Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 236/2004
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H 236/04

Arrêt du 9 novembre 2005
IIe Chambre

MM. les Juges Borella, Président, Schön et Frésard. Greffière : Mme
Moser-Szeless

H.________, recourant, représenté par Me Hervé Crausaz, avocat, avenue Krieg
4, 1208 Genève,

contre

Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes
Genève (FER CIAM 106.1), rue de St-Jean 98, 1201 Genève, intimée,

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 4 novembre 2004)

Faits:

A.
La société Q.________ SA, anciennement Z.________ SA, a été inscrite au
registre du commerce du canton de Genève le 18 juin 1993. C.________ en a été
le premier administrateur du 18 juin 1993 au 15 novembre 1994; il a été
remplacé à cette date par J.________. Par la suite, à partir du 30 novembre
1995, P.________ (administrateur) et H.________ (administrateur-président)
ont également fait partie du conseil d'administration de la société.

Par décisions du 1er septembre 1999, la Caisse interprofessionnelle AVS de la
Fédération des entreprises romandes (ci-après : la caisse) a réclamé
notamment à J.________, H.________ et C.________, conjointement et
solidairement, la réparation du dommage qu'elle avait subi dans la faillite
de la société Q.________ SA, prononcée à Genève le 26 juin 1996. Elle
demandait aux deux premiers prénommés le paiement de 91'960 fr. 60 à titre de
cotisations paritaires AVS/AI/APG/AC (pour les périodes de juillet à août,
octobre à décembre 1994, janvier à février, et mai à novembre 1995; y compris
des frais administratifs, de sommation, de poursuite et des intérêts
moratoires). Du troisième, elle requérait un montant de 16'073 fr. 45 à titre
de cotisations paritaires impayées pour les mois de juillet, août et octobre
1994 (frais administratifs, intérêts moratoires, frais de poursuite et taxes
de sommation inclus). Les trois destinataires de ces décisions ont formé
opposition.

B.
Le 6 octobre 1999, la caisse a assigné J.________ et H.________ en paiement
du montant de 91'910 fr. 60, ainsi que C.________ en paiement de la somme de
16'073 fr. 45, réduite, en cours de procédure à 6468 fr. 75. Statuant le 4
novembre 2004, le Tribunal cantonal genevois des assurances sociales a admis
les actions en réparation, en ce sens qu'il a levé les oppositions contre les
décisions du 1er septembre 1999 à concurrence du montant de 91'910 fr. 60
pour les oppositions formées par J.________ et H.________ et de 6468 fr. 75
pour celle de C.________.

C.
H. ________ interjette un recours de droit administratif contre le jugement
cantonal, dont il demande l'annulation. Il conclut principalement, à ce que
soit dit qu'il ne fait l'objet d'aucune obligation de réparer le dommage subi
par la caisse. A titre subsidiaire, il demande le renvoi de la cause à la
juridiction cantonale «afin qu'elle statue à nouveau dans le sens des
considérants».

La caisse conclut au rejet du recours, tandis que J.________ et C.________ ne
se sont pas prononcés à son sujet. Quant à l'Office fédéral des assurances
sociales, il a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
La décision litigieuse n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des assurances doit se borner à
examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris par
l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits
pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou
incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de
procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et 105 al. 2
OJ).

2.
Le jugement entrepris expose correctement les règles légales et les principes
jurisprudentiels applicables en matière de responsabilité de l'employeur au
sens de l'art. 52 aLAVS (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002)
et de la jurisprudence y relative. Il précise également à juste titre que le
présent litige reste soumis aux dispositions de la LAVS en vigueur jusqu'au
31 décembre 2002, soit sans les modifications entraînées par l'entrée en
vigueur, au 1er janvier 2003, de la LPGA (cf. ATF 129 V 4 consid. 1.2). On
peut donc y renvoyer sur ces points.

3.
3.1 Dans un moyen qu'il convient d'examiner en premier lieu, le recourant fait
valoir que l'intimée n'a pas agi suffisamment tôt dès la connaissance du
dommage, de sorte que ses prétentions étaient prescrites ou périmées au
moment où elle a rendu sa décision en réparation, le 1er septembre 1999.
Selon lui, le point de départ du délai de «prescription» doit être fixé à la
date de la faillite de Q.________ SA, puisque l'intimée était au courant
«depuis l'origine» des difficultés financières que subissait la société au vu
des importants arriérés de cotisations sociales. La caisse devait donc savoir
le 26 juin 1996 déjà qu'aucun dividende ne lui serait versé.

3.2 Selon l'ancien art. 82 al. 1 RAVS, le droit de demander la réparation du
dommage se prescrit lorsque la caisse de compensation ne le fait pas valoir
par une décision de réparation dans l'année après qu'elle a eu connaissance
du dommage, et, en tout cas, à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter
du fait dommageable. Comme l'a à juste titre rappelé la juridiction
cantonale, les délais prévus par l'ancien art. 82 al. 1 RAVS sont des délais
de péremption, en ce sens que la caisse de compensation est déchue du droit
d'exiger la réparation du dommage si elle n'a pas agi dans les délais requis
(cf. ATF 128 V 12 consid. 5a, 17 consid. 2a, 121 III 388; SVR 2005 AHV n° 15
p. 48 consid. 5.1.1 et les références). En ce qui concerne le moment de la
connaissance du dommage en cas de faillite, la jurisprudence retient
généralement celui du dépôt de l'état de collocation, ou celui de la
publication de la liquidation de la faillite faute d'actifs (ATF 129 V 195
sv. consid. 2.3).

Contrairement à ce que soutient le recourant, les difficultés financières de
la société ne constituent pas des circonstances spéciales qui auraient permis
à la caisse lésée d'acquérir exceptionnellement la connaissance nécessaire du
dommage avant le dépôt de l'état de collocation, dont l'intimée a été
informée le 9 septembre 1998. A supposer que la caisse eût dû inférer du
non-paiement des cotisations sociales sur plusieurs mois que l'employeur se
trouvait dans une situation financière précaire, cela ne lui permettait pas
de tirer de conclusion ni quant à l'importance d'un éventuel endettement, ni
quant au recouvrement ultérieur de ses créances au moment du prononcé de la
faillite, et de croire qu'il n'y avait manifestement plus rien à espérer de
la procédure de réalisation. En l'occurrence, le départ du délai de
péremption d'une année est intervenu au moment où l'intimée a été informée
par l'office des poursuites et faillite compétent du dépôt de l'état de
collocation en ses bureaux et du fait qu'aucun dividende n'était prévu pour
les créanciers chirographaires. La décision en réparation datée du 1er
septembre 1999 n'était donc pas tardive. Partant, le moyen tiré de la
péremption est mal fondé.

4.
Le recourant fait encore valoir une constatation arbitraire des faits quant à
sa position au sein de la société avant la fin du mois de novembre 1995, date
à laquelle il a été nommé administrateur de Q.________ SA. Il reproche à la
juridiction cantonale d'avoir admis sa qualité d'organe de fait de la société
depuis 1994 et prétend être entré en contact avec O.________ - alors
actionnaire majoritaire de la société - au mois de juin 1994, afin de
négocier «une reprise de l'actionnariat de la société» pour le compte de
tiers investisseurs. Il en veut pour preuve le document intitulé «protocole
d'intention d'achat d'un ensemble d'actifs», produit en instance cantonale,
qui porte sur l'acquisition de la société anonyme Q.________ SA par «MM.
H.________ et partenaires» que le recourant et O.________ ont signé le 14
juin 1994. H.________ affirme également avoir contresigné par la suite les
courriers de l'administrateur C.________ en tant que «repreneur futur de la
société» et non de directeur, en précisant qu'il n'avait jamais disposé d'un
droit de signature engageant la société avant sa nomination en tant
qu'administrateur.

4.1 Dans le cas d'une société anonyme, la notion d'organe responsable selon
l'art. 52 aLAVS est en principe identique à celle qui ressort de l'art. 754
al. 1 CO. En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme,
l'art. 52 aLAVS vise donc aussi, en première ligne, les organes statutaires
ou légaux de celle-ci soit les administrateurs, l'organe de révision ou les
liquidateurs. Mais les critères d'ordre formel ne sont, à eux seuls, pas
décisifs et la qualité d'organe s'étend à toutes les personnes qui prennent
en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à
la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d'une
manière déterminante (ATF 128 III 30 consid. 3a, 117 II 441 consid. 2b, 571
consid. 3, 107 II 353 consid. 5a). Il faut cependant que la personne en
question ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l'empêcher,
c'est-à-dire d'exercer effectivement une influence sur la marche des affaires
de la société (ATF 128 III 30 consid. 3a, 117 II 442 consid. 2b, 111 II 84
consid. 2a).

4.2 Les premiers juges constatent que le recourant occupait la position
d'organe de fait «depuis 1994 déjà», comme le démontre la circonstance qu'il
a négocié, pratiquement seul, des plans de paiement et des délais avec la
caisse au cours de cette année. Il gérait par ailleurs toutes les affaires
courantes et signait les courriers en tant que directeur de la société.

4.3 Contrairement à ce que prétend le recourant, il ressort du dossier que
son rôle au sein de la société à partir de l'été 1994 ne s'est pas limité à
celui de «négociateur-repreneur», mais doit être assimilé à celui d'un organe
de fait au sens de la jurisprudence précitée. D'une part, il a confirmé au
cours d'une audience d'instruction à laquelle il était appelé à témoigner
qu'il est devenu actionnaire de Q.________ SA le 14 juin 1994 (voir aussi la
liste des présences à l'assemblée générale extraordinaire de Q.________ SA du
9 novembre 1994). A cette occasion, il a par ailleurs indiqué s'être occupé
de négociations avec la Caisse cantonale genevoise de chômage (en relation
avec la réduction du temps de travail de certains employés de la société) et
être devenu à cette époque le principal interlocuteur de la caisse intimée
parce que «M. O.________ avait perdu sa crédibilité auprès de la Caisse» (cf.
le procès-verbal d'audience du 10 novembre 1997 devant un juge d'instruction
du canton de Genève). Cette affirmation est corroborée par l'échange de
correspondances entre la société en cause et la caisse intimée dont il
apparaît que le recourant a, dès le mois d'août 1994, négocié seul en tant
que «directeur», ou avec C.________ en sa qualité d'administrateur inscrit au
registre du commerce, un plan de remboursement, puis de paiement des arriérés
de cotisations sociales avec l'intimée (cf. courriers des 16 août 1994, 7
octobre 1994 et 10 mai 1995; note téléphonique de l'intimée du 11 janvier
1995). De même s'est-il chargé de l'engagement du personnel de Q.________ SA,
puisqu'il a conclu, au nom de la direction de celle-ci, un contrat de travail
avec P.________, le 28 décembre 1994, après avoir engagé C.________ comme
administrateur le 29 juillet 1994. En outre, certaines des attestations de
salaire adressées à l'intimée pour les salaires à partir du mois de juin 1994
portent la signature du recourant, de sorte qu'il se chargeait également des
décomptes de cotisations paritaires.

Dans ces circonstances, qui laissent apparaître que le recourant traitait
avec les tiers sur le même pied qu'un membre du conseil d'administration de
Q.________ SA et agissait seul sans être subordonné aux ordres de l'un ou
l'autres des administrateurs, on doit admettre que H.________ a effectivement
déployé une activité relevant de la participation à la gestion et à la
formation de la volonté de la société; il a donc la qualité d'organe de fait
à partir du mois de juin 1994. Le fait que l'administrateur C.________ est
ponctuellement intervenu à ses côtés jusqu'au moment où il a été démis de ses
fonctions (en novembre 1994) ne suffit pas à limiter le rôle du recourant;
l'intervention de l'administrateur était en effet requise d'un point de vue
formel, dès lors que le recourant ne disposait pas d'un droit de signature.
Cet aspect n'est en soi pas décisif au demeurant, puisque l'inscription au
registre du commerce n'est pas, à elle seule, déterminante (voir ATF 117 II
572 sv.).

5.
Enfin, l'argumentation du recourant liée à un éventuel surendettement de la
société au moment de son entrée en fonction en tant qu'administrateur n'est
pas pertinente. La demande en réparation du dommage porte en effet sur des
cotisations paritaires dues pour une période pendant laquelle il avait la
qualité d'organe de fait, puis d'organe formel - et non pas sur des
cotisations antérieures.

6.
Pour le surplus, les premiers juges ont constaté de manière à lier la Cour de
céans que le recourant avait retenu le paiement de cotisations paritaires
pour désintéresser en priorité d'autres créanciers que l'intimée, alors que
l'avenir de la société était plus que préoccupant. Un tel comportement
constitue un cas de négligence grave sanctionné par l'art. 52 aLAVS.

Par ailleurs, le montant du dommage fixé par l'intimée n'apparaît pas
critiquable. Les simples doutes qu'émet le recourant à cet égard en affirmant
que la société n'avait pas versé de salaire en 1996 ne suffisent pas à en
contester le bien-fondé, ce d'autant plus que le dommage invoqué porte sur
des cotisations dues jusqu'au mois de novembre 1995.

7.
De ce qui précède, il résulte que le recours est infondé.

8.
La procédure n'est pas gratuite, s'agissant d'un litige qui ne porte pas sur
l'octroi ou le refus de prestations (art. 134 OJ a contrario). Les frais de
justice seront supportés par le recourant qui succombe (art. 156 al. 1 OJ en
corrélation avec l'art. 135 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 4500 fr. sont mis à la charge du
recourant et compensés avec l'avance de frais, d'un même montant, qu'il a
versée.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève, à l'Office fédéral
des assurances sociales, ainsi qu'à J.________ et C.________.

Lucerne, le 9 novembre 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IIe Chambre: La Greffière: