Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 232/2004
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H 232/04

Arrêt du 2 février 2006
IVe Chambre

MM. et Mme les Juges Ursprung, Président, Widmer et Frésard. Greffier : M.
Métral

Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes
Genève (FER CIAM 106.1), rue de St-Jean 98, 1201 Genève, recourante,

contre

1. N.________,
2. L.________, intimés,
tous les deux représentés par Me Robert Simon, avocat, rue du Vuache 1, 1201
Genève,

Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève

(Jugement du 26 octobre 2004)

Faits:

A.
La société A.________ SA était affiliée jusqu'en décembre 1996 à la Caisse
interprofessionnelle d'AVS de la Fédération des entreprises romandes (à
l'époque : Caisse interprofessionnelle d'AVS de la fédération romande des
syndicats patronaux; ci-après : la caisse). M.________ était inscrit au
registre du commerce en qualité d'administrateur de cette société, pour la
période de mai 1995 à janvier 1996, de même que L.________ et N.________,
pour la période de juin 1993 à mai 1995.

Dans le courant de l'année 1996, la caisse a entamé des procédures de
poursuite pour dettes en vue d'encaisser des cotisations d'assurances
sociales demeurées impayées par A.________ SA. Le 13 décembre 1996, elle
s'est vu délivrer des actes de défaut de biens après saisies. Le 19 novembre
1997, elle a rendu deux décisions en réparation d'un dommage de 72'120 fr.
85, contre D.________ et B.________, à l'époque administrateurs de la
société. Le même jour, elle a exigé de M.________ qu'il lui verse un montant
de 30'825 fr. 25 à titre de réparation du dommage correspondant aux
cotisations dues par A.________ SA pour les périodes d'octobre à décembre
1994 et de mars à décembre 1995. Elle s'est encore adressée à L.________ et
N.________ en vue d'obtenir qu'ils lui paient un montant de 11'531 fr. en
raison des cotisations restées impayées pour les périodes d'octobre à
décembre 1994 et de mars et avril 1995.

M.________, L.________ et N.________ ont fait opposition aux décisions de
réparation du dommage qui leur ont été notifiées. D.________ et B.________ ne
s'y sont pas opposés.

B.
Le 30 décembre 1997, la caisse a ouvert une action en réparation du dommage
devant la Commission cantonale genevoise de recours en matière d'AVS/AI
(ci-après : la commission), en concluant à la levée des oppositions formées
par M.________, à concurrence de 28'541 fr. 75, ainsi que par L.________ et
N.________, à concurrence de 11'531 fr. En cours de procédure, la caisse a
réduit à 26'159 fr. 65 le montant réclamé à M.________.
Par jugement du 13 septembre 2002, la commission a admis l'action ouverte par
la caisse et levé les oppositions formées par M.________, à concurrence de
26'159 fr. 65, ainsi que par L.________ et N.________, à concurrence de
11'531 fr.

C.
L.________ et N.________ ont interjeté un recours de droit administratif
contre ce jugement, dont ils ont demandé l'annulation.

Par arrêt du 5 février 2004, le Tribunal fédéral des assurances a annulé le
jugement du 13 septembre 2002 de la commission, en tant qu'il concernait
L.________ et N.________, et a retourné la cause à l'instance cantonale pour
qu'elle invite D.________ et B.________ à participer à la procédure, qu'elle
complète ses constatations de faits et qu'elle statue à nouveau; il convenait
plus particulièrement de constater d'éventuels paiements effectués par
A.________ SA ou par D.________ après la décision de réparation du dommage et
qui auraient pu réduire ce dommage ou éteindre la créance de la caisse envers
les recourants (arrêt N. et L. du 5 février 2004 [H 68/03]).
Le Tribunal des assurances sociales du canton de Genève (qui avait
entre-temps repris les compétences de la commission) a invité B.________ et
D.________ à participer à la procédure. Le premier ne s'est pas déterminé. Le
second a indiqué avoir versé plus de 60'000 fr. à la caisse et précisé que ce
montant concernait «en priorité les années de cotisations les plus
anciennes»; il s'ensuivait que les cotisations pour les années pendant
lesquels L.________ et N.________ avaient été administrateurs étaient
entièrement réglées. Les parties ont fait part de leurs observations sur ces
allégations; par acte du 8 septembre 2004, la caisse a notamment précisé que
les montants versés par D.________ laissaient subsister un dommage de 9'934
fr. 25, dont elle entendait encore obtenir réparation par L.________ et
N.________.

Par jugement du 26 octobre 2004, le Tribunal des assurances sociales du
canton de Genève a considéré que l'action en réparation du dommage était
devenue sans objet, ensuite d'acomptes versés à la caisse par D.________ pour
un montant total de 66'100 fr.

D.
La caisse interjette un recours de droit administratif contre ce jugement. En
substance, elle en demande l'annulation dans la mesure où il déclare la
procédure sans objet, et conclut à la condamnation de L.________ et
N.________ au paiement de 9'934 fr. 25 à titre de réparation du dommage subi
en raison du non-paiement de cotisations sociales par A.________ SA. Les
intimés concluent au rejet du recours, sous suite de frais et dépens, alors
que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le litige porte sur le droit de la caisse au paiement de 9'934 fr. 25 par
L.________ et N.________, à titre de réparation du dommage qu'elle a subi en
raison du non-paiement de cotisations sociales par A.________ SA. Il porte
plus particulièrement sur les effets des acomptes versés par D.________ sur
la créance de la caisse à l'encontre de L.________ et N.________.

2.
2.1 Une caisse de compensation est notamment réputée subir un dommage au sens
de l'art. 52 LAVS lorsqu'elle se voit délivrer un acte de défaut de biens
après saisie et ne peut obtenir, de ce fait, le paiement de cotisations
sociales arriérées (ATF 123 V 15 sv. consid. 5b, 113 V 258). Le cas échéant,
elle peut en demander la réparation aux organes fautifs de la personne morale
poursuivie, mais cette dernière n'en demeure pas moins débitrice des
cotisations (art. 149 et 149a LP); si, par la suite, elle s'acquitte
totalement ou partiellement de sa dette, le dommage subi par la caisse en est
réduit d'autant. La caisse ne peut alors plus exiger l'indemnisation d'un
dommage correspondant à un arriéré de cotisations dont elle a finalement
obtenu le paiement.

2.2 Lorsqu'un employeur acquitte un arriéré de cotisations sociales, la
caisse de compensation doit en principe imputer les paiements de l'employeur
sur la dette de cotisations ayant fait l'objet des premières poursuites et, à
défaut, sur la dette échue la première (art. 87 al. 1 CO par analogie).
Demeurent toutefois réservées une déclaration de l'employeur par laquelle il
manifeste, au moment du paiement, sa volonté de régler une dette de
cotisations plus récente ou, à défaut, une déclaration par laquelle la caisse
donne quittance du paiement d'une dette de son choix (art. 86 CO par
analogie; cf. SVR 1995 AHV no 70 p. 213 consid. 4; voir également ATF 112 V 5
sv. consid. 3d; RCC 1989 p. 124 consid. 3c; arrêt non publié M. du 7 août
1991 [H 145/89] consid. 6b).

2.3
2.3.1 L.________ et N.________ ont allégué, en procédure cantonale, le
paiement par D.________, pour le compte de A.________ SA, d'acomptes ayant
permis de régler le solde de cotisations dues par la société pour la période
pendant laquelle ils en étaient administrateurs. Sur ce point, il convient de
compléter les constatations de faits des premiers juges, qui sont
insuffisantes malgré un premier renvoi de la cause à la juridiction
cantonale.

2.3.2 Dans sa détermination du 8 septembre 2004 adressée au Tribunal des
assurances sociales du canton de Genève, la caisse précise qu'avant les
décisions en réparation du dommage, «Monsieur D.________ avait sollicité, en
début d'année 1997, un arrangement de paiement pour régler la part des
cotisations dites `pénales' [...]. Il ne payait donc pas les cotisations les
plus anciennes. Après la notification, le 19 novembre 1997, des décisions en
réparation de dommage dans lesquelles étaient déduits les acomptes versés
avant le 19 novembre 1997, Monsieur D.________ a continué à s'acquitter des
acomptes qui ont été en priorité pour couvrir les soldes de la part pénale
restant encore dus, puis pour couvrir le restant du dommage.»

Contrairement à ce que soutient la caisse dans cette détermination,
D.________ n'a pas versé d'acomptes pour indemniser la caisse d'un dommage
dont il était responsable; il a payé des acomptes pour le compte de
A.________ SA, dont il était resté administrateur, et en vue de régler
l'arriéré de cotisations sociales dues par la société. Selon un accord passé
en janvier 1997 avec la caisse, A.________ SA s'est engagée a régler
progressivement l'arriéré de cotisations ayant fait l'objet d'actes de défaut
de biens en décembre 1996. La caisse a confirmé cet accord, par lettre du 20
janvier 1997 à A.________ SA. Constatant que les acomptes convenus n'étaient
versés qu'irrégulièrement, elle a en exigé l'exécution complète par lettres
des 27 janvier, 15 mai, 11 juin et 19 août 1997, toujours adressées à
A.________ SA. Selon l'accord passé entre les parties, les acomptes devaient
d'abord être imputés sur les cotisations prélevées par l'employeur sur les
salaires (part dite «pénale»), comme l'admet la caisse dans sa détermination
du 8 septembre 2004. A défaut d'autre précision de la débitrice ou de
quittance donnée par la créancière, ils devaient ensuite être imputés sur les
dettes de cotisations les plus anciennes (consid. 2.2 supra).

2.3.3 Sur l'ensemble des cotisations demeurées impayées au moment des
décisions de réparation du dommage du 19 novembre 1997, celles correspondant
aux mois d'octobre à décembre 1994 et de mars et avril 1995 étaient parmi
celles qui avaient fait l'objet des premières poursuites et qui étaient
échues les premières. Par ailleurs, selon un décompte produit par la caisse
devant la juridiction cantonale, les acomptes versés représentent un montant
de l'ordre de 40'000 fr., après déduction de 25'142 fr. 10 correspondant aux
cotisations prélevées sur les salaires (part «pénale»). L'arriéré de
cotisations dues par A.________ SA, intérêts et frais compris, est presque
entièrement couvert, sous réserve d'un solde de 9'934 fr. 25, correspondant
aux cotisations patronales les plus récentes. Il faut donc admettre que la
dette de cotisations pour la période courant jusqu'au 30 avril 1995 est
aujourd'hui réglée, ce qui a réduit d'autant le dommage subi par la caisse.

2.3.4 La recourante ne conteste pas qu'en imputant les versements sur les
dettes les plus anciennes, sa créance en réparation contre les intimés serait
entièrement couverte. Elle soutient que L.________, N.________, M.________,
B.________ et D.________ sont solidairement responsables du dommage qu'elle a
subi, de sorte qu'ils demeurent tous obligés jusqu'à l'extinction totale de
la dette (cf. art. 144 al. 2 CO par analogie). Ce raisonnement ne tient
toutefois pas compte du fait que les versements effectués par D.________ ont
servi à payer les cotisations dues par A.________ SA, et non à acquitter le
montant exigé par la caisse dans la décision en réparation du dommage du 19
novembre 1997 (consid. 2.3.2 supra). Dès lors que ces versements ont permis
d'acquitter entièrement la dette de cotisations de la société pour la période
courant jusqu'au 30 avril 2005 au moins, date de la démission de L.________
et N.________ de leurs fonctions d'administrateurs, les intimés n'encourent
plus de responsabilité pour le solde de cotisations restées impayées. Il est
en effet de jurisprudence constante qu'un administrateur ne répond pas du
dommage résultant du non-paiement de cotisations sociales dues pour une
période postérieure à sa démission (ATF 126 V 61 et les références).

3.
3.1 La jurisprudence relative à l'ancien art. 81 RAVS, applicable à la
procédure ouverte devant la juridiction cantonale (arrêt du 5 février 2004 [H
68/03], consid. 2.2), admet qu'une action en réparation du dommage soit
déclarée sans objet lorsque l'un des codébiteurs solidaires indemnise
entièrement la caisse en cours de procédure (arrêts D. du 17 décembre 2004 [H
215/04]; arrêts non publiés H. du 22 juin 1998 [H 195/96] consid. 3, H. du 30
septembre 1998 [H 256/97] consid. 4b; voir également Nussbaumer, Das
Schadenersatzverfahren nach Art. 52 AHVG, in : Aktuelle Fragen aus dem
Beitragsrecht der AHV, St-Gall 1998, p. 120). Il en va de même lorsqu'après
l'introduction d'une action en réparation du dommage, la caisse obtient le
paiement d'une partie de la créance de cotisations produite dans la faillite
de l'employeur (arrêt non publié L. du 2 juin 1995 [H 10/95] consid. 2b) ou
pour laquelle un acte de défaut de biens lui a été délivré. Cela ne vaut
toutefois que si les parties ne contestent pas les effets de ce paiement sur
la créance en réparation du dommage. En revanche, si elle sont encore en
litige sur ce point, le juge saisi de l'action en réparation du dommage ne
peut pas déclarer la procédure sans objet, mais doit statuer au fond.

3.2 En l'occurrence, la caisse a d'abord conclu, en procédure cantonale, à ce
que L.________ et N.________ soient solidairement condamnés à lui payer
11'531 fr. Afin de prendre en considération les acomptes versés par
D.________, elle a par la suite admis n'être plus titulaire que d'une créance
de 9'934 fr. 25 contre L.________ et N.________. Pour la différence entre ces
deux montants, la procédure était donc devenue sans objet. Pour le reste, le
litige entre les parties subsistait et appelait un jugement au fond : la
caisse contestait que les paiements effectués par D.________ (en réalité
A.________ SA) aient eu pour effet de libérer entièrement L.________ et
N.________ de leur responsabilité et concluait encore expressément à leur
condamnation au paiement de 9'934 fr. 25. Les premiers juges ne pouvaient
donc pas déclarer la procédure entièrement sans objet, mais devaient se
prononcer sur les dernières conclusions de la caisse et, vu ce qui précède
(consid. 2 supra), les rejeter. Dans cette mesure seulement, les conclusions
de la caisse en instance fédérale sont bien fondées et entraînent la réforme
du jugement entrepris.

4.
Les intimés, qui obtiennent tout de même gain de cause, peuvent prétendre une
indemnité de dépens à la charge de la recourante (art. 159 al. 1 OJ). Par
ailleurs, le litige ne porte pas sur l'octroi ou le refus de prestations
d'assurance, de sorte que la recourante supportera les frais de justice (art.
134 et 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est partiellement admis au sens des considérants. Le point 2 du
dispositif du jugement du 26 octobre 2004 du Tribunal des assurances sociales
du canton de Genève est réformé en ce sens que les conclusions prises en
instance cantonale par la Caisse interprofessionnelle d'AVS de la Fédération
des entreprises romandes sont rejetées dans la mesure où elles ne sont pas
devenues sans objet.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 1'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante et sont compensés avec l'avance de frais qu'elle a effectuée.

3.
La recourante versera aux intimés, créanciers solidaires, la somme de 2'500
fr. (y compris la taxe à la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance
fédérale.

4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances
sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 2 février 2006

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre: Le Greffier: