Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen H 225/2004
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H 225/04

Arrêt du 29 novembre 2005
IVe Chambre

MM. et Mme les Juges Ferrari, Président, Widmer et Ursprung. Greffière : Mme
Berset

1. A.________,

2. B.________,
recourants, tous les 2 représentés par Me Armelle Seigneur, avocate, rue du
Général-Dufour 11, 1204 Genève,

contre

Caisse de compensation AVS/AI/APG de la Chambre vaudoise du commerce et de
l'industrie, avenue d'Ouchy 47, 1006 Lausanne, intimée,

Cour des assurances sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg,
Givisiez

(Jugement du 7 octobre 2004)

Faits:

A.
Inscrite au Registre du commerce le 19 mai 2000, la société X.________ SA
avait pour but la conception et commercialisation de produits, de services et
matériel informatiques. Le 21 juillet 2000, elle a pris le nom de Y.________
SA et modifié quelque peu la formulation de son but (conception et
commercialisation de logiciels de e-business). La société était affiliée à la
Caisse de compensation AVS-AI-APG de la Chambre vaudoise du commerce et de
l'industrie (ci-après : la caisse). Son conseil d'administration était formé
de B.________, administrateur-président, C.________,
administrateur-secrétaire, D.________ et, A.________, membres ainsi que de
E.________, membre dès le 13 juin 2001. Tous disposaient de la signature
collective à deux.

La faillite de la société a été prononcée le 3 décembre 2001.

Le 9 mai 2003, la caisse a notifié aux cinq membres du conseil
d'administration une décision en réparation du dommage, par laquelle elle
leur réclamait le paiement de 60'605 fr. 50, correspondant aux cotisations
paritaires fédérales AVS/AI/APG/AC impayées pour 2001,  ainsi qu'au solde des
cotisations d'allocations familiales, frais administratifs et de poursuite
inclus. L'opposition conjointe de B.________, A.________ et E.________, a été
rejetée par décision du 2 juillet 2003.

B.
Saisi d'un recours des trois intéressés, le Tribunal administratif du canton
de Fribourg l'a admis partiellement par jugement du 7 octobre 2004 et
considéré que B.________, A.________ et E.________ étaient solidairement
responsables du dommage de la caisse jusqu'à concurrence de 48'325 fr. 15.
Elle a déduit du montant réclamé par la caisse les allocation familiales de
droit cantonal (12'280 fr. 35).

C.
B.________ et A.________ interjettent recours de droit administratif contre
ce jugement, dont ils requièrent l'annulation, sous suite de dépens. Ils
concluent, principalement à ce qu'ils soient libérés de toute responsabilité
à l'égard de la caisse. A titre subsidiaire, ils demandent que le créance en
réparation du dommage soit réduite.

La caisse conclut au rejet du recours, tout en confirmant que le montant du
dommage s'élève à 48'325 fr. 15. E.________, invité à répondre au recours en
qualité d'intéressé, et  l'Office fédéral des assurances sociales ont renoncé
à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales
du 6 octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003,
entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine
de l'AVS. Le cas d'espèce reste toutefois régi par les dispositions en
vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, eu égard au principe selon lequel les
règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits
juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 4 consid. 1.2 et les
références).

1.2 Le litige porte sur la responsabilité du recourant dans le préjudice
causé à l'intimée, au sens de l'art. 52 LAVS et de la jurisprudence y
relative (ATF 126 V 237 consid. 2a, 123 V 170 consid. 2a, 122 V 66 consid. 4a
et les références), par la perte des cotisations paritaires afférentes à
l'année 2001. La juridiction cantonale a exposé correctement les règles
légales et jurisprudentielles applicables en matière de responsabilité de
l'employeur et de connaissance du dommage, au sens des anciens art. 52 LAVS
et 82 RAVS, de sorte qu'il suffit de renvoyer à ses considérants.

2.
La décision litigieuse n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des assurances doit se borner à
examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris par
l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits
pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou
incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de
procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et 105 al. 2
OJ).

3.
Les premiers juges ont constaté, de manière à lier la Cour de céans, que
B.________ et A.________ n'ont jamais pris de renseignements sur le paiement
des cotisations aux assurances sociales ni donné des instructions ou procédé
à des contrôles à cet égard. Or, le décompte final de l'année 2000 mettait en
évidence un important décalage entre la masse salariale forfaitaire (300'666
fr.) et celle de la déclaration nominative annuelle (675'214 fr), laissant
augurer une facture sociale finale de plus de 55'000 fr. Une telle situation
les obligeait à réagir et à prendre immédiatement les mesures indispensables
qui s'imposaient à titre préventif, ce quand bien même la direction
financière avait été valablement déléguée à C.________. En particulier, la
petite taille de la société (24 employés) était propice à un tel contrôle.
Par ailleurs, les irrégularités commises par C.________ et D.________
n'étaient pas de nature à rompre le lien de causalité. En effet d'une part,
les montants en cause n'étaient pas suffisamment importants et, d'autre part,
la société souffrait d'ores et déjà de difficultés financières à l'époque des
faits. Les premiers juges ont retenu, en définitive, que les intéressés
avaient manqué à leur devoir de surveillance (art. 716a al. 1 ch. 5 CO).

4.
Les recourants font grief à la juridiction cantonale d'avoir admis leur
responsabilité pour le dommage causé à la caisse, bien qu'on ne puisse pas
leur reprocher une violation intentionnelle ou par négligence grave des
obligations légales incombant à l'employeur. Ils font valoir qu'en vertu du
règlement interne de la société, l'exécution des attributions administratives
et financières, ainsi que la responsabilité des ressources humaines
incombaient à C.________, tandis qu'ils étaient chargés respectivement de
représenter les nouveaux actionnaires (B.________) et de prodiguer des
conseils juridiques (A.________). Ils font valoir que C.________ et
D.________ ont profité de leur double fonction d'administrateur et directeur
pour s'accorder des avantages particuliers (augmentation de salaires et prise
en charge de frais personnels). Ils allèguent n'avoir pas pu se rendre compte
des irrégularités commises par C.________, dès lors que celle-ci ne
fournissait pas des rapports  détaillés. Ils estiment que les agissements de
la directrice financière sont de nature à rompre le lien de causalité avec le
dommage. En bref, ils reprochent à la juridiction cantonale d'avoir élargi de
façon exagérée la notion de la cura in custodiendo et de leur avoir imputé à
tort une faute grave.

5.
5.1 Ce point de vue est mal fondé. Selon la jurisprudence, même s'il est
écarté de la gestion de la société anonyme, un membre du conseil
d'administration reste tenu de surveiller les personnes chargées de la
gestion et de la représentation, afin que l'activité de la société se déroule
conformément à la loi. La violation de ce devoir de surveillance constitue
une négligence grave entraînant l'obligation de réparer le dommage subi par
la caisse (RCC 1989 p. 115 s. consid. 4). Il en va de même lorsque, en raison
de la répartition interne des fonctions administratives, il incombe en
premier lieu à certains administrateurs de veiller au paiement des
cotisations. Les autres administrateurs n'en sont pas moins tenus de
s'enquérir de la situation et de prendre les mesures nécessaires en cas de
retard dans le paiement des cotisations (ATF 109 V 88 s. consid. 6).

5.2 En l'espèce, il est constant que les recourants n'ont pas cherché à
s'informer sur le point de savoir si la société s'acquittait effectivement
des cotisations, laissant à C.________ toute latitude de veiller à ce que les
paiements soient effectués conformément à la loi. En particulier, en sa
qualité d'avocat et de conseiller juridique de la société, A.________ aurait
dû faire montre, dès la production du décompte de l'année 2000, d'une
prudence particulière en exigeant des rapports détaillés de la directrice
financière et en prenant contact directement avec la caisse le cas échéant.
Il lui incombait également de rendre ses collègues attentifs à la sévérité de
la réglementation en  matière de responsabilité des administrateurs pour le
paiement des cotisations sociales. Or, il a laissé perdurer ces problèmes de
trésorerie jusqu'à la réunion du conseil d'administration du 29 octobre 2001,
date à laquelle il a recommandé de mettre la société en liquidation. Cette
passivité a engendré des lacunes de cotisations pour l'année 2001 qui
auraient pu être évitées si les intéressés avaient immédiatement remédié à la
situation. Par ailleurs, ce manquement au devoir de surveillance ne saurait
être apprécié différemment, du moment que l'on n'est pas en présence d'une
grande entreprise dans laquelle les possibilités de chaque membre du conseil
d'administration de contrôler la gestion sont limitées (cf. ATF 108 V 203
consid. 3a; RCC 1989 p. 116 consid. 4 et les références).

Aussi, doit-on considérer qu'en violant le devoir qui lui incombait en leur
qualité de membres du conseil d'administration, les recourants ont commis une
négligence grave entraînant l'obligation de réparer le dommage subi par la
caisse.

6.
Dans un deuxième moyen, les recourants soutiennent que l'appréciation des
premiers juges vide de son sens aussi bien le règlement d'organisation que
l'art. 716a CO et qu'elle a pour effet de faire rentrer la perception des
contributions paritaires dans le catalogue des attributions inaliénables de
l'art. 716a CO, violant par là-même cette disposition au contenu exhaustif.
Plus généralement, ils considèrent que la jurisprudence du Tribunal fédéral
des assurances sociales relative à l'art. 52 LAVS est particulièrement
choquante en ce qu'elle transforme quasiment une responsabilité pour
négligence grave (en application du texte clair de la norme) en une
responsabilité objective.

Les recourants sollicitent donc un changement de la jurisprudence constante
de la Cour de céans en matière de responsabilité des administrateurs pour le
paiement des cotisations sociales (cf. consid. 2a du jugement entrepris,
ainsi que consid. 1.2 et 5.2. supra). Or, pour qu'un revirement de
jurisprudence soit compatible avec le principe de l'égalité de traitement que
l'art. 8 al. 1 Cst. a repris de l'art. 4 al. 1 aCst. sans en modifier la
portée matérielle, il faut qu'il repose sur des motifs objectifs, à savoir
une connaissance plus approfondie de l'intention du législateur, un
changement des circonstances extérieures ou l'évolution des conceptions
juridiques. Les motifs doivent être d'autant plus sérieux que la
jurisprudence est ancienne. Si elle se révèle erronée ou que son application
a conduit à des abus répétés, elle ne saurait être maintenue (ATF 127 V 273
consid. 4a, 355 consid. 3a et les références).

En l'occurrence, la jurisprudence incriminée résulte d'une interprétation
attentive de la loi et prend en considération le but et le sens de la
disposition concernée. Les recourants se limitent pour leur part à exposer
leur propre interprétation du texte légal en fondant tout leur raisonnement
sur des dispositions de droit civil, si bien qu'on ne voit pas en quoi elle
pourrait justifier le changement de cette jurisprudence bien établie. Ces
considérations s'appliquent mutatis mutandis aux critiques émises par une
partie de la doctrine à propos de cette jurisprudence. Il n'y a dès lors
aucune raison de s'en écarter.

7.
Dans un troisième moyen, les recourants sollicitent une réduction du montant
du dommage en application de l'art. 43 CO.

L'art. 759 al. 1 CO autorise une limitation de la responsabilité de
l'administrateur en ce sens que le montant du dommage auquel un
administrateur est condamné solidairement ne peut dépasser le dommage qu'il a
causé ou contribué à causer et qui lui est imputable personnellement en
raison de sa faute et au vu des circonstances (solidarité différenciée; ATF
122 III 325 consid. 7b); elle permet au responsable d'invoquer des facteurs
de réduction qui lui sont propres. Pour ce qui est de la gravité de la faute
de l'auteur de l'acte illicite, c'est uniquement la légèreté de celle-ci
(art. 43 al. 1 CO) qui peut être invoquée (Böckli, Schweizer Aktienrecht,
2ème édition, p. 1103, note 2022 ss; Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel,
Schweizerisches Aktienrecht  § 36, notes 99 ss; Tercier, La solidarité et les
actions récursoires entre les responsables d'un dommage selon le nouveau
droit de la société anonyme in: La responsabilité des administrateurs, Zürich
1994, p. 73 et 74). La jurisprudence précise toutefois clairement qu'une
limitation de la responsabilité fondée sur la faute concurrente d'un tiers ne
doit être admise qu'avec la plus grande retenue, si l'on veut éviter que la
protection du lésé que vise, d'après sa nature, la responsabilité solidaire
de plusieurs débiteurs, ne soit rendue en grande partie illusoire. Cette
éventualité ne peut donc concerner qu'une situation tout à fait
exceptionnelle; il en irait peut-être ainsi dans l'hypothèse où la faute de
l'auteur recherché apparaîtrait si peu grave et dans une telle disproportion
avec celle du tiers qu'il serait manifestement injuste et choquant de faire
supporter au défendeur l'entier du dommage en appliquant à la lettre les
rigueurs propres à la solidarité (ATF 112 II 144 consid. 4a et les références
citées; à propos plus précisément de l'art. 759 al. 1 CO : arrêts du Tribunal
fédéral du 31 décembre 1998  en la cause K. [4C.256/1997], consid. 5a et du 3
mars 1998 en la cause S. [4C.506/1996], consid. 8 non publié in SJ 1999 I
228). Or, la responsabilité fondée sur l'art. 52 LAVS implique, par
définition, une faute qualifiée, soit une faute intentionnelle ou une
négligence grave, raison pour laquelle l'art. 759 al. 1 CO (applicable dans
les limites de l'art. 43 al. 1 CO) ne saurait trouver application dans ce
contexte (VSI 1996 p. 306).

Le moyen soulevé n'est dès lors pas fondé.

8.
Quant au montant du dommage (48'325 fr. 15), il n'est ni contesté, ni sujet à
discussion. Il représente les cotisations d'assurances sociales AVS/AI/APG/AC
non payées par la société en 2001.

Sur le vu de ce qui précède, le jugement entrepris n'est pas critiquable et
le recours se révèle mal fondé.

9.
La procédure n'est pas gratuite, s'agissant d'un litige qui ne porte pas sur
l'octroi ou le refus de prestations d'assurance (art. 134 OJ a contrario), et
l'émolument judiciaire doit être calculé en fonction de la valeur litigieuse
(art. 153a OJ), in casu 48'325 fr. Les recourants qui succombent, supportent
les frais de justice (art. 156 al. 1 OJ), de même qu'ils n'ont pas droit à
une indemnité de dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 3'500 fr., sont mis à la charge des
recourants solidairement entre eux et sont couverts par les avances de frais
qu'ils ont versées. La différence, d'un montant de 3'500 fr., leur est
restituée par égales parts.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Cour des assurances
sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg et à l'Office
fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 29 novembre 2005

Au nom du Tribunal fédéral des assurances

Le Président de la IVe Chambre: La Greffière: