce qu'elle est physiquement trop astreignante pour leur état de
santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans
des travaux légers. Pour ces assurés, le salaire statistique est en effet
suffisamment représentatif de ce qu'ils seraient en mesure de réaliser en
tant qu'invalides dès lors qu'il recouvre un large éventail d'activités
variées et non qualifiées compatibles avec des limitations fonctionnelles peu
contraignantes. La situation de S.________ diffère cependant de ces cas
puisqu'il a bénéficié d'un reclassement dans une profession bien précise, à
savoir dessinateur en bâtiment. C'est dans cette profession qu'il est en
mesure d'atténuer au mieux les conséquences économiques de son état de santé,
ce qui pas contesté par l'office recourant. Or il n'y aurait aucun sens,
lorsqu'un assuré invalide est réadapté avec succès dans une nouvelle
profession, à se référer aux valeurs statistiques issues de l'ESS, d'autant
moins que celles-ci sont établies par branche d'activité et non pas par
profession. En l'espèce, il ressort du dossier que S.________ travaille déjà
comme dessinateur en bâtiment à un taux d'occupation de 55 % depuis le 1er
avril 2001. Bien que ce taux soit inférieur à ce qui est exigible de sa part
(voir consid. 3.2 supra), on peut se demander s'il n'aurait pas été opportun
de retenir, à titre de revenu d'invalide, le salaire perçu au service son
employeur actuel rapporté à un taux d'activité de 75 %. Faute d'éléments de
comparaison, on ignore toutefois si ce salaire est conforme aux usages
professionnels. Aussi, ne saurait-on reprocher aux premiers juges d'avoir
estimé la mise en oeuvre d'une enquête économique nécessaire ou du moins
appropriée pour établir le revenu d'invalide de l'intimé. Sur ce point, leur
jugement n'est pas critiquable.

En revanche, c'est à tort que les premiers juges prescrivent à l'office
recourant d'opérer au besoin une réduction du salaire qui résultera de
l'enquête économique. La déduction globale maximale de 25 % que la
jurisprudence autorise afin de tenir compte des différents éléments qui
peuvent influencer le revenu d'une activité lucrative ne concerne que les
salaires statistiques (ATF 126 V 75). En présence de salaires réels  une
telle déduction ne se justifie pas (cf. ATF 129 V 482 consid. 4.2.3).

5.
L'intimé a droit à une indemnité de dépens à charge de l'office recourant,
qui succombe pour l'essentiel (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté au sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais de justice.

3.
L'Office AI du canton de Neuchâtel versera à S.________ la somme de 1'800 fr.
à titre de dépens pour l'instance fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal administratif du
canton de Neuchâtel et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 1er avril 2005
Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre:  La Greffière: